Maintenant que les assises ont eu lieu, et que la prolongation est faite pour un mandat de président du Faso, après toutes ces émotions vécues par ceux qui étaient dans la salle et en dehors, et si l’on regardait sereinement le spectacle que l’on a donné au monde de nos us et coutumes politiques ? Il a plu à certaines belles âmes, au nom sûrement d’un certain développement endogène et de sa conformité à notre culture messianique. Mais il y avait matière à donner du chagrin à d’autres.

Maintenant que la pression est tombée, peut-on se demander pourquoi nous avons agi ainsi ? Ce que l’on vient de faire à la va-vite, a-t-il été bien fait au moins ? Même si certains étaient absents, y a-t-il eu débat ? Pourquoi une prolongation de cinq ans pour quels objectifs ? Un pays peut-il raisonnablement refuser de se parler et de discuter de sa survie, car le terrorisme, les groupes terroristes sont une menace existentielle pour notre pays ? Peut-on vraiment convoquer des assises nationales sans ce sujet à l’ordre du jour ? Tout peut-il se résumer à la conservation du pouvoir ?

En apparence, le capitaine Ibrahim Traoré sort de ces assises comme le grand gagnant, mais c’est plutôt le contraire. Il est bénéficiaire parce qu’il reste au pouvoir pour cinq ans encore et a le droit de se présenter aux futures élections. La charte lui donne des pouvoirs comme le quota de nommer des députés à l’Assemblée législative de transition et, naturellement, ceux de nommer les ministres sur proposition du Premier ministre qu’il aura nommé. En plus de ces pouvoirs, il a aussi, ce qui est nouveau, celui d’un organe que les participants aux assises nationales ont eu l’obligeance de le laisser, à sa discrétion de le composer et d’en donner le fonctionnement.

Où est le vice caché ?

Ils ont simplement dit son nom, Korag, dont on ne sait pas plus, sauf qu’il doit « suivre et contrôler la mise en œuvre de la vision stratégique du pays dans tous les domaines et par tous les moyens ». Avec la charte révisée de la transition, le président a plusieurs leviers entre ses mains. On ne peut pas parler d’indépendance de l’Assemblée législative vis-à-vis de l’exécutif, puisqu’il en nomme certains membres. La constitution a déjà été modifiée pour régler la question de l’indépendance de la justice et le Conseil supérieur de la communication nouvelle formule veille sur la presse. Après avoir tant obtenu et si facilement, la question qui vient à l’esprit est où se cache le vice ? Le jeune capitaine a sûrement éprouvé ce malaise en tant qu’acheteur, après avoir acheté une marchandise moins chère, et vu la satisfaction du vendeur, a eu le sentiment de s’être trompé sur la qualité du bien et de ne pas avoir fait finalement une bonne affaire. En tous cas à sa place, c’est notre sentiment. Nous avons vu dans ces assises un homme seul, accablé de tâches, devant tout faire, tout faire seul.

Entreprise colossale de destruction de l’image du jeune capitaine

Après toutes les attentes de l’opinion sur ces assises, comment l’armada de communicants qui entoure le chef de l’État, le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR2) et le gouvernement ont laissé faire ce qui est une entreprise colossale de destruction de l’image du jeune capitaine qui disait n’être pas intéressé par le pouvoir si ce n’est la restauration de l’intégrité du territoire ? Comment avoir laissé changer notre chef de guerre en un assoiffé de pouvoir qui, après deux ans, prend cinq ans et en redemande pour les futures élections ? Comment a-t-on pu le convaincre qu’il pouvait se passer de bilan, qu’il lui suffisait pour cela de réduire cette rencontre de construction d’un contrat social en un amendement du texte de 2022 ?

