Au pays des Hommes intègres, un monstre s’attaque aux enfants. Ce sont les cardiopathies congénitales et celles acquises. Elles menacent la survie de milliers d’entre eux. Médecins, État et partenaires sont en première ligne pour sauver ces enfants dont le cœur est défaillant. Immersion au Centre hospitalier universitaire (CHU) de Tengandogo, à Ouagadougou. A l’occasion d’une campagne de chirurgie cardiaque au cours du mois d’octobre 2024.
Reine Minoungou, âgée de huit ans, est entre la vie et la mort. Allongée sur la table d’opération, elle est inconsciente (sous anesthésie). Dans le labyrinthe du CHU de Tengandogo, une salle est dédiée à la chirurgie cardiaque.
En cette matinée du mardi 8 octobre 2024, l’équipe du chirurgien cardio-vasculaire et thoracique, Dr Adama Sawadogo, et une autre équipe médicale (des bénévoles) venue de la France, travaillent en synergie pour sauver Reine.
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Il est 9h et demie dans le bloc opératoire. La concentration est à son paroxysme. Les chirurgiens, habillés dans leurs blouses, sont à l’œuvre pour réparer le cœur défaillant de la patiente.
Reine souffre d’une cardiopathie congénitale (malformation cardiaque présente à la naissance). Selon les spécialistes, ce mal s’appelle « tétralogie de Fallot ».
C’est une maladie qui se manifeste par une communication anormale des cavités du cœur. Cet important organe n’étant plus en capacité de jouer son rôle, du « sang pauvre » se retrouve dans les tissus. Reine Minougou a bénéficié d’une correction partielle lors d’une première opération. Ce qui lui a permis de vivre et de grandir. Cette deuxième intervention chirurgicale est le début d’une nouvelle vie. Les toubibs vont finaliser la réparation de son cœur (une correction totale). Le thorax ouvert, les chirurgiens parviennent au cœur malade. Ils le remodèlent. Un travail minutieux qui va durer plus de 5 heures.
Après l’opération cardiaque, un autre combat commence. Les patients sont transférés en salle de réanimation. Seuls le personnel soignant et les proches des enfants sont autorisés à avoir accès à cette enceinte sensible. Les consignes sont strictes. Passage obligé, se désinfecter les mains avec du gel hydroalcoolique disposé à l’entrée de la salle. Il faut ensuite enfiler une blouse dotée d’un masque de protection avant de s’approcher des enfants opérés. Ces règles imposées au personnel de santé et aux visiteurs ne sont pas excessives. Elles se justifient. Selon une infirmière présente en salle de réanimation, après l’opération, les anticorps deviennent fragiles. La moindre bactérie venue de l’intérieur ou de l’extérieur peut être fatale ou compromettre la guérison. En outre, les bactéries peuvent venir s’accrocher aux instruments médicaux comme les cathéters et les prothèses valvulaires cardiaques qui sont insérés dans le corps des patients.
Parmi ceux qui sont présents en salle de réanimation en cette journée de 8 octobre 2024, il y a Mohamed Pafadnam. Il est 10h 27 mn, il vient de se réveiller. Affaibli et pâle, il est en pleurs. L’enfant de 13 kg tend difficilement la main droite vers le jus d’orange que sa génitrice a déposé pour lui. L’infirmière vient à son chevet et le rassure. « Tu vas bien Mohamed ? Ne t’inquiète pas, je vais te donner ton jus », tente-t-elle de le rassurer avec une voix maternelle. Elle met le jus dans une seringue, puis le lui donne. Après avoir bu lentement son jus, le regard innocent, il se calme et se rendort.
Mohamed et Reine ne se connaissent pas, mais ont un destin similaire. Agé de 4 ans, Mohamed est né avec un cœur défaillant. Il souffre du même mal que Reine : la tétralogie de Fallot. Avant cette derrière opération visant à réparer définitivement son cœur, il a subi une première intervention chirurgicale en février 2024. La salle de réanimation accueille les enfants pendant 48 à 72 heures, si l’opération s’est bien déroulée.
