Ils sont militaires, gendarmes, sapeurs-pompiers, volontaires pour la défense de la patrie…Sur le théâtre des opérations, ils ont laissé une partie d’eux-mêmes. Ils portent des séquelles à vie. Immersion dans l’univers des blessés de guerre. Des combattants qui, malgré leur situation difficile, ont toujours l’esprit en alerte, loin de tout regret d’avoir saigné pour la patrie. Reportage !

Lundi 15 juillet 2024, Ouagadougou. C’est cette date qui a été retenue pour rencontrer, avec son accord, le sergent A. Z. (que nous appelons par ses initiales pour des questions de sécurité ; et pour les mêmes raisons, les images dans ce reportage seront floutées). Cet intrépide combattant blessé au front réside dans un quartier non-loti de la capitale burkinabè. Avec la forte pluie tombée en matinée, le sol est humide, ce qui rend l’itinéraire pénible jusqu’à l’habitation du soldat.

Sur la terrasse, les enfants jouent et conversent avec leur mère en langue bambara. Le sergent est marié et père de quatre enfants. Son épouse, Adèle, est vêtue d’une robe jaune et noire. Ses tresses mettent en valeur les traits de son visage. Toute cette apparence de sa femme, l’époux l’ignore, puisqu’il a perdu la vue. Assis sur un fauteuil au salon, « le faucon » (son nom de guerre) devise avec un ami, ancien miliaire qui est venu lui rendre visite. Le sergent a pris le soin de porter des lunettes de soleil de couleur noire, pour couvrir ses yeux. Il est vêtu d’une tenue de sport. Les murs de son salon sont ornés de quelques photos du soldat actif qu’il était. Sur ces portraits du passé, A. Z. affiche une bonne mine dans sa tenue militaire. Mais aujourd’hui, les choses ont changé.

Le mois de septembre 2022 restera à jamais gravé dans sa mémoire. En mission de sécurisation dans une localité de la province du Soum, région du Sahel, il va être gravement blessé lors d’une attaque terroriste.

Revenir sur le film de cet évènement réveille une certaine hantise en lui. « Je ne veux pas entrer dans les détails », dit d’un ton ferme le sergent. Malgré tout, il décide de rouvrir ce chapitre effroyable de sa vie. Il explique que durant l’attaque, une roquette a explosé. Il est gravement touché et perd connaissance. Le combattant est évacué par hélicoptère au camp militaire Général-Aboubacar-Sangoulé-Lamizana où il est pris en charge.

Son visage et le reste de son corps ont subi de graves brûlures. Il va subir trois opérations chirurgicales. Son œil gauche va lui être retiré. L’œil droit demeure, mais a été fortement endommagé ; ce qui l’empêche désormais de voir.

« On avait toujours espoir que j’allais recouvrer la vue. Mais la douleur était très intense. J’avais mal à la tête. Je ne pouvais même pas manger. Après deux opérations, les douleurs ont persisté, malgré les calmants. Pour me soulager de la douleur, l’œil a été retiré par le médecin », se confie difficilement le sergent A. Z. Pendant sa convalescence, la fille cadette du « faucon » est effrayée à chaque fois qu’elle l’aperçoit avec les séquelles de brûlures, se remémore-t-il.

En dépit de cette situation éprouvante, le moral du soldat de 34 ans n’est pas en berne. Sa famille constitue pour lui un vrai lot de consolation. Il s’estime « chanceux » d’être en vie.

Le sergent A.Z. a intégré l’armée en 2009.

Heureusement, l’espoir n’est pas perdu pour le militaire. Il espère recouvrer ne serait-ce que partiellement la vue. Sa famille et lui ont le regard tourné vers le « toubib ». Son médecin souhaite le remettre une quatrième fois sur la table d’opération, afin de sauver son œil droit. Cet œil est très blessé et oblige le militaire à suivre un traitement.

