Dans cet entretien qu’il a nous a accordé au siège régional de la communauté islamique Ahmadiyya de la Boucle du Mouhoun, sis à Dédougou (chef-lieu), Abdoul Razak Paré, missionnaire pour ladite région, dévoile les missions de cette organisation islamique à l’échelle locale, où le volet social occupe une place prépondérante. Sans langue de bois, M. Paré fait une lecture de la situation nationale et apporte des précisions sur des questions cruciales, à l’image du phénomène des talibés.

Lefaso.net : Quel est le rôle des missionnaires régionaux que vous êtes ?

Abdoul Razak Paré : Les missionnaires régionaux sont chargés de conduire, à l’échelle de la région, les missions nationales de la Jama’at islamique Ahmadiyya. Ils représentent la communauté, coordonnent l’action des responsables locaux et constituent les intermédiaires entre la base et l’organe dirigeant national.

On observe que, dans vos missions, il y a beaucoup du social. Pouvez-vous dire davantage sur ce volet, autre que le religieux ?

Effectivement, tout n’est pas religion ; il y a le social, qui couvre beaucoup d’éléments. Tout ce que la Jama’at Ahmadiyya s’est donné comme missions générales au Burkina se traduit ici au niveau régional. C’est le cas de la construction d’écoles ; nous avons par exemple ici, dans le centre, une école de la 6e à la 3e. Le bâtiment en construction viendra compléter par l’ajout des classes de 2de, 1re et de Terminale.

On a aussi la réhabilitation des forages dans les communes et villages ; dans plusieurs villages, des forages sont réhabilités pour les populations. Dans les villages, des moyens sont mis pour construire des forages, mais malheureusement, le volet suivi et dépannage fait défaut. Si fait que lorsque l’infrastructure tombe en panne et que ça nécessite des moyens importants, les populations bénéficiaires ne peuvent pas supporter.

Conséquence, pour de simples pannes, des forages restent inutilisés et les populations sont obligées de recourir à leurs anciennes sources d’eau, avec toutes les conséquences que cela comporte sur le plan de leur santé et même de la disponibilité. C’est cette réalité qui a motivé notre communauté à intégrer cet élément parmi les priorités, et les forages réhabilités à travers la région montre que c’était vraiment nécessaire. Très peu de villages de la région peuvent dire qu’ils n’ont pas bénéficié de nos interventions dans ce sens ; dans les villages, des centres de santé et bien d’autres services sociaux.

Nous avons également les visites que nous rendons régulièrement aux malades dans les centres de santé et de détention (prisons). Ce sont des démarches par lesquelles nous encourageons les personnes souffrantes et détenues par des messages de réconfort, des prières et des contributions matérielles et financières. Pendant les périodes de fêtes également, nous faisons tout pour effectuer ces visites.

Avec la préoccupation humanitaire ces dernières années, nous avons aussi déployé nos efforts dans la dynamique nationale par des contributions diverses pour la prise en charge de nos frères et sœurs contraints de quitter leurs localités d’origine (les personnes déplacées internes). Sur place, à notre école ici par exemple, on a de nombreux élèves déplacés ; nous leur apportons tout ce qu’on peut comme aides.

Je peux aussi citer les opérations de cataractes gratuites que nous lançons régulièrement pour tous ceux qui sont intéressés. Quand vient le moment de cette opération, nous passons l’information à la radio et par bien d’autres canaux pour le public.

Ce sont vraiment entre autres éléments que je peux énumérer, parce que la liste est longue ; et en dehors de ces aspects qui font partie de notre programme, on est sollicité régulièrement par des gens en difficultés et nous n’hésitons pas, tant que nous avons la moindre possibilité, de leur venir en aide. Cela n’a pas de limite ; tout ce qui peut aider l’être humain à se sortir des difficultés, nous n’hésitons pas, tant qu’on peut.

Ici, dans la bibliothèque (vue partielle), Abdoul Razak Paré (à gauche) et Mohamed Koné, imam.

