En 1896, après l’occupation coloniale, une politique de mise en valeur des territoires sera mise en place par les gouverneurs de l’Afrique occidentale française, suivie des recrutements de bras valides. La Haute Volta, en raison de la densité de sa population, a été le creuset de la migration jusqu’en 1946, l’année à laquelle le travail forcé fut aboli. Ayant occupé essentiellement les Mossi, cette migration s’est institutionnalisée après la colonisation en raison des crises environnementales et du bouleversement profond de la société moaga. Retour sur le phénomène migratoire des Mossis.

La politique de mise en valeur des territoires

La Haute Volta fondée en 1919 en tant que colonie était la moins favorisée par la nature parmi les colonies d’Afrique occidentale française. Située au cœur de l’AOF, elle n’a pas accès à la mer et reste dominée par le désert et la rareté des pluies. Les populations voltaïques, soumises aux affres climatiques, ont des récoltes peu abondantes. La politique de mise en valeur de la Haute Volta n’a pas donné les résultats escomptés alors qu’elle regorge d’une main d’œuvre abondante. Un recrutement fut alors mis en place en vue de conduire cette main d’œuvre dans les plantations de Côte d’Ivoire, du Sénégal et du Ghana.

« Au moment de la colonisation, la France souhaita rentabiliser les territoires nouvellement acquis. Elle mit en place des infrastructures économiques, tels qu’un réseau de transports, des plantations agricoles, des chantiers, des mines, des bureaux administratifs, des écoles et des hôpitaux. Ces installations exigeaient l’emploi d’une main-d’œuvre abondante et renouvelable. Or, les disparités régionales ne permettaient pas de répondre à ces exigences, particulièrement en ce qui concerne les mines et les plantations. La France réalisa toutefois le faible potentiel agricole de la Haute-Volta, notamment sur le Plateau mossi, qui ne supportait pas l’agriculture à haut rendement. La Haute-Volta était néanmoins densément peuplée et, de ce fait, sa richesse principale devint la main-d’œuvre bon marché. L’exploitation de la population favorisa les colonies limitrophes aux terres extrêmement fertiles telles que la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Ghana », observe Marie-Ève Paré, anthropologue.

Un lourd tribut occasionnant des fuites

Outre la politique de mise en valeur des territoires avec le recrutement pour le travail forcé qui a causé tant de migration chez les Mossis, l’impôt exigé aux indigènes par le colon devenait insupportable. « Les premiers impôts décrétés par les administrateurs français en 1896 étaient relativement légers. Cependant, les taxes ont rapidement doublé de 311 000 francs CFA en 1906 à 656 000 FCFA en 1910. En ce sens, il est concevable que ce fardeau fiscal ait causé la fuite de Mossis vers d’autres régions ou d’autres colonies » observe toujours Marie Eve Paré.

Une politique agricole désastreuse

L’imposition des produits agricoles a occasionné la faim et la famine dans le cercle Mossi. Même les cultures de rente, vendues, à des prix dérisoires, ne permettaient pas le paiement de l’impôt. C’est ainsi que beaucoup vont migrer vers le Ghana. « Pour ramasser les sommes nécessaires au paiement de l’impôt, les Mossis n’avaient que deux options. Ils pouvaient participer aux travaux forcés « à contrat » ou partir de leur plein gré travailler sur les chantiers. Leur second choix se résumait à cultiver des récoltes exportatrices sur leurs propres terres, qu’ils vendaient aux entreprises. On y retrouvait principalement le coton – imposé en 1924 – l’arachide, l’indigo et le kapok. Les hommes mossis adoptèrent largement la culture du coton ; d’ailleurs, certaines parcelles de champs étaient déjà réservées à cet usage puisque l’art du tissage se pratiquait depuis longtemps. Cependant, les profits devinrent insuffisants pour alléger le fardeau fiscal, dans la mesure où les produits cultivés se vendaient à prix modique et étaient sujets aux fluctuations des marchés internationaux. De plus, les cultures de rente empiétaient sur les cultures de subsistance, ajoutant à l’instabilité régnante. Par exemple, en 1927, la campagne visant à produire de l’indigo engendra le départ de 100 000 Burkinabè à majorité mossi vers le Ghana » (Gregory et als, 1989).

