La lèpre ! La simple évocation de cette maladie provoque répugnance et dégoût pour le commun des mortels, tant la déformation physique qu’elle inflige à qui la contracte est effroyable. Bien que la maladie se fasse de plus en plus rare sous nos cieux, il existe toujours des personnes qui en souffrent. En allant à la rencontre de ces marginalisées, confinées au centre de léproserie des religieux camiliens, à Paspanga, nous avons touché du doigt leur vécu ; elles qui, malgré les dures réalités que la vie leur a imposées, se saignent les quatre veines pour triompher de leur handicap. Reportage.

Samedi 2 novembre 2024. Il est 5h45. A l’orient, les étoiles qui scintillent s’éteignent une à une. Dans le ciel, des flocons de nuage rament tout en grossissant peu à peu, comme un enchaînement de pierres pour la construction d’un mur. L’illumination gagne les hauteurs et le bleu du jour, comme il fallait s’y attendre, renaît de plus belle avec toute sa délicate transparence. Dans cette vaste cour construite exactement comme dans les célibatoriums, sortent de leur habitat pour prendre place au milieu de l’établissement, là où est dressé un grand hangar en tôle, les pensionnaires du centre de léproserie. Nous sommes à Ouagadougou, précisément dans le quartier Paspanga, à quelques 500 mètres du mur de l’Ecole nationale de santé publique, côté nord.

En observant bien cette population forte d’une vingtaine de personnes, on peut voir que chez certains les orteils ont totalement disparu. Chez la plupart, les phalanges ont fléchi, se repliant sur elles-mêmes. D’autres n’ont quasiment même plus de doigts. Ici, la salutation se fait comme dans le monde réel. En leur tendant la main, l’on est sidéré par la fermeté de leurs paumes qui, au toucher, sont aussi rugueuses que la surface d’une roche. En la relâchant, on a l’impression d’être griffé mais de manière inoffensive, exactement la même sensation que celle que l’on a quand on est agrippé par un bébé.

Les doigts fléchis et repliés d’un patient atteint de la lèpre

Cette déformation physique est dûe à une bactérie appelée bacille de Hansen, découverte il y a plus de 150 ans. « La lèpre est une maladie qui touche la peau, les muqueuses et les nerfs. Ces complications touchent les mains, les yeux et les pieds. Au niveau des yeux, à un moment donné, la visibilité diminue. Le patient ne voit plus bien. On peut même avoir une autre complication appelée la lagophtalmie. Cela veut dire qu’il y a une atteinte du nerf qui commande les paupières, si bien que lorsque le patient ferme les yeux, il a l’impression qu’un œil est resté ouvert. On peut même arriver jusqu’à la cécité. Ça évolue de façon progressive », explique Dr Léopold Ilboudo, dermatologue-vénérologue, ex responsable de l’unité d’élimination de la lèpre, de la lutte contre la leishmaniose et de l’ulcère de Buruli, une unité du Programme national de lutte contre les maladies tropicales négligées.

Au niveau de la main, le professionnel de santé informe que les sensations ressenties sont les effets liés à la complication de la maladie. « La main de l’être humain devient comme celle d’un singe parce qu’il y a une fonte des muscles. Au début, on parle de griffes qui sont souples parce que si on pose le diagnostic en ce moment et qu’on fait la rééducation, il est possible d’amener les doigts à rester fonctionnels », a-t-il développé. Il arrive aussi que les griffes en question deviennent fixes. « C’est pour cela que vous voyez souvent certains anciens malades de la lèpre qui ont des doigts qui sont vraiment repliés en flexion. Ce sont des griffes cubitales fixées » précise-t-il.

Les mêmes atteintes au niveau des mains qui leur donne l’apparence de celles d’un singe, touchent également les pieds. « Ils deviennent faibles. Lorsque le patient marche, c’est comme si le pied tombait. A ce niveau, on peut même arriver à une ostéite. On a une plaie qui devient creusante et qui peut même atteindre l’os. Mais une fois au stade de l’ostéite, l’on est obligé d’aller à une situation radicale qui est l’amputation », a détaillé Dr Ilboudo.

