En juillet 2023, le Dima de Boussouma, Naaba Sigri, a organisé une journée de vivre-ensemble et de cohésion sociale à Kaya, chef-lieu de la région du Centre-Nord. Cette journée avait pour objectif de réunir toutes les communautés du royaume de Boussouma pour prôner le pardon, le respect d’autrui, la paix et l’amour entre les différentes communautés, afin que les tensions entre les communautés puissent disparaître.
La région du Centre-Nord est beaucoup éprouvée par les attaques terroristes. Cette situation a créé un climat délétère entre les communautés. Le Dima de Boussouma, le Naaba Sigri, dans le souci de recréer l’harmonie et la symbiose entre les communautés, a mobilisé les populations pour qu’elles se parlent, s’acceptent, se pardonnent et créent les conditions pour le retour de la paix dans la région.
- Naaba Wildpelgo, porte-parole du Dima de Boussouma, Naaba Sigri
Un leader de la communauté peule que nous avons rencontré, et qui requiert l’anonymat, avoue que cette activité organisée par le Dima de Boussouma a été beaucoup bénéfique pour la communauté peule de la localité. « La journée du vivre-ensemble organisée par le Dima de Boussouma nous a beaucoup aidés. Dans notre localité, avant cette journée, il était très difficile pour un peul de s’aventurer hors de notre quartier. Dès que quelqu’un était pris hors de notre quartier, il était tué. Nous avons été obligés de fuir notre zone parce que nos vies étaient en danger. Plusieurs d’entre nous ont été tués juste parce qu’ils sont Peuls. Certaines personnes avec qui nous vivions depuis belle lurette ont dressé une liste de personnes à tuer. Des gens avec qui nous prenions le thé et mangions ensemble ont voulu nous tuer sous prétexte que nous sommes Peuls. Nous avons vécu des moments très difficiles. Aujourd’hui, grâce à cette journée du vivre-ensemble organisée par le Dima, beaucoup de ceux qui avaient fui sont revenus. Nous vivons avec les autres communautés sans problème. Nous arrivons à aller au marché sans problème, ce qui était difficile, voire impossible avant la journée du vivre-ensemble », témoigne le leader communautaire.
Et d’ajouter : « Les terroristes sont venus pour détruire la communauté peule. Certaines des autres communautés pensent que tout Peul est terroriste et ils nous en veulent. Les terroristes aussi, quand ils nous croisent, ils nous tuent. Certains ne cherchent pas à faire la différence entre le terroriste et le Peul. Il a fallu cette journée du vivre-ensemble pour que dans notre zone, les Volontaires pour la défense de la patrie cherchent maintenant à vérifier l’identité lorsqu’ils prennent un jeune peul. Je ne finirai jamais de remercier le Dima de Boussouma pour ce qu’il a fait pour la communauté peule vivant dans son royaume. »
Notre interlocuteur pense que si les autres chefs coutumiers emboitaient le pas du Dima de Boussouma, la cohésion sociale et le vivre-ensemble seraient consolidés sur tout le territoire national.
Résident à Kaya, Moumouni Bamogo croit que la journée du vivre-ensemble a apporté beaucoup de quiétude au sein de la population de la ville. « À Kaya, il y a des mois en arrière, quand on voyait un Peul, surtout s’il a un turban, on commençait à se méfier de lui. Et beaucoup ont subi des injustices juste parce qu’ils sont Peuls. Avec cette journée, beaucoup de choses commencent à changer. Mais je crois qu’il faut davantage continuer à sensibiliser toutes les communautés sur le bien-fondé de vivre ensemble malgré nos différences culturelles, religieuses et autres », a laissé entendre monsieur Bamogo.
Pour lui, avec ce qui se passe actuellement, les terroristes ont atteint leur objectif qui est que les communautés se regardent en chiens de faïence. Il a par ailleurs appelé toutes les communautés à sensibiliser leurs jeunes à ne pas rejoindre les groupes armés terroristes. « Il faut vraiment que toutes les communautés, surtout la communauté peule, sensibilisent leurs jeunes à ne pas rejoindre les groupes armés terroristes. Actuellement, si les Peuls sont mal vus par certains, c’est parce que la plupart des terroristes qu’on prend parlent le fulfuldé. Il faut que la communauté peule travaille beaucoup à la sensibilisation de ses fils et filles », a-t-il suggéré.
