Après l’accession à la souveraineté nationale et internationale de la Haute Volta en 1960, Maurice Yaméogo à la tête du jeune État a bâti une diplomatie équilibriste à l’endroit de ses voisins de la sous-région durant les deux premières années de son règne. Comment cette diplomatie a-t-elle été menée ? Quelles en sont les raisons ?

Pendant les premières années de son règne, la diplomatie de Maurice Yaméogo était empreinte de réalisme, d’équilibrisme et surtout de prise en compte des intérêts divers et contradictoires de la Haute Volta. Cette diplomatie est tributaire du contexte dans lequel le pays a accédé son indépendance. Le Pr Issa Cissé décrit un contexte marqué par un foisonnement de courants fédéralistes et anti-fédéralistes : « Les courants fédéralistes et antifédéralistes ont rivalisé lors de la marche vers l’indépendance surtout au moment de l’adoption de la loi cadre qui a eu pour conséquence la balkanisation des ensembles AOF AEF. En AOF, ils étaient incarnés respectivement par Senghor, défenseur du fédéralisme, et Houphouët-Boigny soutenait le morcellement de l’AOF. Malgré l’adoption de la loi cadre en 1956, et au cours de l’évolution de la communauté franco- africaine, Senghor, a réussi à mettre sur pied la Fédération du Mali. Elle a regroupé le Sénégal, Le Soudan français, la Haute-Volta et le Dahomey formant ainsi une diagonale en Afrique occidentale. Sous la pression de la France, et d’un Houphouët-Boigny qui n’entendait pas être marginalisé et isolé en AOF, Maurice Yaméogo a décidé de retirer son pays de ce début de processus d’intégration dans la sous-région ». Ce retrait a précipité la balkanisation de l’AOF, obligeant les États à ne signer que des accords de coopération et de bon voisinage et d’intérêts économiques.

Outre ces tentatives fédéralistes, un autre contexte a influencé la diplomatie de Maurice Yaméogo. Il s’agit de la naissance du groupe de Casablanca et de Monrovia. Pr Issa Cissé explique ce contexte en ces termes : « En outre, dans le cadre particulier de l’Afrique, après les indépendances, nous avons assisté à l’apparition de deux courants idéologiques avant la création de l’OUA en 1963. Il s’agit du groupe de Casablanca et de celui de Monrovia. Le premier a une tendance socialiste et entend poursuivre l’élan révolutionnaire du RDA d’avant 1950. Il est constitué du Ghana de Kwamé Nkrumah, de la Guinée de Sékou Touré, du Mali de Modibo Keita, noyau de la structure, élargie par la suite au Maroc, à l’Egypte et au gouvernement provisoire d’Algérie. Le Groupe de Casablanca ambitionne de faire l’unité africaine du Cap à Bizerte et d’Accra à Zanzibar. En guise de réplique aux révolutionnaires, il est apparu un autre courant, appelé groupe de Monrovia. Douze Etats francophones ont été à l’origine de la naissance de ce 2e courant, élargi après pour devenir une vingtaine d’Etats. Le groupe de Monrovia prônait une coopération égalitaire entre les Etats africains, un respect de l’intégrité territoriale, la non-ingérence dans les affaires intérieures, le rejet du panafricanisme supranational prôné par Nkrumah, et une volonté bienveillante à l’égard de l’Occident ».

La politique africaine de Maurice Yaméogo de 1960 à 1962, c’est-à-dire sa diplomatie au niveau sous-régional peut se décrire en ces termes selon Pr Issa Cissé : au niveau sous-régional, malgré l’insertion de la Haute-Volta dans la Mouvance du Conseil de l’Entente, Maurice Yaméogo n’a pas tout à fait suivi la politique pro-occidentale de cette organisation. Dans la conduite de sa politique sous-régionale, le 1er président a essayé d’exploiter la position géostratégique du Burkina, au cœur de l’Afrique occidentale tout en ayant à l’esprit les déterminants psychologiques, historiques et économiques.

