Le 6 mars 2024, le conseil a adopté un décret portant institution de la Journée des coutumes et traditions au Burkina Faso. Elle sera célébrée le 15 mai de chaque année. L’exécutif explique que cette décision a pour objectif de réaffirmer la laïcité de l’Etat et de permettre à la religion traditionnelle de retrouver sa place dans la société. Alors que le Burkina s’apprête à vivre cette journée pour la première fois de son histoire, des leaders d’autres religions, sollicités par Lefaso.net, donnent leur avis. Pour l’Imam Tiégo Tiemtoré de l’Association des élèves et étudiants musulmans au Burkina (AEEMB) et Cercle d’études de recherches et de formations islamiques (CERFI), l’essentiel est de permettre à chaque itinéraire spirituel de s’affirmer, dans le respect des autres et la tolérance.

⁠Lefaso.net : Le gouvernement burkinabè a décidé d’instituer une Journée des coutumes et des traditions chaque 15 mai ; comment appréciez-vous cette décision ?

Imam Tiégo Tiemtoré : Si les autorités l’ont décidé pour des communautés, pourquoi d’autres l’interdiront ? Chacun vogue dans son espace, dans le respect mutuel et la tolérance. C’est ce qui semble le plus important à mes yeux. Le vivre-ensemble se présente comme une exigence fondamentale de toutes les communautés humaines, au regard de la diversité des croyances. L’essentiel est de permettre à chaque itinéraire spirituel de s’affirmer, dans le respect des autres et la tolérance. La vision de l’islam, c’est comment cheminer sur la terre de Dieu, avec ses signes, au profit de l’humanité ? Comment, au nom des repères de sa foi, être un citoyen utile ? Comment éclairer de la lumière de sa foi, la cité des hommes ?

Donc, on est éduqué par les piliers et les préceptes à vivre avec tout le monde et à apporter toute la miséricorde contenue dans la révélation. Le dogme reste le dogme, il ne s’agit pas de demander à quelqu’un d’abandonner son itinéraire spirituel pour un autre, mais comment cohabiter pacifiquement et vivre au sein de la République. Ce qui me paraît le plus important, c’est la co-construction, les passerelles de partenariat et de collaboration citoyenne, pour le bien de tous et cela est possible.

⁠Quels rapports, quel dialogue, les religions révélées devraient-elles entretenir avec les religions traditionnelles et les coutumes ?

L’Islam professe une foi du vivre-ensemble à travers le Coran et la tradition du Prophète Mohamed (saw). Le livre saint indique que Dieu fit de nous, « des tribus et des nations pour que vous vous entre-connaissiez, mais le meilleur est celui qui craint Dieu ». Le Coran incite donc à se connaître mutuellement afin de pouvoir vivre-ensemble. (Sourate 49/13). Le Coran enseigne qu’il y a une volonté divine de la diversité humaine : « Si Dieu l’avait voulu, il aurait fait de vous une seule communauté (Sourate 5/48) ». Dans le chapitre 49, L’humanité est considérée comme une seule famille et un hadith relate que « tous les êtres humains constituent la famille de Dieu et le meilleur des hommes est celui qui est utile aux autres ».

En plus, le dialogue avec les autres est une réalité en Islam. Au cœur du Saint Coran, on retrouve les enseignements essentiels tirées du parcours des autres prophètes avant Mouhamed (psl) et on évoque avec respect, les « gens du livre ». Il y a donc un droit d’être et un devoir de présence. Plus que la tolérance, l’Islam évoque un droit d’être d’essence divine, car le non-musulman a le droit d’être là et de vivre avec le musulman. On attend de ce dernier qu’il apporte aux êtres humains, ses valeurs.

Que conseillez-vous à vos fidèles comme comportement lors de cette journée ?

Rien spécialement. Tous les jours sont des jours de Dieu : il faut l’adorer de toutes ses forces, sous plusieurs formes. Prier, Faire le bien, se préserver de faire du mal, répandre la joie et le bonheur autour de soi, travailler, se reposer, tout cela rythme le quotidien du musulman. S’appliquer à être avec Dieu et vivre avec les hommes et être de tous les combats qui préservent la dignité humaine Il y a un Dieu des différences et de la diversité. Diversité des peuples et des nations, diversité des idiomes et des couleurs. Dans ces différences et diversités, Dieu recommande de nous concurrencer dans l’accomplissement du bien. Ce qui est important pour toutes les communautés ou confessions, c’est de nouer des passerelles de collaboration communautaire en vue de prendre ensemble des bastilles dans des secteurs vitaux de la communauté humaine : éducation, santé, formation des jeunes, lutte contre les inégalités, etc. Il faut s’efforcer, à chaque instant, de vivre un « Islam des lumières et des finalités », c’est-à-dire, qui fait sortir « des ténèbres vers la lumière », en apportant des réponses aux préoccupations des créatures, grâce à la lumière de la foi.

⁠On entend parfois dire qu’au Burkina, malgré l’existence des religions révélées avec leurs adeptes, il y a 100% d’animistes ; que pensez-vous de cette affirmation ?

Je ne m’inscris pas dans cette vision. Quand vous êtes musulman et que vous avez bien compris les principes de votre foi, elle n’est pas compatible avec le fétichisme ou l’animisme. Quand vous adhérez à l’Islam, c’est un tout. Le Coran dit à juste titre, « entrez complètement dans la foi », pour signifier que vous ne devez pas accepter une partie et renier l’autre. Je pense aussi qu’il y a un besoin de clarification des concepts pour mieux éclairer nos lanternes : qu’est ce qui est tradition ? Qu’est ce qui est culture ? Qu’est ce qui est animisme ou encore fétichisme ? Ce ne sont pas forcément les mêmes contenus. Sinon l’Islam ne s’oppose pas aux traditions quand elles sont porteuses de valeurs. On est musulman et on tire forcément profit de toutes les valeurs d’humanisme, de solidarité, d’amour du prochain, contenues dans nos ethnies et groupes culturels.

L’Islam a deux dimensions, une statique qu’est le dogme qui n’est pas modifiable. C’est-à-dire qu’il y a un Dieu unique, avec un message global porté par des messagers et des rites codifiés. Quel que soit le temps ou l’espace, cela demeure. Quant à la dimension évolutive, ce sont toutes les conditions et tous les contextes qui évoluent au gré de l’histoire et du progrès de l’humanité. Ce sont les conditions de vie telles que l’habillement, le logement, l’éducation, les us et coutumes, etc. Je vous donne un seul exemple : le mariage. Le Coran dit d’épouser les femmes avec « la permission de leurs familles ». Comment obtient-on l’accord des familles ?

Il est évident que ce serait différent selon que l’on soit en pays arabe, africain, asiatique ou européen. On va garder l’esprit du verset, mais dans son application, on s’adaptera à la coloration locale culturelle ou traditionnelle, sans acte de désobéissance à Dieu. Les Mossis ont leurs rites pour donner leurs filles, tout comme les Bissas ou les Peulhs. Le verset sera appliqué, mais en tenant compte des spécificités culturelles. Donc l’Islam a une dimension qui s’adapte à nos us et coutumes, pourvu qu’ils ne contredisent pas le dogme, le tawhid qu’est l’unicité de Dieu.

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Source: LeFaso.net