Au Burkina Faso, l’utilisation des pesticides chimiques pour lutter contre les insectes ravageurs en agriculture est en constante augmentation. Cependant, de nombreux cas d’intoxication alimentaire, parfois mortels, causés par ces substances ont été enregistrés, posant un grave problème de santé publique. Face à cette menace, certains agriculteurs se tournent vers des méthodes naturelles, telles que les pièges collants. Cette alternative permet-elle de promouvoir une agriculture plus saine et respectueuse de l’environnement ?
Le rapport de « Atlas des pesticides » publié en 2023 par un collectif d’organisations écologistes européennes indique que, chaque année, 385 millions de personnes sont victimes d’empoisonnement par les pesticides chimiques. Selon cette étude, l’on peut être exposé à son insu aux pesticides chimiques dans différentes situations : dans les champs, en forêt, en mangeant ou en buvant de l’eau. Certains effets se manifestent immédiatement, tandis que d’autres peuvent survenir au bout de plusieurs heures.
Au Burkina Faso, la journée du 24 août 2019 restera à jamais gravée dans la mémoire de la famille Bakuan. D’une cérémonie de réjouissance à une série de deuils, cette famille vivra un drame. À l’occasion d’une présentation de famille, un plat traditionnel à base de petit mil, le « gonré », est au menu. Malheureusement, tous ceux qui ont goûté à ce repas seront intoxiqués.
Le chef de famille, une de ses épouses, ses enfants et des petits-fils perdent la vie. Clément Bakuan est un des fils du défunt père. Nous l’avons retrouvé à Lapio où le drame a eu lieu. C’est dans la commune de Dydir, à environ 150 kilomètres de Ouagadougou. Ce jour-là, une panne de sa motocyclette l’empêche de rentrer à temps pour les festivités, ce qui l’a probablement épargné de la mort.
« Notre père a été enterré ici. Les autres corps ont été inhumés dans différents cimetières. Au total, treize personnes sont décédées », indique Clément Bakuan. Selon lui, aucune explication ne leur a été donnée à ce jour sur les causes du drame. Pourtant, à l’époque des faits, l’hypothèse d’une exposition aux pesticides chimiques est clairement énoncée dans les médias par les autorités sanitaires. Des drames similaires se sont reproduits plus tard dans d’autres localités
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La loi 026-62017/AN portant contrôle de la gestion des pesticides au Burkina Faso, dans son chapitre 9, stipule que tout utilisateur de pesticides doit respecter les prescriptions requises et s’informer des risques sur la sécurité, la santé humaine, la santé animale et sur l’environnement.
En dépit du fait que, dans le cas du drame survenu à Lapio, les autorités sanitaires aient évoqué une intoxication aux pesticides, aucune mesure d’urgence n’a été prise pour prévenir de tels incidents. Face au danger que représentent les pesticides chimiques, certains producteurs se sont alors orientés vers l’agriculture biologique. Ces derniers tentent d’utiliser des alternatives naturelles en fonction de leurs connaissances et de leurs moyens. C’est le cas des pièges collants ou pièges à glue, à la fois utilisés pour protéger les champs des insectes ravageurs et produire sain.
Tableau :
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La colle et la couleur, deux éléments clés
Les pièges collants ou pièges à glue utilisent des surfaces adhésives pour capturer les insectes. Les agriculteurs l’apprécient en raison de sa facilité d’installation et d’entretien. De plus, ils peuvent être placés dans divers environnements, notamment les cultures en champ, les serres et même les jardins domestiques. Une fois mis en place, les pièges nécessitent peu d’entretien et doivent être remplacés ou nettoyés périodiquement, ce qui est relativement simple.
À quelques kilomètres de la capitale, dans la commune de Loumbila, Richard Moné s’affaire avec ses fermiers dans son champ de piment. À cette période chaude de l’année, cet ingénieur agronome doit redoubler d’efforts pour s’assurer une bonne récolte. Quand il a commencé à produire dans sa ferme de trois hectares, il avait pour objectif de faire de l’agriculture biologique. Mais c’était sans compter avec l’avidité des insectes ravageurs qui détruisent ses cultures.
Pour atteindre son objectif, il fait recours au piège collant. « Ce sont des plaques en plastiques biodégradables sur lesquelles on a mis de la colle. La plaque en plastique a des couleurs bien données en fonction du type d’insectes que l’on veut capturer. Les chercheurs ont remarqué que certaines couleurs comme le jaune, le bleu et le gris attirent les insectes. Mais la couleur jaune est la couleur qui attire le plus grand spectre d’insectes », explique Richard Moné.