En effet, pour éviter une large domination d’un des deux courants, auxquels nous avons déjà fait allusion, Maurice Yaméogo s’est tantôt rapproché de l’Afrique progressiste ; elle tenait le continent en haleine durant les années 1960 et ses leaders étaient Modibo Keita du Mali, Sékou Touré de la Guinée, Kwamé N’Krumah du Ghana et NASSER de l’Egypte. Stratégiquement, le Burkina (Haute Volta) aurait dû être un segment important susceptible de faire la jonction entre les pays qui composent l’axe Ghana-Mali-Guinée. A l’égard de certains de ces pays, le Burkina était obligé d’avoir une conduite bienveillante vis-à-vis du Mali. Une telle bienveillance se comprend dans la mesure où le Burkina avait brusquement donné dos à la Fédération du Mali, alors qu’au plan culturel, une bonne partie de ses populations de l’ouest est tournée vers le Mali.

La solidité de ces liens culturels a été prouvée lors de la reconstitution de la Haute-Volta en 1947, car ces populations de I’ouest avaient voulu demeurer rattacher au Soudan français. Du côté Ghanéen, en plus des liens culturels des peuples du sud-ouest avec ceux de l’autre côté de l’ex-Volta déjà souligné, un courant d’échanges important s’est instauré entre les deux pays. En 1961 et 1962 par exemple, Le Ghana a absorbé respectivement 77% et 48% des exportations du Burkina Faso. En mars 1962 Modibo Keita a effectué une visite officielle au Burkina. Au début des années 1960, 600 000 Burkinabè (Voltaïques) vivaient au Ghana. En mai 1961, Maurice Yaméogo a effectué une visite officielle au Ghana.

Au mois de juin, ce fut au tour des Ghanéens de venir au Burkina. Lors de leur séjour, des suggestions, sous une forme interrogative ont été formulées : « pourquoi ne pourrions-nous pas élaborer une constitution commune qui ferait que le Ghana et la Haute-Volta ayant les mêmes objectifs de chaque côté du fleuve Volta verraient la disparition des barrières qui les séparent. » Le 16 juin, un accord douanier est signé et parlait de « la liberté de mouvement des personnes et des marchandises ».

En se rapprochant ainsi du courant progressiste, Maurice Yaméogo entendait contrebalancer l’influence ivoirienne. Soulignons que le Burkina était également un complément stratégique pour l’axe Côte-d’Ivoire-Niger-Benin. L’ambition de Maurice Yaméogo, dans la mise en œuvre d’une telle politique extérieure équilibriste a été aussi le rapprochement des deux courants idéologiques en Afrique. Lors de la visite de Modibo Keita, cela a été perceptible dans les propos de Maurice Yaméogo : « Vous ne serez pas surpris, dit-il au président malien, ni moi-même d’ailleurs, de voir certains gangsters journalistes exploiter votre présence et les propos que vous avez tenus en Haute-Volta. Cela est si vrai qu’on ne manquera certainement pas de dire que la Haute-Volta est passée dans tel ou tel camp pour ne pas dire le camp de Casablanca. Or il faut qu’ils sachent que les deux Afriques qui sont représentées ce soir à Bobo par vous qui êtes de Casablanca et par moi-même qui suis de Monrovia, c’est la préfiguration tangible de l’unité africaine qu’aucune barrière ne saurait empêcher ».

 Pr Issa Cissé est enseignant chercheur au département d’Histoire et archéologie à l’université Joseph Ki-Zerbo

Wendkouni Bertrand Ouédraogo (collaborateur)

Lefaso.net

Référence

– ACTES DU COLLOQUE INTERNATIONAL : BURKINA FASO EN AFRIQUE ET DANS LE MONDE Du 23 au 25 novembre 2022 à l’université Joseph KI-ZERBO, TOME 2, Presses Universitaire, P 14-30

Réf : -Cent ans d’histoire du Burkina : 1895- 1995, p1010, Ibrahima Thioub

Cent ans d’histoires : 1985-1995, Yacouba Zerbo, p 1053

Balima (A.S), genèse de la Haute Volta

Source: LeFaso.net