Afin de renforcer l’intégration de la médecine traditionnelle dans le système de santé, le ministère de la Santé et de l’hygiène publique, a pris la décision de créer dans les établissements de soins, des services de médecine traditionnelle. Ces services devraient voir le jour dans les centres hospitaliers universitaires, les centres hospitaliers régionaux, les centres médicaux avec antenne chirurgicale ainsi que les formations sanitaires privées. Pour une mise en œuvre pratique de la décision, des textes sont en cours d’élaboration. Quant aux praticiens de la médecine traditionnelle, ils estiment que cette décision longtemps souhaitée vient élargir les possibilités des patients en matière de soins.

La médecine traditionnelle est reconnue depuis 1994 comme faisant partie du système de soins au Burkina Faso. Et depuis 2013, un arrêté a été pris pour instituer un système de référence recours entre la médecine traditionnelle et celle conventionnelle. La décision du ministère de la Santé, d’instituer des services de médecine traditionnelle, vise non seulement à faciliter la mise en œuvre du système de référence recours, mais aussi traduit la volonté des autorités, à développer cette catégorie de soins au Burkina Faso, a fait savoir Amadi Konfé, conseiller de santé en service à la direction générale de la médecine traditionnelle et alternative.

En effet, le Burkina Faso compte environ 30 000 praticiens de la médecine traditionnelle sur l’ensemble du territoire, dont environ 450 reconnus par le ministère de la Santé. C’est dire donc que cette forme de médecine constitue un recours en soins pour de nombreux Burkinabè. Kiswendsida Ouédraogo, voit en elle un recours sûr pour certains types de maladies. « Lorsque ma mère a eu une fracture du pied du fait d’un accident de la circulation, nous avons préféré l’amener chez un rebouteur au lieu de faire plusieurs interventions qui allaient non seulement coûter assez chers mais aussi qui allaient être pénibles pour elle vu son âge avancé. Mais avec le rebouteur, en quelques séances, l’os a commencé à se souder et elle recommence à marcher tout doucement », témoigne-t-elle.

Des manuels de fonctionnement en cours d’élaboration pour encadrer la pratique

La mise en œuvre pratique de l’installation de services de médecine traditionnelle dans les formations sanitaires a été confié aux directeurs régionaux de la santé. C’est donc à chaque directeur régional de prendre les dispositions nécessaires et d’entreprendre les démarches qui siéent, pour la création des services. La direction de la médecine traditionnelle et alternative vient en appui aux directions régionales, à travers l’élaboration de manuels de fonctionnement. Ces documents vont permettre de définir les modalités pratiques de fonctionnement des services de médecine traditionnelle, la désignation des praticiens qui vont intervenir dans les formations sanitaires, la tarification des actes, le mode de rémunération des prestataires, etc. Ils sont élaborés, en collaboration avec les tradipraticiens, les gestionnaires des hôpitaux, etc. Il est également prévu auprès des populations, des enquêtes préalables.

Amadi Konfé, conseiller de santé en service à la direction générale de la médecine traditionnelle et alternative

En ce qui concerne les pathologies qui seront prises en charge dans les unités de médecine traditionnelle, elles n’ont pas encore été définies. Toutefois, souligne Amadi Konfé, la médecine conventionnelle a ses compétences, la médecine traditionnelle également. « Le principe comme le veut le décret portant système référence recours, est que quant au niveau de la médecine conventionnelle il n’y a pas de solution, et que l’on estime que c’est du domaine de la médecine traditionnelle, il y aura un canal pour recourir aux soins traditionnels. D’un autre côté également, si les praticiens de la médecine traditionnelle constatent qu’il y a des cas de maladies qu’ils ne doivent pas soigner comme les maladies sous surveillance, ils vont référer automatiquement au niveau de la formation sanitaire. On ne peut pas citer de pathologies, mais on sait qu’il y a des tradipraticiens qui excellent dans la prise en charge des cas de morsure de serpent. Pour ces cas par exemple, ils peuvent suppléer la médecine traditionnelle. Aussi, quand on considère les cas de fractures fermées, il y a des spécialistes que sont les rebouteurs qui excellent aussi dans ces domaines », explique-t-il.

La création des services de médecine traditionnelle, une décision qui ravit les praticiens

El Hadj Ousmane Ouédraogo est le responsable de l’ONG action pour la promotion de la médecine traditionnelle et également président national des associations des praticiens de la médecine traditionnelle du Burkina. Pour lui, cette décision matérialise une requête faite depuis belle lurette par les tradipraticiens. Elle concrétise également, ajoute-t-il, la volonté du père de la révolution, Thomas Sankara, de voir des services de médecine traditionnelle dans les centres de soins modernes, pour permettre aux populations d’avoir le choix de recourir soit à la médecine moderne soit à celle traditionnelle. Cette décision vient donc, à entendre El Hadj Ousmane Ouédraogo, faciliter le transfert des malades de la médecine moderne à la médecine traditionnelle et vice versa, selon les pathologies dont ils souffrent, pour une meilleure prise en charge.