« Souvent, quand les enfants sont joliment habillés ou coiffés, ils viennent me le montrer. Je suis obligé de faire semblant. Je touche leurs coiffures et tenues en disant que c’est très joli. Je fais semblant comme si je voyais et j’apprécie. Mais présentement, ils ont su que je ne vois plus. Je ne peux plus retrouver la vision comme avant. Mon plus grand souhait, c’est de pouvoir voir ne serait-ce que légèrement le visage de mes enfants et de mon épouse », soupire le combattant.

« Si je n’étais pas resté en vie, ma famille n’allait pas souffrir »

Pendant les échanges, Adèle vient prendre place auprès de son époux. Elle peine à délier sa langue. Sa voix et ses yeux trahissent ses émotions. Pendant les quelques minutes où elle s’exprime, elle ne parvient pas à dissimuler son amertume. « Ton mari ne peut ni te voir, ni voir tes gestes » est la première phrase qu’elle prononce. Son époux, assis à proximité d’elle, l’écoute religieusement, sans mot dire.

Adèle (à gauche) a le cœur meurtri parce que son époux ne peut plus la dévisager.

Adèle s’en remet au Tout-Puissant. Elle se dit reconnaissante de voir le père de ses enfants auprès d’elle. Elle rappelle que certaines de ses sœurs (appellation qu’elle donne aux autres conjointes de soldats) n’ont pas eu la même chance, car étant désormais veuves. Elle « remercie le Seigneur » et invite toutes les conjointes dont les époux ont un handicap à se donner corps et âme à la prière.

Dans un autre quartier de la capitale, cette fois-ci loti, une famille partage elle aussi les séquelles de la guerre. L’adjudant A.K.O. est un élément du génie militaire. Âgé de 40 ans, l’homme au teint ébène présente la silhouette d’un basketteur. Sa voix est aussi imposante que sa taille. En pénétrant dans le salon de sa demeure le mardi 16 juillet 2024, la lumière est tamisée. Une croix de Jésus et une statue de la Vierge-Marie sont posées sous le support de la télévision. Hormis du sparadrap collé à sa mâchoire, il semble avoir un physique intact. Mais cela n’est qu’une apparence. Seuls ses proches et lui-même savent ce qu’il endure au quotidien. Sur le front de la guerre, ce père de deux enfants a été surnommé « le brave » par ses éléments. Le mois d’avril 2020 est inoubliable pour le soldat. En mission dans une zone de la province du Loroum, région du Nord, les forces obscurantistes vont attaquer la base militaire qu’il codirige.

Les « boys » sont alertés par le bruit d’une roquette qui explose. La riposte s’engage alors pour contrecarrer l’ennemi. L’adjudant A.K.O. constate que l’effectif des assaillants dépasse celui de ses hommes. Il donne alors l’ordre aux soldats de procéder « à un repli tactique » pour mieux préparer la riposte. En allant s’approvisionner en minutions, un tir ennemi va toucher « le brave » à la mâchoire. Baignant dans son sang, il est désormais à la merci des terroristes. Il pense vivre alors les derrières minutes de son existence. Contre toute attente, l’un de ses hommes fait preuve d’héroïsme. L.T. prend le risque de revenir sur les lieux, malgré les tirs ennemis, pour sauver son supérieur hiérarchique.

« Il a dit ‘‘Chef, je savais que vous n’alliez pas partir aussi facilement ». Je n’avais plus aucun espoir de vivre. Je l’ai poussé en lui donnant l’ordre de repartir. Il a refusé. Il a attrapé mon arme et m’a porté non loin de la base pour essayer d’arrêter le sang », relate-t-il. A.K.O. affirme qu’il n’a pas été toujours tendre avec L.T. durant sa formation. Il confie avoir été très rigoureux avec lui, pour l’obliger à se surpasser au combat. Aujourd’hui, il est admiratif face à la bravoure de « son petit », comme il l’appelle en souriant.

L’adjudant souligne que les soldats se sont réorganisés le même jour où l’attaque a eu lieu et ont pu récupérer leur base des mains de l’ennemi. Quelques heures après l’attaque, il est héliporté à Ouagadougou pour des soins. Il est envoyé au Centre hospitalier universitaire Yalgado-Ouédraogo. Mais le militaire n’est pas au bout de ses peines. Ce jour-là, les médecins de l’hôpital sont en grève. « Le commandement a dû taper du poing sur la table et un chirurgien maxillo-facial civil a été dépêché pour s’occuper de moi », se souvient-il.