En refusant de faire un bilan de la lutte contre le terrorisme à ces assises, bilan qui motiverait la prolongation de l’échéance de la transition, on a accrédité l’idée que les militaires n’ont pas pris le pouvoir pour mettre fin à l’insécurité et que cette question ne conditionne pas leur survie au pouvoir. Au lieu du motif d’intérêt général pour le pays, le coup d’État est ravalé à celui de capter le pouvoir, un pouvoir que l’on concentre entre des mains.

Attention au destin des messies

C’est comme si c’était un homme qu’on a conduit à l’échafaud. Les peuples qui veulent des messies sont aussi ceux qui les mettent en croix, mon capitaine souvenez-vous en. Ceux qui suivent le messie sont parfois ceux qui le trahissent et qui crient : crucifiez-le !

Si les choses tournent mal, les sankaristes en porteront une bonne responsabilité. Les vieux compagnons de Thomas Sankara qui ont remis soit disant le flambeau au jeune capitaine alors que certains se sont cherchés quand on abattait le président du Conseil national de la révolution, sont une des sources de la tragédie. Le capitaine Ibrahim Traoré devrait relire la vie de Thomas Sankara pour vraiment tirer les leçons et ne pas se laisser conduire dans des chemins sans issue.

Lors de la guerre de Noël 1986, entre le Burkina Faso et le Mali, le président est allé sur le front à Djibo et à Ouahigouya. Le président Thomas Sankara était surveillé par l’aviation malienne qui a bombardé les villes de Djibo et de Ouahigouya, juste après son départ. Il était recherché par l’armée malienne, pour être tué. Le bombardement de Ouahigouya a fait au moins une centaine de morts. Se confiant au journal français Libération, le président Thomas Sankara dira que s’il était mort sous les bombes maliennes, seules sa mère et sa femme allaient le pleurer. Et pourtant, il était populaire et les camarades, comme on disait à l’époque, criaient « tout le pouvoir au peuple, » tout le pouvoir au président Thomas Sankara ! Mais lui connaissait la psychologie des foules et le caractère versatile de l’homme.

Ces Sankaristes, dont certains se sont bien enrichis en vendant la marque Thomas Sankara, ont poussé le bouchon jusqu’à refuser les restes du président à sa famille, toujours pour le business. La veuve de Thomas Sankara, ses sœurs et frères, ses enfants orphelins pleurent toujours. Cela, le président Thomas Sankara le savait, c’est eux qui l’aimaient d’un amour inconditionnel, pas parce qu’il était un héros, un président panafricaniste révolutionnaire etc., mais un homme tout simplement, eusse-t-il été le dernier des hommes, des frères, des époux, des pères, il l’aurait aimé ardemment, parce qu’il était de leur sang, leur bien-aimé.

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« Marche à côté de moi et sois mon ami »

Méfiez-vous des foules enflammées et des hommes en politique ! Vers midi, ce 25 mai 2024, alors que les intestins commencent à s’entortiller, signalant des estomacs affamés, de l’est de la place jouxtant la salle des banquets à Ouaga 2000, où avait lieu un concert de vuvuzelas pour réclamer dix ans et plus de prolongation de mandat de la transition, des camions sont venus distribuer du riz gras fumant accompagné de morceaux de viande. Nos amis qui promettaient d’envahir la salle des assises ont préféré le débat avec les cuillères, qui semblait bien plus animé et appétissant.

Dans la salle, les réflexes sont les mêmes, après avoir donné les pleins pouvoirs au capitaine IB, les participants ont recommandé plus de postes de ministériels et de députés, au mépris de la crise sécuritaire et humanitaire que nous vivons. Que faire avec une telle engeance ?

Albert Camus disait : « Ne marche pas devant moi, je ne te suivrai peut-être pas. Ne marche pas derrière moi, je ne te guiderai peut-être pas. Marche juste à côté de moi et sois mon Ami. »

Les membres du MPSR2 sont-ils à côté du président ? Pourquoi est-il si seul à la tâche ?

Sana Guy

Lefaso.net

Source: LeFaso.net