Entre bilan de l’an II du pouvoir MPSR II et les perspectives, Franck Carl Nikièma, électrotechnicien, félicite les acquis engrangés par la transition et pose le curseur sur des préoccupations relatives aux modalités d’attribution des marchés publics au Burkina et le ‘’phénomène » des entreprises prête-noms derrières lesquelles, dit-il, se cachent des agents de l’Etat. Une pratique qui est, bien qu’interdite, et selon le responsable de « Gad General Electric », réelle, tue les entreprises privées et nuit à l’Etat à plusieurs niveaux. Dans cette interview, l’ancien cadre des mines, M. Nikiéma, félicite au passage l’adoption du nouveau Code minier, sur lequel il avait également interpellé les autorités ces dernières années.

Lefaso.net : On sait que vous êtes de ces Burkinabè-là qui suivent avec grand intérêt, les actions de gouvernance, au-delà même des questions qui touchent le monde des entreprises qui vous concernent directement. Le président du Faso a accordé, il y a quelques jours, un grand entretien, qui vient comme une sorte de bilan de ses deux années à la tête du pays et pour également présenter les perspectives. Quel commentaire vous inspirent cette sortie et le bilan à l’an II du pouvoir MPSR II ?

Carl Franck Nikiéma : J’ai suivi un chef d’Etat jeune mais qui s’assume. C’est vraiment un capitaine. Capitaine du navire national, qui essaie réellement de donner une lisibilité à ses actions et une direction à la société toute entière. J’ai remarqué que quand il s’agissait par exemple de parler de Barsalgho, il était vraiment peiné ; pas parce qu’il a failli, mais parce que la trahison est interne ; comme ils aiment à le dire, entre frères d’armes. Avec les témoignages, on se rend compte que des officiers supérieurs, qui ont été formés par le budget de l’Etat, se retournent contre ce même Etat, alors qu’ils avaient au départ une vision commune noble, qui est celle de combattre l’ennemi commun.

C’est vraiment peinant. Donc, sa situation se comprend, et avec le courage, il a su surmonter la situation et faire comprendre aux populations qu’il y a eu certes cette difficulté, mais nous allons vaincre, même si l’ennemi est à l’interne. Je retiens aussi qu’il a parlé de des fissures sociales et a appelé à la cohésion sociale. Il a rassuré le peuple et les populations qu’il est toujours prêt à défendre les intérêts du pays, même au prix de sa vie (comme il le dit lui-même, il a décidé de sacrifier sa jeunesse pour sauver le Burkina).

Deux ans de gestion émaillée également de nombreuses tentatives de déstabilisation, si l’on en croit au pouvoir !

Je dirai que les deux ans sont vite arrivés. Des gens disent qu’il (le président) a dit qu’il n’avait pas besoin de temps pour ramener la sécurité. Mais ils oublient que c’est comme en entreprise, quand vous rachetez une entreprise, c’est avec l’actif et le passif en même temps. Dès lors, vos projections vont dépendre de celui qui a fait l’audit ; s’il l’a fait honnêtement, vos projections vont tenir, mais s’il n’a pas été honnête dans l’audit et qu’il a caché certains passifs, c’est sûr que votre chronogramme prévisionnel sera faussé, ça va changer. Je peux dire que le président a été victime de cette situation ; c’est-à-dire qu’il y avait une situation (un passif) qu’il connaissait globalement, mais des détails qu’on a cachés à ceux qui n’étaient pas du pouvoir. Maintenant qu’il est lui-même dedans, il se rend compte que même certains qu’il considérait comme ses frères d’armes sont en réalité des complices de l’ennemi.

Dès lors, ça devient compliqué. Il lui fait donc travailler, je me dis, à faire d’abord le tri, c’est-à-dire faire le choix des personnes, des actions. Et comme lui-même a dit que tout est urgent, il fallait l’urgent dans l’urgence. Donc, on comprend que ce n’est pas simple, il fallait vraiment avoir le discernement pour le faire et je pense qu’il est toujours dans cette dynamique avec la reconquête du territoire. En dehors du front sécuritaire, il y a des secteurs stratégiques comme la santé, où il a fait des reformes et allégé des frais de certaines prestations. Il y aussi les secteurs de l’administration publique, de l’éducation, l’agriculture avec l’offensive agro-alimentaire et bien d’autres initiatives. Si je prend également le domaine de l’énergie, il a osé avec le projet de la centrale nucléaire.