Faut-il comprendre également que toute personne peut bénéficier de vos actions, sans distinction et d’appartenance religieuse ?

C’est exactement cela. Ce qui est commun à nous tous, c’est notre nature d’être humain. C’est suffisant. Nos actions, c’est envers les êtres humains ; tous ceux qui sont dans le besoin. C’est notre nature d’humain qui passe avant toute considération religieuse. Dans la religion, c’est l’humain d’abord, l’amour pour son prochain, les rapports que nous avons entre nous, dans la vie de tous les jours. Quand nous allons dans les prisons ou dans les centres de santé, on ne cherche pas à savoir qui est de quelle religion ; quand on entre dans une salle, nos actions vont à tout le monde.

Et pour ce qui est de votre école ici, est-ce que tout enfant peut y accéder, sans conditions liées à l’appartenance religieuse ?

Bien-sûr ! L’école est laïque, c’est pour tout le monde et elle est construite comme toute autre pour aider l’effort de l’État en la matière. C’est le même enseignement donc qui y est dispensé avec les mêmes enseignants et règlements. Tout ce qui est fait, c’est pour le bien-être des populations de Dédougou, de la région et pour que les populations puissent en tirer profit. C’est donc un plus pour accompagner les dirigeants dans l’éduction, car nous savons que le public ne peut pas tout faire ; il faut que chacun puisse, dans la mesure du possible, accompagner les efforts de l’État sur ce plan également. Il en est de même pour les centres de santé que nous construisons ; ils sont à la disposition des populations et les soignants sont ceux qui exercent dans les structures de santé ailleurs, y compris dans les structures publiques de santé.

De façon concrète, lorsque vous vous rendez dans une maison de détention, quel type de message vous livrez ?

Ce sont des messages d’encouragement et de sensibilisation. On fait comprendre aux pensionnaires que personne sur terre ne peut dire qu’elle ne goûtera pas à la prison ; parce qu’il ne suffit pas d’être fautif pour se retrouver dans ces lieux. Autrement, on peut être innocent et se retrouver par la force des circonstances en prison. Chaque homme sur terre est donc un prisonnier en sursis, comme on le dit.

Pour dire que se retrouver en ces lieux n’est pas une fatalité : ‘‘un jour, vous allez en ressortir, il faut être patient et prier. Si vous jugez que vous vous y êtes retrouvé injustement, priez et confiez-vous à Dieu, car lui seul sait pourquoi ça arrive. Par contre, si vous savez pertinemment que vous êtes fautif, ayez l’humilité de le reconnaître et de faire une introspection pour prendre l’engagement intérieur de vous améliorer. L’homme est neuf, il n’est pas dix ; tout le monde peut commettre des erreurs, et quand ça arrive, il faut l’accepter pour tirer le meilleur de soi et avancer ».

Nous ajoutons à tout cela les prières pour eux, pour que ceux qui ont commis des dérapages à un moment donné, puissent s’amender face aux épreuves. C’est dans ce sens que vont nos messages. Si ces sorties coïncident avec un jour de fête, nous faisons en sorte qu’ils puissent bénéficier du festin.

… Et dans les centres de santé ?

Nous prions pour tout le monde, ceux qui veulent bien-sûr. Nous faisons comprendre que la maladie n’épargne personne ; toute personne est susceptible de tomber malade, un jour ou l’autre. Et comme on le dit également dans les livres saints, la maladie est un moment pour l’être humain de mesurer l’importance d’être en santé. Quand on est en santé, on court partout, on oublie beaucoup d’aspects de la vie, on n’a les yeux que sur le monde matériel et les plaisirs, etc. Voilà pourquoi on dit souvent aux gens de se rendre de temps à autre à l’hôpital, ça nous aide à comprendre qui nous sommes.