« La lèpre défigure. Chez certains patients, le nez devient plat et la personne nasonne », Dr Léopold Ilboudo

Des plaies béantes et indolores

Le centre de léproserie de Paspanga œuvre à une prise en charge sanitaire des personnes vivant avec la lèpre ou avec ses séquelles. Hormis les patients in situ, le site accueille une kyrielle de personnes qui arrivent des quatre coins du pays, pour recevoir des soins. Venue tout droit de Koupéla, localité située à 140 km de la ville de Ouagadougou, région du Centre-est, Marguerite Sinka, qui traîne un mal de pied depuis deux années, dit n’avoir pas eu d’autre choix que de rejoindre la capitale pour recevoir des soins adéquats. Le visage fripé, le regard fixe, taille élancée et apparence frêle, c’est le pied droit recouvert d’une bande blanche et la démarche légèrement boitillante, que la kourittengalaise nous relatera son histoire. Selon ses dires, tout a commencé par une simple boursoufflure. « Je sentais un petit point sur mon pied, qui commençait à s’enfler. Je faisais donc un pansement pour éviter que le pied ne grossisse davantage. En lavant le pied, je voyais du pus jaillir quelques fois et, avec le temps, j’ai constaté que la plaie grossissait », se souvient la patiente.

Toutefois dit-elle, les séquelles de la maladie ont été observées alors qu’elle avait été transférée à l’hôpital Saint Camille pour cause de paludisme. « C’est une fois là-bas qu’un médecin a vu mon pied et m’a dit que ce n’était pas normal qu’il soit comme ça. Il m’a donc dirigé vers le centre de léproserie. C’est là que j’ai su que j’étais atteinte de la lèpre », se rappelle cette mère âgée de 42 ans, soutenue par son fils depuis les premières sensations de cette gêne qui remontent à 2013.

Le pied de dame Sinka, pendant le pansement

Le récit de dame Sinka n’est pas si différent de celui de Pascal Kaboré. De teint noir, visage rond, 1m80 environ, c’est sourire aux lèvres que celui-ci acceptera de se faire interviewer, convaincu que sa situation pourrait servir de témoignage pour les autres. « Je me rappelle que j’étais encore jeune lorsque j’ai contracté la maladie. Je sentais des démangeaisons au niveau de mon pied et au fur et à mesure, il grossissait. Entre-temps, je voyais que du pus sortait. J’ai d’abord essayé la médecine traditionnelle, dans laquelle j’ai dépensé beaucoup, beaucoup d’argent. Mais rien ! C’est en me rendant à l’hôpital que j’ai su que je présentais les signes de la lèpre. Petit-à-petit, j’ai vu l’état de mon pied s’aggraver, mais chose bizarre, ça ne faisait pas mal. Je ne ressentais aucune douleur », se remet le quinquagénaire, tout en se proposant par la même occasion d’ôter la bande qui recouvre son pied pour que l’on constate de visu ce qu’il en est.

Pendant que Aimé Korgo, un des aides aux cotés des lépreux du centre, s’activait à débander le pied, nous remarquons dans un premier temps la quantité abondante de tissu pharmaceutique qui avait servi à recouvrir le membre. Plus on déroulait la bande, plus on sentait la peau du patient s’enfoncer dans sa chair. Une fois totalement détachée, nous voilà en face de ce que nous avons souhaité voir, sans peser psychologiquement la lourdeur de la tâche que nous voulions accomplir.

La plaie était de couleur rouge, à devenir blanche. Elle était totalement ouverte, très profonde et débutait depuis le talus (os de la cheville) jusqu’en dessous du genou. En clair, on était directement en contact avec la chair même du pied qui semblait être recouverte de pus. La peau donnait l’impression d’avoir été rongée et l’os long qu’est le tibia, scié jusqu’à ce qu’il se soit aminci. Il était d’ailleurs visible à l’œil nu. Sur place, l’odeur qui s’en exhalait était d’un parfum à en couper le souffle, à tel point que s’invitèrent dans le même temps une nuée de mouche, que le patient prenait le soin de chasser d’un revers de main.

Le pied de Pascal Kaboré, une fois la bande ôtée

Observant tout cela pendant un bon moment la bouche ballonnée de salive, nous scrutions silencieusement M. Korgo se ménager activement à lui faire un pansement. Gants sanitaires enfilés, masque au nez, c’est avec une grosse quantité de coton que celui-ci passait et repassait sa main sur toute la surface ouverte du pied, décapant ainsi cette muqueuse blanchâtre qui s’y était collée. Puis, humectant par la suite le sparadrap de bétadine, il s’appliquait à nettoyer à nouveau la plaie avec une rudesse des plus terrifiantes, avant de recouvrir à nouveau le membre de bandes.