Après cet épisode, son calvaire va se poursuivre. Il va subir au total six interventions chirurgicales. La dernière date du mois de mai 2024. Son médecin procède alors à un greffage d’os pour reconstruire sa mâchoire. Il va passer quatre jours dans un coma artificiel.

« Le brave » a intégré l’armée en 2003.

À son réveil, « le brave » a le moral à plat. « C’est une date que je ne peux pas oublier, parce que cela a beaucoup affecté ma famille. Elle est affectée sur le plan psychologique. Lorsque je quitte l’hôpital, les enfants ne savent pas s’ils vont revenir trouver papa en vie ou pas. Cela a impacté négativement leur rendement scolaire. Souvent, je me dis que si je n’étais pas resté en vie, ma famille n’allait pas souffrir autant », soupire le soldat.

L’adjudant A.K.O., qui suit un lourd traitement, garde en souvenir les plaques et vis qui ont été placées pour reconstituer sa mâchoire lors de ses opérations chirurgicales.

N’empêche, il s’estime chanceux d’avoir une merveilleuse famille, des amis civils et militaires, sa hiérarchie et des médecins soignants qui se mobilisent pour l’encourager dans cette épreuve qui est loin d’être terminée. Il est fort probable qu’il passe pour la 7e fois sous le scalpel. Son organisme rejette le greffage de l’os à la mâchoire. Si son corps ne s’adapte pas, d’autres interventions vont être programmées. L’adjudant ressent toujours des douleurs physiques et poursuit son traitement. Il est sous une diète drastique. Actuellement, son alimentation est sous deux régimes : liquide et semi-lourd.

Un espace dédié aux blessés en opérations

Le centre d’accompagnement des blessés de la clinique du camp militaire Général-Aboubacar-Sangoulé-Lamizana a été inauguré au mois d’avril 2022. Ce bâtiment flambant neuf a été construit dans le but de permettre aux blessés de guerre d’avoir un cocon. Ici, ils papotent et se remontent le moral dans cette douloureuse épreuve commune qu’ils traversent. C’est également un lieu ludique. Sur la terrasse, une télévision écran plasma a été installée. Les habitués du centre s’informent à travers des programmes télévisuels. Dans une salle du bâtiment, une bibliothèque a été disposée. En outre, le centre a été doté d’ordinateurs. Le mercredi 17 juillet 2024, sur la terrasse, des combattants blessés, en convalescence, ceux devenus handicapés et leurs accompagnants jouent au babyfoot. Ils rient à gorge déployée. Ils sont très taquins les uns envers les autres durant le match. Grâce à cet espace, ils se détachent des séquelles de la guerre pour un bout de temps. Sur les lieux, il n’est pas rare d’apercevoir des soldats amputés de plusieurs membres (des pieds et/ou des bras), en fauteuil roulant ou utilisant des béquilles.

Le sergent S.N. du génie militaire est en charge de la gestion du centre d’accompagnement des blessés. C’est un homme qui affiche une mine sympathique. Il se joint aux autres joueurs de babyfoot. La partie de jeu s’annonce serrée. Les deux équipes mouillent le maillot dans une ambiance bon enfant. S.N. jouit d’une grande popularité parmi les blessés. Sa proximité avec eux en est la raison. « Et la santé aujourd’hui ? », « Vous allez bien j’espère ? », « Salut les gars ! », sont les phrases qu’il lance aux patients, le sourire aux lèvres tout au long de la journée. L’un de ses traits de caractère est la taquinerie. Il transmet sa bonne humeur aux hommes avant de s’installer dans son bureau.

Des combattants blessés, leurs accompagnants et le sergent S.N. en train de jouer au babyfoot.