Ça nous enseigne l’humilité, la modestie, l’altruisme, la tolérance, la mesure, etc. Aussi, les maladies sont des moments d’interpellation sur le fait que, quel que soit ce qu’on a comme biens matériels, on doit avoir les pieds sur terre. Nous demandons enfin aux patients de toujours prier, chacun selon sa croyance (vous êtes musulman, chrétien, des religions traditionnelles …). Nous profitons de chaque passage pour apporter à chacun ce que nous avons comme modestes contributions ; c’est aussi cela la solidarité dans des moments difficiles.

Les classes déjà disponibles…

Avec le contexte sécuritaire que vit la région, on suppose que vous êtes plus que jamais sollicités !

C’est vrai, nous sommes sollicités, comme toutes les entités d’ailleurs. La question de nos frères et sœurs déplacés est une véritable préoccupation et nous faisons tout ce qu’on peut également pour apporter notre contribution aux efforts d’ensemble, aux côtés des autorités étatiques et des initiatives privées. Même avec les derniers cas de personnes déplacées dans la localité, nous avons de nombreuses demandes d’aide. Et lorsque nous recevons les demandes, nous les transmettons à la hiérarchie à Ouagadougou, qui les centralise au niveau de Humanity First, qui est la structure de la communauté, chargée uniquement du volet humanitaire. Cette structure examine et envoie les appuis en nature et en espèces, que nous transmettons aux bénéficiaires. C’est la même démarche de soutiens que nous avons envers les élèves déplacés internes, lorsqu’ils se signalent et expriment le besoin.

Vous avez également une radio locale, quelle est sa mission ?

La radio a les deux volets ; le spirituel et l’information, la sensibilisation de la population. La radio est un canal de promotion de la religion ahmadiyya, qui est une religion qui prend en compte les réalités pratiques de la vie et son évolution. Les gens ont sali et perverti la religion de façon générale, la Jama’at Ahmadiyya s’est donné pour mission d’œuvrer à dissiper les incompréhensions, à lever les sources des dérives, pour lui donner son sens réel, à savoir unir les hommes, cultiver l’amour et non diviser et poser des actes nuisibles.

Il est dit dans les livres saints que viendra un moment où la religion sera pervertie, dévoyée, salie, et que même les musulmans ne vont pas s’entendre entre eux, à plus forte raison avec les autres confessions religieuses. Mais Dieu a également dit qu’on ne va pas demeurer dans cette situation d’incompréhensions, qu’il y aura des personnes qui vont venir redresser les dérives. Le fondateur de Ahmadiyya, Mirza Ghulam Ahmad, a pris l’engagement et dit qu’il va être cet envoyé-là qui va œuvrer à restaurer la vocation de l’Islam.

La radio a donc cette mission-là de restituer la religion dans sa compréhension réelle, sensibiliser donc les populations. Nous le faisons par des prêches, pour que les gens soient conscientisés, pour ne pas se laisser tromper par des interprétations erronées que d’autres font de la religion. Vous avez ici des Corans traduits dans plusieurs langues ; en français et dans les langues locales, pour permettre aux gens d’avoir la compréhension réelle du message de Dieu. Tout le monde vient ici, chrétiens, musulmans, adeptes des religions traditionnelles, etc., et nous donnons gratuitement parfois ou vendons le Coran traduit à tout le monde, pour que chacun puisse s’imprégner pour éviter de se laisser embarquer dans les confusions.

À travers la radio, on sensibilise donc, on travaille à promouvoir la cohésion, l’unité, la fraternité, le civisme, les valeurs de la société. On fait comprendre que la religion ne peut être bénéfique que lorsqu’elle est pratiquée sur un socle de fraternité, d’humanisme. Il faut donner ces messages-là aux populations ; parce que les gens sont tombés dans un tel désordre que même la fraternité, le sens de l’humain ont disparu. Or, tant que la religion ne se pratique pas dans un cadre où les gens font passer l’humain avant, la religion ne peut pas prospérer et servir.