Tout cela se passait sans que le patient n’émette le moindre gémissement ou donne l’air d’avoir mal. Seulement à quelques endroits précis de la plaie, on pouvait l’entendre pousser un léger cri de douleur, juste de façon sporadique, avant de se taire. Pas plus ! Après que l’aide des lépreux eût finit sa tâche, nous prîmes le temps de quitter les lieux pour un moment, ceci pour éviter de régurgiter sur place tout ce que nous avions dans le ventre. Après que nous eussions repris nos esprits, nous voilà de retour sur nos pas, pour poursuivre notre aventure.

Garder le moral malgré la stigmatisation

Dans la tradition juive, les lépreux étaient considérés comme des impurs. Aussitôt les symptômes de la maladie constatés, ces derniers étaient mis hors du camp jusqu’à ce que leur situation se soit nettement améliorée. Ce n’est qu’ainsi qu’ils pouvaient rejoindre les leurs. Ce contexte vieux de plusieurs siècles n’est pas aussi différent de celui burkinabè, si bien que la solidarité agissante reconnue à l’Afrique, en vient à être rompue, une fois face à cette maladie. Dans certains milieux, l’entourage ne passe pas par quatre chemins pour fuir ces derniers comme la peste.

Du côté du centre de léproserie, plusieurs d’entre eux ont dû quitter leurs familles dans ces conditions, étant considérés comme de trop par leurs proches censés pourtant être leurs premiers soutiens, leurs premiers appuis. « J’étais à Kaya quand tout a commencé. Je voyais mes doigts pourrir un à un. Une fois à Ouagadougou pour les soins, je fréquentais l’hôpital constamment. J’y ai fait près de neuf ans. Plus tard, on m’a redirigé vers le centre de léproserie. Pendant tout ce temps, j’avais ma famille à côté, mais qui ne manquait pas de me rappeler que j’étais sale ou de se moquer de moi. J’étais devenu une charge pour elle, parce que je ne pouvais pratiquement rien faire. C’était dur ! C’est ainsi que j’ai décidé de venir vivre ici, à Paspanga, avec les autres. Vu que nous sommes tous pareils, nous savons nous comprendre et nous nous entraidons comme on peut », se remémore Amado Sawadogo, sexagénaire dont le mal a débuté par de simples tâches, alors qu’il était dans la trentaine.

« Le centre m’a donné une famille », Amado Sawadogo

Pas de chance pour Pascal Kaboré, qui dit vivre tous les jours cette stigmatisation comme un damné. Interrogé sur les débuts de cette maladie qu’il a depuis plus de vingt ans, nous observons cet homme qui paraissait volubile et blagueur au premier abord, marquer inopinément un temps de silence. Dans son regard, quelques larmes grossissaient ses orbites avant de disparaître légèrement, après qu’il ait levé la tête pour les ravaler. Nous passâmes environ cinq minutes à l’observer exécuter ce mouvement, comme pour implorer cette force venant de depuis les cieux, avant de lâcher le moindre mot.

L’atmosphère était insupportable ! Le corps droit et le regard fixe, nous nous contentons de le regarder s’infiltrer dans les profondeurs invisibles de son esprit, là où s’endort sûrement un passé à l’horreur des fours crématoires, avant de finalement ouvrir les lèvres pour se confier : « Ça fait pitié hein ! », lâche-t-il. « Ça fait pitié ! Je vivais en famille. Mais à cause de la maladie, j’ai dû quitter la cour. Il y en a qui te détestent carrément juste pour ça et te disent de ne pas les toucher. Certains ne veulent même pas que tu t’approches d’eux. D’autres font tout pour t’éviter. On ne te parle pas, on t’insulte directement en te disant que tu n’es rien et que tu ne seras rien dans ta vie. Quand j’arrive quelque part, les gens se dispersent parce qu’ils ne veulent pas me sentir », dégouline-t-il d’une voix à peine audible.