Dans le secteur minier, on a vu qu’il s’est attaqué à un dossier sur lequel nous avons plusieurs fois interpellé les gouvernements et les pouvoirs passés. Il y a eu enfin la relecture du Code minier tel que nous le souhaitions en faveur du pays et avec le lancement du processus d’industrialisation nationale. C’est vraiment courageux et visionnaire. Voyez-vous donc qu’il a été, durant ces deux ans, sur plusieurs fronts stratégiques à la fois. Au regard des défis, on peut vraiment le féliciter et comme on le dit, l’encourager et souhaiter qu’il fasse toujours mieux. Et je crois que c’est dans cet esprit d’ailleurs qu’il fait régulièrement les sorties de presse pour informer le peuple de sa gestion, des acquis engrangés, des difficultés rencontrées et pour lui dire qu’il comprend ses attentes et qu’il travaille à améliorer les choses.

Selon vous, quelles doivent être les actions sur lesquelles il doit mettre l’accent en cette troisième année ?

Personnellement, je me réjouis énormément parce qu’on n’a pas prêché dans le désert. Avec les actions déjà réalisées, on peut dire ‘’enfin ! ». Je veux parler par exemple du Code minier, sur lequel nous avons pendant plusieurs années interpellé les pouvoirs à plancher dessus parce que le pays perdait beaucoup (Carl Franck Nikiéma a travaillé dans des sociétés minières en tant que cadre avant de se lancer dans sa propre entreprise.

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Notre second cheval de bataille, ce sont les marchés publics. Vous savez qu’ici au Burkina, nous avons ratifié beaucoup de textes internationaux, notamment dans le cadre de la CEDEAO, de l’UEMOA. Mais on se rend compte que derrière ces textes, il y a des puissances, des multinationales. Ce sont des textes qui permettent en réalité aux multinationales d’occuper nos marchés, en s’affranchissant de plusieurs taxes. C’est une situation qui défavorise les entreprises de la CEDEAO, de l’UEMOA et les entreprises nationales. C’est pourquoi avec l’AES, il faut que les dirigeants restent vigilants sur ces questions à grands enjeux. Nous allons gagner la guerre terroriste, mais il faut que nous nous positionnons sur le front économique.

Tant que nous ne verrons pas les multinationales comme un danger, l’appauvrissement des entreprises nationales va davantage s’accentuer. Je vous explique pourquoi. Une multinationale vient pour le profit. Et qui donne l’opportunité aux multinationales de venir, c’est notre modèle économique. Au Burkina, on regroupe un seul marché à des coups de milliards et on dit que pour soumissionner, il faut avoir fait tel chiffre d’affaire (en plusieurs centaines de millions ou en milliards) et avoir exécuté des marchés similaires. Dès lors, les entreprises nationales, surtout les jeunes entreprises, sont exclues, au profit des multinationales qui viennent prendre les marchés avec des critères que nous-mêmes avons établis.

Une fois qu’elles ont acquis les marchés, ces multinationales reviennent ensuite pour sous-traiter avec les entreprises nationales et avec leurs propres conditions qu’elles imposent aux entreprise locales, qui vont faire le travail sur le terrain pour elles. Et même là, il y a un autre problème, qui est que le Burkina n’a pas de législation en matière sous-traitance. Donc, les entreprises nationales sont jetées par l’Etat lui-même à la merci des multinationales, qui rapatrient les Fonds dans leurs pays d’origine et donnent des miettes aux entreprises nationales, qui sont obligées de prendre pour pouvoir subsister, pour faire le travail sur le terrain.

Cela voudrait dire que le problème n’est pas celui de compétences des entreprises nationales, puisqu’au finish, ce sont elles qui font le travail des multinationales et elles connaissent mieux le terrain. Et c’est ainsi dans tous les domaines, des BTP aux énergies en passant par bien d’autres secteurs d’activité. Avec ces gros marchés que l’Etat lance et qui reviennent aux multinationales, on affaiblit les entreprises nationales, qui ne peuvent jamais négocier en étant de force dans la sous-traitance. C’est vraiment un grand souci pour les entreprises burkinabè.


Qu’est-ce qu’il sied donc de faire ?

Il faut morceler les gros marchés. Prenons l’exemple dans le domaine que je connais et sais faire le mieux : les énergies. Imaginez, on lance la construction d’une ligne électrique de dix kilomètres. Au lieu de confier la totalité du lot à une seule entreprise, on peut prendre dix entreprises, soit un kilomètre par entreprise. La même chose que fait en réalité la multinationale, quand elle gagne un tel marché (elle sous-traite avec dix entreprises nationales et à des prix bas). On peut même faire mieux, en éclatant le marché pour la confier par exemple à cinq entreprises, et on dit à chaque entreprise de construire un kilomètre et quand une entreprise avance bien sur le travail (à un certain pourcentage) par rapport au timing imparti, on lui ajoute un autre kilomètre.