Ouf de soulagement pour les uns, angoisse pour les autres !
Un vent nouveau souffle sur les familles de Mohamed et Reine après les interventions. Leurs parents ne vivront plus dans la peur constante de voir leurs enfants malades. Les différentes chirurgies du cœur ont été couronnées de succès, marquant ainsi une nouvelle vie pour ces enfants et l’ensemble de leurs parents.
Pendant ce temps, d’autres parents perdent le sommeil. Ils sont dans l’angoisse et s’impatientent. Adeline Tologho est stressée. Habibou Ouédraogo, sa fille âgée de 6 ans, doit subir une opération cardiaque. Vêtue d’un short bleu et d’un tee-shirt vert, la fillette séjourne dans une chambre du CHU de Tengandogo, accompagnée de sa génitrice. L’enfant exige de sa mère qu’elle la mette au dos. Elle est en pleurs. La maman s’exécute. Mère et fille s’expriment en langue mooré. « M’maa m’data koom na gnou (maman je veux boire de l’eau), réclame Habibou, toujours en pleurs. « Elle fait des caprices », déduit sa mère qui fait preuve de patience. Elle converse en toute douceur avec sa fille afin de la calmer.
Habibou est la dernière-née d’une famille de six enfants. Durant la grossesse de sa benjamine, tout semblait se dérouler à merveille pour Adeline Tologho. A cinq mois de grossesse, elle se rend dans le centre de santé où elle a l’habitude de faire ses pesées à Ouagadougou. On lui fait savoir que l’échographe est en panne, se remémore-t-elle. « Déçue », elle rebrousse chemin. Au sixième mois de grossesse, elle repart dans le même centre de santé et peut enfin faire l’échographie. Ce jour-là, elle va apprendre une mauvaise nouvelle. Le professionnel de santé lui fait savoir que le cœur du fœtus est « anormal ». Le diagnostic permet de mettre un nom sur le mal : la tétralogie de Fallot. Dame Tologho est tétanisée par la nouvelle.
Tout n’est pas perdu comme le souligne le médecin. A la naissance, après quelques années de vie, sa fille peut être opérée du cœur. Elle garde alors espoir. Trois mois après la naissance de Habibou, sa mère va consulter un cardiologue qui la met sous traitement médicamenteux, en attendant une chirurgie réparatrice définitive. Faute de moyens financiers, le projet d’opération est mis en stand-by. Une opportunité va se présenter à l’âge de six ans ; une campagne de chirurgie cardiaque au profit des enfants. Une initiative de l’ONG « la Chaîne de l’espoir ».
« Nous souffrons de cette situation. Cette maladie a des conséquences sur l’épanouissement de la famille. Tout le monde s’inquiète pour elle. Je ne travaille pas et mon époux est peintre de profession. Son état de santé a un impact sur nos dépenses. Depuis sa naissance, elle a refusé de s’allaiter au sein. J’étais obligée de la nourrir au biberon. Ce qui a coûté cher à la famille. Elle faisait des crises avant. Mais, depuis qu’on a commencé le traitement, les crises sont moins fréquentes. Contrairement aux autres enfants, lorsqu’elle marche, elle s’épuise très rapidement. Elle dit à chaque fois qu’elle ressent des douleurs au cœur », dépeint Adeline Tologho.
Tout comme cette mère impatiente de voir sa fille bénéficier de la chirurgie cardiaque, Souleymane Compaoré est aussi dans l’attente. Ce père de famille est venu de Matté (village situé dans la commune de Ziniaré, province de l’Oubritenga, région du Plateau-central). Ce cultivateur est polygame (deux épouses) et père de onze enfants. L’état de santé de l’un d’entre eux plonge la famille dans la tourmente. Mamounata Compaoré, âgée de 8 ans est en attente d’une opération cardiaque. Une fois de plus, la même pathologie congénitale revient. Elle souffre également de la tétralogie de Fallot.
