Les clichés sur certains métiers « dits masculins ou féminins » se déconstruisent de plus en plus au Burkina Faso. Avec ses chaussures et son casque de sécurité, Edwige Oulé casse les codes du domaine de la construction. La jeune dame qui a un profil d’ingénieure en génie civil s’est spécialisée en finition de construction.
Nous sommes un samedi du mois de mars aux environs de 12h dans la commune de Saaba. Le soleil est brûlant et la chaleur étouffante. Dans un chantier de construction d’une maternelle, des ouvriers s’attèlent à la peinture des murs. Avec de la craie, certains mettent en place des drafts d’animaux, d’objets ou de paysages. D’un autre côté, deux hommes, pinceaux à la main, donnent vie à un arc-en-ciel sur le mur de la cour. Ici, contrairement à la plupart des chantiers, c’est une femme qui est maître d’œuvre. Avec une taille moyenne, Edwige Oulé se fond pratiquement dans le décor de ce chantier. Perchée sur une échelle, elle gribouille des formes à main levée. Elle exécute, avec son équipe composée cinq ouvriers, une peinture décorative depuis quelques jours.
Malgré qu’elle ait la main à la pâte, Edwige Oulé descend régulièrement de son échelle pour s’assurer que son équipe est à pied d’œuvre. Le travail étant répartit par pièce du bâtiment, elle contourne planches, morceaux de tôles et pots de peinture vides déposés un peu partout pour donner les directives. Dans ce tohu-bohu de restes de matériaux, le chantier semble presqu’à sa fin. A l’intérieur de la première pièce à gauche en entrant, l’ouvrier Roger Bélem s’active.
- Roger Bélem, collaborateur de Edwige Oulé depuis bientôt 4 ans, dessine des nuages
Debout sur une échelle, casque sur la tête et tenant un petit pot à la main gauche, il donne forme à des nuages. L’homme qui semble maîtriser ce qu’il fait nous raconte que Edwige Oulé lui fait appel très souvent pour travailler. Il ajoute qu’il ne tient pas compte de son statut de femme car il la trouve courageuse. Toujours sur son échelle, il se dit ravi de collaborer avec elle et souhaite que l’entreprise obtienne beaucoup plus de marchés afin de grandir plus.
Depuis plus de six ans, Edwige Oulé offre des services sur tout ce qui prend en compte les finitions d’une bâtisse. « J’ai un Brevet d’études professionnelles (BEP) en dessin bâtiments. Après j’ai obtenu un baccalauréat F4 puis une licence en génie civil. Je me suis arrêtée en Master 1 faute de moyens et parce que je voulais aussi réaliser quelque chose de moi-même et aussi épauler un peu les parents », nous raconte la décoratrice d’intérieur.
Une collaboratrice plutôt qu’une patronne
Dans nos échanges, la jeune cheffe de chantier nous fait savoir qu’elle est accessible pour les personnes qui désirent apprendre. Nous découvrons une de ses stagiaires en pleine concentration. Assise sur un seau de peinture, Jécolia Kambou, avec ses cheveux courts, donne une impression masculine quand on l’aperçoit de dos. Edwige Oulé l’a prise sous son aile après avoir remarqué son dynamisme et sa détermination à apprendre la décoration intérieure. « J’ai connu Edwige sur Facebook et je lui ai parlé de mon ambition d’apprendre ce métier », indique la jeune stagiaire.
- Jecolia Kambou, stagiaire en architecture d’intérieur
Un autre de ses collaborateurs, comme elle appelle ses employés, assis dans la cour du chantier sur sa motocyclette, prend sa pause. Ce dernier travaille depuis un bon moment avec elle et affirme qu’il y a une bonne atmosphère de travail. « Elle est exigeante au travail et pour les finitions, elle ne lésine pas avec les détails », nous dit Issa Bonkoungou en langue mooré rappelant avec insistance le fait qu’elle soit très attentive aux détails. En dehors de Roger Bélem et Issa Bonkoungou, deux autres hommes collaborent sur ce chantier avec Edwige Oulé.
A la question de savoir si elle ne se sent pas intimidée par ces hommes, la jeune femme répond juste qu’elle se sent normale. Elle ne se fixe pas de limite en dépit de la rudesse du métier qui est très physique. « Je ne dis pas que parce que je suis une femme, il y a des choses que je ne peux pas faire. Je fais ce que je peux faire. Je ne prends pas comme prétexte le fait d’être une femme pour me victimiser. Les hommes, comme les femmes dans ce domaine ont des difficultés. Les hommes aussi autour de moi m’aident et m’acceptent donc, il y a une bonne collaboration. »
- Issa Bonkoungou et Edwige Oulé en pleine discussion sur les détails de l’arc-en-ciel
Parfois rejetée…
Si Edwige Oulé ne tient pas compte de sa condition féminine pour travailler, ce n’est pas toujours le cas de sa clientèle. Elle a plusieurs fois vu des clients abandonner un projet de collaboration après avoir vu que c’est une femme qui l’exécute. Ces personnes (minoritaires) qui la joignent au téléphone en général pensent qu’elle fait office de commerciale. Mais lorsqu’ils s’aperçoivent que c’est elle qui fera le travail, ils changent d’avis selon elle. Cliché, manque de confiance, sexisme ou pur hasard des choses ?
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Elle a du mal à classifier ces situations. « Je ne peux pas leur en vouloir, ils ont un peu raison parce que très souvent ce sont les hommes qui font ce métier-là. Mais je me dis qu’il ne faut pas s’arrêter au début, il faut donner l’opportunité aux femmes de montrer ce qu’elles savent faire », pense-t-elle. « Ce que je dirais aux clients c’est de nous donner l’opportunité de pouvoir montrer ce que nous pouvons faire. D’avoir confiance en nous c’est ce que je dirais aux clients ». [ Cliquez ici pour lire l’intégralité ]
Farida Thiombiano
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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