Les insectes qui se déposent sur ces plaques, y restent et cela lui évite de faire des traitements chimiques pour les éliminer ou les repousser. Pour plus d’efficacité, il faut en placer un certain nombre avec des distances bien déterminées.
Un outil simple et facile à utiliser
Le piège à glue est imperméable à l’eau, donc très pratique pendant la saison des pluies. En fonction de la pression parasitaire de l’environnement, sa durée d’utilisation peut atteindre trois mois. « Si toute la surface est saturée avant les trois mois, il est préférable de l’enlever et d’en remettre un nouveau. Sinon, si ce n’est pas saturé, il peut faire trois mois. Mais au-delà des trois mois, la plaque va commencer à se dégrader », nous explique au téléphone un revendeur de ces pièges.
Pour Richard Moné, le problème des pesticides chimiques est mal perçu par tout le monde, même les producteurs. « Ils savent que c’est dangereux pour leur environnement, et c’est faute d’alternative qu’ils sont obligés d’en utiliser », déplore-t-il. C’est pourquoi l’agronome assiste ceux qui désirent produire bio en leur proposant des échantillons de pièges à insectes afin qu’ils essayent.
Comme Richard Moné, Soumaila Zoundi utilise les pièges à glue jaune dans son petit champ d’environ un demi-hectare. Le jeune homme est agriculteur pendant l’hivernage. Dans la zone de Kienfangué, dans la commune de Komsilga, où il s’adonne à ses travaux champêtres, il affirme que les pièges à insectes lui facilitent la tâche. « Avant dans mon champ, je souffrais avec les insectes qui dévoraient les feuilles des plantes », nous fait-il savoir. L’autre raison qui a déterminé son choix d’utiliser les pièges à insectes est l’accessibilité des coûts par rapport aux autres méthodes dites naturelles.
Efficace contre les ravageurs et bon pour le rendement
Contrairement aux pesticides, les pièges collants ne contiennent pas de substances toxiques, préservant ainsi la santé des humains, des animaux domestiques et des insectes bénéfiques. Ils ne contaminent pas non plus le sol, l’eau ou l’air, évitant ainsi les problèmes de pollution associés aux pesticides chimiques.
Saturnin Zigani est agronome de formation spécialisé en gestion efficiente des ressources et protection des plantes, et promoteur des pièges à insectes. Il déclare que cette technique est très appropriée pour attraper les pucerons, les mineuses des feuilles, les thrips, les aleurodes, les moucherons, les mouches des agrumes, les mouches des fruits et autres insectes volants.
Selon l’agronome, en installant un grand nombre de pièges collants, il est possible de réduire significativement les populations d’insectes nuisibles dans une zone donnée, diminuant ainsi le besoin de pesticides chimiques. « Les effets sur les populations d’insectes sont bénéfiques sur l’écosystème global. Il faut aussi dire que l’effet durable des pièges est plus long par rapport aux pesticides », assure-t-il.
Ce dernier ajoute que lorsqu’ils sont utilisés correctement en combinaison avec d’autres pratiques contre les mauvaises herbes par exemple, les pièges à insectes peuvent améliorer les rendements agricoles en réduisant les pertes dues aux ravageurs.
Protège la santé et la nature
Les premières victimes de l’utilisation de produits chimiques restent les producteurs eux-mêmes. « Le piégeage des insectes permet d’éviter beaucoup de maladies. Je pense qu’il faut qu’on arrive à inverser cette tendance en produisant sain », suggère Richard Moné aux producteurs.
Selon les normes établies en matière d’agriculture biologique par le Conseil national de l’agriculture biologique (CNABio) dans son document sur la norme burkinabè en agriculture biologique édité en octobre 2013, la lutte contre les organismes nuisibles tels que les insectes doit être centrée sur les mesures dont les ingrédients ne doivent pas être des substances cancérogènes, tératogènes, mutagènes ou des neurotoxines.
Cependant, Dr Sylvain Ilboudo, chercheur toxicologue, affirme qu’un lien est clairement établi entre l’exposition chronique aux pesticides et les maladies comme les cancers, le diabète, les maladies neuro-dégénératives, les fausses couches et d’autres troubles de la fonction de reproduction. Repousser les insectes sans passer par les pesticides ne peut qu’être bénéfique pour la santé humaine et animale, selon le chercheur.