Son père dit avoir constaté depuis plusieurs années qu’elle est « différente des autres enfants de son âge. Mais, je n’imaginais pas qu’elle souffrait d’une maladie aussi grave. Elle est lente et ne parvient pas à suivre les pas des autres enfants pour se rendre à l’école. Nous sommes obligés de la transporter à l’école à vélo. Elle n’a pas d’appétit. A chaque fois, les autres enfants mangent toute la nourriture la laisser. C’est pour cette raison que je l’ai envoyée au centre de santé du village. De là-bas, nous avons été redirigés vers l’hôpital public de Ziniaré. En mars 2024, à Ziniaré (chef-lieu de la région), les médecins ont donné le nom de la maladie dont souffre ma fille. Ils nous ont donc référé au CHU de Tengandogo », raconte Souleymane Compaoré. Il fait la confidence que les frais d’examen et les premiers traitements de sa fille lui ont coûté une fortune. Heureusement, de bonnes volontés se sont mobilisées pour le soutenir financièrement.
Les maladies cardiovasculaires empêchent une croissance normale chez l’enfant. Le moteur du corps (le cœur) ne pouvant pas assurer correctement sa fonction, les enfants sont en sous poids et ne grandissent pas normalement comme leurs semblables. Le père de Mamounata confie que sa fille est devenue le souffre-douleur des autres enfants de sa communauté. Elle est souvent frappée « par des enfants moins âgés qu’elle », s’offusque-t-il. La cardiopathie congénitale de sa fille porte un coup à son cursus scolaire. « Elle est en classe de CP2. Elle est très appréciée par son enseignant. Il est venu lui rendre visite à la maison à deux reprises. Il était découragé de ne pas la voir à l’école, parce qu’il a dit qu’elle est intelligente. Sa mère et moi sommes très tristes de la voir dans cet état. Ses semblables sont en bonne santé, mais notre fille est tout le temps malade. Je souhaite qu’elle guérisse au plus vite. Toute la famille, élargie comme proche, est préoccupée par son état de santé. Si Dieu le veut, après l’opération, elle sera guérie et reprendra le chemin de l’école », espère M. Compaoré avec une voix qui laisse entrevoir sa tristesse.
Les yeux des chirurgiens
En médecine, il est dit que le premier pas vers la guérison est le diagnostic des patients. Dans la salle d’attente du service de cardiologie pédiatrique du CHU de Tengandogo, le mardi 8 octobre 2024, la file d’attente est longue. Des parents et leurs enfants sont assis depuis plusieurs heures. Les visages des parents laissent entrevoir un mélange de fatigue et d’anxiété. Pour bénéficier de cette campagne chirurgicale, la plupart des familles sont venues de très loin (de plusieurs provinces du Burkina Faso). Certains enfants jouent, tandis que d’autres se sont endormis sur le dos de leurs mères.
Il est 10h54 minutes dans la salle de consultation. Le Pr Alain Chantepie venu de la France et deux de ses consœurs Burkinabè font une échocardiographie à Rafiatou Sanfo. Ce qui permet de voir le cœur de la fillette de 6 ans. Son père est assis sur une chaise auprès d’elle. Il observe attentivement l’écran qui montre le cœur de « Rafia », comme il l’appelle.
Les trois médecins chuchotent pendant quelques minutes. Puis, le Professeur Alain Chantepie donne le diagnostic à Monsieur Sanfo. La malformation cardiaque dont souffre sa fille est très complexe. Par conséquent, elle ne peut pas être opérée au Burkina Faso. « Il y a une large communication entre le ventricule droit et gauche de son cœur. Ce qui fait que du sang se retrouve dans ses poumons. Cette anomalie peut entrainer des problèmes au niveau des artères pulmonaires et les abimer de manière définitive. Il faut donc l’opérer le plus rapidement possible avant qu’il ne soit trop tard. Si elle est opérée ici, elle risque d’avoir des complications graves en réanimation », explique avec une voix posée, Pr Alain Chantepie. Et de renchérir : « Pour son cas, il faut des équipements et des médicaments spécifiques. Il faut peut-être l’envoyer au Maghreb ou en Europe. Même si elle se rend à l’extérieur, l’opération représente toujours un risque pour elle. Il faut qu’on fasse des examens plus approfondis pour vérifier son opérabilité ».
