Me Guy Hervé Kam a été interpellé dans la nuit du 24 au 25 janvier 2024. Depuis lors, les déclarations de partis politiques, des organisations de la société civile, des institutions internationales fusent de partout pour réclamer sa liberté. Le vendredi 9 février 2024, le Conseil de l’Ordre des avocats a annoncé un arrêt de travail ce 15 février 2024. Lefaso.net a tendu son dictaphone aux citoyens burkinabè pour qu’ils disent ce qu’ils pensent de cette décision. Beaucoup ont refusé de se prêter à cet exercice, arguant qu’ils « ne veulent pas aller au front ».

Armand Sawadogo

« J’ai appris avec étonnement le communiqué du Bâtonnier invitant à observer un arrêt de travail pour exiger la libération de Me Kam. L’arrestation d’un avocat en soi ne pose aucun problème insoluble. Mais s’il n’y a pas de « super citoyen » alors pourquoi mettre en place un tel dispositif pour un avocat ?. Je pense que pour prétendre œuvrer à la justice, il faut d’abord respecter les formes prescrites par la loi. Je suis par ailleurs attristé par les commentaires que j’ai pu lire suite à ce communiqué. Faisons attention à ne pas jeter en pâture les avocats qui sont les remparts de chaque citoyen contre l’arbitraire de la force publique. Si des faits graves sont reprochés à Guy Kam, qu’ils soient exposés à l’occasion d’une procédure régulière. Mais si par contre son arrestation est due à ses prises de position, ce serait très inquiétant. Tolérer la critique est la vertu suprême d’un dirigeant avisé car comme le disait Beaumarchais : Sans liberté de blâmer, il n’y a point d’éloge flatteur ».

Fleur Ouédraogo (nom d’emprunt)

« Je pense que la décision d’observer un arrêt de travail est tout à fait légitime. Je pense même que l’arrêt de travail arrive un peu tard, puisque nous sommes à plus de deux semaines après l’enlèvement de Me Hervé Kam. Les avocats ont également le droit de protester. Ils ont déjà condamné et appelé à la libération de leur confrère. Mais rien n’est fait. Ils ont démontré, par des textes, que l’arrestation de Me Hervé Kam ne répond pas aux procédures en place, mais les autorités ne réagissent pas. Quoi de plus normal que de passer à l’étape supérieure ? Evidemment, il y’aura des incidences, comme le retard de certains jugements ».

Boris Tiendrébéogo

« Je trouve que l’arrêt de travail des avocats est une décision opportune, légitime. Elle l’est dans le sens où l’interpellation de Me Kam n’a pas respecté les règles en la matière, surtout qu’il s’agit là d’un avocat et pas des moindres. Le silence de l’autorité semble ouvrir la voie à des interrogations sporadiques, surtout dans ce contexte socio-politique et sécuritaire difficile que connaît notre pays. Je pense que l’autorité devrait expliquer les raisons de son interpellation, comme pour celle des autres d’ailleurs, afin d’éviter que des individus mal intentionnés utilisent cela contre la transition, qui semble être sur la bonne voie, en tout cas pour ce qui est du rétablissement enfin de la paix dans notre pays. Et si des preuves attestent de l’implication du monsieur en question dans une quelconque infraction, il devra être entendu selon les normes qui régissent le droit dans notre pays. Ce n’est pas la première fois que les avocats marquent un arrêt de travail pour une bonne justice. Je me souviens que du 23 au 26 avril 2019, ils l’avaient fait pour dénoncer un dysfonctionnement sérieux de l’appareil judiciaire. Ils disaient à ce moment-là, agir dans l’intérêt des justiciables. Donc la question pour moi n’est pas si cela est normal ou pas, mais si cet arrêt de travail est opportun. Et sur cette question, chacun de nous est libre d’apporter son jugement, sans oublier que s’ils en sont arrivés là, c’est pour la protection des citoyens que nous sommes. Ce n’est pas en soi un incident, parce que déjà ce n’est pas interdit pour un corps d’observer un arrêt de travail, sauf pour certains cas. Et pour le cas des avocats, cela va retarder le traitement de quelques dossiers. C’est sûrement une des raisons pour lesquelles cet arrêt de travail ne dure qu’un jour. C’est symbolique en mon sens. Et on ose croire que le message des acteurs de la justice sera non seulement bien entendu, mais surtout compris afin que chacun puisse exécuter ses tâches selon la justice et dans le seul souci du bien de tous ».