El Hadj Ousmane Ouédraogo est le responsable de l’ONG action pour la promotion de la médecine traditionnelle et également président national des associations des praticiens de la médecine traditionnelle du Burkina

Il a indiqué qu’au sein des différentes associations de praticiens de la médecine traditionnelle, une organisation est mise en place pour accompagner la mise en œuvre de la décision. C’est ainsi que des réflexions sont en train d’être menées, ainsi qu’une identification des tradipraticiens en possession de leurs autorisations d’exercer et ceux dont les produits sont homologués. Aussi, ceux qui n’ont pas d’autorisation mais dont l’efficacité des produits est avérée, seront aussi identifiés.

« Au cours de notre dernière rencontre, nous avons demandé à chaque tradipraticien de sélectionner cinq de ses produits dont l’efficacité est prouvée, pour les soumettre à des tests microbiologiques pour rassurer les consommateurs. Dans les différentes régions, les tradipraticiens seront également invités au cours de rencontres, à sélectionner les bonnes recettes afin de les mettre à la disposition de l’administration. Et pour assurer les services, nous proposons un roulement de différentes équipes de tradipraticiens, pour accueillir les malades », a-t-il appuyé.

Accompagner les praticiens de la médecine traditionnelle pour une meilleure offre de soins

Les tradipraticiens voient en l’ouverture de services de médecine traditionnelle, une opportunité pour faire profiter les populations de leurs savoirs et savoirs faire. Pour être plus efficaces, ils souhaitent un accompagnement plus accru, afin de pouvoir déployer leurs potentiels. Pour ce faire, El Hadj Ousmane Ouédraogo recommande de mettre en place un fonds d’appui substantiel pour la médecine traditionnelle. Ce qui devrait permettre aux praticiens, d’acquérir le matériel de base pour travailler. Il suggère également, la création d’un cadre de concertation Etat-tradipraticiens ; pour lever les réticences au sein des praticiens de médecine moderne, malgré l’homologation de certains produits.

Abdoul Karim Bélemviré, également tradipraticien, préconise quant à lui, d’accompagner les praticiens pour la mise en place de jardins botaniques, afin de disposer des plantes nécessaires pour les remèdes. Prenant exemple sur lui-même, il confie avoir constitué son jardin botanique depuis maintenant plus d’une vingtaine d’années. Malgré cela, il se voit souvent obligé, face à l’indisponibilité des plantes sur place, d’en commander depuis la Côte d’Ivoire, le Niger, le Ghana, le Mali, etc. Il souligne que plusieurs plantes ont aujourd’hui disparu, avec la cession des terres, regorgeant de plantes médicinales, au profit des promoteurs immobiliers qui rasent les surfaces pour y construire des cités. Abdoul Karim Bélemviré suggère donc une collaboration avec le ministère de la Santé, le centre national de semences forestières, le CNRST, afin d’accompagner les tradipraticiens pour la mise en place de jardins botaniques.

Abdoul Karim Belemviré, tradipraticien

Il invite également à un renforcement des capacités des tradipraticiens, pour une formalisation de leurs remèdes. « On ne doit pas continuer à travailler comme dans l’antiquité. Il faut que l’on formalise. Moi par exemple j’ai des gélules, des sirops, etc. Il faut appuyer les tradipraticiens pour qu’ils développent leurs médicaments de manière plus scientifique. Cela permet d’écarter les problèmes liés au dosage. Quand on a par exemple deux gélules à prendre trois fois par jour, c’est beaucoup plus facile que de dire à quelqu’un d’aller prendre des cuillérées à café ou à soupe », a-t-il expliqué.

Le processus de création des services de médecine traditionnelle est engagé et il revient à chaque direction régionale d’activer les choses. Il existe néanmoins des régions comme le Centre-est (Tenkodogo) et le Nord (Ouahigouya), qui ont déjà une longueur d’avance avec l’existence de structures d’interface (infrastructures situées dans les hôpitaux et dédiées à la médecine traditionnelle). Et Amadi Konfé de laisser entendre qu’avec une accélération des démarches, les services de médecine traditionnelle peuvent être opérationnels dans ces zones d’ici 2025.

Armelle Ouédraogo

Lefaso.net

Source: LeFaso.net