Mais après avoir vu des vertes et des pas mûres des années durant, il affirme être arrivé à surmonter ce mal-être. Après tout, chaque être humain est de passage sur terre et même si la vie ne vaut rien, rien ne vaut la vie. Sourire en tout temps, même quand c’est difficile et que tout semble perdu est désormais la raison qu’il s’est faite. Vivre avec ce mal est déjà pénible ! Inutile d’en rajouter quand le monde semble contre vous, se convainc-t-il. « Si en plus de la maladie, je dois à chaque fois tenir compte de ce que les gens disent ou pensent de moi pour me lamenter, je vais finir misérable. Moi je veux vivre ma vie comme tout être humain normal et les autres devraient en faire pareil », conseille cet homme, qui dit se contenter de l’amour que lui portent sa tendre épouse et ses trois enfants.

Des locaux vieillissants

Le centre de léproserie de Paspanga existe au Burkina depuis 1970. Cela fait donc plus de 50 ans que le site abrite ces pensionnaires. Construit au départ pour accueillir une poignée de malades, le site est devenu au fil du temps, la citadelle de ces personnes laissées pour compte. Les petites pièces qui, jadis, permettaient de mettre tout le monde à l’abri, ne suffisent plus à accueillir le monde. Pire, les bâtiments tombent en ruine. La peinture externe qui donne l’impression que les murs sont solides n’est que le pâle reflet de la réalité, une fois à l’intérieur même des maisons.

En franchissant par exemple le seuil de la porte de l’infirmerie, spacieuse d’environ 15 mètres carrés, l’on est frappé par la clarté obscure de la pièce. Il y a bel et bien une ampoule pour l’éclairage. Seulement, les cartons et casiers de produits disposés çà et là emplissent le local, si bien que l’électricité n’y a plus son mot à dire. En jetant un coup d’œil rapide sur le peu d’espace qui reste, le ciment qui tapissait le sol a partiellement été décapé par les infiltrations souterraines d’eau de pluie. Les murs complètement lézardés donnent l’impression d’être dans une grotte égyptienne et inutile de porter des verres pour constater que les eaux de pluie ont violé le toit, laissant transparaître à l’intérieur de la pièce, des jets d’éclair provenant tout droit du ciel.

Le sol de l’infirmerie, décapé et toujours humide malgré la saison pluvieuse passée

Selon les pensionnaires, ce que nous avons vu n’est que la partie visible de l’iceberg. « Si vous étiez venu en saison des pluies, vous alliez verser des larmes. Pendant cette période, quand il pleut, on reste debout. Comme les bâtiments sont vieux, l’eau pénètre à travers les murs, par le toit et même par le sol. Personne ne peut dormir », dépeint une des internes, qui nous observait parcourir les bâtiments du regard.

Des concessions qui existent depuis l’époque de l’indépendance et qui tiennent toujours bon, il en existe. Cependant, comment expliquer cet état de dégradation avancé du site, avons-nous demandé au Père Abel Kaboré, camilien et premier responsable du centre. A cette question l’homme nous fera visiter l’arrière-cour, où coule depuis des années un ruisseau, lequel était présent avant même la construction du centre. Etant le seul terrain que les religieux avaient à l’époque pour la cause, ils n’eurent d’autre choix que d’ériger là, la bâtisse.

Mais le temps a passé et le ruisseau, tout comme un enfant qui poursuit sa croissance normale, s’est agrandi. Toute chose qui n’a pas été sans conséquence. « Quand il y a eu la pluie du 1er septembre 2009, la cour était si pleine d’eau qu’elle nous atteignait jusqu’au cou. On était obligé de se faire aider par les voisins pour faire sortir les gens de la cour. On les a logés dans une école située à quelques mètres du centre, mais deux personnes sont malheureusement décédées. Après ça, on a essayé de créer un système pour évacuer l’eau de pluie. On a creusé un trou par lequel l’eau était censée sortir. Malheureusement, quand il pleut, le courant est tellement fort que l’eau, au lieu de sortir, entre de plus belle dans la cour. C’est ce qui affecte la solidité et la résistance du bâtiment », a-t-il répondu. A ce problème s’ajoutent les cas de maladies incessantes, comme le paludisme, qui frappent durement les pensionnaires du centre et ce froid de canard qui les fait grelotter comme au pôle nord.

