Connu pour son rôle d’inspecteur de police dans la série à succès « Commissariat de Tampy », Sidibé Sékou Oumar alias « L’inspecteur Roch » fait aussi dans les films documentaires. Son long métrage « Yand Baanga » qui traite des fistules obstétricales, est en compétition dans la sélection Burkina Films à la 29ᵉ édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou. Entretien.
Lefaso.net : Pouvez-vous vous décrire en quelques mots pour nos lecteurs ?
SSO : Merci pour cette confiance accordée en ma personne. Je suis Sidibé Sékou Oumar, plus connu sous le nom de l’inspecteur Roch du commissariat du Tampy. J’ai débuté le cinéma en tant que comédien. Par la suite, je suis devenu réalisateur et producteur au sein de la structure de production NAFADOU. Je suis également inspecteur de l’enseignement primaire. On peut dire que je suis un cinéaste pédagogue.
De l’enseignement, comment êtes-vous arrivé dans le cinéma ?
Il faut dire qu’à la base, j’étais enseignant en province. Puis, j’ai participé à un casting. Ça a marché et je suis venu tourner. J’ai pris goût au cinéma. Comme il y avait un manque de plateaux de tournage, j’ai été obligé d’aller à l’école de formation. Je suis passé par l’Institut supérieur de l’image et du son (ISIS), puis par Bruxelles, en Belgique, et le Sénégal. Aujourd’hui, théoriquement, on a tout ce qu’il faut pour faire de bons films. Mais c’est l’expérience en termes de quantité de productions qui manque. Sinon, on est assez outillé pour faire des films.
Est-ce que ce rôle de Don Juan de la police que vous incarniez vous colle-t-il à la peau aujourd’hui ?
Je ne sais pas quoi dire. Un comédien doit être capable d’incarner tous les rôles. Aujourd’hui, il joue le rôle d’un méchant, demain celui d’un gentil ou d’un coureur. Avec la popularité et le parcours d’un film, les gens vont toujours retenir un rôle par rapport à un autre. J’ai joué le rôle d’un enseignant, d’un policier, d’un avocat… On ne peut pas dire que ces rôles me collent à la peau. Ce sont des rôles que j’ai juste joués. C’est un réalisateur qui a estimé que je pourrais mieux les rendre, et il était satisfait de ma prestation.
Aujourd’hui, vous êtes derrière la caméra. Pouvez-vous nous parler de votre transition de comédien à réalisateur ?
Effectivement, je suis derrière la caméra, mais je continue d’être devant la caméra. Donc, s’il y a des gens qui pensent que je peux incarner un rôle pour booster un film, je suis disposé et disponible à le faire.
De l’actorat à la réalisation… Comme je le disais, il y avait un manque de tournage. Laurent Bado disait à un moment qu’il était obligé de faire de la politique de proximité, d’aller au contact des gens pour battre campagne. Cela signifie que si la pluie ne vient pas à vous, il faut aller vers la pluie. C’est dans cet esprit-là que j’ai essayé de me former à la réalisation. La réalisation aussi, c’est quelque chose qu’on prépare techniquement et théoriquement avant d’aller sur le terrain. La transition n’était pas difficile, surtout que je suis passé par l’école de cinéma avant de me lancer dans la réalisation. Il est vrai que j’avais quand même un peu d’expérience pratique avec le nombre de films que j’ai joués en tant que comédien, mais j’ai préféré apprendre la théorie pour agrémenter la pratique.
Quelles compétences de votre carrière d’acteur vous ont été particulièrement utiles dans votre rôle de réalisateur ?
Quand un réalisateur est un ancien comédien, il s’y prend mieux pour traiter les comédiens. Il ne s’agit pas d’argent, mais de relations et de mise en confiance. En tant que comédien, la manière de faire de certains réalisateurs ne me permet pas d’avancer, de donner le meilleur de moi-même. Sachant cela, quand je suis avec un comédien, mon souci est qu’il se donne à fond. Je tiens aussi à rassurer le comédien.