Chose surprenante avec le piège à glue, c’est qu’il ne capture pas les abeilles. Elles ne sont pas attirées par ces pièges. Ce constat qu’ont fait certains utilisateurs est très important pour l’équilibre de la biodiversité, car les abeilles contribuent à la pollinisation de 80% des espèces de plantes à fleurs et des plantes cultivées.
Un coût encore élevé
Même si le piège à glue fait ses preuves, Richard Moné pense qu’il faut travailler à réduire les prix des alternatives développées pour remplacer l’utilisation des pesticides. Par exemple, un lot de 50 pièges à insectes coûte environ 22 500 francs CFA, et il faut environ trois ou quatre lots pour un champ d’un hectare. « Avec les produits chimiques, pour une superficie d’un hectare, on aura à dépenser entre 10 000 ou 15 000 francs CFA pour un traitement. Cette différence peut amener les producteurs à faire ce choix », dit-il, en ajoutant que si de nombreux producteurs sont informés, ils comprendront mieux l’importance de récolter de la qualité.
Une solution partielle
Amadou Diallo, chef du service des pesticides au niveau de la Direction de la protection des végétaux et du conditionnement (DPVC), fait savoir qu’il existe effectivement des méthodes pour pallier en partie l’utilisation des pesticides. Cependant, il faut, selon lui, reconnaître qu’il y a certains types de nuisibles ou certaines maladies des végétaux qui, jusque-là, sont impossibles à traiter avec des alternatives autres que les pesticides.
« L’idée n’est pas de changer simplement, mais de changer avec quelque chose qui va permette de maintenir le niveau de production élevé », pense-t-il. Au niveau de son département, des méthodes comme la lutte intégrée sont développées pour prendre en compte toutes les méthodes naturelles. En fonction donc de chaque situation, la lutte intégrée orientera chaque producteur vers un choix qui résout sa difficulté dans la globalité.
Pour revenir aux pièges à insectes, Amadou Diallo indique que son efficacité dépend des types de ravageurs mis en cause. « Par exemple, pour la mouche des fruits, on utilise des pièges pour capturer un certain nombre, mais ces pièges à insectes sont initialement utilisés pour la surveillance des cultures », dit-il, expliquant que c’est pour déterminer le seuil d’infestation afin de savoir s’il faut déclencher une opération de riposte dans le champ.
Il ajoute que cette technique ne permet malheureusement pas de protéger de grandes superficies agricoles comme avec les pesticides. Les pièges à insectes collants seraient donc une alternative saine et biologique, mais ne suffisent pas à eux seuls pour remplacer un pesticide en cas de besoin. « Il ne faut pas tout rejeter. Il ne faut pas exclusivement utiliser des produits chimiques. Il faut plutôt essayer d’agencer l’ensemble pour trouver ce qui est mieux pour la rentabilité du producteur et ce qui est mieux pour la santé du consommateur », a-t-il proposé.
C’est également ce qu’affirme Dr Antoine Waongo, spécialiste de la protection et de la défense des cultures. La fonction première des pièges à insectes est essentiellement de faire le suivi et la détection des populations des insectes dans une zone, insiste-t-il. Il nous fait comprendre néanmoins que leur utilisation peut s’avérer très efficace dans une petite ou moyenne superficie d’exploitation.
« Si dans certains cas, il est aisé d’utiliser les pièges à glue pour un piégeage massif des insectes en raison de leur disponibilité et de leur accessibilité au niveau local, en revanche, certains pièges comme les pièges à phéromone ne peuvent être utilisés dans notre contexte pour une lutte à grande échelle, en raison du coût élevé de ce type de piège », précise le maître de recherches en entomologie, en poste au Centre de recherches environnementales, agricoles et de formation (CREAF) de Kamboinsé.
Les alternatives aux pesticides, telles que les pièges à insectes et les pratiques agroécologiques, peuvent soutenir des niveaux de production agricole compétitifs. Cependant, elles ont besoin d’être intégrées dans une approche globale de gestion des cultures. Elles nécessitent souvent plus de connaissances et de gestion proactive, mais offrent des avantages durables pour la santé humaine, environnementale et animale.
Farida Thiombiano
Source: LeFaso.net
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