Une vue du ruisseau qui menace la sécurité des pensionnaires du centre

Face à cette situation éprouvante, les camiliens ont entrepris de construire un centre ailleurs, dans un environnement beaucoup plus calme et spacieux, pour reloger les pensionnaires dont l’effectif s’accroît d’année en année. Sakoula est le village choisi et où le terrain a été obtenu, ce, grâce à la générosité du chef de la localité. Avec les différentes aides et appuis financiers, quelques installations ont pu être faites : maisons, château d’eau, aménagement pour jardinage, etc. Cela a permis d’y installer une vingtaine d’ex pensionnaires du site de Paspanga, qui travaillent à être autonomes.

« A Sakoula, il manque la clôture. On voudrait aussi agrandir l’élevage qu’on y a débuté et acquérir les papiers du terrain » Père Abel

Mendier malgré soi

« Ne nous jugez pas. Essayez de comprendre notre situation. Nous sommes aussi humains comme vous. Humains et frères de la même patrie. » Ces syntaxes bien que sonnant comme un cri de révolte, ne sont nullement celles de Tiken Jah Fakoly, encore moins de Sana Bob. Elles sont extraites du chant de Karim Ouédraogo, un lépreux du centre de Paspanga qui a décidé de dépeindre leurs situations, leurs douleurs, sur des sons de rythme reggae. A le voir marcher, on aurait dit que la situation du jeune homme n’est pas si alarmante, au point de sillonner les artères de la ville pour espérer trouver pitié aux yeux des hommes valides, qui ne manquent pas toujours de le mépriser et le regarder avec dédain, toutes les fois où il tend la main pour demander quelques pièces.

Pourtant, la situation de ce quadragénaire n’était pas aussi exécrable. Maçon de son état, l’homme avait décidé d’assurer sa pitance quotidienne à la sueur de son front. Le peu de sous qu’il gagnait ne lui permettait certes pas d’avoir le train de vie du roi Crésus, néanmoins, arrivait-il à subvenir à ses besoins les plus élémentaires. Tout allait bien jusqu’à ce qu’à l’âge de la majorité, il fut frappé par cette maladie handicapante. Rejeté par son entourage et par ses proches comme une vulgaire vermine, il dit avoir été accueilli à bras ouvert au centre de léproserie.

Là, il reçut des soins qui lui permettaient de tenir un tant soit peu, mais il ne fallut pas longtemps pour qu’il soit informé de l’état avancé de sa maladie. Face à cette situation affligeante, aucune solution ne se profile à l’horizon. Pour le guérir et surtout le maintenir dans le monde des vivants, une seule échappatoire s’offre à lui : l’amputation. Débité et dégoutté de cette vie qui ne lui laisse aucun choix, Karim se rend compte qu’il est condamné à un avenir incertain et que sa vie sera aussi mouvementée qu’un navire en proie à un océan en furie. Se construire un foyer, vivre de ce que l’on a choisi comme métier, s’épanouir dans la société, sont désormais des rêves qu’il relativise et prend avec pincettes.

Cette situation de mendicité, Karim n’est pas le seul à la vivre. Conscient qu’il n’y a aucune dignité à tendre la main et qu’aucun avenir ne se construit dans la mendicité, les berges du ruisseau ont été aménagées pour permettre aux uns et aux autres de faire du jardinage. En plus de cela, le centre essaie autant que faire se peut, de partager des vivres aux pensionnaires chaque deux semaines, précisément les samedis. A ce moment de partage, des personnes nécessiteuses, externes au centre, sont aussi bénéficiaires, toute chose qui rend difficile la prise en charge des lépreux.

En clair, les fruits du travail de la terre et les vivres partagés ne suffisent pas à nourrir « tout le peuple », qui se chiffre à plus de 70 personnes. Ventre creux n’ayant point d’oreille, les pensionnaires du centre sont souvent obligés de s’adonner à la mendicité, malgré eux. « Dans les années 90, celui qui était en charge du centre était un religieux italien du nom de Père Vincent Luize, décédé en août dernier. Il avait énormément de partenaires et les vivres nous venaient de partout à travers le monde. En ce moment-là, le partage des vivres se faisait deux fois dans la semaine, mercredi et samedi. Mais avec le temps, les priorités se sont accrues et le nombre de lépreux a considérablement augmenté. On est obligé maintenant de le faire deux fois dans le mois, ce qui ne suffit pas », a déploré l’aide des lépreux, Aimé Korgo.

