L’Université Joseph Ki-Zerbo (UJKZ) a récemment accueilli une communication sur les « Wayignan », le vendredi 3 mai 2024, à Ouagadougou. Une enquête exploratoire concernant les sentinelles de la transition politique au Burkina Faso, de l’anthropologue Dr George Rouamba. C’était lors de la Journée scientifique du Laboratoire genre et développement (LGD) sous le thème « Genre, jeunesse et crises ».
Dr Georges Rouamba introduit en informant l’auditoire que les résultats de recherche présentés sont le fruit d’un effort collectif auquel il participe. Il précise que cette étude exploratoire est toujours en cours. Ainsi, Dr Georges Rouamba évoque d’emblée le contexte bien connu qui a conduit à l’émergence des « Wayignan ». Il rappelle qu’après un règne de 27 ans de l’ancien président Blaise Compaoré, suivi par une insurrection populaire et une transition civile, aboutissant à une élection, le pays a été confronté à deux coups d’État au cours des sept dernières années.
Cependant, le Dr Rouamba souligne une particularité remarquable après le récent coup d’État : le regroupement, aux ronds-points de la capitale burkinabè, de jeunes de tous âges et de toutes catégories socioprofessionnelles, avec une forte présence du secteur informel. Les ronds-points, autrefois négligés, sont aujourd’hui des lieux d’attraction, observe l’anthropologue. « Ces ronds-points sont devenus des espaces sociaux et politiques. Cela nous amène à nous questionner sur la manière dont ces jeunes qui y convergent expérimentent ces espaces qui étaient autrefois insignifiants », explique-t-il.
“Les Irissi »
Pour le Dr George Rouamba, mener une enquête au sein de ces jeunes nécessite une approche méthodologique particulière. Il souligne que la collecte d’informations a été ardue, expliquant qu’une certaine opinion a une perception négative des intellectuels ces derniers temps, les accusant d’être des agents locaux de l’impérialisme. Il ajoute : « C’était d’autant plus difficile, car nous ne savions pas à qui adresser notre demande d’enquête. La plupart de ces structures fonctionnent de manière informelle, ce qui rend leur organisation opaque. Tout le monde sait qu’elles existent, mais personne ne sait vraiment qui elles sont ».
Face à cette réalité, le Dr Rouamba explique que son équipe et lui ont été contraints de solliciter leur réseau informel pour surmonter ces obstacles. Cette démarche leur a permis de mener quelques entretiens exploratoires. Toutefois, il souligne que ces entretiens ont surtout suscité des interrogations plutôt que des résultats d’étude.
Ainsi, la première interrogation soulevée par le conférencier concerne le sens que revêtent ces ronds-points dans la lutte pour la décolonisation. « Parmi ces jeunes, le terme le plus souvent évoqué est “Les Irissi », une revendication claire d’une identité aspirant au départ total de la France du Burkina Faso. Il existe même un rond-point nommé “La France doit partir ». Les luttes menées par ce groupe sont perçues comme une nouvelle tentative de se libérer de l’influence de la France. C’est sur ce point qu’ils s’appuient pour justifier leurs actions au sein de la ville », montre Dr Rouamba.
Une vision révolutionnaire
Une autre interrogation émanant des recherches du Dr George Rouamba concerne l’éventuelle aversion de ces groupes pour la démocratie libérale. « Pour eux, l’organisation d’élections n’est plus envisageable. L’un de leurs slogans est « IB à vie » », a confié l’anthropologue.
Il note également que des termes autrefois courants pendant la révolution, comme « camarade », sont utilisés dans ces espaces dédiés à la veille citoyenne. Le Dr Rouamba déduit que les occupants des ronds-points revendiquent une vision révolutionnaire pure et s’opposent aux élections libérales. Il ajoute : « On pourrait également soutenir qu’ils ont en quelque sorte raison si l’on considère certains travaux des politistes qui laissent à désirer ». Il étaye cette affirmation en citant Achille Mbembe : « Les élites ont fait de la politique, un moyen d’enrichissement et de sécurisation de biens personnels ».