Du coup, on gagne en performance, en qualité et on va travailler dans le temps. Et les entreprises qui ne seront pas performantes n’auront que leurs yeux pour pleurer, elles ne pourront accuser personne pour cela. Ça va éviter que des entreprises aient sous la main cinq, dix, vingt commandes en même temps et sur lesquelles, elles n’avancent même pas, pendant que d’autres, de par les critères budgétaires de gros marchés exécutés, n’ont même pas une seule commande.

Aussi, si on scinde en plusieurs lots, que des entreprises nationales arrivent à avoir les marchés, ça va résoudre plusieurs difficultés de la société, en ce sens qu’une entreprise comme GAD General Electric, quand elle a des travaux dans une localité, elle sensibilise en même temps les jeunes sur les fléaux comme le VIH/SIDA, le phénomène de la drogue et des boissons frelatées. Elle prend aussi attache avec les personnes-ressources de la localité (chef de terre, chef de village, la mairie, le préfet, etc.,), pour leur demander de désigner un certain nombre de jeunes qui vont travailler comme ouvriers. L’objectif ici, c’est non seulement de créer de l’emploi, mais surtout de former une ressource humaine, parce que nous faisons en sorte qu’à la fin des travaux, ces jeunes aient le minimum d’expertise pour pouvoir faire les dépannages de routine et l’entretien des infrastructures.

Et ces jeunes à qui nous confions cette tâche reçoivent une paie mensuelle pour cela. Depuis trois à quatre ans également, et en plus de ce que je viens de vous dire, nous avons mis en place un programme spécial pour les PDI. Nous les prenons par dizaines sur nos chantiers pour emploi durant le temps des travaux et pour les former aux petits métiers des énergies, parce qu’on se dit qu’avec les réinstallations des populations, ce sont des aspects qu’il faut préparer. Si les jeunes sont formés aux installations et dépannages de l’énergie solaire par exemple, ce sont les conditions de vie qui vont s’améliorer et le processus de réinstallation va se trouver quelque part facilité. C’est aussi notre accompagnement aux efforts des autorités dans le combat pour la reconquête du territoire et le retour des populations dans leurs localités.

Donc scinder les gros marchés résout à la fois vos préoccupations et beaucoup de problèmes dans la société ?

A condition de s’attaquer également à cette autre gangrène : ces fonctionnaires qui détiennent des entreprises écrans, des prête-noms et qui s’octroient des marchés de l’Etat.

Ça existe vraiment ?

C’est un véritable problème, des fonctionnaires ne s’en cachent même plus. C’est très fréquent, il suffit d’aller à la Maison de l’entreprise, menez vos investigations, vous serez ébahis. Allez-y dans certaines sociétés d’Etat, vous n’aurez même pas besoin de faire des investigations, des agents sur place vous donnerons des responsables ou travailleurs qui y ont leurs entreprises et qui prennent les marchés lancés par leurs propres services. Si on mène une petite enquête, en moins d’une semaine, on va prendre beaucoup dans ces pratiques.

C’est ce que j’appelle la concurrence déloyale (on connaît les quelques domaines dans lesquels la loi permet aux fonctionnaires d’entreprendre) ; des gens qui sont dans un service, dans une société d’Etat, où on lance des marchés, eux-mêmes sont contrôleurs des travaux et ils ont une entreprise derrière. Comment les vraies entreprises peuvent-elles s’en sortir ? Regardez jusqu’à quel point ils nuisent à l’économie : ils utilisent le matériel de l’Etat, après avoir été formés par l’Etat (formation professionnelle), ils consacrent leur temps de travail à leur entreprise en étant à leurs services et aux heures ouvrables, ils monnaient leurs compétences à l’Etat, pourtant ils sont payés pour faire le travail. Ils sèment même la confusion auprès de certains usagers, parce qu’on ne sait pas à quel moment l’agent fait le travail dans cadre de l’administration et à quel moment il le fait en prestations.