En apprenant le diagnostic, le visage du père de Rafiatou Sanfo se décompose. Ses mains tremblent. Impuissant, il écoute et comprend que sa fille ne bénéficiera pas d’une réparation partielle ou définitive de son cœur lors de cette campagne chirurgicale. Découverte dès les premières années de sa vie, l’anomalie dont souffre Rafiatou « pouvait se régler à sa première ou deuxième année de vie », souligne Alain Chantepie. Malheureusement, à cette époque, la chirurgie cardiaque était à un stade embryonnaire au Burkina Faso.
Sans les cardiologues, aucune opération n’est possible. Ils sont les yeux des chirurgiens. Si leur diagnostic est faussé, l’intervention peut virer au drame. Ils ont la lourde responsabilité de détecter les anomalies. Aussi, ils donnent le feu vert ou déconseillent aux chirurgiens cardiaques d’opérer les patients. Le Pr Alain Chantepie fait comprendre que certains enfants examinés plus tôt dans la matinée n’ont pas besoin d’être pris en charge chirurgicalement. Un traitement médicamenteux va les aider à recouvrer la santé.
Le CHU de Tengandogo, un pôle de référence de la chirurgie cardiaque
Dans les années antérieures, la majorité des patients étaient évacués à l’extérieur du pays pour être opérés. Aujourd’hui, ils peuvent bénéficier d’une réparation complète du cœur en restant dans leur Burkina natal. En 2019, l’équipe du Dr Adama Sawadogo est appuyée par des bénévoles de l’ONG la Chaîne de l’espoir pour pratiquer la chirurgie à cœur fermé. En 2021, une fois de plus, elle est épaulée pour procéder à des opérations à cœur ouvert. Puis, elle prend son envol en réalisant en toute autonomie une chirurgie à cœur ouvert en 2022, faisant ainsi du Burkina Faso, l’un des premiers pays de la sous-région à disposer d’une équipe autonome.
Surnommé « l’homme qui répare les cœurs », le docteur Adama Sawadogo donne des éclaircissements sur les différents types de maladies cardiaques et d’interventions chirurgicales.
« Il existe deux catégories de cardiopathies. Il y a les cardiopathies congénitales qui sont des malformations présentes à la naissance. C’est un ensemble de maladies liées à un défaut pendant la grossesse. La deuxième catégorie, ce sont les cardiopathies acquises. Elles sont absentes à la naissance. Mais, interviennent pendant l’évolution de l’humain. Par exemple, elles peuvent être causées par une infection, l’hypertension artérielle, le stress, l’obésité, le tabagisme, l’hypercholestérolémie, la sédentarité … », définit-il.
Et de poursuivre : « La chirurgie à cœur fermé consiste à réparer des malformations à la surface du cœur. Le cœur n’est pas arrêté et est fermé pendant l’opération. Sans les fonctions du cœur, les patients ne peuvent pas survivre pendant la chirurgie. C’est pour cette raison que durant une chirurgie à cœur ouvert, on utilise la machine de circulation extracorporelle. En français facile, elle est appelée machine cœur-poumon. Elle remplace le cœur et les poumons. Ce qui permet d’opérer les anomalies qui sont à l’intérieur du cœur ».
Le chirurgien fait savoir que les deux types de cardiopathies sont endémiques au Burkina Faso. Toutefois, on observe la présence de la cardiopathie rhumatismale chez les enfants, adolescents, jeunes et adultes.
Une cardiopathie rhumatismale est due à une lésion des valves cardiaques causée par un rhumatisme articulaire aigu. Cette maladie est la conséquence d’une infection causée par une bactérie streptocoque et commence généralement par une angine ou une amygdalite chez l’enfant. Le rhumatisme articulaire aigu touche surtout les enfants des pays en voie de développement. Le manque d’hygiène expose à la maladie. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dans le monde, près de 2 % des décès par maladies cardiovasculaires sont liés au rhumatisme articulaire aigu.