Avant d’occuper cette fonction, le gestionnaire du centre a été sur le théâtre des opérations. Dans l’une de ses missions, il a été déployé dans une localité en proie au terrorisme (dans la province du Loroum, région du Nord).

Un jour de janvier 2022, le détachement dont il est le chef se rend en mission de sécurisation au marché de la localité pour permettre aux habitants de vaquer en toute quiétude à leurs occupations. Une fois la tâche accomplie avec succès, les éléments effectuent une derrière patrouille avant de rentrer à la base. Le pick-up dans lequel il est avec son binôme va sauter sur une mine. Il perd immédiatement connaissance. À son réveil, le lendemain, il se rend compte qu’il est à la clinique du camp militaire Général-Aboubacar-Sangoulé-Lamizana. Surpris, il interroge les infirmiers dans le bloc opératoire. Ils lui font savoir « avec douceur » que, malheureusement, lors de la mission, le véhicule a roulé sur une mine, se rappelle encore le sergent. Ses soignants lui font comprendre que pour préserver sa vie, il a fallu procéder à une amputation transfémorale. Il vérifie et constate effectivement qu’il a été amputé à la jambe gauche. S.N. est sous le choc.

« Mon membre n’était plus là. Comme toute personne, au début ce n’était pas facile. C’est naturel ; tu avais tes deux pieds et à ton réveil tu constates qu’un membre n’est plus là. Lorsqu’on l’a annoncé au vieux (son père), il s’est évanoui. Il a été placé sous perfusion. Il est venu d’une autre ville au camp avec ses poches de perfusion. Au début, il fallait que quelqu’un soit présent pour m’aider à tout faire. Certains proches s’évanouissaient en me voyant. C’était difficile à supporter. Au fil du temps, ils se sont adaptés », a-t-il dit avec une voix teintée d’émotion.

Le sergent S.N. s’est adapté à sa nouvelle vie et fait preuve de résilience. « Je me suis dit que si j’ai eu la chance d’être blessé, puis amputé et d’être en vie, d’autres n’ont pas eu cette chance », se réconforte-t-il. Il confie que l’une des plus grandes difficultés a été de s’adapter à la prothèse. Il lui a fallu une rééducation et des exercices personnels.

Le gestionnaire du centre est devenu le confident des blessés qui fréquentent le centre.

Marié et père de deux enfants en bas-âge, il a été interrogé à maintes reprises par ses bambins. « Papa, où est ton pied ? », ont-ils questionné par curiosité. Âgé de 34 ans, le gestionnaire du centre a trouvé un hobby avec sa progéniture. Il montre fièrement sur son téléphone des vidéos de ses séances de sport avec ses enfants à la maison, à ses frères d’armes présents dans son bureau.

« Sans la grâce de Dieu, je n’allais pas m’en sortir »

Dans la lutte contre l’hydre terroriste, les soldats du feu sont eux aussi en première ligne. Ils sont exposés à la mort, aux blessures graves et aux handicaps comme les autres combattants. Le mardi 16 juillet 2024, le sergent-chef B.P. s’est fait accompagner par son épouse au centre. En s’appuyant sur sa béquille, il s’assoit sur une chaise dans le bureau du sergent S.N., puis ils conversent. « Et la santé ? », questionne le gestionnaire du centre d’accompagnement des blessés. « Je vais beaucoup mieux », répond B.P. Le sergent-chef est un élément de la Brigade nationale des sapeurs-pompiers (BNSP).

Le sergent-chef B.P. est âgé de 35 ans et père de deux enfants.

Gravement blessé au combat, il relate les évènements du jour qu’il n’oubliera jamais. C’était un jour du mois de juillet 2022, dans une localité de la province du Sanmatenga, région du Centre-nord, « les bâtards » (nom qu’il emploie pour désigner les terroristes) ont attaqué la base militaire dans laquelle ses coéquipiers et lui sont installés. Ils sont venus nombreux, indique-t-il. Les balles fusent de partout. Un ennemi tire à bout portant sur le sapeur-pompier. Le soldat du feu est touché à la jambe gauche. Une fois au sol, il se met à ramper pour échapper aux forces du mal. Deux d’entre eux l’aperçoivent. Ils viennent à grande vitesse sur une moto pour l’achever. Par miracle, ils finissent par rebrousser chemin.