Mais, je me dis que les fonctionnaires honnêtes devaient dénoncer les brebis galeuses, parce que beaucoup sont connus. Ces fonctionnaires véreux-là nuisent à tout le monde, au contribuable, à l’économie parce qu’ils ne paient pas certaines taxes, ils connaissent les rouages et ce sont eux qui sont à certains niveaux de traitement des dossiers. Les syndicats doivent se saisir de ces questions, eux qui luttent pour l’amélioration des conditions de travail et de vie des travailleurs, pour ne pas que ces brebis galeuses sapent le rendement de l’administration et les efforts des agents honnêtes, intègres. Nous pensons que la lutte au niveau des syndicats doit aussi intégrer ces aspects, de sorte que nous, en tant qu’entreprises, ne soyons plus là à dénoncer ces comportements nuisibles à toute la société. Si le secteur privé ne tourne pas, à un moment donné, les choses vont se bloquer.

Les syndicats et agents de la Fonction publique doivent dénoncer les brebis dans leurs rangs, parce que ceux qui ont des entreprises en leur sein ne paient même pas l’impôt ; leurs entreprises sont dans leurs sacs. Et comme ce sont eux-mêmes qui s’octroient les marchés, ils n’ont pas besoin de remplir des conditions qu’ils demandent aux vraies entreprises, comme les locaux de l’entreprise. Franchement, certains fonctionnaires font un grand mal au pays. Ils utilisent les locaux de l’administration, le matériel, le carburant, les véhicules de l’Etat… etc. Même des pause-cafés dans les ateliers, des rencontres organisées par l’Etat, ce sont eux encore à travers des prête-noms ou des proches (femmes, enfants, belle famille, cousins, etc.) qui sont sollicités. Jusqu’aux hôtesses, quand c’est nécessaire.

C’est triste ! Déjà qu’avec les marchés de l’Etat, lorsqu’une entreprise finit d’exécuter, c’est la croix et la bannière pour se faire payer. Alors que l’entreprise contracte souvent des prêts pour exécuter les marchés. Tu déposes ta facture, pour avoir paiement, tu peux faire une à deux années. Combien de banques acceptent accompagner réellement les jeunes entreprises ? Souvent, c’est quand tu pars quelques mois après pour te renseigner sur la position de ta facture, qu’on va te dire là-bas que sur la facture-là, il y a une erreur, il fallait écrire ceci au lieu de cela. De toute façon, ils vont trouver quelque chose pour que tu puisses aller reprendre. Et là, c’est parce que tu es allé même demander à quel niveau se trouve ta facture, sinon personne ne va t’appeler et toi aussi tu vas attendre éternellement.

Ou bien tu arrives et on te dit que ta facture est dans le circuit de traitement, plusieurs mois après le dépôt. Pendant ce temps, l’entreprise a des charges fixes, les banques bousculent (parce qu’aujourd’hui, même les domiciliations ne suffisent pas, elles vont te dire d’envoyer des garanties, un PUH, etc.). Dans une telle situation, comment les jeunes entreprises, les débutantes, qui sont à leurs premiers marchés, peuvent-elles s’en sortir ? C’est dire que durant tout le temps que va prendre le paiement, l’entreprise aura du mal à être efficace ou à exécuter d’autres marchés, parce que le peu qu’elle avait, a été investie dans des marchés précédents où on tarde à le payer.

Mais, ils te diront que si tu n’es pas forte financièrement (l’entreprise), il ne fallait pas prendre le marché. Oubliant que l’entreprise n’est pas forte financièrement à cause du laxisme et de la médiocrité de certains agents même de l’administration. Si on veut que les travaux soient efficaces et finissent dans les délais, il faut des mécanismes adéquats qui accompagnent ces marchés comme le suivi et traitement diligents des factures, le pré-financements, etc. Il faut crever l’abcès sur ces questions, surtout ces fonctionnaires qui ont des entreprises pour s’octroyer des marchés de l’Etat.

Vous avez pourtant une organisation de professionnels, et même un patronat, pourquoi n’approchez-vous pas par exemple le président du Faso sur cette préoccupation cruciale en violation des lois et ces pratiques immorales ?

Il y a des structures qui peuvent gérer ces questions, nous pensons que le président du Faso est déjà chargé avec la gestion du front sécuritaire et la reconquête du territoire. Il y a le gouvernement, avec chaque ministre qui travaille dans son domaine respectif. C’est vrai que je suis le secrétaire général de l’APET-BF, pour dire que notre tutelle, c’est le ministère de l’Energie, la SONABEL, la SONABHY. Et nous avons déjà déposé des courriers à ce niveau. Même par le biais d’une autre structure, le syndicat des électriciens. Nous avons fait les premiers pas, c’est aux différents responsables à ce niveau de nous faire appel. C’est d’ailleurs ce que nous pouvons faire : faire des propositions et déposer.