La plupart des problèmes qu’on a en tant que comédiens touchent à la question du cachet, qui n’est pas très élevé. On est obligé de travailler sur plusieurs projets, et du coup, cela peut avoir un impact sur là où l’on est engagé. On essaie d’être tolérant, mais si un comédien me dit qu’il ne pourra pas jouer avec moi à cause du cachet, je ne vais pas le détester pour cela. Nous n’avons pas de gros budgets pour nos productions actuelles, je ne peux donc pas demander l’exclusivité à un comédien sur mon plateau et lui dire de ne pas aller ailleurs. Je lui donne mon programme et lui demande de le respecter parce que j’ai plus besoin de lui, et que je n’ai pas les moyens de le payer. Si j’avais les moyens de le prendre en exclusivité, je le prendrais pour un mois, deux mois, et on travaillerait tous les jours. Cette expérience que j’ai eue en tant qu’acteur de cinéma m’aide beaucoup à mieux communiquer avec mes comédiens.
Combien de films avez-vous à votre actif ?
J’ai au minimum une vingtaine de productions. Il y a des courts métrages, des longs métrages et même des documentaires dans lesquels on m’a filmé. Il y a aussi les films d’exercice, les films d’école.
Votre film Yand Baanga est en compétition au FESPACO dans la catégorie Burkina Films. Comment avez-vous accueilli cette sélection ?
Quand j’ai vu la nouvelle, c’était une grande joie parce que le Fespaco est un cadre, une tribune d’expression artistique et culturelle. C’est une tribune qui permet à beaucoup de gens de voir le film. Il y a beaucoup de films qui restent dans les tiroirs faute de cadres de diffusion. C’est une joie de savoir que mon film sera vu par les festivaliers. On peut avoir l’occasion de participer à beaucoup de festivals, d’obtenir des contrats, pourquoi pas. Notre style et notre genre peuvent également nous faire gagner des marchés. J’ai accueilli avec joie la sélection de mon film documentaire.
De quoi parle-t-il ?
D’abord, « La maladie honteuse », c’est l’histoire d’une dame qui est victime de fistules obstétricales. C’est un dysfonctionnement occasionné suite à un accouchement très difficile. La femme souffre beaucoup avant d’accoucher. Les fistules se manifestent par une communication anormale entre le vagin et la vessie, le vagin et le rectum, ou encore la vessie et le rectum. La femme peut perdre ses urines sans contrôle. Les selles peuvent sortir au niveau du vagin sans aucun contrôle. Traditionnellement, cette maladie est perçue comme une malédiction, car les gens pensent que c’est lié à l’infidélité.
Et quand tu es victime de cette maladie, tu pues les urines et les excréments à tout moment, même quand tu te rinces. Les hommes te fuient, tu ne peux pas participer aux activités sociales. Et c’est dans ce cadre que j’ai pu, à travers le film, soigner une dame qui était victime de fistules depuis 20 ans. Elle a vécu avec la maladie. J’ai filmé le processus de soins. C’est très émouvant de voir qu’il y a des gens qui vivent des problèmes et qui doivent faire face à des préjugés en silence.
Qu’est-ce qui vous a inspiré à réaliser un documentaire sur les fistules obstétricales ?
Ce n’est pas une question d’inspiration, mais une question d’opportunité. Je m’intéresse beaucoup à ce qui n’intéresse pas les gens. Quand j’étais réalisateur à la télévision nationale, je faisais de petits films intitulés « Petits Métiers ». Je m’intéressais aux gens qui n’ont pas la chance d’être vus à la télé parce qu’ils n’ont peut-être pas d’argent pour faire de la publicité. Tout est question d’opportunité et de sensibilité. J’étais en tournage, une dame m’a rencontré pour dire qu’elle veut faire un film. Dans nos conversations, j’ai compris qu’elle avait une histoire qui pouvait être tournée en film.
Quand j’ai poussé le sujet, j’ai compris qu’elle faisait pipi au lit et que les hommes la fuyaient pour cela. Comme j’étais à la télé et qu’on avait une dame qui avait une fondation, la fondation RAMA, je me suis dit que j’avais l’opportunité de soigner cette dame et en même temps de parler d’un problème que vivent des femmes. J’ai fait le film pour ces femmes, victimes de fistules, pour leur dire que ça se soigne. C’est vrai, c’est une maladie honteuse, mais il faut en parler.
Quels ont été les principaux défis rencontrés lors de la réalisation de ce documentaire ?