De ce fait, il faut travailler à faire comprendre à tout le monde que la religion doit se pratiquer dans le cadre fraternel. Par exemple, on doit tous comprendre que l’éducation de l’enfant commence même avant sa naissance, dans le ventre de sa mère, pas au moment où l’enfant a grandi. Si vous voulez attendre que l’enfant grandisse avant de lui inculquer des valeurs, ça ne va pas marcher. Il faut qu’on revienne donc à certaines réalités, commencer à éduquer dès le ventre de sa mère ; l’enfant reçoit tous les mouvements, sentiments et émotions de sa mère. Tout ce qu’elle vit affecte l’enfant dans le ventre. Faisons donc attention et tenons compte de cela.

Aujourd’hui, c’est regrettable de constater qu’on pose certains actes sans se soucier des enfants, on ignore que quel que soit leur âge, ils enregistrent ce que les parents font, leur cerveau est comme un ordinateur. On ne doit pas regarder des vidéos pas commodes devant les enfants et croire que parce qu’ils sont petits, ils ne retiennent rien. Il faut qu’on soit plus vigilants et exigeants envers nous-mêmes, lorsque nous sommes devant nos enfants. Tout commence par-là.

Jusqu’à un certain âge, l’enfant a, en lui, la part des parents et celle de ses maîtres (enseignants). Hélas, nous avons abandonné la rigueur, et c’est quand l’enfant devient grand qu’on veut rattraper certaines choses, c’est impossible. L’éducation est capitale et lorsqu’on la rate, c’est toute la société qui paie le prix fort. Et lorsqu’à cela, s’ajoutent les mauvaises interprétations que des individus font de la religion, ça devient très compliqué. Il est dit que viendra un moment où ce sont ceux-là mêmes qui sont censés enseigner les gens à la religion qui les induisent en erreur. Nous sommes à cette époque. Pourquoi ? Parce qu’ils servent des interprétations erronées aux gens.

…et ce bâtiment en construction permettront aux élèves de l’enseignement général de poursuivre tout le cycle scolaire.

C’est pourquoi, vous verrez souvent sur les images des bases des groupes armés ennemis que l’armée a détruites, le Coran déposé. Ces ennemis-là croient que c’est le Saint Coran ils sont en train d’expliquer. C’est simplement la mauvaise interprétation. La religion n’a jamais dit de tuer son prochain. C’est archi-faux. Au contraire, tous ceux qui sont à côté de la religion, et qui ne la partagent pas, doivent être les plus sécurisés. C’est cela la religion. Allah a bien indiqué : ‘‘Dites aux mécréants de suivre leurs croyances et vous aussi, continuez avec votre religion ». C’est aussi simple que cela.

Le Saint Coran n’a jamais dit de faire la force à quelqu’un pour l’amener sur ton chemin. Dans la religion, il n’y a pas de contrainte, à plus forte raison ôter la vie d’autrui. Chacun suit sa religion, sa croyance. C’est ce qui est recommandé. Dieu a dit qu’il donne le droit à quelqu’un qui est menacé de mort pour sa croyance, de se défendre. Et c’est ce que nos autorités font, à savoir défendre le territoire, les populations contre des individus qui veulent tuer les citoyens pour soi-disant la religion. Quelqu’un vient et veut vous tuer, vous n’allez pas croiser les bras, vous avez le droit de vous défendre.

Mais se lever prendre une arme et débarquer chez des gens pour vouloir les contraindre à suivre votre croyance, ce n’est pas la religion qui le dit. Et la radio a pour mission donc d’éclairer les populations sur ces aspects, y compris ceux qui se sont trompés et qui ont occupé certaines brousses (parce que la radio couvre beaucoup de localités). Heureusement que les populations comprennent aujourd’hui que ce n’est pas une guerre de religion, ce sont des individus qui sont manipulés, aidés en cela par l’ignorance.