« Sans la grâce de Dieu, je n’allais pas m’en sortir. Ils étaient à 40 ou 50 mètres de moi. Je me suis dit que ma fin était proche. Ils ont fait demi-tour, pourtant je les voyais venir vers moi. À ce moment, j’ai repris confiance en moi et je me suis dit que ce n’est pas la fin. J’ai continué à ramper jusqu’à avoir des vertiges. Je me suis finalement évanoui », a-t-il retracé.

Le sergent-chef B.P. explique par la suite que ses compagnons l’ont retrouvé et transporté dans une charrette jusqu’au centre de santé. Là-bas, on lui administre les premiers soins avant son évacuation à Kaya (chef-lieu de la région du Centre-nord). Son cas étant délicat, il est transféré à la clinique du camp militaire Aboubacar-Sangoulé-Lamizana. La balle est extraite, mais la blessure est profonde. À force de ramper durant l’attaque, la plaie s’est infectée. La conjointe du sapeur-pompier, enceinte à l’époque des faits, a appris la mauvaise nouvelle. Sous le choc, elle va accoucher prématurément. Une césarienne a été nécessaire pour préserver sa vie ainsi que celle de son bébé. Heureusement, son fils et elle s’en sortent sains et saufs.

En deux ans, B.P. va subir neuf interventions chirurgicales. Il se déplace dorénavant en s’appuyant sur une béquille. D’autres opérations sont prévues pour améliorer son état de santé.

Le sapeur-pompier a montré une photo de sa jambe après l’une de ses opérations chirurgicales. L’état de santé de sa jambe s’est beaucoup amélioré, en témoigne cette photo prise le mardi 16 juillet 2024.

Le sergent-chef, qui a intégré l’armée en 2011, assure qu’il s’est armé de courage grâce à l’assistance et à la fraternité du commandement de la BNSP. Pendant plusieurs mois, il a été transporté de chez lui à l’hôpital par des éléments de la brigade. Ils se sont relayés également pour l’assister pendant ses soins.

Il faut relever que les combattants blessés en opérations bénéficient d’une prise en charge médicale entièrement gratuite. Les soins et les médicaments sont aux frais de l’État.

« J’ai vu la mort défiler sous mes yeux »

Dans la reconquête du territoire national, les gendarmes sont dans le viseur de l’ennemi. Après les attaques terroristes, certains d’entre eux sont marqués à vie. Direction la troisième ville du pays, dans la cité du cavalier rouge. C’est à Koudougou (région du Centre-ouest), dans sa localité natale, que le gendarme H.Y. a élu domicile. En raison de son admiration pour le personnage principal du film d’action « Hitman », à l’école de gendarmerie, ses promotionnaires l’ont surnommé « agent 47 ». C’est un homme dont le sens de l’humour facilite la conversation au premier contact. À seulement 30 ans, le Maréchal des logis (MDL) a un passé chargé d’histoire.

Le mois d’avril 2022 va le marquer pour toute la vie. En mission dans une localité de la province de l’Oudalan, région du Sahel, il effectue une patrouille de routine. Une fois le travail achevé, son équipe prend la route : direction le point de départ qui est la caserne. Dans son plan machiavélique, l’ennemi va placer un engin explosif pour piéger les combattants.

« Je marchais et tout d’un coup, j’ai entendu une détonation sous mes pieds. Une fois tombé, je me suis rendu compte qu’une partie de mon corps était en miettes. Mes deux jambes étaient sectionnées. Par reflexe, j’ai commencé à crier en disant « appelez l’hélico ». En ce moment précis, tu sais très bien que la seule chose qui peut te sauver, c’est l’hélicoptère », a-t-il raconté. La détonation a blessé de nombreux éléments. Mais l’état de « l’agent 47 » est plus critique. Malgré l’ampleur de la situation, l’infirmier sur place garde son sang-froid et administre les premiers soins aux blessés.