Edmond Tiendrébéogo

Edmond Tiendrébéogo

« C’est une logique pour le corps des avocats, par solidarité à l’endroit de leur collègue qui, dit-on, se retrouve dans une procédure par rapport à une implication dans un processus de déstabilisation du pouvoir en place. C’est normal. Et tout corps se doit de le faire pour témoigner sa solidarité à l’endroit de ses membres. Deuxièmement, si les avocats se retrouvent aujourd’hui dans une posture pour exiger la libération sans condition de leur collègue, c’est qu’ils ont un certain nombre d’arguments qui prouvent qu’il est innocent. Et c’est tout à fait normal de se lever et de réclamer que le droit à la liberté soit respecté. Pour terminer, on est d’accord que les avocats font partie de la classe intellectuelle la plus avertie en matière de justice. Ils maîtrisent les tenants et les aboutissants de toutes les procédures. Ce ne sont pas des personnes qui vont s’opposer à l’application du droit. Et s’ils exigent aujourd’hui la libération de Me Kam, c’est qu’ils ont tous les éléments qui prouvent la non-implication de leur collègue dans une quelconque déstabilisation du pouvoir en place. »

Bénédict Compaoré

« Je pense que les avocats devraient se calmer parce que justement ils ne savent pas pourquoi on l’a enlevé. Ce n’est pas le premier qu’on enlève, ce ne sera peut-être pas le dernier. En temps de guerre, c’est souvent difficile. Et il y a des choses que les avocats ne savent pas mais que peut-être Me Kam et d’autres personnes savent. Peut-être qu’on l’a enlevé pour lui poser des questions par rapport à quelque chose de bien précis. Peut-être qu’on l’a enlevé pour sa propre sécurité. Je crois donc que les avocats devraient seulement se calmer et attendre un peu. Et s’ils doivent faire un arrêt de travail, je crois que ce doit être pour qu’on leur dise qui sont ces personnes qui l’ont enlevé ».

Oscar Thiombiano

Oscar Thiombiano

« C’est sur les réseaux sociaux que nous avions appris l’enlèvement de Me Hervé KAM à l’aéroport de Ouagadougou par des hommes en civil. De prime abord, il faut rappeler que ce n’est pas une première dans notre pays. Il y a plusieurs autres personnes qui ont été enlevées dans les mêmes circonstances, ce, en l’absence de toute preuve impliquant X ou Y et devant permettre l’identification des auteurs de cette forfaiture. Il est important de rappeler que de telles agissement ne devraient pas prospérer dans un Etat de droit. Ensuite, à la lecture du mode opératoire, certains estiment que cette forfaiture aurait été engagée par les hommes forts du moment. Si tel est le cas, il faudra donc s’inquiéter sur la situation de l’Etat de droit dans notre pays. A tout égard, il faut rappeler que l’Etat doit prendre des dispositions pour faire cesser de telles pratiques qui deviennent assez récurrentes dans notre pays. Cela n’honore ni les gouvernants d’aujourd’hui ni la mémoire de nos devanciers qui se sont battus pour la liberté et l’Etat de droit dans notre pays. En ce qui concerne, l’activité des avocats visant à exiger la libération de Me Kam, nous pensons que cela est tout à fait légitime et cette action du Barreau devra tirer la sonnette d’alarme pour dénoncer les violations des droits fondamentaux des citoyens. L’enlèvement manu militari d’un avocat ou de tout citoyen pour ses prises de positions soulève des préoccupations majeures quant au respect des droits fondamentaux, tels que le droit à un procès équitable et la présomption d’innocence.

Cela peut être perçu comme une ingérence directe et illégitime dans le fonctionnement indépendant du système judiciaire, portant atteinte aux principes de l’État de droit. En agissant de manière coercitive contre un avocat, pour réprimer ou intimider des membres du Barreau, le régime Traoré risque de susciter des protestations plus larges et de remettre en cause sa propre légitimité auprès du peuple. De telles actions ne font qu’accroître le mécontentement et décrédibiliser le gouvernement. Pourtant, à ce stade de la situation politique de notre pays, il faut des actions qui réunissent l’ensemble des Burkinabè autour de l’idéal commun : le développement du Burkina Faso. Si l’on reproche à Me Hervé Kam des faits précis, que des procédures soient engagées contre lui. Cela y va de la crédibilité du régime. Je ne crois pas que des gens se désoleront, si le procureur général tendait une convocation à Me Kam pour affaire le concernant devant un tribunal. On ne peut pas tous être d’accord sur les mêmes sujets, mais il faut privilégier la règle de droit pour maintenir l’harmonie. Le risque pour nos autorités c’est qu’en continuant d’enlever les citoyens, des malfrats pourraient en profiter pour faire des règlements de compte à certains Burkinabè, en les enlevant et nous penserons que ce sont encore les autorités qui les ont enlevées, alors qu’il n’en est rien. C’est cela le risque que ce régime court. On lui mettra à dos des enlèvements opérés par des bandits ou des délinquants. Pourtant, il n’en est pas l’auteur. Que chaque Burkinabè prenne à cœur la situation du pays et que l’on comprenne que la critique ne vise pas le découragement ou la démoralisation mais plutôt l’encouragement à la perfection. Vivement que nos autorités fassent preuve de sagesse et qu’ils travaillent à maintenir tout le monde autour du flambeau du patriotisme. Prudence aux autorités et courage au peuple burkinabè ».

Propos recueillis par Erwan Compaoré

Lefaso.net

Source: LeFaso.net