Tous ceux qui suivent nos messages l’ont compris. Ils sont manipulés par de grandes puissances qui ont leurs intérêts dans la situation que nous vivons. Notre leader actuel, Hazrat Mirza Masrur Ahmad, a participé à une assemblée en Grande-Bretagne, au cours de laquelle, des dirigeants ont voulu avoir son avis sur la situation de crise actuelle que traverse le monde dans beaucoup de ses contrées, notamment au Sahel.

Il a simplement dit à ces leaders que ce sont les grandes puissances qui doivent d’abord se corriger. Il a dit : ‘‘Si vous êtes honnêtes, les crises vont finir. Là où il y a les crises, on ne produit pas d’armes là-bas. Là où on vit le terrorisme, on n’y fabrique pas d’armes. Alors, si vous décidez de mettre votre volonté et votre bonne foi…, vous verrez que ces crises vont s’éteindre ». C’est ce qu’il leur a dit.

Tout le monde sait aujourd’hui que la crise que nous vivons est imposée par les grandes puissances, qui simplement utilisent des ignorants parmi nous. La radio sert donc à ramener les choses à leurs réalités, éclairer ceux qui n’ont pas compris, ceux qui se sont trompés. Aujourd’hui, pour lire le Coran, vous n’avez pas besoin d’abandonner l’école ; le numérique est venu faciliter les choses.

Par exemple, ceux qui veulent apprendre le Coran n’ont même pas besoin de se déplacer ici au siège, il y a un groupe WhatsApp par lequel, vous pouvez le faire, étant chez vous à domicile. Si vous voulez également, le maître vous rejoint chez vous. Pas besoin d’enlever l’enfant de l’école pour qu’il apprenne le Coran, une quinzaine de minutes par jour suffisent pour apprendre, tout en étant à l’école.


À la lumière de ce que vous avez développé, où faut-il situer la question des talibés dans la religion ?

Tout cela va contre les valeurs de l’islam. On confond ces pratiques à l’Islam et tout ça contribue à ternir l’image de la religion. Prenez un certain nombre de talibés que vous voyez dans les rues, demandez-leur un élément basique sur la religion, ils ne vont même pas pouvoir vous répondre. C’est dire que ces enfants, qu’on appelle talibés, auraient passé une dizaine d’années cadeau. Au finish, ce qui reste à ces enfants, c’est d’aller trouver un endroit pour s’installer et s’appeler ‘‘marabouts ». Les gens vont aller maintenant leur exposer leurs problèmes, pour espérer qu’ils les règlent, alors qu’eux-mêmes sont dans le besoin. Voyez-vous comment ces pratiques mettent en danger l’Islam et tirent notre développement vers le bas !

Dans le Saint Coran, Dieu a dit de lui demander directement et il va vous donner : « Demandez-moi, je vais vous donner ». Au lieu de cela, quelqu’un s’assoit et vous dit de venir le voir pour que lui demande à Dieu pour vous ; il se prend pour un petit Dieu, quelque part. Tout cela, en contrepartie de quelque chose. Non ! S’il est de bonne foi, quelqu’un qui vient à lui, il explique comment faire pour demander directement à Dieu, et non utiliser les connaissances pour monnayer. Même le Saint-Prophète, celui que Dieu a envoyé, ne l’a jamais fait. Dieu a donné le message de passer aux autres, pas d’en user pour se faire de la richesse. Un musulman ne doit pas s’assoir pour que les gens viennent lui exposer leurs problèmes et pour que lui puisse avoir de l’argent. Seul Dieu règle les problèmes, pas celui qui se dit marabout. Ces ‘‘marabouts-là » savent comment avoir les gens, face aux difficultés de la vie : « si vous voulez foyer, venez. Si vous voulez l’argent, venez. Si vous voulez travail, venez, etc. ».

Ce sont des choses qui intéressent les gens. Ce sont des pratiques qui ternissent l’image de la religion. Chez nous ici, nous vous disons le contraire : « Vous voulez l’argent, levez-vous, travaillez et priez. Dieu a dit, levez-vous tard dans la nuit, au moment où le sommeil est intéressant, 3h, 4h du matin, priez et demandez-moi ce que vous voulez, je vais exaucer ».