Pour réaliser un film, le défi, c’est toujours la question financière. Le « gombo ». On est dans notre métier par passion. On a du plaisir, on a la joie de souffrir pour faire nos films parce qu’on aime ce qu’on fait. Quand j’étais à la RTB, il y avait une formation où l’on cherchait des réalisateurs, des JRI pour faire du MOJO, apprendre à cadrer, à monter avec le smartphone. J’ai présenté l’histoire d’Odile. La télé m’a soutenu côté technique, mais ce n’était pas suffisant. Lorsqu’on tourne dans le cadre du service, ce n’est pas facile, car une production est mieux lorsqu’elle est privée.
Comment avez-vous recueilli les informations et trouvé les témoignages ?
C’est dans le cadre de ce projet CIRTEF que j’ai vraiment eu l’inspiration de continuer. Même quand je n’étais plus à la télé, j’ai toujours continué parce que le documentaire était un processus. Il faut d’abord voir les médecins, faire une immersion sur le terrain, rencontrer le personnage principal, repérer les lieux de tournage, mettre les gens en confiance et ensuite revenir tourner. C’est tout un processus, car, de 2019 à 2022, j’ai toujours travaillé sur le film. J’ai terminé le tournage et il fallait maintenant passer au montage. C’est une autre étape. Il y a des techniciens qui interviennent pour la musique, le mixage, l’étalonnage, etc. Ce n’est pas facile, mais avec de petits soutiens à gauche et à droite, on a fait le documentaire. On a eu accès à l’hôpital Saint-Camille, à la fondation RAMA… Ce n’est pas un film qui a suivi des laboratoires d’écriture où l’on peut obtenir des coproductions. C’est un film qui a bénéficié de l’accompagnement de nombreuses structures. C’est ce qui a permis au film d’exister.
Il y a toujours une immersion. Et surtout, comme c’était une maladie vraiment cachée, une maladie qui touche à la dignité même de la femme, les agents de l’hôpital Paul 6 n’ont pas hésité à témoigner. Cependant, beaucoup de gens ont refusé de témoigner, pas à l’hôpital, mais dans le voisinage et parmi les proches du personnage. À la fondation RAMA, certains ont accepté de témoigner. C’était vraiment bien d’en parler pour sauver d’autres femmes.
Y a-t-il des moments dans le film qui ont particulièrement marqué vos esprits ?
Pendant la réalisation de ce film, le personnage racontait son histoire, son exclusion, son incapacité à être avec les gens en tant que femme. C’était vraiment émouvant. Malgré son exclusion, elle devait se battre pour se nourrir et nourrir ses enfants. Elle a six enfants et prend soin d’eux.
Notre temps de tournage occupait le temps de travail de cette marchande ambulante. À un certain moment, beaucoup de personnes pleuraient en entendant son histoire. Avec le cœur, nous avons réalisé ce projet. Nous avons dû cotiser pour lui donner de l’argent et pouvoir continuer le tournage. Elle a eu l’occasion de se soigner. Lorsqu’on commence les soins, on peut faire un mois ou deux mois. C’est une chance quand l’opération est un succès, sinon il peut arriver que l’opération se fasse plusieurs fois.
Est-ce plus complexe de réaliser un documentaire de 80 minutes que de jouer dans une série où l’on est l’acteur principal ?
Je dirais que ce n’est pas trop compliqué de jouer dans une série, dans un film, parce que tu ne fais qu’interpréter le travail de quelqu’un. Si tu as compris le réalisateur, tu peux mieux rendre son film.
Mais réaliser un film, c’est un autre enjeu. Ce n’est pas la même chose que de jouer. C’est un autre enjeu, car tu as en charge les techniciens, la production et les personnages. Sur le papier, on avait prévu 120 minutes de film, mais en réalité, le film dure 1h20 minutes.
Vous savez, quand on réalise un film, on veut toujours qu’il ait un bon parcours et on travaille pour cela. Pour le film, nous avons plus de 7 heures de rushes. Pour le pré-montage, nous étions à 3 heures. Ensuite, j’ai réduit à deux heures. Pour les besoins du FESPACO, j’ai encore sélectionné les plans et les idées fortes, celles qui provoquent beaucoup d’émotion. Maintenant, je suis à 80 minutes. C’est vrai que c’est douloureux, mais c’est parce que le film est aussi une question d’émotions.
