Le régisseur de morgue de Dédougou, I.D, a comparu devant le Tribunal de grande instance (TGI) de Dédougou, le mardi 21 mai 2024. Il répondait des faits d’accusations d’escroquerie dans deux affaires de conservation de corps de victimes du terrorisme dont dix VDP et un péagiste où « il a usé de manières frauduleuses pour convaincre » les proches des défunts de lui verser de l’argent.
Le morguier a réclamé 85 000 FCFA aux proches du péagiste tué lors de l’attaque terroriste qui a visé le poste de péage de Moundasso, à la sortie de Dédougou, sur l’axe Dédougou-Ouagadougou le 26 octobre 2023. Face au tribunal, il a motivé sa réclamation comme étant la contre-partie du travail de formolisation effectué sur le corps du décédé. Dans l’affaire des VDP communaux de Sanaba, le prévenu a exigé que chaque famille de défunt lui verse 25 000 FCFA. « J’ai acheté du gasoil et autres produits à hauteur de 185 000 FCFA que j’ai appliqués aux corps déjà en état de décomposition à leur arrivée pour diminuer les odeurs », a-t-il justifié. Rappelons au passage que l’attaque s’est produite le 26 mars 2024 dans la commune rurale de Sanaba. Et selon les témoignages, les corps sont arrivés à Dédougou le lendemain 27 mars aux environs de midi.
Le morguier aurait également accompli la toilette mortuaire des dix corps, selon ses dires. Mais ses déclarations passent mal chez les proches des défunts. « Les corps n’ont pas été lavés car ils étaient pourris. Nous n’avons pas constaté de traces de gasoil et autres produits sur les corps », ont avoué certains parents de victimes convaincus que le morguier a pris leur argent pour un travail qu’il n’a pas fait. Le mis en cause de rétorquer que les produits administrés n’avaient pas pour objectif d’éviter le pourrissement des cadavres, mais « d’atténuer les odeurs et surtout, empêcher que les corps n’éclatent ». Les proches des VDP ont ajouté qu’au paiement des sommes réclamées, ils ont demandé à avoir des reçus, mais le régisseur de morgue leur a dit « qu’il n’y a pas de document à signer ou de reçus à délivrer ».
A ce stade des débats, le procureur demande au prévenu de décliner les attributions que lui confère sa fonction de régisseur de morgue. « Mon travail consiste à réceptionner les corps pour mettre dans les cellules et les faire sortir à la demande des accompagnants », a-t-il réagi. Mais comment se fait-il que vous vous retrouviez à poser des actes médicaux sur les corps ? interroge en substance le ministère public. Le quinquagénaire s’empresse de se confondre en excuses pour ses erreurs commises avant de commenter que c’est en voulant faire du bien qu’il s’est retrouvé à la barre. « Tout ce que je fais hors de mes attributions à la morgue, c’est pour satisfaire la population », a-t-il renchéri.
Mais en réalité, un certain lieutenant Millogo des forces armées nationales aurait instruit l’accusé, sans autre forme de précision, de faire tout ce qu’il peut pour éviter l’éclatement des corps, à en croire son propos. Il relate qu’à l’arrivée des corps déjà en état de putréfaction, aucune famille des victimes n’était présente. Son seul interlocuteur était naturellement l’armée à travers le camp militaire de Dédougou avant que les familles ne viennent par la suite. « J’ai téléphoné au lieutenant Millogo pour savoir ce qu’il faut faire. Il m’a dit de faire ce que je peux pour éviter que les corps n’éclatent car il y a eu avant ça un corps qui a éclaté au cours de la conservation et tout le monde a fui la morgue ce jour-là. Je lui ai demandé si c’est l’armée qui doit supporter les charges. Il m’a dit que comme ce sont des VDP communaux, les charges reviennent aux familles », a expliqué I.D.
Appelé à comparaitre en tant que témoin, le sieur Millogo a confirmé à demi-mots les propos du morguier. C’est donc fort de cela qu’il a entrepris d’agir sur les corps des dix VDP tombés. De la même manière, il a affirmé avoir eu l’aval d’un proche du défunt péagiste pour laver et formoler le corps.
Le parquet de relever que le témoin a, en quelque sorte, encouragé le prévenu « à faire le travail » ou du moins l’accusé a cherché à se protéger dans son option de poser des actes qui ne relèvent pas de ses compétences. Par conséquent, il a demandé au tribunal de déclarer celui qui a été recruté en 2017 comme régisseur de morgue de Dédougou, coupable des faits qui lui sont reprochés car, argue-t-il, « toutes les infractions sont constituées ». En répression, une peine d’emprisonnement de douze mois et une amende d’un million FCFA le tout assorti de sursis a été requise contre I.D
Toutefois, le ministère public a tenu à lever un coin du voile sur la personnalité du mis en cause. Il a loué le travail remarquable que celui-ci abat au quotidien pour la communauté. « Ceux qui sont prêts à faire le travail que vous faites ne courent pas les rues. En 2017, quand on a lancé le recrutement, ils étaient au nombre de 18 à déposer leurs dossiers. Deux se sont présentés à l’entretien et le deuxième a fui laisser I.D », a révélé le procureur qui a vanté son courage. Il a prévenu néanmoins l’accusé de ne pas considérer cette donne comme une carte blanche qui lui est délivrée pour se permettre de tout faire.
Après une suspension d’une trentaine de minutes de l’audience, le tribunal a rendu son verdict en déclarant la culpabilité du morguier. Il l’a ainsi condamné à douze mois de prison et une amende d’un million FCFA le tout assorti de sursis. La constitution de partie civile des proches des VDP a été déclarée recevable et le juge a ordonné à l’accusé de rembourser, avec une contrainte judiciaire d’un mois, les montants dus aux parents des défunts VDP.
Yacouba SAMA
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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