Pour ces questions, le chef de l’Etat n’a pas besoin d’intervenir et d’interpeller quelqu’un, chacun doit faire son travail. Quand vous voyez que nos entreprises sont asphyxiées, qu’elles ne sont pas viables, c’est parce que quelque part, certains de nos fonctionnaires qui devraient faciliter la tâche sont plutôt des freins à l’évolution et à l’épanouissement des entreprises et partant de notre économie. C’est vraiment déplorable pour le pays. Voilà pourquoi je dis que les syndicats doivent se lever contre les agents qui travaillent à détruire même l’Etat, notre bien commun. Chacun doit assumer son poste de responsabilité, en toute honnêteté. Si on t’a nommé à un poste, il faut vraiment travailler à montrer qu’on le mérite ou même qu’on mérite mieux.

Si chacun fait ce qu’il doit faire, nous aurons un lendemain meilleur. Le chef de l’Etat n’a pas besoin de dire à quelqu’un de travailler. Des gens sont payés par mois pour le travail qu’ils sont censés faire, et comme si cela ne suffisait pas, ils vont s’asseoir et traîner sur les dossiers de ceux qui ne vivent que de leurs prestations et dont l’évolution dépend de l’administration. C’est méchant. Une entreprise, qu’elle ait un marché ou pas, il y a des charges fixes qu’elle doit payer. Des agents se plaisent à faire retarder certains actes et/ou vous font comprendre que vous devez débourser quelque chose pour que lui fasse le travail qu’il est supposé faire et pour lequel il est payé par l’Etat, donc par le contribuable. Avec ça, on ne peut pas être des entreprises compétitives.

L’Etat forme des agents pour l’aider et eux, ils utilisent les compétences qu’ils ont reçues de la formation pour voler l’Etat, nuire aux entreprises et à l’économie nationale. C’est dire qu’une entreprise créée par un fonctionnaire équivaut à plusieurs entreprises privées tuées. J’insiste sur ça, parce que ça fait très mal ; c’est du terrorisme économique. Quand on dit que les jeunes n’entreprennent pas, mais avec ces esprits, comment peuvent-ils le faire ? Les jeunes s’informent, ils voient ce qui se passe. Ils se découragent. Souvent vous voyez à la télé, une rencontre avec des jeunes entrepreneurs, vous êtes surpris de ne pas avoir l’information. Mais quand vous regardez bien, vous vous demandez c’est où ils entreprennent, vous les cherchez en vain.

On va aller rassembler des gens pour faire de la communication et du tapage, mais au fond, rien. Même les structures de financement de jeunes, ce sont des formations à n’en point finir et lorsque vous finissez et montez votre projet pour déposer, ce sont des montants dérisoires qu’on va vous donner, sachant que la demande de financement a été faite sur la base d’une étude, si vous n’avez pas la somme, vous n’allez pas pouvoir vous lancer. Et même que ces montants, c’est à payer en une année. C’est pour toutes ces raisons que moi, personnellement, j’ai toujours refusé ces financements. Des microfinances qui financent sur une année et à un taux de 20%, quand même ! C’est tout cela le passif dont je parlais plutôt haut et dont le MPSR II a hérité.

Parlant de compétitivité, vous avez pris part, en fin septembre 2024, à une rencontre d’hommes d’affaires sino-burkinabè, quelle est la pertinence d’un tel cadre dans le statut du Burkina ?

Le cadre est, en lui-même, une bonne chose. Comme on le dit, toute initiative est bonne à saisir, il faut toujours voir le verre à moitié plein qu’à moitié vide. C’est pour cela que je ne suis pas dans les dénonciations, mais plutôt dans des propositions. Nous nous sommes rencontrés, et comme vous savez, ce genre d’activité, c’est cérémonial ; l’objectif, ce sont les rencontres B to B, les contacts pour que les échanges puissent se poursuivre. Ça a été fait, et comme c’est un début, nous voulons aussi qu’à un niveau donné, les ministres concernés puissent s’inspirer. S’inspirer de quoi ? De ce que nous disons. Nous avons tous reçu les mêmes formations.