L’apport des confessions religieuses et coutumières
La communauté musulmane s’est impliquée pour la réussite de la journée du vivre-ensemble organisée à Kaya. Selon El Hadj Abdrahmane Sana, l’islam est une religion qui prône la paix, la cohésion sociale et le vivre-ensemble. De ce fait, la communauté musulmane ne pouvait pas rester en marge de cet événement.
« Cette journée, c’était pour que les gens se comprennent et s’acceptent afin de laisser tomber les anciennes querelles pour mieux vivre ensemble. Nous avons demandé à tout le monde de se pardonner et de regarder dans la même direction. Sans la compréhension et l’acceptation de l’autre, il ne peut y avoir de paix. Nous avons sensibilisé toutes les communautés sur la nécessité de regarder dans une même direction pour le retour de la paix dans notre pays », a indiqué El Hadj Sana.
- El Hadj Abdrahmane Sana représentant de la communauté musulmane à la journée du vivre ensemble à Kaya
Pour le leader religieux musulman, aujourd’hui, pour faciliter le retour de la paix, il faut que chacun fasse fi des accusations individuelles.
« Quand il y a un problème, on accuse les autres et on s’oublie. Pourtant, tout le monde est fautif. Même si vous n’êtes pas fautif et que vous regardez les choses sans essayer de trouver une solution, alors vous êtes aussi fautif. Si aujourd’hui, tous les Burkinabè sans exception et sans considération religieuse regardent dans la même direction et se pardonnent sincèrement, je pense qu’on aura le retour de la paix. Il faut que les vieux se pardonnent et montrent le chemin aux jeunes », a-t-il notifié.
Au regard de la nécessité d’apaiser les cœurs des fils et filles de la région pour une paix durable, le président régional de la Fédération des églises et missions évangéliques du Centre-Nord, le pasteur Théodore Sawadogo, a sensibilisé les fidèles évangéliques à l’intérêt d’être unis et de travailler ensemble pour le retour de la paix dans la région du Centre-Nord en particulier et partout au Burkina Faso en général.
Au cours de la journée du vivre-ensemble en juillet dernier, les fidèles de l’église évangélique se sont mobilisés avec les autres communautés pour la réussite de l’événement. Les fidèles ont même fait un don aux personnes déplacées internes.
« Cette journée a porté des fruits. Parce qu’au niveau des religions, on sent que les choses ont beaucoup changé. La preuve est que lors des fêtes de fin d’année, il y a eu des musulmans qui sont venus communier avec nous et nous souhaiter bonne fête. Nous avons été invités par le grand imam de Kaya à aller écouter la lecture du Coran. On travaille de plus en plus ensemble. Je pense que cela est le résultat de la journée du vivre-ensemble. Je crois que les gens ont pris conscience que le Centre-Nord est la région de tout un chacun et que le Burkina Faso est le pays de tout un chacun », a confié le pasteur.
Le président régional de la Fédération des églises et missions évangéliques du Centre-Nord a terminé ses propos en invitant les Burkinabè à cultiver la paix et l’amour du prochain, pour un Burkina uni et prospère.
L’église catholique, comme toutes les autres confessions religieuses, n’est pas restée en marge de l’organisation de la journée du vivre-ensemble. Plusieurs actions ont été posées pour la réussite de l’événement. La première action posée par la communauté catholique a été d’abord la présence à l’activité des leaders religieux catholiques.
« Toutes ces présences aux côtés des autres confessions religieuses, de la chefferie traditionnelle, de toutes les autorités civiles, militaires et paramilitaires ont été une manière pour la communauté catholique d’exprimer sa foi et sa conviction que la paix et la cohésion sociale dans notre région sont possibles. Nous sommes partants pour tout effort pour la paix, la cohésion et le bon vivre-ensemble au Centre-Nord. Dans la Bible des chrétiens, il est écrit que si deux d’entre vous s’accordent sur la terre pour demander quoi que ce soit, cela leur sera donné par mon père qui est aux cieux », a fait savoir l’abbé Emile Sawadogo.
- l’abbé Emile Sawadogo, participant à la journée du vivre ensemble
Le prêtre a souligné que les responsables de l’église catholique ont adressé une prière publique pour la réussite de l’activité.
D’après le chef coutumier de Louda, Naaba Tiissé, pour la réussite de l’activité et surtout pour demander aux mânes de préserver la paix dans la région, des acteurs traditionnels ont été appelés pour des rituels. Ces acteurs sont les Sãaba (les forgerons) et les Yonyonsé (un groupe ethnique moagha).