« Avant la crise sécuritaire et humanitaire, on bénéficiait de l’aide de beaucoup d’institutions pour les vivres » Aimé Korgo

La santé, un luxe qu’ils ne peuvent se payer

Outre les problèmes d’alimentation, l’approvisionnement en produits pour les soins des patients toujours en traitement suscite des difficultés. Selon M. Korgo, lorsqu’un nouveau cas est détecté, tout un arsenal de produits doit être disponibilisé pour étouffer la maladie avant qu’elle ne s’aggrave. Si le tout est mobilisé dare-dare, le patient peut guérir rapidement et ne pas développer les complications physiques dûes à la contraction de la maladie. Dans le cas contraire, attendre que les produits soient disponibles est la seule option. « Ça arrive souvent qu’on soit en rupture de stock et que les cartons soient vides. On a la chance qu’avec l’hôpital Saint Camille de Ouagadougou, en cas d’urgence, on nous envoie les produits. Mais c’est difficile ! On a par exemple des patients externes qui ont perdu la vue. C’est l’une des conséquences de la maladie d’ailleurs. Ils ne peuvent plus venir au centre pour les soins. Au temps du Père Vincent, on se déplaçait jusque dans leurs concessions une fois par semaine pour leur prodiguer les soins. Mais avec la situation même du pays, tout est devenu difficile, si bien qu’on y va maintenant une fois dans le mois », regrette cet homme qui a voué une grande partie de sa vie à ce centre, étant au chevet des lépreux depuis 1996, soit depuis la classe de 6e.

Une vue des cartons de produits presque vides

A côté des patients qui se soignent pour éviter la maladie, il y a aussi ceux qui ont un membre amputé et qui portent des prothèses. Elles ont tout l’air d’un pied, mais n’en sont pas un. En tout cas, pas un comme celui des personnes valides. Souvent faite en céramique ou en acier, elles sont tapissées de chiffons à l’intérieur comme à l’extérieur et sont totalement hors de prix pour le Burkinabè lambda. « Au Centre de léproserie, nous avons six personnes qui en portent et deux qui en ont besoin. Cela veut dire qu’elles ont eu un membre amputé. Quand il s’agit de la jambe uniquement, le patient porte une prothèse tibiale. Quand l’amputation est faite au niveau de la cuisse, on parle de prothèse fémorale. La difficulté avec l’amputation à elle seule, c’est qu’elle coûte au minimum 500 000 francs CFA. Ça, c’est parce que nous avons certains produits pour effectuer le pansement. Sinon on est bien au-delà de cette somme. En plus de çà, le tibial coûte 500 000 francs CFA. Le fémoral, un peu plus de 800 000 francs CFA. Ce qui veut dire que lorsqu’on veut procéder à une amputation, le minimum à avoir par devers soi, c’est un million de francs CFA. Sans quoi, le patient restera dans la douleur », évalue Aimé Korgo.

Le centre est en quête de partenaires qui pourront l’aider pour l’achat des prothèses

Selon ses dires, une prothèse peut durer environ dix ans. Seulement, cette durée est relative car pour une personne active, l’on est bien en deçà de ce chiffre. Karim par exemple a sa prothèse tibiale depuis moins de cinq ans. Seulement, avec les kilomètres parcourus par jour pour espérer avoir de quoi se nourrir, mais aussi enregistrer ces chansons au studio, la prothèse du jeune homme est déjà en état d’être changée ou presque. « Au moment d’acheter sa prothèse, on n’avait pas d’argent. On avait un besoin en vivres et un bienfaiteur nous avait envoyé des ressources pour en acheter. Vu que son cas était grave, on était obligé d’écrire au bienfaiteur pour lui expliquer la situation et recueillir son autorisation pour réorienter les fonds vers les soins de Karim. Il a accepté et une fois le traitement fait, on lui a renvoyé les papiers pour qu’il constate de lui-même que l’argent a bel et bien été utilisé pour soigner quelqu’un. Il a vu que nous étions de bonne foi, alors, il nous a renvoyé des sous pour l’achat des vivres », a retracé M. Korgo. Tout comme Karim, ils sont nombreux ces patients en attente d’être amputés et dotés de prothèses. Malheureusement, le centre est en manque de moyens pour les soulager.

