Dans le cadre de la Journée des coutumes et des traditions, commémorée désormais chaque 15 mai, la rédaction de Lefaso.net a initié une série d’entretiens avec des coutumiers, des religieux et des traditionalistes pour recueillir leurs analyses sur l’initiative du gouvernement d’instituer cette journée qui vise à valoriser les coutumes et traditions du Burkina Faso. Dans l’interview qui suit, le Pasteur Mamadou Philippe Karambiri, fondateur du Centre international d’évangélisation (CIE), donne sa lecture, sans langue de bois.

Lefaso.net : Le gouvernement a décidé d’instituer une Journée des coutumes et des traditions chaque 15 mai. Comment appréciez-vous cette décision ?

Pasteur Mamadou Philippe Karambiri : Déjà, je dis merci à votre organisme (parce que c’est vivant et statique pour aller de l’avant) pour cette approche que vous faites auprès des hommes de Dieu, des hommes de la coutume et de la tradition afin qu’on ait un langage harmonisé. Cette approche, je crois qu’il n’y a rien de mal en cela. Si vous prenez par exemple le judaïsme qui a été une grande religion, les adeptes vivent de traditions et de coutumes.

Vous ne pouvez pas aller chez un juif sans voir des signes de la tradition et des coutumes. Ces coutumes et traditions ont été bien intégrées dans leur société. Dans chaque ville européenne, vous avez un quartier juif. Vous avez un quartier juif à New York, par exemple. Ils y vivent ensemble. La tradition et la coutume, quand elles sont gardées dans un contexte du bien vivre, il n’y a aucun problème.

Quels rapports, quel dialogue les religions révélées devraient-elles entretenir avec les religions traditionnelles et coutumières ?

C’est à ce niveau qu’il peu y avoir des problèmes à cause du caractère des gens. Partout, il y a des extrémistes qui veulent prendre leurs coutumes et traditions pour dominer les autres. L’homme n’aime pas être dominé et exploité par l’autre, même s’il est sans coutume ou sans religion. Ça, Karl Marx l’a dit. Moi, je dis que je suis dans une religion révélée. Toi, tu dis que tu n’as pas cette révélation mais tu as une religion traditionnelle. Nous devons nous asseoir, les deux ensembles, pour chercher nos points communs. Même votre frère jumeau et vous ne pouvez pas avoir les choses en commun à 100%.

Donc vous vous asseyez et vous regardez. Les points communs qui vous font vivre ensemble de façon paisible, vous les prenez. Les autres, vous dites que chacun fasse sa pratique mais sans empiéter sur l’autre. Mais comme toujours, quand on parle de religion, certains croient que ce sont eux qui sont à l’avant-garde. Ils attaquent, ils font des choses sans expliquer pourquoi ils le font. Un seul mot peut enflammer tout un village. On a vu des villes et villages ravagés à cause d’un mot mal placé par quelqu’un.

Sinon, il devrait avoir une tolérance pour permettre le vivre-ensemble. Je n’ai pas besoin de dire à l’autre qu’il a tort. S’il a tort et que je pense avoir raison, je dois l’aider à sortir de son tort et non l’accuser. Je parle d’individus. Quand on prend l’homme, y compris moi-même, il est mauvais, il est dangereux. Donc si je prends mon caractère méchant et dangereux pour le mettre dans la religion, la religion devient un gant dans lequel je cache ma main avec un couteau pour poignarder l’autre. C’est pourquoi il faut faire la part des choses et chercher à savoir si ce que j’exprime vient de mon caractère ou de ma religion.


Que conseillez-vous à vos fidèles comme comportement lors de cette journée ?

Là, c’est une bonne question parce que lorsque le gouvernement a dit cela, j’ai reçu des réactions de partout. Des gens ont commencé à dessiner des serpents. J’ai téléphoné à tout le monde pour leur dire qu’on a déjà un problème avec l’insécurité et que s’ils ajoutent la religion, nous allons tous fuir. Est-ce qu’on vous a parlé de serpent et autres ? Pourquoi tout de suite dans votre mémoire, vous voulez montrer le serpent ? Ce qu’ils ont dit, prenez la tradition et la coutume.