« Le sergent B est un héros. Il est très courageux. Il m’a placé des garrots sans paniquer et a appelé pour rendre compte. Le sergent B a commencé à m’encourager pour me tenir éveillé en attendant l’arrivée de l’hélico. Je commençais à me vider de mon sang. On est resté sous le soleil parce qu’on ne pouvait pas me déplacer. Il fallait éviter tout mouvement. Mes camarades se relayaient avec des cartons pour me protéger du soleil pendant quatre heures avant mon évacuation à Ouagadougou. J’ai vu la mort défiler sous mes yeux. J’ai pensé à tout ce que je n’ai pas fait durant ma vie. Je ne souhaite cette expérience à personne », a décrit le gendarme, en soupirant.

À son réveil à l’hôpital, il constate qu’il a subi une amputation transfémorale au niveau des deux jambes. Il est mis sous traitement pendant une longue période, parce qu’étant constamment malade.

« L’agent 47 » a intégré la gendarmerie en 2018.

Malgré son handicap, « l’agent 47 » a un mental d’acier. Il a même repris le chemin de l’université. « Je me suis mis à la lecture. J’ai aussi repris les études. Pour éviter de réfléchir, je ne me suis pas laissé une période de répit. Au début, j’appréhendais les apparitions en public. J’avais honte de rencontrer certaines connaissances à cause de mon état. Finalement, je me suis posé la question suivante : est-ce que j’ai volé ? Est-ce que j’ai fait du mal à quelqu’un ? J’ai combattu pour la bonne cause. Aujourd’hui, je mène une vie sociale active », affirme H.Y.

Le MDL refuse qu’on ait pitié de lui ou que certaines personnes l’appellent « le handicapé ». Selon sa philosophie, « le handicap, c’est dans la tête ». Il a fait savoir qu’il prend sa douche lui-même, cuisine et se rend à la boutique sans aucune aide.

Les VDP ne sont pas épargnés

Retour à Ouagadougou, plus précisément au centre d’accompagnement des blessés.

Ils travaillent en symbiose avec les Forces de défense et de sécurité (FDS) sur le théâtre des opérations. Ils célèbrent ensemble les victoires, mais partagent aussi les mêmes peines. Eux, ce sont les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP).

H.G. séjourne au camp militaire Sangoulé-Lamizana pour les besoins de sa rééducation. « Le kôrô » (comme on appelle couramment les aînés en terroir burkinabè) ou « le doyen », c’est ainsi que les autres blessés du camp l’ont surnommé. Le lundi 15 juillet 2024, en s’appuyant sur sa béquille, l’homme marche à pas de caméléon pour se rendre au bureau du sergent S.N. Dans son ensemble de sport bleu et blanc, il se fait aider délicatement par son accompagnant pour s’assoir sur une chaise.

« Entre blessés, on est devenus une famille », a dit, ému, H.G.

Dans un passé qu’il qualifie de nostalgique, avant les incursions des groupes armés dans sa localité située dans la province du Bam, région du Centre-nord, l’homme a été un point focal eau et assainissement à la mairie de la commune. Las de voir la population de son village subir les actes barbares et sommée par les terroristes de quitter la localité, il prend la décision de s’engager en tant que VDP en 2019.

Le regard fixe, il fait la causette avec des soldats. « Toute la population a fui. Nous nous sommes rendus dans une autre ville du pays afin de mieux nous organiser et repartir », souligne le VDP.

H.G. a combattu dans plusieurs zones en proie au terrorisme avant cette épreuve. Il s’en est toujours sorti sans aucune égratignure lors des affrontements avec les terroristes. Mais, un jour de mai 2023, en patrouille avec des militaires dans un village de la province du Bam, tout bascule.

Ce jour-là, les assaillants se sont terrés dans des habitations abandonnées. Ils tirent sur les VDP et les FDS qui répliquent vigoureusement, selon ses propos. Dans les combats, une balle ennemie le touche à la tête. Il perd connaissance et se réveille à l’hôpital du camp. Le VDP tente de se lever de son lit, mais sans succès. Il constate que la partie gauche (main et pied) de son corps ne répond plus. H.G. comprend alors que même si les médecins ont réussi à extraire la balle, elle a fait des dégâts.

