Réalisateur et producteur burkinabè, Issaka Compaoré a choisi de consacrer un documentaire au lauréat du prix Nobel alternatif 2018, Yacouba Sawadogo. Pendant plus de quatre ans, il a suivi cet homme visionnaire, dont la reforestation de terres arides a transformé des vies. Sélectionné pour le FESPACO 2025, son film ambitionne de sensibiliser le monde à l’urgence environnementale et à la nécessité de préserver l’héritage de ce « sage de la forêt ».
Lefaso.net : Qu’est-ce qui vous a motivé à réaliser un documentaire sur Yacouba Sawadogo ?
Issaka Compaoré : Yacouba Sawadogo est lauréat du Right Livelihood Award, souvent considéré comme un « prix Nobel alternatif » décerné par une fondation suédoise. Ce prix est mondialement reconnu. Son parcours m’a fasciné. Un jour, alors qu’il était assis, il a longuement réfléchi à l’exode rural. Il y avait une grande sécheresse, les jeunes quittaient les villages pour les grandes villes à cause du manque d’eau et de nourriture. Tout était sec, les animaux mouraient, la famine s’intensifiait. Yacouba Sawadogo, qui était commerçant et gagnait bien sa vie, s’est interrogé : « Et ces jeunes, quel est leur avenir ? » C’est ainsi qu’il a réalisé que la solution résidait dans la plantation d’arbres. Il a compris que cela favoriserait les cultures maraîchères et fruitières, restaurerait l’écosystème et offrirait des plantes aux vertus médicinales. Aujourd’hui, son domaine de Gourga, à 5 km de Ouahigouya, s’étend sur 27 hectares et regorge d’une variété de plantes. Il constitue un véritable poumon vert pour la ville.
Son engagement était-il perçu positivement dans sa communauté au début selon vous ?
Oui, au départ, beaucoup le considéraient comme fou. Moi-même, en discutant avec lui, je me demandais comment quelqu’un pouvait sacrifier sa vie et celle de sa famille pour planter des arbres dans le désert. Il a laissé une parcelle de terre intacte dans son domaine pour que l’on puisse comparer et voir d’où il est parti. C’est impressionnant. Sa propre femme racontait qu’au début, elle et d’autres membres de la famille le suivaient plus par respect que par conviction. Malheureusement, Yacouba Sawadogo nous a quittés en décembre 2023. Il a laissé un héritage immense, mais des problèmes subsistent. Son espace de 27 hectares ne possède toujours pas de titre foncier officiel, en raison de contestations au sein de sa famille et de conflits fonciers avec des voisins.
Avez-vous collaboré avec sa famille et ses proches pour réaliser ce documentaire ?
Oui, et j’ai eu la chance de le faire de son vivant, pendant plus de quatre ans. Yacouba Sawadogo m’a adopté, en quelque sorte. Il comprenait l’importance de la communication et disait toujours que son travail n’était pas seulement pour lui ou sa famille, mais pour le Burkina Faso et le monde entier. Il m’a permis de le filmer dans son quotidien, y compris dans son intimité. J’ai pu interviewer sa famille et ses proches, ce qui a créé un climat de confiance essentiel à la réalisation du documentaire.
Comment avez-vous accueilli la nouvelle de son décès ?
Comme toute perte, c’était un moment de tristesse. Mais ce qui importe, c’est son héritage. Il était conscient qu’il partirait un jour et avait prévu la transmission de sa méthode, le « Zaï ». Aujourd’hui, ses enfants poursuivent son combat. Ils organisent des formations, voyagent et continuent de promouvoir son œuvre. L’essentiel dans une vie, c’est ce qu’on laisse derrière soi. Yacouba Sawadogo a inspiré des milliers de personnes à travers le monde.
Ce n’est pas la première fois que votre production est sélectionnée au FESPACO. Que représente celle de 2025 avec ce documentaire pour vous ?
C’est un immense honneur. Je tiens à remercier toute mon équipe. Un documentaire est un travail collectif. Je pense notamment à Jean-Paul Kaboré, Michel Kaboré, Constant Ouédraogo, Sanou Bakary, Léandre Alain Bakya et bien d’autres. C’est grâce à eux que nous pouvons aujourd’hui représenter le Burkina Faso au FESPACO.
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Des projections spéciales sont-elles prévues pendant la durée du festival ?
Il y aura certainement des projections dans les grandes salles de Ouagadougou et peut-être des projections parallèles. J’aimerais aussi organiser une projection privée pour des partenaires et proches. Plusieurs festivals internationaux, notamment au Canada, ont déjà manifesté leur intérêt. J’attends que le FESPACO serve de tremplin pour la diffusion du film. J’attends néanmoins que le FESPACO puisse le lancer davantage. Il fait partie de la programmation puisqu’il est en compétition officielle, mais pour le moment, le programme n’est pas connu.