Le leader coutumier rassure que depuis l’événement, toutes les communautés commencent à vivre en symbiose. À l’écouter, chaque communauté a pu dire ce qu’elle avait sur le cœur, à l’occasion de la journée du vivre-ensemble. Ce qui a contribué à apaiser les cœurs et les tensions entre les différentes communautés.
Naaba Tiissé exhorte les Burkinabè à repartir vers les fondamentaux de la société traditionnelle, qui sont le respect des coutumes, le pardon et l’amour du prochain.
Selon le Sãnmb Naaba Widpelgo et porte-parole de sa majesté Naaba Sigri, Dima de Boussouma, la chefferie traditionnelle de Boussouma est convaincue que c’est dans la cohésion sociale que le Burkina Faso peut retrouver la paix. Par conséquent, il faut sensibiliser la population à vivre ensemble en symbiose.
- Naaba Tiissé, chef de Louda
« S’il y a une guerre, c’est que nous n’avons pas été capables de préserver la paix. Nous pensons que notre rôle premier est de conduire la paix. S’il y a cette grande mésentente, c’est parce que les gens ne se comprennent plus. Le royaume de Boussouma s’est créé avec toutes les communautés. Chacune a laissé un peu de soi pour qu’il y ait un compromis dynamique pour créer le royaume. C’est la raison pour laquelle le roi a décidé de repartir vers la base de la création du royaume, en réunissant toutes les communautés pour qu’elles puissent se parler sincèrement », a expliqué le porte-parole du Dima de Boussouma.
D’après lui, une journée de vivre-ensemble avait été organisée en février 2019 après le drame de Yirgou par le Dima de Boussouma d’alors, Naaba Sonré. Malheureusement, sans l’accompagnement de l’État, l’initiative n’a pas porté de fruits. Pour lui, si l’État avait réagi en son temps en accompagnant les autorités coutumières à réaliser ce qui était prévu, le terrorisme n’allait pas gagner du terrain dans la région.
Donc le Naaba Sigri, fils de Naaba Sonré, a décidé d’emboîter les pas de son père pour promouvoir la paix, le vivre ensemble et la cohésion sociale. Selon le Sãnmba Naaba Wildpelgo, lors de la journée du vivre-ensemble, ils ont compris que les communautés avaient besoin d’un tel événement.
« On a compris qu’une telle journée était attendue par toutes les communautés mais principalement par la communauté peule qui était accusée le plus souvent à tort. Ce sont des Peuls qui font partie des terroristes mais pas les Peuls. Parce que dire que ce sont les Peuls, cela veut dire que toute la communauté peule s’est entendue pour être des terroristes. Les Peuls sont entre le marteau et l’enclume. Le Peul qui attaque pense que le Peul qui n’est pas avec lui est de connivence avec les autres et il peut le tuer. Les autres aussi pensent qu’il est terroriste parce qu’il y a des Peuls qui sont parmi ceux qui attaquent. Donc c’était assez difficile », a dit le chef coutumier.
« Je puis vous assurer de ce qui nous revient, à travers la communauté peule et les autres communautés, c’est que la vision des autres communautés a changé à l’égard du Peul. Les Peuls nous ont montré patte blanche. Il y des détails qu’on ne peut pas vous dire ici. La plupart des Peuls de la région ne sont pas entrés dans le terrorisme. Aujourd’hui, beaucoup comprennent que ce n’est pas tous les Peuls qui sont des terroristes. Actuellement, il y a un apaisement », a rassuré l’autorité coutumière.
Pour terminer, le leader coutumier a invité les Burkinabè à être solidaires et à vivre pour les autres. « Si chacun vit pour les autres, il n’y aura aucun problème parce que les autres vivront pour toi. Et le Burkina Faso va pouvoir se construire parce que notre nation n’est pas encore construite. Nous sommes en construction de la nation ; et pour cela, nous devrons nous connaître, nous accepter et nous respecter. Si depuis des siècles nos ancêtres ont pu travailler main dans la main, il n’y a pas de raison que nous, qui avons hérité de ce pays, fassions voler en éclat ce qu’ils ont pu construire. Je demande à chacun de nous de donner la main à l’autre pour la construction d’un Burkina Faso de paix et d’amour », a demandé Naaba Wildpelgo.
Pour rappel, la même journée organisée à Kaya été organisée à Boulsa et à Kongoussi, toutes sous le leadership du Dima de Boussouma.
Rama Diallo
Lefaso.net
crédit Photo de la Une ©AIB
Source: LeFaso.net
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