De 2019 à 2024, l’équipe de chirurgie cardiaque du CHU de Tengandogo a pris en charge plus de 300 enfants. Dr Adama Sawadogo confie que la chirurgie des enfants est très complexe ; plus l’enfant est petit, plus la circulation extracorporelle (CEC) est difficile. La CEC est une méthode utilisée en chirurgie cardiaque à cœur ouvert. Elle permet d’assurer pendant un moment et de manière artificielle, la circulation et l’oxygénation du sang à la place du cœur et des poumons.
Par exemple, un adulte de 100 Kg a de la marge. Il a un débit qui est très élevé. Il peut donc supporter des modifications au niveau du cœur. Chez un nouveau-né de 2 jours par exemple, le volume sanguin ne vaut pas un litre. Une petite modification peut avoir un retentissement important sur sa survie. « C’est la raison pour laquelle, vous verrez qu’à Tengandogo, nous avons commencé à opérer des enfants dont le poids avoisine l’adulte. Progressivement, on a diminué le poids. Actuellement, on opère des enfants dont le poids est légèrement inférieur à 10 kg. Notre ambition est, à moyen terme, d’opérer des nouveau-nés dès le premier jour de leurs vies. Pour ce faire, l’équipe a besoin d’acquérir plus d’expériences, de formations et des équipements adaptés pour opérer des enfants de petit poids », justifie-t-il. Malgré la complexité de ce procédé, l’équipe de chirurgie a réussi à opérer à cœur fermé un nourrisson de trois mois. Et un bébé de quatre mois (4,8 Kg) a bénéficié d’une chirurgie à cœur ouvert.
Dr Adama Sawadogo révèle qu’aussi surprenant que cela puisse paraître, les enfants récupèrent plus vite que les adultes après les interventions. Ils cicatrisent mieux parce que leur organisme est en pleine croissance.
Deux mille personnes sont inscrites sur la liste de l’hôpital en attente d’une réparation du cœur, révèle le docteur Sawadogo. Les deux tiers d’entre eux sont des enfants. Le père de la chirurgie cardiaque au Burkina Faso rêve que plus d’enfants soient pris en charge. Malheureusement, son équipe est ralentie par deux difficultés, que sont la ressource humaine qualifiée et le matériel adapté. « Il y a des milliers de patients qui attendent. Mais, nous avons une petite équipe. Il faut donc former plus de professionnels de santé dans le domaine de la chirurgie cardiaque. Il n’y a pas de fabricants de matériel médical pour la chirurgie cardiaque au Burkina Faso. Il faut commander à l’extérieur. Le matériel à utiliser est spécifique. Son prix est élevé », déplore-t-il.
Il faut donc allouer plus de financements au service de chirurgie cardio-vasculaire et thoracique pour sauver les malades.
« Nous espérons que les bonnes volontés vont nous aider. Un enfant dont le cœur est réparé peut avoir une vie normale comme tout le monde. Il peut participer au développement futur du Burkina Faso. Il peut s’occuper de nous demain », se convainc Dr Sawadogo.
L’État et ses partenaires se mobilisent
Il faut débourser entre trois et quatre millions de FCFA pour bénéficier d’une chirurgie à cœur ouvert. Le budget d’une opération à cœur fermé avoisine 1 500 000 FCFA, dévoile le docteur. Le montant à mobiliser pour prétendre à une intervention cardiaque n’est pas à la portée du Burkinabè moyen. Dr Sawadogo remercie donc l’État burkinabè pour ses actions concrètes en faveur du développement de la chirurgie cardiaque. Depuis deux années, le ministère de la Santé subventionne les charges liées à cette chirurgie. En 2023, 200 millions de FCFA ont été octroyés au CHU de Tengandogo et 300 millions de FCFA en 2024.
L’un des défis dans la prise en charge des maladies cardiaques chez les enfants est le diagnostic. Si la maladie est détectée très tôt, l’enfant va être pris en charge à travers une chirurgie réparatrice ou un traitement médicamenteux, indique Dr Sawadogo.