Seulement, ce qui nous empêche d’être à leur niveau (au niveau des Chinois, ndlr), c’est l’opportunité d’exercer ce que nous avons appris. Si ici, ne serait-ce que les mairies faisaient la concurrence dans les initiatives, c’est-à-dire que par exemple, une mairie X dit qu’elle a aménagé des terres cultivables et ceux qui veulent peuvent venir louer l’hectare à 10 000 FCFA la saison. Une autre mairie Y en fait de même et dit qu’elle fait mieux en donnant un sac d’engrais par hectare et à la récolte, la mairie prend 10% de la récolte et l’ensemble de ce qu’elle va prendre chez les bénéficiaires va constituer une banque céréalière pour la commune. Vous verrez que les investisseurs et tous ceux qui veulent se lancer dans l’agriculture vont y aller et tout le monde gagne.

Si des communes aux alentours de Ouagadougou le font, vous verrez le dynamisme d’activités que ça va créer. Idem pour d’autres secteurs comme l’énergie et bien d’autres, où les mairies peuvent dire que quelqu’un qui vient installer une unité d’huilerie dans leur communes, on lui offre gratuitement le terrain et il est exempté de taxes pendant deux ans. Ou encore offrir des avantages contre la formation de jeunes de la commune dans un secteur précis. Des communes peuvent même attirer des investisseurs par leurs spécificités, il suffit de creuser et vous trouverez. A-t-on besoin pour cela qu’un Chinois, un Français, un Russe viennent nous aider à nous développer ? Cette concurrence saine à l’interne déjà, c’est un préalable pour pouvoir traiter d’égal à égal avec les autres.

Et du coup, on va faire barrage à ce bradage de terres dans nos localités pour créer des activités économiques profitables à tous. Il faut que nous ayons une vision. Les Chinois et autres que nous courtisons aujourd’hui sont passés par des étapes à l’interne avant d’atteindre le niveau que nous voyons. Nous, nous voulons sauter des étapes, sans même régler le basique qui est à l’interne. Ce travail interne est nécessaire pour se donner confiance soi-même, avoir l’expertise. Un immeuble ne peut pas être ce qu’il est, sans une fondation solide. Le design, les carreaux…tiennent à cause de ce qui est en bas et qu’on ne voit pas. Donc, il faut que nous construisions d’abord notre base. Nous allons négocier avec les Chinois sur quelles bases ?

C’est pour qu’ils nous aident où et comment ? C’est quelque chose qui doit être holistique : nos mairies, remplacées aujourd’hui par les délégations spéciales, notre administration, nos syndicats…doivent s’inspirer de ce que les autres ont fait pour être là où ils sont. On n’intercepte pas le train en circulation pour vouloir monter, non ! On ne peut pas prendre un seul aspect, c’est l’ensemble du processus qui a conduit les autres à ce niveau qu’il faut prendre en compte. Qu’est-ce qui les motive à être ainsi ? Comme on le dit chez les Mossés, l’éducation est la mère de conseils ; pour dire que lorsque tu as une bonne éducation, quand on te conseille, tu vas mieux t’approprier ce qu’on te dit. Mais si l’éducation est biaisée, on a beau te conseiller, ça ne mènera nulle part.

En résumé, la rencontre a été louable, mais personnellement, elle m’a beaucoup fait réfléchir. Et c’est le fruit de ma réflexion que je viens de vous partager. L’Etat chinois a d’abord eu confiance aux entreprises locales, pas aux multinationales. Il a osé faire des œuvres immenses, si fait qu’aujourd’hui, la Chine exporte ses expertises à l’international. La Chine a préparé ça à l’interne. Il faut que nous aussi ayons ce courage de travailler à l’interne, dire qu’une entreprise ne peut pas gagner à la fois trois ou quatre marchés pendant que certaines vont passer toute l’année avec pratiquement rien. Combien de mairies/PDS ont fait le point du nombre de petites entreprises et leur secteur d’activités dans leur commune ?

Il y a donc du chemin … !

On a vraiment du chemin à faire. Et ce qui fait mal, ce n’est pas qu’on n’a pas la solution, on a la solution, mais hélas ! Il faut provoquer une concurrence saine à tous les niveaux et localités. C’est quand nous allons nous préparer à l’interne, passer par les étapes qu’il faut, remplir les conditions, que lorsqu’un Chinois va venir, on pourra discuter, se tutoyer et aller dans la même vision. Je ne dis pas que la rencontre n’est pas bonne, elle est même à saluer, mais voici ce qu’on aurait dû faire. Il faut qu’on se donne les chances de pouvoir traiter d’égal à égal avec les autres. Quelle que soit la pertinence de vos projets, si vous n’êtes pas passé par certaines étapes, ça ne peut pas marcher, vous allez rester à la traîne.

Interview réalisée par O.L

Lefaso.net

Source: LeFaso.net