Dans les salles d’accouchement de certains centres de santé du Burkina Faso, un silence pesant entoure une pratique médicale très répandue : l’épisiotomie. Cette incision chirurgicale, pratiquée sur le périnée lors de l’accouchement pour élargir l’orifice vaginal, est destinée à faciliter la sortie du bébé. Pourtant, pour de nombreuses femmes, elle s’accompagne de douleurs et de traumatismes.
Ramatou (nom d’emprunt), 32 ans, se souvient de sa douloureuse expérience de l’accouchement. « Je n’étais pas préparée. On ne m’a rien dit et on ne m’a pas anesthésiée pendant l’intervention. La douleur était atroce, et les points de suture étaient encore pires », raconte la jeune dame, visiblement traumatisée par ce souvenir. Son calvaire ne s’est pas arrêté à la sortie de l’hôpital. « S’asseoir, se coucher… tout mouvement était une torture. Ma mère est venue m’aider, mais je n’ai pas pu allaiter ma fille tellement je souffrais. Les sutures avaient été mal faites et certaines se sont détachées. Je pense que l’accouchement est moins douloureux que cette blessure. Lorsque je suis retournée au centre de santé, on m’a dit qu’il fallait refaire les sutures. J’en ai eu les larmes aux yeux », se remémore-t-elle. Cette fois-ci, Ramatou a eu la chance d’être anesthésiée, mais le processus a retardé son rétablissement post-partum et l’a privée de précieux moments de complicité avec son nouveau-né.
Manque d’information
Comme Ramatou, de nombreuses femmes déplorent le manque d’informations sur les épisiotomies et l’absence de soutien pour assurer un rétablissement rapide. Parmi les femmes interrogées, la plupart ont révélé que la suture, après une épisiotomie, est souvent effectuée sans anesthésie et imposée sans explication ni consentement. Jacqueline (nom d’emprunt), 28 ans, raconte son expérience : « Depuis mon accouchement, je suis terrifiée à l’idée d’être à nouveau enceinte. Je ne veux plus jamais revivre cela, car j’ai trop souffert ». Outre la douleur physique, le traumatisme a laissé de profondes cicatrices psychologiques. « J’ai perdu confiance en mon corps et cela a créé des problèmes d’intimité avec mon mari. Je ne me sens plus à l’aise pour aller me faire soigner dans un centre de santé », ajoute-t-elle.
Le fils d’Aminata (nom d’emprunt) a maintenant trois ans. Son mari lui met la pression pour qu’elle ait un autre enfant. Mais après sa douloureuse expérience de l’épisiotomie, elle a peur. « Mon mari et mes beaux-parents ne comprennent pas quand je leur explique. Ils pensent que je suis difficile et que je devrais passer à autre chose. Alors, j’évite le sujet et j’y fais face seule. Ma belle-mère m’a même dit d’être reconnaissante parce qu’elle a connu pire à l’époque où l’on utilisait des fils de fer pour les sutures », s’exprime Aminata qui évite très souvent les sujets liés à l’accouchement.
Point de vue médical
L’épisiotomie, destinée à faciliter l’accouchement, peut parfois entraîner des complications. Selon le professeur Charlemagne Ouédraogo, gynécologue obstétricien, l’épisiotomie consiste à inciser le périnée lors de l’expulsion du bébé pour éviter les déchirures graves. « Le but de cette intervention est de couper le muscle qui soulève l’anus pour faciliter l’accouchement et éviter les déchirures graves », explique le spécialiste.
Cependant, il souligne qu’une épisiotomie mal réparée peut entraîner de multiples complications, telles que des douleurs persistantes, des infections, des cicatrices hypertrophiques, des fistules et une incontinence urinaire ou anale. « Ces complications peuvent également affecter la vie sexuelle des patientes, en provoquant des douleurs lors des rapports sexuels (dyspareunie) ou une gêne due au relâchement vaginal. De plus, l’impact psychologique est également important : l’anxiété, la dépression et la perte d’estime de soi font partie des séquelles possibles », ajoute le professeur Ouédraogo.
Néanmoins, une prise en charge rapide permet de limiter les effets indésirables. Elle comprend des traitements tels que des antibiotiques en cas d’infection, une rééducation périnéale, voire une reprise chirurgicale pour corriger une mauvaise cicatrisation. « Ces mesures, associées à un soutien psychologique, peuvent contribuer à améliorer sensiblement la qualité de vie des femmes concernées », ajoute le gynécologue qui travaille au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Bogodogo.
Selon le site de « La Mayo Clinic », une association médicale américaine, les épisiotomies de routine ne sont plus recommandées. Elles doivent être pratiquées de manière sélective, sur la base d’indications cliniques spécifiques, afin d’éviter les complications inutiles. Si une épisiotomie est pratiquée, l’administration d’une anesthésie locale est conseillée pour minimiser l’inconfort. Les spécialistes de cette association indiquent en plus que si la patiente n’a pas reçu d’anesthésie préalable ou si celle-ci s’est dissipée, un anesthésique local doit être injecté pour insensibiliser la zone périnéale avant l’incision.