Le Burkina Faso et l’OMS travaillent en synergie pour mettre en place la stratégie Pen-plus. La direction de la prévention et du contrôle des maladies non transmissibles (DPCM) du ministère de la Santé est en charge de la mise en œuvre effective de ce projet-pilote. Sa directrice, Dr Olivia Marie Angèle Awa Ouédraogo, explique que ce programme va bientôt être effectif au Burkina Faso. La stratégie Pen-plus est initiée par l’OMS dans 20 pays du continent africain.
Cette approche prend en compte des maladies telles que le diabète de type un, la drépanocytose et les cardiopathies infantiles.
En ce qui concerne les maladies cardiaques chez l’enfant, ce projet va permettre d’équiper en matériels (dont des échographes) tout Centre médical avec antenne chirurgicale (CMA). Autre point important, des médecins généralistes et du personnel de santé vont être formés par des cardiologues, afin qu’ils détectent des maladies cardiovasculaires chez les enfants.
La directrice de la DPCM ajoute que l’un des aspects de la stratégie Pen-plus est la sensibilisation ; à travers les différents canaux de communication, dont les radios communautaires, les parents seront sensibilisés aux bons gestes à adopter pour éviter que les enfants ne soient exposés aux cardiopathies acquises. En outre, les populations seront informées sur les symptômes des maladies cardiaques et encouragées à se rendre dans les centres de santé pour faire des examens.
Le projet-pilote va s’étaler sur deux ou trois ans. Les districts sanitaires de Koupéla (province du Kourittenga, région du Centre-est) et de Boussé (province du Kourwéogo, région du Plateau-central) ont été choisis pour abriter la phase-pilote du programme Pen-plus. Si les résultats sont concluants, dans les prochaines années, tous les CMA du pays vont bénéficier de ce projet.
30 enfants inscrits sur la liste d’attente décédés en un an
Dans la prise en charge des maladies cardiovasculaires chez l’enfant, la Chaîne de l’espoir (CDE) est un partenaire de l’Etat burkinabè. L’ONG a été fondée en 1994 par Pr Alain Deloche, chirurgien cardiaque français. Elle œuvre pour l’amélioration de l’accès aux soins médico-chirurgicaux des personnes vulnérables, et plus particulièrement de la chirurgie pédiatrique. L’ONG intervient dans 30 pays du monde. Depuis 1998, elle a transféré des enfants Burkinabè souffrant de pathologies cardiaques à l’extérieur, afin qu’ils puissent être opérés.
Elle a officiellement déposé ses valises au Burkina Faso en 2018. La CDE met en œuvre des programmes qui permettent de prendre en charge des enfants qui souffrent de différentes pathologies. En 2019, elle met sur pied un projet qui prend en compte la chirurgie cardiaque pédiatrique. Elle travaille en collaboration avec le CHU de Tengandogo. Concrètement, elle organise des campagnes de chirurgie cardiaque. Des bénévoles de la Chaîne de l’espoir, spécialistes de la cardiologie viennent appuyer leurs confrères du Burkina Faso dans la prise en charge des enfants. La CDE a participé au renforcement de capacités de l’équipe du Dr Adama Sawadogo ; ce qui a contribué à la rendre autonome. En outre, elle met à la disposition des équipes le matériel nécessaire pour les interventions. Elle offre gratuitement des médicaments aux enfants, une fois l’opération chirurgicale terminée. Du 7 au 13 octobre 2024, l’ONG a organisé une campagne de chirurgie cardiaque au sein du CHU de Tengandogo. Ses bénévoles et l’équipe du Dr Adama Sawadogo ont opéré sept enfants qui souffraient de pathologies complexes. Hélas, deux d’entre eux ont trépassé en salle de réanimation.
Reine Minoungou, Mohamed Pafadnam et Mamounata Compaoré sont des bénéficiaires de cette campagne chirurgicale. Malheureusement, Habibou Ouédraogo n’a pas pu être prise en charge par la mission, pour le plus grand désarroi de sa famille. Et pour cause, la veille de son opération, elle a eu de la fièvre (à la suite d’une infection).