Un stigmate de la balle sur la tête du VDP.

« En constatant que je suis paralysé du côté gauche, je vois que je suis en train d’abandonner la guerre. Je me demande quel jour je vais retrouver ma santé pour repartir au combat. On ne peut pas abandonner nos terres. C’est mon premier réflexe, celui de sauver ma famille et les populations », dit-il, un pincement au cœur.

Patriote jusqu’au bout

La famille du « kôrô » a trouvé refuge dans un camp de déplacés internes. Il est marié et père de six enfants. H.G est chagriné par leurs conditions de vie.

« En voulant combattre, il faut s’attendre au pire. J’avais préparé ma famille mentalement. J’ai dit aux miens que le jour où je ne serai plus là, soyez fiers de moi parce que je me suis battu pour une bonne cause. Ils ne sont pas découragés. Mais à mon niveau, je suis atteint moralement. Nous n’avons pas de maison. Ma famille dort sous des tentes déchirées. Il est difficile d’avoir à manger. Cela me préoccupe », confie-t-il. H.G. révèle qu’il se remémore toutes les attaques dont il a été témoin. Les souvenirs des combats le plongent dans la tourmente. À la fin des échanges, son accompagnant s’adonne au même exercice. Il aide le VDP à se lever de la chaise.

Malgré les lourdes opérations chirurgicales, les handicaps et les douleurs familiales, la fibre patriotique ne se fissure pas. Les six martyrs sont des « gandaado » (guerriers en langue nationale mooré). Pour eux, aucun sacrifice n’est de trop dans la lutte contre d’hydre terroriste.

L’état de cécité du sergent A.Z. n’a pas eu raison de son patriotisme. Il dit n’avoir aucun regret. « Au début, j’étais pressé de guérir pour repartir au front. S’il y a la possibilité de récupérer l’autre œil, rien ne m’empêche de retourner au front. Je jouis de tous mes autres membres », souhaite-t-il.

Même son de cloche chez l’adjudant A.K.O. dit « le brave ». Son seul projet est de contribuer au retour de la paix dans son pays qu’il aime tant. « S’il se trouve que mon placenta est enterré sur cette terre libre du Burkina Faso, rien ne peut me faire regretter mon sacrifice. Après mon rétablissement, je suis prêt à y aller (au front). J’ai été blessé en 2020. En 2021, je n’étais pas au top de ma forme, mais j’ai pratiquement passé encore huit mois sur le terrain. Je suis reparti au front. Pour le bonheur de ce pays, aucun sacrifice n’est de trop. Je suis prêt et je ne regrette pas », déclare-t-il d’un ton ferme.

Le gendarme H.Y. veut rendre justice aux populations victimes de la barbarie des terroristes. Avant d’être déployé sur le lieu de l’attaque qui lui a coûté ses jambes, il a été en mission dans une zone située dans la province de la Kompienga, région de l’Est. Il va être informé des exactions qui ont été commises par les groupes terroristes dans cette localité. « La population s’était habituée à nous. On nous a donné une semaine de permission pour rentrer chez nous. Dès qu’on est rentrés, les terroristes sont revenus et ont égorgé des personnes sous prétexte qu’elles ont collaboré avec des soldats. Leurs têtes ont été déposées sur la voie publique. Cela m’a révolté. J’ai eu envie de prendre mon arme et repartir au combat. J’ai très mal parce que je m’étais attaché à ces personnes. Leurs visages repassent en boucle dans ma tête. Si actuellement je pouvais combattre, naturellement, j’allais y aller même dans mon état. C’est un combat juste », insiste le MDL.