D’après l’analyse du Dr Rouamba, il est compréhensible que les jeunes constituant la frange la plus nombreuse, croient que les élites perçues comme les représentantes de la France, soient la cause de leur malheur. Et ce, dans un contexte d’une jeunesse marquée par une vie précarisée et une incertitude quant à l’avenir. « C’est pourquoi ces jeunes estiment que la démocratie libérale n’est pas bénéfique », explique-t-il.
Dr Rouamba observe toutefois une nuance. Celle que cette vision de la jeunesse, est parfois une méconnaissance de l’Afrique traditionnelle, qui n’était pas une société despotique ou autocratique. « Il y avait des formes de démocratie qui permettaient aussi bien aux jeunes qu’aux femmes de participer à la vie de la nation », a-t-il indiqué.
Les sentinelles du pouvoir
Une autre question qui émerge dans la réflexion du Dr Rouamba est de savoir si les « Wayignan » sont des sentinelles du pouvoir. Dans cette phase de l’étude, l’anthropologue révèle que ces derniers affirment clairement être des protecteurs du pouvoir : « Leur mission est d’empêcher tout coup d’État », a-t-il affirmé.
La présentation du Dr Georges Rouamba a mis en lumière le rôle crucial des « Wayignan » en tant que gardiens du pouvoir de la transition politique dans le pays. Elle met en évidence les mesures prises par ces sentinelles pour assurer la sécurité de l’État. « Ils ont entrepris des actions de contrôle individuel, telles que la fouille de véhicule. Ils ont même affirmé avoir contribué à l’arrestation de personnes suspectes. Certains ronds-points ont été désignés comme des points d’observation et de surveillance stratégiques », a-t-il révélé.
Le risque d’émergence d’une milice
Ce constat suscite une nouvelle interrogation : existe-t-il un risque d’émergence d’une milice ? À ce stade de l’étude, Dr Rouamba observe que les « Wayignan », qui semblent être un groupe homogène, sont en réalité hétérogènes, avec des divergences internes. Il fait remarquer l’émergence d’une branche radicale qui divise les citoyens en deux catégories : les patriotes et les apatrides.
Dr Rouamba explique que selon la perspective de cette faction radicale, les patriotes sont ceux qui soutiennent le gouvernement actuel, tandis que les apatrides sont ceux qui critiquent l’exécutif. « Selon leur idée de la préservation du pouvoir, ils iraient même jusqu’à demander à l’État d’utiliser la violence pour neutraliser tous ceux qui s’opposent au pouvoir. Nous observons même récemment des mouvements qui déclarent ouvertement qu’ils vont rendre visite à des familles… », dévoile-t-il.
Face à ces circonstances, Dr Rouamba estime qu’à ce stade de leurs résultats préliminaires, il existe effectivement un risque de voir émerger une milice. « Ces mouvements pourraient être exploités par des individus dans l’ombre qui sont des entrepreneurs de la violence », présente-t-il.
Pour conclure, Dr Rouamba souligne que l’émergence des « Wayignan » a été marquée par l’expression « partagez, partagez », ce qui soulève un risque significatif. En effet, selon lui, cette expression suppose une culture numérique où les informations partagées, censées être stratégiques, peuvent contenir des vidéos avec des éléments menaçants et virulents envers certaines catégories de la population. Dr Rouamba en conclut qu’il existe donc un risque d’un usage non éthique des réseaux sociaux, conduisant à la diffusion d’informations dangereuses.
Alors que l’étude présentée est toujours en cours, l’anthropologue conclut en se demandant qui sont exactement les membres constitutifs des « Wayignan ». Il estime qu’il y a des jeunes, des adultes et des personnes âgées au sein de ce mouvement, mais il continue de se questionner sur la véritable raison de son apparition.
Hamed Nanéma
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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