Quel impact espérez-vous que votre documentaire aura sur le public burkinabè ?
Le fait de savoir qu’une personne vit un tel problème donne des idées de tolérance, d’écoute, d’accompagnement. En voulant donner vie à un enfant, on devient victime de fistules et notre vie s’en trouve impactée pendant 20 ans. Le public va apprécier le traitement émotionnel. Il ne s’agit pas de rire, non. Il y a des choses qu’on va comprendre, qui vont nous faire réfléchir.
J’avais deux courts métrages et un long métrage, mais c’est le long métrage qui a été retenu. Les courts métrages ne durent que neuf et treize minutes. Je veux que ce film ait un bon parcours dans les festivals. Au-delà de cela, il faut encore penser à d’autres projets de films à réaliser. Je souhaite réaliser un film documentaire dans mon quartier, Bassinko. Souvent, on ne connaît pas l’histoire, on ne sait pas qui est venu en premier, ce que les gens ont fait pour permettre l’arrivée de certaines commodités. C’est un projet qui, j’espère, va plaire aux gens du quartier et qui permettra de donner des leçons à d’autres cités en construction au Burkina Faso.
Avez-vous d’autres projets de documentaires ou de films en cours ?
En termes de projets, j’ai des longs métrages de fiction, des scénarios plus ou moins aboutis. Je les ai soumis à des résidences d’écriture et des laboratoires. Nous allons essayer de les produire. Ce sera de l’autoproduction, mais avec une bonne politique de l’État en cours, au niveau du cinéma, peut-être que nous pourrons obtenir un accompagnement. Les projets dorment dans les tiroirs et je pense qu’il faut les sortir.
Dans d’autres pays, comme le Nigeria, c’est 100, 200, 500 films par an qui sont tournés. Tout ce qui peut faire rêver les gens, il faut penser à le réaliser. Les conditions font souvent que la qualité n’est pas au rendez-vous. Mais il faut produire : un muscle qui ne travaille pas s’atrophie.
Comment voyez-vous votre avenir dans le domaine du cinéma documentaire ?
Je suis un peu double. J’ai commencé par la fiction, avec le Commissariat de Tampy. Après mon film d’école de fiction, c’est à Bruxelles que j’ai débuté avec le documentaire. J’ai même pris goût au documentaire. Quand je suis revenu, je suis allé au Sénégal. J’ai fait un master en cinéma documentaire. Le documentaire, c’est du cinéma réel. Ça me parle plus.
Chaque fois, des idées de documentaires trottent dans ma tête. Quand j’arrive quelque part et que je peux montrer des choses auxquelles les gens ne font pas attention, cela m’interpelle. C’est vrai que le documentaire ne se vend pas comme de la fiction, parce que c’est du cinéma réel. Souvent, les gens n’aiment pas regarder la pitié. Ils n’aiment pas non plus qu’on parle des problèmes. Ils préfèrent qu’on les flatte. On peut aller dans ce sens aussi. Mais la vie, ce sont les hauts et les bas. Il faut être là pour équilibrer les choses.
Le FESPACO, c’est dans une semaine. Un mot à l’endroit des cinéastes et cinéphiles ?
On va prier Dieu pour que tout se passe bien et pour que tous ceux qui vont venir puissent venir en bonne santé et repartir en bonne santé.
Nous allons encore demander à Dieu que tous ceux qui sont en compétition, d’une manière ou d’une autre, aient gain de cause. Je vais prier pour moi-même, pour que mon film gagne un prix et que ma participation me permette d’aller plus loin dans ma passion pour le cinéma documentaire et la fiction. Peut-être que des gens me verront aussi en tant que comédien et voudront que je joue dans leurs films. Que les gens sortent massivement pour voir les films, pour montrer qu’au Burkina, il y a la vie et la joie.
Si des gens viennent d’ailleurs pour regarder des films, nous, Burkinabè, devons sortir massivement pour aller dans les salles. Dieu bénisse le Burkina et qu’il donne la force aux autorités de guider le pays comme elles le souhaitent, dans la bonne voie, au bénéfice de tous.
Entretien réalisé par Fredo Bassolé
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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