Étendue du problème
Bien que les épisiotomies de routine ne soient pas recommandées, dans de nombreuses communautés du Burkina Faso, l’épisiotomie est considérée comme une partie inévitable de l’accouchement. Une étude menée en 2018 a révélé un taux d’épisiotomie de 22 % dans le district sanitaire de Bogodogo. L’épisiotomie médio-latérale (oblique en bas et vers le côté gauche du vagin de la patiente) était la plus réalisée, chez 76,6% des patientes. Le vécu lors de l’épisiotomie et l’évolution suite à la couche immédiate étaient marqués par des douleurs. La dyspareunie (douleur dans la zone génitale) était la principale difficulté à la reprise des rapports sexuels.
Cependant, on manque de données détaillées sur les taux exacts de procédures mal exécutées entraînant des complications. L’étude note que la prévalence élevée des procédures d’épisiotomie suggère une lacune potentielle dans la formation concernant les pratiques d’épisiotomie sélective. Elle souligne la nécessité d’améliorer la formation et le respect des meilleures pratiques afin de minimiser les conséquences négatives.
Les femmes parlent rarement de leur expérience par crainte d’être jugées ou mal comprises. Ce silence collectif perpétue un cercle vicieux dans lequel les leçons ne sont pas partagées et la souffrance continue. « Je me suis confiée à une amie qui a accouché après moi. Elle m’a dit qu’elle n’osait pas poser de questions aux sages-femmes parce qu’elle avait peur qu’elles la grondent », a dit Aminata.
Elle est convaincue que la création d’espaces de dialogue et la sensibilisation de la communauté aux droits des patients et aux alternatives médicales pourraient transformer radicalement la façon dont les épisiotomies sont perçues et gérées. « Il est essentiel d’informer les femmes enceintes de la possibilité d’une épisiotomie pendant l’accouchement, y compris des raisons de son utilisation, des avantages potentiels et des risques associés. Cela permettra aux femmes de prendre des décisions en connaissance de cause et de se préparer à l’intervention », pense la jeune mère.
Les témoignages recueillis indiquent qu’il peut y avoir des lacunes dans la communication entre les prestataires de soins de santé et les patientes. Les facteurs qui y contribuent sont notamment les ressources limitées, les contraintes de temps lors des consultations et les éventuelles sensibilités culturelles. Pour ces femmes, il est essentiel de s’attaquer à ces obstacles pour s’assurer qu’elles reçoivent des informations complètes lors des visites prénatales.
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Appel au changement
Ramatou pense que le fait d’aborder la question de l’épisiotomie lors des consultations prénatales permettrait de mieux préparer les futures mères. « Si nous sommes informées des risques et des solutions pendant la grossesse, nous pouvons mieux y faire face. Mais, lorsque l’épisiotomie est imposée par des personnes qui ne l’expliquent pas ou ne la pratiquent pas correctement, comme dans mon cas, il est difficile d’y faire face. Nous devons prendre ce problème au sérieux et faire en sorte que les femmes puissent accoucher plus facilement », déclare-t-elle.
Certains professionnels de la santé avec qui nous avons discuté reconnaissent la nécessité de réévaluer les pratiques en matière d’épisiotomie. Pour eux, l’élargissement de l’éducation prénatale à des sujets tels que la gestion de la douleur, les interventions potentielles (comme l’épisiotomie) et les soins post-partum peut aider les femmes à se sentir mieux informées et préparées. Ces derniers reconnaissent néanmoins le manque d’infrastructures et de moyens matériels dans certaines zones du pays pour assurer.
En outre, la mise en place de canaux permettant aux femmes de partager leurs expériences en matière d’accouchement peut fournir des informations précieuses sur les domaines à améliorer et contribuer à la mise en place de ressources de soutien. Comme le révèlent les histoires de Ramatou, Jacqueline et Aminata, le traumatisme lié à l’épisiotomie va bien au-delà de la douleur physique. Pour rendre l’accouchement plus sûr et plus digne pour les femmes du Burkina Faso, il faut évoluer vers des pratiques de soins mieux informées et plus solidaires. En améliorant la communication et en donnant aux femmes les moyens de connaître leurs choix, il est possible de faire en sorte qu’aucune femme n’ait à subir cette procédure traumatisante sans le soutien et le respect qu’elle mérite.
Farida Thiombiano
Cet article a été réalisé par l’Africa Women’s Journalism Project (AWJP) avec le soutien du Centre international des journalistes (ICFJ) dans le cadre de la bourse Reportage pour les journalistes femmes en Afrique francophone.
Source: LeFaso.net
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