Le VDP H.G. ne regrette pas lui non plus. Mais « je pourrai regretter si rien n’est fait pour ces combattants qui ont choisi de défendre la patrie. Une fois handicapé, tu ne peux plus rien faire. Pourtant, tu as une famille. Il faut la nourrir et la soigner. Il faut que la population soit consciente du sacrifice. Je loge gratuitement au camp pour faire ma rééducation. Ce qui me revient cher, c’est la prise en charge de mon garde-malade. Comme je me déplace difficilement, il est toujours à mes côtés », souligne-t-il

Le sergent-chef B.P. est triste de ne pas pouvoir prêter main forte à ses frères d’armes à cause de son handicap. Lui qui s’est donné pour mission de libérer le Burkina Faso du cancer de terrorisme aux côtés de ses frères d’armes. « Aujourd’hui, je vois que mes camarades sont au front, j’ai mal. Il n’y a pas quelqu’un qui va aimer ce pays et ne pas être dans cette lutte. Cette lutte, qui la fera à notre place ? Même si je n’étais pas militaire et que j’étais bien portant, j’allais combattre », déclare-t-il.

Le gestionnaire du centre d’accompagnement des blessés, le sergent S.N., a bénéficié d’une formation en psychologie. Nonobstant les risques, il s’est porté volontaire pour se rendre à Djibo en décembre 2023 afin de s’enquérir de l’état psychologique des soldats.

À gauche, le sergent S.N. en mission à Djibo.

Cette mission fait suite à l’attaque qui a été repoussée par les forces combattantes en novembre 2023. « Ce jour-là, j’ai apporté ma contribution au bien-être de mes co-équipiers », confie-t-il avec fierté.

Les regards tournés vers le capitaine Ibrahim Traoré

Le 15 mars 2024, à Ouagadougou, le président du Faso, le capitaine Ibrahim Traoré a rencontré les forces combattantes blessées en opérations. C’était à l’occasion d’une conférence sur l’amélioration de leur prise en charge. Plus de 500 participants, dont 300 blessés de guerre, se sont réunis pendant 72 heures afin de mener la réflexion. Il s’est également agi d’aborder la question relative à leur réinsertion socio- professionnelle. L’une des doléances phares des blessés à cette conférence est l’instauration d’une journée pour leur rendre hommage.

Les parties prenantes à la conférence (crédit photo : Direction de la communication de la Présidence du Faso).

« Je demande aux autorités de jeter un regard vers les braves soldats blessés qui se sont sacrifiés pour cette nation. Ils ne le regrettent pas. Mais c’est à travers le traitement qui leur est réservé qu’ils peuvent regretter par la suite », commente le sergent S.N., qui a pris part à la rencontre. Les soldats blessés espèrent que les autorités, à brève échéance, apporteront une réponse à leurs besoins.

Fractures physiques, ruptures sentimentales…

En plus des séquelles physiques et psychologiques que subissent les combattants blessés, certains d’entre eux vivent une fracture relationnelle. Leurs conjointes prennent la poudre d’escampette.

En couple pendant cinq ans, le gendarme H.Y. est abandonné par sa partenaire, huit mois après son amputation. Il a la certitude que son handicap est la cause principale de cette rupture. Présentement, « l’agent 47 » est célibataire et n’a pas d’enfant, selon ses dires.

Des cas comme celui du gendarme sont fréquents, fait savoir le gestionnaire du centre d’accompagnement des blessés de la clinique. Le sergent S.N. confie ainsi que certaines compagnes de forces combattantes handicapées préfèrent mettre fin à leur relation. « Le blessé et sa famille doivent bénéficier d’une assistance psychologique, surtout sa conjointe. Certaines d’entre elles n’ont pas un mental d’acier. Je ne pense pas que ce soit lié au manque d’amour. Mais, souvent, elles ne parviennent pas à accepter la situation », analyse-t-il.

Heureusement, comme le souligne S.N., toutes les conjointes ne jettent pas l’éponge. Certaines restent au chevet de leurs partenaires et respectent la promesse faite le jour du mariage de vivre avec leur conjoint « pour le meilleur et le pire ». Et S.N. insiste pour remercier toutes les épouses qui s’évertuent à rester aux côtés de leurs maris blessés dans cette épreuve douloureuse.

Samirah Elvire Bationo

Lefaso.net

Source: LeFaso.net