Tout chrétien, ne faites pas semblant, quand vous partez dans vos villages, vous ne faites pas la tradition et la coutume ? Mais est-ce qu’on vous a dit de venir obligatoirement ? Ils savent que vous êtes des chrétiens. Si vous pensez déjà qu’on nous amène ici des mamiwata, des démons venant de l’Inde, vous allez faire une erreur grossière. Et en ce moment, vous allez lever des boucliers qui n’ont pas besoin d’être levés. C’est pourquoi je dis et je répète encore à nos gens : « Il faut avoir une attitude de tolérance ».

Vous allez voir que ce n’est pas une démonstration de magie. Quand nous faisons ce que nous appelons évangélisation et miracle, eux, ils ne disent rien. S’ils font leurs pratiques, pourquoi voulez-vous qu’on aille leur faire le reproche ? Si eux aussi nous demandent d’arrêter avant qu’ils ne cessent leurs pratiques, comment va-t-on faire ? Que chacun fasse ce qu’il a à faire dans son coin. Sinon sans cela, on ne peut pas dire aux gens d’arrêter de faire ceci ou cela. Nous sommes tous nés dans ça avant de devenir des chrétiens. Nous sommes nés dans ça, nous l’avons pratiqué. C’est quand nous sommes devenus chrétiens que nous avons laissé tomber pour aller de l’avant.

Quand je pars dans mon village, je passe saluer l’imam, le chef de terre, le chef coutumier, je fais le tour du village. Les gens s’en étonnent : « Pasteur, ah bon ? ». Je leur dis que je suis un homme du village, je suis venu vous saluer. Je ne viens pas au nom de ma religion. On n’a pas besoin d’accuser. Il faut respecter tout en gardant le juste milieu pour ne pas aller dans l’exagération et ne pas créer des problèmes aux autres. Pour moi, il n’y a aucun problème. Avant de me prononcer sur la question de l’instauration de cette journée, j’ai demandé aux autorités le texte pour lire. Quand je l’ai lu, je l’ai compris et expliqué aux autres.


On entend parfois dire qu’au Burkina Faso, malgré l’existence des religions révélées avec leurs adeptes, il y a 100% d’animistes. Que pensez-vous de cette affirmation ?

Je crois que ceux qui le disent ont fait certaines observations. Quand on regarde, il y en a qui, après être allé prier au temple ou à la messe, fuient pour aller de l’autre côté pour demander de l’aide. Si vous croyez réellement à ce que votre Dieu dit, vous devez rester ferme dans votre foi et chercher à progresser tout en aidant les autres. On ne peut pas pratiquer la religion X, faire son culte et aller demander de l’aide à la religion Y. Cela veut dire que votre religion n’est pas seulement X, mais XY, puisque vous voguez d’un culte à l’autre. Je dis aux gens qu’il faut être honnête.

Si chacun est honnête et ferme dans sa foi, les gens vont se respecter et aller de l’avant. Parfois, des personnes d’autres groupes viennent nous voir, nous chrétiens, pour demander de l’aide. Nous les aidons, ce qui ne veut pas dire que nous avons adhéré à leur religion. En tant qu’être humain, je peux rendre service à l’autre sans le forcer à adhérer à ma religion. Si tout le monde faisait cela, je crois que ça va aider les gens à aller de l’avant et à progresser. Vous savez, tout ce que nous abordons est sensible.

Certains vont peut-être dire que le pasteur Karambiri fait ceci ou cela. Il n’y a aucun problème. Nous sommes habitués à cela. Toute déclaration que tu fais est analysée, décortiquée, dépiécée. On ne peut pas manger le poisson sans enlever les arêtes. Toute déclaration que vous faites, il y a des arêtes dedans. Mais je veux que les gens mangent la chair et jettent les arêtes.

Interview réalisée par Cryspin Laoundiki

Photos et vidéo : Ange Auguste Paré

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Source: LeFaso.net