Envisagez-vous de réaliser d’autres documentaires sur des figures engagées ?
J’ai plusieurs projets en cours, notamment une série intitulée « Le Fleuve » (3 x 52 minutes) et des longs-métrages. Mais tout dépend du financement. Nous avons du talent au Burkina Faso, mais nous devons trouver des moyens pour produire de manière autonome. Les financements internationaux diminuent, et il est crucial que notre pays soutienne mieux le cinéma. Hitchcock disait que le cinéma, c’est trois fois le scénario. Il faut de bons scénarios et les moyens pour les réaliser. Je profite de l’occasion pour remercier les autorités, notamment le chef de l’État, le Premier ministre, le ministre de la Culture et toute l’équipe du FESPACO.
Quel impact espérez-vous pour ce documentaire au FESPACO et au-delà ?
Nous avons travaillé dur sur ce projet, et je suis convaincu de sa qualité. De nombreux festivals se sont déjà montrés intéressés. J’espère le distribuer à l’international, car les questions environnementales sont aujourd’hui fondamentales et vitales. L’objectif est aussi de sensibiliser la jeunesse à l’importance de l’environnement et de la reforestation. Ce documentaire raconte l’histoire d’un homme simple, humble, mais doté d’une vision extraordinaire. J’espère que le documentaire sur « Yacouba Sawadogo » inspirera d’autres personnes à travers le monde. Je pense que ce documentaire a encore du chemin à parcourir, mais nous mettrons tout en œuvre pour sa promotion et sa distribution. Des distributeurs et des festivals ont déjà manifesté leur intérêt. Ce film constitue un hommage à un homme qui, à travers son enseignement, a laissé une empreinte indélébile. Il disait lui-même : « Quiconque plante un arbre, plante la vie. »
Qu’avez-vous à ajouter ?
Nous avons la capacité de créer et de mobiliser des financements. Il est possible de mettre en place des comités de travail dédiés au développement des films en amont. Ayant siégé dans des commissions internationales, j’ai constaté l’importance capitale du dossier de candidature pour le cinéma. La qualité des scénarios et des dossiers est fondamentale. Il est peut-être nécessaire d’organiser des formations, mais avant tout, il faut produire des dossiers solides. Il faut écrire, peaufiner, et proposer des sujets originaux tout en s’entourant de personnes capables de nous relire et de nous conseiller. Je suis conscient que l’État fait des efforts en matière de financement pour permettre aux jeunes talents et aux porteurs de projets prometteurs d’émerger. Dans certains pays, lorsqu’un projet de fiction ou de documentaire est jugé pertinent, l’État finance déjà 30 à 40 % du budget. Cela permet aux cinéastes de rechercher d’autres partenaires en s’appuyant sur cet engagement public. À travers des coproductions et une distribution bien pensée, ces projets peuvent atteindre un niveau de qualité élevé, surtout s’ils traitent de sujets innovants et marquants. Le développement du cinéma repose donc sur le travail acharné et sur une réelle volonté politique.
Aujourd’hui, le cinéma africain francophone ne peut pas encore évoluer en totale autonomie. Il nécessite un soutien étatique accru. On cite souvent l’exemple du Nigeria, qui fonctionne sur un autre modèle économique, mais ici, en Afrique francophone, nous progressons malgré des défis persistants. La volonté politique demeure essentielle. Enfin, pour que le cinéma burkinabè retrouve toute sa grandeur, il est impératif de renforcer la collaboration et l’entraide. Le financement d’un film est souvent un défi, mais si chacun apporte sa contribution – que ce soit dans l’écriture, la technique ou la distribution –, nous pourrons produire des œuvres compétitives à l’échelle internationale. C’est cette synergie qui nous manque aujourd’hui et qu’il faut retrouver pour que le Burkina Faso remporte à nouveau des distinctions majeures, notamment l’Étalon d’or du FESPACO. Idrissa Sawadogo et d’autres ont déjà tracé la voie. Nous espérons que le Burkina Faso continuera à décrocher des prix prestigieux et à consolider sa place dans l’histoire du cinéma. Après tout, nous sommes le pays du FESPACO. Il est temps que nos films impactent à nouveau le monde. Et je suis convaincu que cela est possible, si nous unissons nos forces, si nous bénéficions d’un soutien politique fort et si nous travaillons ensemble avec détermination.
Farida Thiombiano
Crédit photo de Une : Bonaventure Paré
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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