« À l’âge de 12 ans, malgré ma détermination à poursuivre mes études, j’ai été contrainte par mes parents à épouser un vieux cultivateur de 75 ans », témoigne Sita Belem (nom d’emprunt), les yeux pleins d’émotion. Alors qu’elle venait de réussir son Certificat d’études primaires (CEP), Sita avait été arrachée à son rêve de devenir une femme autonome pour vivre un cauchemar. Ligotée après une tentative de fuite, elle a fini par s’échapper de chez son mari pour trouver refuge au foyer Sainte Maria Goretti de Kaya. Aujourd’hui, en classe de 3e, Sita se bat pour une vie meilleure et pour que d’autres filles ne subissent pas le même sort. Ce témoignage émouvant a marqué le lancement de la campagne des enfants survivants du mariage d’enfants. C’est l’ONG Save the Children International qui en est l’initiatrice, en collaboration avec la Coalition nationale contre le mariage des enfants au Burkina Faso (CONAMEB), et les Jeunes activistes pour l’abandon du mariage d’enfants (JAPAME). Cet événement a réuni, le mardi 17 décembre 2024, des enfants victimes de mariages forcés issus du foyer Sainte Maria Goretti de Kaya.

Dans les rues de Kaya, chef-lieu de la région du Centre-nord, une marche silencieuse symbolique a réuni les victimes du mariage d’enfants réfugiées au foyer Sainte Maria Goretti de Kaya et des activistes. Partant du foyer Sainte Maria Goretti, les participants ont parcouru les artères de la commune jusqu’à la cour royale de Kaya, où ils ont transmis un message de plaidoyer à sa Majesté Naaba Koom de Sanmatenga, chef de Kaya.

« Après ma tentative de fuite, mes parents ont dit à mon mari qu’il pouvait me tuer s’il le voulait, cela leur était égal », Sita Belem, représentante des victimes du mariage d’enfants.

Dans une atmosphère empreinte de solennité, les jeunes survivantes, accompagnées de représentants de Save the Children et de JAPAME, ont remis un document contenant leurs doléances. Les victimes du mariage d’enfants appellent à une mobilisation des chefs traditionnels et des autorités locales pour accélérer l’adoption et l’application stricte du nouveau Code des personnes et de la famille (CPF), destiné à protéger les enfants contre les mariages précoces et forcés.

La campagne des enfants survivants du mariage d’enfants, qui s’inscrit dans le cadre du plaidoyer pour l’adoption du nouveau Code des personnes et de la famille, vise à obtenir la fin du mariage d’enfants au Burkina Faso.

Le mariage d’enfants s’est accru avec la crise sécuritaire

Le foyer Sainte Maria Goretti, au cœur de cette mobilisation, représente bien plus qu’un lieu d’accueil. Depuis plusieurs années, il offre un refuge sûr à des centaines de filles comme Sita, leur permettant de reconstruire leur vie après des expériences traumatisantes. Grâce à des soutiens multiformes (psychologiques, éducatifs et matériels), ces jeunes filles peuvent retrouver l’espoir et reprendre leur parcours scolaire.

« Nous n’avons rien contre les coutumes et traditions, ce que nous souhaitons, c’est que l’on donne la chance aux filles de choisir librement leurs conjoints », Sœur Véronique Kansono, responsable du foyer Sainte Maria Goretti de Kaya.

La Sœur Véronique Kansono, responsable du foyer, a salué l’initiative de Save the Children. « Depuis septembre 2024 jusqu’à ce jour, nous avons enregistré 100 jeunes filles. Avec l’insécurité que nous vivons, le phénomène s’est accru. Parce que l’on a constaté des mariages forcés au sein des personnes déplacées internes (PDI) et surtout remarqué des mariages d’enfants. Au regard de leur précarité, des parents livrent leurs filles âgées entre 11 et 12 ans à des jeunes pour réduire les bouches à nourrir de la maison », a-t-elle confié.

Cette marche, estime Sœur Véronique Kansono, est une voix pour celles qui ont été réduites au silence. Les filles victimes de mariages précoces ou forcés doivent être protégées, éduquées, et encouragées à croire en elles-mêmes.

L’engagement de Save the Children International

Pour Save the Children International, l’organisation de cet événement s’inscrit dans une lutte globale contre le mariage d’enfants, un fléau qui entrave les droits fondamentaux des filles. Selon l’ONG, malgré des lois existantes, les pratiques traditionnelles et le manque de sensibilisation, continuent de perpétuer cette violation des droits de l’enfant.

« J’invite les députés à adopter le CPF, le plus tôt possible pour sauver la plupart des enfants », Tiabrimani Nadinga, manager campagne et plaidoyer à Save the Children International au Burkina.

Tiabrimani Nadinga, Manager campagne et plaidoyer à Save the Children International au Burkina, souligne à partir de ses observations, que le risque de mariage d’enfants est multiplié par dix en temps de crise par rapport aux périodes de paix. C’est dans ce contexte qu’il a été jugé essentiel, poursuit-il, de s’adresser à Sa Majesté Naaba Koom de Sanmatenga, chef de Kaya, pour lui soumettre cette problématique. L’objectif est que le chef de Kaya joue un rôle moteur en sensibilisant non seulement les populations, mais également ses pairs, garants des coutumes et traditions, sur les conséquences néfastes du mariage des enfants. Il s’agit également d’amener les chefs coutumiers et traditionnels à promouvoir les bienfaits du Code des personnes et de la famille (CPF) en cours d’adoption, qui fixe l’âge minimum légal de mariage des filles à 18 ans.

« Nous espérons que cette sensibilisation menée avec l’appui du chef de Kaya contribuera à réduire le nombre de jeunes filles accueillies chaque année au foyer Sainte Maria Goretti. Nous saluons les efforts du gouvernement pour l’élaboration d’un nouveau CPF qui fixe l’âge minimum de mariage des filles à 18 ans. Cependant, nous exhortons les autorités à supprimer l’exception permettant, par dérogation, le mariage des filles dès 16 ans, et ce, avant l’adoption définitive du CPF », a-t-il plaidé.

« Ne donnez pas les filles en mariage forcé ! », a exhorté Naaba Tugri Kassirin, représentant du chef de Kaya, tout en priant que Dieu console ces filles pour les souffrances endurées.

Le plaidoyer à la cour royale

Le représentant de sa Majesté Naaba Koom a chaleureusement accueilli la délégation et a assuré de son engagement à sensibiliser la communauté. Ce soutien des autorités traditionnelles constitue une étape combien importante dans le plaidoyer en faveur de l’adoption du nouveau Code des personnes et de la famille.

En dépit des nombreux défis, Save The Children International et les activistes restent optimistes quant aux avancées à venir. La mobilisation de cette journée a permis de mettre en lumière le courage des survivantes et la nécessité d’une action urgente pour protéger les générations futures. À l’instar de Sita, d’autres filles pourraient voir leurs vies transformées si des mesures fermes sont prises contre le mariage d’enfants. Le combat pour mettre fin à cette pratique est loin d’être terminé, mais chaque voix compte pour faire triompher la justice et les droits des enfants au Burkina Faso.

En attendant l’adoption du nouveau code, l’initiative du 17 décembre restera une étape mémorable dans la lutte contre cette pratique. Le message rédigé aux autorités coutumières et étatiques est clair : il est temps de protéger l’avenir des filles burkinabè.

Hamed Nanéma

Lefaso.net

Source: LeFaso.net