La fuite vers le Ghana

Acculés de part et d’autre, les Mossis vont résister contre le travail forcé en fuyant vers le Ghana à la recherche du mieux être. « Bon nombre de Mossis s’exilèrent vers le Ghana. Des fuites constantes sont enregistrées à Ouahigouya, au Yatenga (nord), tel que le démontre cet extrait « En 1918, une demande pour l0 000 travailleurs présentée en pays mossi à provoqué l’évasion vers la Gold Coast. Le commandant de cercle a estimé que 1 200 jeunes étaient partis en 1924, de 1 000 à 1 500 en 1926 (Marchal 1980, 106, 115). » (Gregory et al, 1989, p. 82). Ainsi, les jeunes hommes mossis migraient vers le Ghana, où ils s’engageaient sur les chantiers ou les plantations forestières. Il peut paraître surprenant que ces hommes, qui fuyaient les travaux forcés, préféraient travailler dans les entreprises britanniques, mais les conditions de travail et les salaires y étaient nettement supérieurs. Les fuites et les confrontations directes n’ont cependant pas dissuadé l’administration coloniale de poursuivre la politique des travaux obligatoires. Les migrations de travail forcé se sont perpétuées et renforcées jusqu’à la moitié du siècle. La Côte d’Ivoire nécessitait toujours plus de main-d’œuvre et l’économie ivoirienne n’arrivait pas à attirer une force de travail « libre » en quantité suffisante. Afin de contrer les pertes d’hommes au profit du Ghana et de répondre aux administrateurs villageois qui déploraient le départ de leurs membres, le gouvernement de la Fédération de l’Afrique occidentale française supprima la colonie de la Haute-Volta en 1932 », note l’anthropologue Marie Ève Paré.

La Côte d’Ivoire, le bastion des immigrés mossis

Le départ massif des Mossis vers la Côte d’Ivoire a été parfois l’œuvre de la colonisation, du besoin de la métropole d’une main d’œuvre abondante pour la mise en valeur des plantations côtières. C’est d’ailleurs cela qui justifie le démantèlement de la Haute Volta en 1932, considérée comme économiquement non viable. Après la suppression de la Haute Volta, la Côte d’Ivoire va accueillir une manne considérable de Mossis qui vont se plier aux travaux forcés dans les plantations. Désiré Kaboré, auteur d’un livre sur l’histoire de la Haute Volta, note en ces termes : « L’opération de mise en valeur de la Côte d’Ivoire commence. Il faut mettre en valeur cette colonie qui n’attend que des bras valides pour produire café, cacao, huile de palme. Les conditions de vie des travailleurs furent des plus pénibles. Pour l’année 1932, il fut enregistré dans les statistiques de la colonie, sur les chantiers du chemin de fer de Côte d’Ivoire, 495 déserteurs soit 7,5% de l’effectif des travailleurs ,999 cas d’invalidité (15% de l’effectif) et 252 décès soit 3,8% des recrues. Des problèmes naissent des tracasseries administratives ».

La migration des Mossis, une condition naturelle

Elle n’était pas seulement un fait colonial même si elle a été instaurée comme une obligation par la colonisation. Elle semble avoir des causes historiques, géographiques et économiques qui transcendent les desiderata des colons. C’est dans ce sens que Désiré Kaboré rappelle : « La Gold-Coast et la Côte-d’Ivoire, constituent, de par leurs situations géographiques et la richesse de leurs sols, des exutoires naturels des peuples voltaïques incontestablement peu favorisés par la nature »

Bertrand Ouédraogo (collaborateur)

Lefaso.net

Référence

 Kassoum Congo-Thème de Doctorat en Droit. Montpellier 1955 : « Conséquences de la colonisation sur la vie coutumière en pays Mossi ».

 Désiré Kaboré, chronique bibliographique, tome III : les mémoires annexes., P117

 Kamara Adama, Côte-d’Ivoire : l’intégration des immigrants voltaïques (burkinabè) en question (1920-1999) …Mémoire présenté à la faculté des Arts et des Sciences

 Marie-Eve Paré, L’institutionnalisation de la migration masculine chez les Mossis. Une étude d’un changement socioculturel au Burkina Faso. En vue de l’obtention du grade de maîtrise en anthropologie, août 2009-08-23 Copyright.

Source: LeFaso.net