« Je dois enregistrer trois sons, le tout à 150 000 francs cfa, avant d’être inscrit au BBDA. Je voudrais un producteur qui croira en moi » Karim Ouédraogo

Attention ! La lèpre, pas loin de nos maisons

La lèpre fait partie des maladies tropicales négligées et se transmet d’une personne malade à une personne bien portante, à travers les glaviots projetés suite à un toussement ou un éternuement. Si beaucoup craignent d’être contaminés par une simple poignée de main, le professionnel de santé rassure. Le simple fait de saluer un lépreux ne suffit pas à ce qu’une personne bien portante contracte la maladie. Il faut un contact étroit avec la personne malade. « Chez nous, on parle de promiscuité. Cela veut dire que vous êtes tout le temps ensemble », a clarifié Dr Léopold Baowendsom Ilboudo, dermatologue-vénérologue. Un autre élément important tient au manque de douche quotidienne. « Ne serait-ce qu’une douche par jour permet de réduire le risque de transmission de la bactérie d’une personne à une autre » a poursuivi le spécialiste.

Au Burkina Faso, les chiffres tendent à une recrudescence de la maladie, surtout chez les enfants. A la lecture du dernier tableau dressé par le Programme national de lutte contre les maladies tropicales négligées, sur le nombre de cas enregistrés au Burkina Faso ces dernières années, on note qu’en 2019, aucun enfant n’a été diagnostiqué positif à la maladie. En 2020 par contre, sur les 170 nouveaux cas enregistrés, l’on en a dénombré 2. En 2021, ils étaient 8 sur les 250 nouveaux cas détectés. En 2022, 6 sur 212 et en 2023, 9 sur 206. L’évolution de la maladie s’effectue en dents de scie, toute chose qui interpelle à la prise de mesure pour y faire face.

Une vue du tableau récapitulatif actualisé datant du 24 décembre 2024, concernant le nombre de nouveau cas de lèpre et d’enfants touchés, de 2018 à 2023

A ce sujet, l’unité d’élimination de la lèpre entreprend bon nombre d’actions pour réduire la maladie à sa portion congrue. Ainsi, passe-t-elle d’abord par le dépistage passif, qui consiste pour le malade à se rendre chez l’agent de santé, lorsqu’il constate une situation anormale sur sa peau. Il y a aussi le dépistage actif mis en œuvre depuis 2018, qui consiste en ce que les agents de santé se rendent dans les villages ou localités pour consulter la population. Outre cela, il y a le dépistage communautaire. C’est celui qui consiste à renforcer les capacités des agents de santé à base communautaire pour qu’ils sachent détecter la maladie et accompagnent ces personnes vers les services de santé. Ce système est beaucoup plus utilisé pour les localités où les agents de santé ne peuvent se rendre, eu égard à une situation bien donnée.

Lire aussi : Journée mondiale des maladies tropicales négligées : « Le Burkina a enregistré 238 nouveaux cas de lèpre en 2022 dont huit enfants », Dr Ilboudo, dermatologue-vénérologue

Il n’y a pas de cas d’enfant au centre de Paspanga

Les symptômes de la maladie qui se matérialisent souvent par une tâche claire, qui ne gratte pas toujours, rendant la maladie difficile à détecter. « Chez certaines personnes, c’est dans dix ans ou plus que les premiers signes apparaissent. La particularité de la lèpre, c’est que cette tâche est insensible. Cela veut dire que lorsque sur cette tâche, l’agent de santé teste la sensibilité en y passant du coton, si le malade ne sent pas qu’on le touche avec le coton, c’est un élément évocateur qui l’oriente vers la lèpre. Donc si vous voyez une personne qui a des tâches sur sa peau dont la couleur est moins foncée que la couleur normale et que ces tâches subsistent, il faut lui conseiller de se rendre dans un centre de santé », préconise le dermatologue-vénérologue.

L’actualité de cette maladie est qu’elle n’est plus d’actualité, alors qu’elle atterre beaucoup de personnes. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle est encore présente et dangereuse. Prudence !

Erwan Compaoré

Lefaso.net

<p class="note" style="position: relative; color: #012b3a; margin: calc(23.2px) 0px; padding: calc(9.6px) 40px; border-left: 5px solid #82a6c2; background-color: #eaf0f5; border-top-color: #82a6c2; border-right-color: #82a6c2; border-bottom-color: #82a6c2; font-family: Montserrat, sans-serif;" data-mc-autonum="Note: « >NDLR : Toutes les images ont été prises avec le consentement des patients et des premiers responsables du centre. Pour tous vos dons, contactez le Père Abel : 72 33 09 83

Source: LeFaso.net