Anne-Catherine Dupré est la cheffe de mission de la Chaîne de l’espoir au Burkina Faso. Elle insiste sur le fait que l’ONG vient compléter les actions du ministère de la Santé dans ses politiques en lien avec la prise en charge des pathologies cardiaques chez les enfants.
« Notre objectif est de contribuer à améliorer les systèmes de santé, afin que tous les enfants puissent être opérés, quel que soit le pays. Nous avons mis en place le programme de chirurgie cardiaque parce que c’est une chirurgie de pointe. Il est nécessaire d’appuyer les pays pour qu’ils puissent être en capacité de réaliser toutes les chirurgies, dont celle du cœur. Nous faisons un transfert de compétences », confie-t-elle.
Selon les chiffres de la CDE Burkina Faso, grâce à son programme de chirurgie cardiaque, 55 enfants ont bénéficié d’une réparation du cœur en 2023 ; 36 ont été opérés en 2024 (à la date d’octobre de cette année). La majorité des patients ont été pris en charge au CHU de Tengandogo. L’ONG a évacué les cas les plus complexes à l’extérieur du pays.
Le CHU de Tengandogo met à la disposition de la CDE la liste des enfants qui sont en attente d’une prise en charge. L’équipe de Anne-Catherine Dupré fait alors un choix. Les cas les plus urgents et les enfants dont les parents sont en situation de vulnérabilité sont prioritaires. A travers une enquête sociale, la quasi-totalité de l’opération cardiaque des enfants issus de familles démunies est prise en charge par la Chaîne de l’espoir. L’ONG leur demande de donner des sommes symboliques pouvant aller de 50 000 à 100 000 FCFA. Les familles aisées paient la totalité de la chirurgie du cœur de leurs progénitures.
La situation est alarmante, s’inquiète Anne-Catherine Dupré. Sur la liste d’attente de la CDE, 30 des 500 enfants à prendre en charge sont malheureusement décédés en une année. Certains enfants doivent être opérés en urgence. Si rien n’est fait dans un temps court, ils risquent de décéder. Il y a donc urgence à agir. La cheffe de mission espère que des entreprises et de bonnes volontés vont faire parler leur cœur en faisant des dons à la Chaîne de l’espoir ou au CHU de Tengandogo pour sauver les enfants malades. Elle plaide pour que les assurances maladies prennent en charge la chirurgie cardiaque, car, pour le moment, elles ne le font pas. « Si les assurances maladies du Burkina Faso couvraient les opérations du cœur, de nombreux enfants allaient être sauvés », prie Anne-Catherine Dupré.
Selon les chiffres de l’OMS, les maladies non transmissibles sont à l’origine de 74% des décès dans le monde en 2019. Les maladies cardiovasculaires arrivent en tête de ce classement avec 17,9 millions de personnes décédées, soit 32%. Dans le monde, toutes les 30 secondes, un bébé naît avec une malformation cardiaque. Environ un enfant sur 100 naît avec une pathologie cardiaque. Au Burkina Faso, selon les données du ministère de la Santé, les maladies cardiovasculaires représentent 12% de la mortalité annuelle. La prévalence (ensemble de cas présents) des cardiopathies congénitales est estimée à près de 7 000 chaque année dans le pays. A ces malformations cardiaques, s’ajoutent celles acquises. Au regard de ces chiffres préoccupants, l’État burkinabè a décidé de prendre le taureau par les cornes.
Le Conseil des ministres du 3 juillet 2024 a adopté un décret portant, entre autres, création d’un Institut du cœur au sein du CHU de Tengandogo. Une fois opérationnel, il devra être un espace consacré à la prise en charge des maladies cardiovasculaires chez les enfants et les adultes. L’Institut du cœur sera, par ailleurs, dédié à la recherche et formation du personnel de santé en cardiologie. Ce qui met du baume au cœur des nombreux acteurs qui se battent contre ce mal pernicieux.
Samirah Elvire Bationo
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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