Djibril Diasso s’est engagé à faire des arbres fertilitaires son allié inconditionnel dans ses activités champêtres. Cet autodidacte et prince de Cassou (région du Centre-Ouest) tire ses revenus de la restauration des sols. Portrait, dans son Cassou natal, de l’homme à la main verte !

Les arbres, c’est son domaine de prédilection. Parti d’une idée d’adolescent, et d’une question d’honneur, Djibril Diasso, fils aîné de sa famille, en a aujourd’hui fait un business en or.

16 août 2024. Après avoir parcouru plus de 80 kilomètres à moto et sur une voie non-bitumée, nous arrivons finalement dans le village de Cassou (dans la province du Ziro, région du Centre-Ouest). Il était peu avant 11h, lorsque notre hôte du jour nous accueille dans une grande convivialité.

Djibril Diasso, le prince arboriculteur-autodidacte, est un passionné d’arbres qui s’est engagé dans le travail de la terre comme ses parents, après avoir abandonné l’école en classe de CM2.

Dans une ambiance bon enfant, cisaille à la main, l’arboriculteur raconte ses débuts dans ce travail de la terre, sa passion pour les arbres, surtout comment il en fait un business juteux. Avec verve et passion, il relate cette aventure dans laquelle il s’est lancé, sans formation ni connaissance, il y a plus de 20 ans.

Un début sans espoir

« À mon arrivée, il n’y avait plus rien ici ; ni arbres, ni herbes, parce que c’est la seule terre que mes parents et grands-parents ont connue », présente-t-il pour planter le décor. Mais avant de poursuivre ce qui est à l’image d’un film, il insiste sur le fait que la terre aussi se fatigue comme les hommes, une manière de quitter un peu son air trop sérieux.

L’homme, au-delà de la rigueur et du sérieux qu’il dégage, a aussi un côté taquin, et aime surtout rire à gorge déployée quand il parle des arbres. C’est un as en la matière. Son épouse, Aziza Diasso, le qualifie d’ailleurs de « fou de la nature » et le trouve très comique et bavard lorsqu’il n’est pas dans ses travaux.

Poursuivant son histoire, M. Diasso rappelle qu’à son arrivée, c’était un vaste terrain nu à perte de vue sur lequel il ne restait que les stigmates du passage de l’homme. Le site ne présentait que quelques arbres de karité solitaires, selon ses confidences. Mais aujourd’hui, c’est un vieux souvenir, grâce aux arbres fertilitaires.

Cette histoire commence dans les années 2000, lorsque l’élève déscolarisé se rend compte qu’il n’a aucun espoir de regagner l’école, faute de moyens. Mais qu’au moins, il pouvait sauver l’honneur de sa mère, en tant que fils aîné.

L’adolescent de l’époque se lance dans le travail de la terre, comme ses parents et aïeux. Ce, en cultivant les céréales et les légumineuses pour l’alimentation familiale. Mais à cause de l’infertilité et de l’aridité des sols, il ne s’en sort qu’avec de maigres récoltes. Mais le jeune cultivateur saura transformer ces défis en opportunités, grâce à sa rencontre avec des personnes bien initiées du domaine.

Une rencontre salvatrice

C’est au cours de cette traversée du désert qu’il fait la rencontre de Henri Perret, un pèlerin « toubab » forestier, de passage à Cassou. Cette rencontre change la donne. Le visiteur l’initie à une nouvelle technique, en plantant dans son champ des arbres fertilitaires, arbre dont l’activité enrichit la couche arable d’une terre, améliore sa texture et favorise sa structuration : Albizias stipulata (ou chinensis), lebbeck, zygia, adianthifolia, Ferruginea, chevalieri…, Albizia saman (ou Samanea saman, arbre à pluie), Acacia albida (ou Faidherbia albida), Leucena…

Dans cette pratique, explique-t-il, nous sommes à l’opposé de la monoculture et des coupes rases qui vont avec. Appelée « agroforesterie », la technique met ensemble les arbres et les cultures. Très vite, l’homme dit avoir constaté une nette amélioration de ses récoltes. Mieux, l’amélioration de la structure et de la texture du sol. Malgré le départ de son hôte, il continue avec le peu d’expertise acquise.

Mais les choses iront encore mieux, lorsqu’il croisera le chemin de l’ONG APAF (Association de la promotion des arbres et de la foresterie) qui fait également de ces arbres fertilitaires sa priorité dans l’agroforesterie. Djibril Diasso s’attache les services de l’ONG, et acquiert d’autres expertises en la matière. Avec elle, le site est transformé en paradis forestier.

D’aucuns voient en Djibril Diasso un autre prix Nobel alternatif, dans la lignée du défunt Yacouba Sawadogo, qui a été récompensé en 2018. Sans se connaître, ces deux hommes ont le même combat dans le cœur. Et si le « papi » a marqué le Nord du Burkina Faso dans son combat pour arrêter le désert, l’homme de Cassou est en train de marquer de son empreinte le Ziro (partie sud du pays), en restaurant les sols dégradés de ses ancêtres avec ses arbres fertilitaires.

Plus de 60 000 arbres fertilitaires plantés

Sur ces terres ancestrales de près d’une trentaine d’hectares, cohabitent désormais plusieurs qualités d’arbres fertilitaires. Le tout parfaitement intégré dans le cadre. Légèrement excentré à une vingtaine de kilomètres, et à cheval entre Cassou et Sapouy (chef-lieu de la province du Ziro), ce hameau de cultures est devenu un microclimat particulier pour les populations de la localité. Pour restaurer ces terres et ramener la végétation qui était quasi-inexistante sur le site, il lui a fallu plusieurs années.

Djibril Diasso a la quarantaine sonnée. Il a passé la moitié de sa vie (depuis ses 20 ans) à planter plus de 60 000 arbres fertilitaires. Ces « réservoirs » à engrais naturels sont au cœur de nombreuses solutions pour la restauration des sols arides et dégradés.

Djibril Diasso s’est désormais engagé dans la culture et l’expérimentation de ces arbres, en participant activement à la valorisation du patrimoine forestier du Ziro. Il contribue également à la conservation et à la résurrection d’espèces forestières tant résineuses qu’arbustives.

Les recherches sont d’ailleurs en cours pour quantifier d’autres vertus que ces arbres fertilitaires cachent et qui ne sont pas encore connues. Pour l’enseignant-chercheur à l’université Joseph-Ki-Zerbo, Dr Cheick Zouré, qui a déjà mené des travaux en la matière, ce sont des qualités d’arbres qui permettent d’améliorer la structure et la texture du sol, tout en mettant en œuvre les éléments minéraux profitant aux autres qui sont autour. En résumé, l’arbre fertilitaire permet d’améliorer la qualité du sol, en améliorant l’infiltration de l’eau dans le sol, en modifiant la texture du sol et en retenant beaucoup d’eau.

La deuxième qualité de ces arbres, c’est qu’ils permettent de capturer les éléments fertilisants du sol, notamment les nodules d’azote, le potassium et le phosphore (éléments dont les plantes ont besoin pour bien grandir). Les arbres fertilitaires améliorent donc de 30, voire de 60% les éléments fertilisants du sol, et améliorent les rendements agricoles.

Plusieurs chercheurs, étudiants et spécialistes du domaine viennent également puiser le savoir-faire et l’expérience de l’homme qui a su bâtir cet empire écologique, devenu un laboratoire à ciel ouvert.

Une entreprise verte en construction

Au départ, ce qui a été pensé uniquement pour l’alimentation familiale, est devenu une activité génératrice de revenus. L’expertise et la compétence qu’il a bâties au fil des années dans son site, il les partage avec sa communauté pour lutter contre la dégradation des sols et la déforestation. C’est ce qui s’est traduit par la mise en place de l’association « Les marolais » de Cassou.

Il a aussi transformé l’initiative en une entreprise pourvoyeuse d’emplois et de gains. Dénommée « entreprise arboricole Djibril Diasso », l’association offre des produits et des services en matière d’arbres fertilitaires, et promeut leur plantation dans la commune et ailleurs. Pour l’année 2023, elle a produit plus de 50 000 pépinières d’arbres fertilitaires qu’elle a pu écouler uniquement avec les ONG engagées dans le domaine, sans compter les clients individuels, les ménages et autres. Alors qu’elle n’est qu’à ses débuts, l’entreprise donne déjà satisfaction, selon le promoteur Djibril Diasso. Cela, grâce au soutien de son partenaire, l’ONG APAF-Burkina. Selon le directeur adjoint d’APAF-Burkina, Firmin Hien, l’entreprise arboricole Djibril Diasso, spécialisée dans la vente des pépinières d’arbres fertilitaires et autres à Cassou, a pu être mise en œuvre grâce à l’accompagnement de sa structure.

« Nous l’accompagnons d’ailleurs dans les démarches pour que l’entreprise soit officiellement reconnue et qu’elle puisse bénéficier d’accompagnement au cas où cela arriverait à être mis en place. Aujourd’hui, l’entreprise enregistre en son sein un employé permanent et plusieurs contractuels, faute de moyens », a-t-il expliqué. Mais les besoins restent encore énormes au sein de l’entreprise.

Djibril Diasso dit vouloir agrandir son entreprise, vu la forte demande en arbres fertilitaires. Mais par insuffisance de moyens financiers, il n’arrive toujours pas à déléguer certaines tâches. Il est obligé de les accomplir lui-même, peu importe le temps que cela prend. En plus de cela, il évoque la question du manque de personnes qualifiées en la matière. « Souvent, j’ai de petits moyens et je veux même quelqu’un pour me relayer pour que je puisse me reposer, mais je n’en trouve pas », regrette l’homme.

Bien connu dans son Cassou natal, Djibril Diasso est devenu aujourd’hui un expert autodidacte. Il est impliqué dans les projets de recherche initiés par l’association APAF. Elle l’appuie dans ses ambitions pour un Cassou plus vert. L’APAF a également assisté Djibril Diasso dans la création d’une association regroupant les femmes autour de la question des arbres fertilitaires. Mais l’homme ne s’est pas juste arrêté à ces satisfactions que sont l’alimentation familiale et le transfert de l’expertise à sa communauté.

Visionnaire, Djibril Diasso a aussi transformé ces arbres en une opportunité, en créant une entreprise arboricole à Cassou grâce au soutien d’APAF qui utilise aussi son site comme un cas d’école. En attendant l’accès des financements pour son agrandissement, l’entreprise arboricole fait son petit bonhomme de chemin dans ce côté sud du Burkina.

Yvette Zongo

Vidéo : Bonaventure Paré

Lefaso.net

Source: LeFaso.net