Priez et priez sincèrement. Dieu ne trahit pas. C’est cela le secret, que ceux qui se disent marabouts ne viennent pas prendre ces connaissances pour monnayer. Et c’est simple, Dieu nous a donné la tête pour réfléchir pour notre bien individuel et collectif, pas pour nuire aux autres. Construisez et développez de bonnes pensées. Dieu nous a tout donné. C’est ce à quoi sert aussi notre radio et c’est ce type de messages que nos missionnaires véhiculent, pour éveiller les consciences, éclairer les gens, assurer l’éducation spirituelle et sociale.

D’où donc le slogan « L’Amour pour tous, la haine pour personne »

Effectivement, c’est tout cela qui se traduit à travers notre slogan : « l’amour pour tous, la haine pour personne ». Nous sommes tous les mêmes, des êtres humains. Nous devons être modestes et comprendre que personne n’est au-dessus de l’autre. Les connaissances en Islam sont faites pour le bien-être de tout le monde. Dans l’Islam, l’état d’esprit mercantiliste ne doit pas exister. Il ne suffit pas d’arborer des boubous, des insignes, pour se prendre pour un vrai musulman.

La religion, ce n’est pas une question d’accoutrements. Non, chacun a sa culture. Si ce n’est parce que nous sommes acculturés, nous ici, notre habillement devait être en Faso Danfani et non des boubous qui sont de la culture des autres, qu’on part prendre au nom de la religion. Ce n’est pas votre accoutrement qui fait votre religion, la foi ; ça ne fait pas de vous un vrai pratiquant, un croyant. Ce dont Dieu a besoin, c’est le comportement.

Photo de famille à l’issue d’une visite d’autorités du ministère en charge de la communication, en 2017.

Quels sont vos rapports avec les autres confessions religieuses ?

Nous collaborons avec tout le monde, toutes les confessions religieuses. Dernièrement, nous sommes allés saluer la nomination du responsable régional de la communauté musulmane, en tant que notre leader. Nous le faisons, quitte à ce que lui, ne nous reconnaisse pas comme branche de la communauté. Que certains ne nous reconnaissent pas comme une branche de l’Islam n’est pas notre souci ; l’essentiel, c’est que nous nous reconnaissons les responsables de la communauté islamique. Nous remplissons donc notre devoir envers le premier responsable.

Nous nous approchons de tout le monde, quitte à ce que l’autre refuse de nous reconnaître. Nous sommes ouverts à tout le monde. Nous n’avons aucune barrière envers une religion ; notre religion nous interdit les barrières envers l’autre. Maintenant, si vous mettez une barrière, nous ne pouvons pas l’enlever et ce n’est pas à nous de l’enlever. Aujourd’hui, à la radio ici, tout le monde vient, y compris nos frères chrétiens ; on échange, on bavarde, ils passent des messages à la radio, etc. Ils nous invitent à leurs événements et tout. C’est la même chose avec les autorités coutumières, le chef de canton.

Nous avons également le même égard et respect pour les autorités administratives ; c’est ce que la religion recommande. Il est dit qu’il faut respecter les autorités, sans distinction ; qu’elles soient étatiques, coutumières, religieuses, etc. Toute personne qui assume une responsabilité dans une communauté doit être respectée.

On ne dit pas de respecter seulement des gens de votre confession, des leaders de votre bord religieux, des dirigeants de votre obédience, on dit tout responsable. Si on ne comprend pas cela, on devient un élément de désordre dans la société. Il faut que les gens sachent cela, sinon on crée le désordre et on fait du mal à la société. C’est tout cela que nous enseignons à Ahmadiyya. Nous ici, nous lisons tout ; tous les livres saints, Coran, Bible, etc.


Au terme de cet entretien, quel message souhaiteriez-vous partager avec les populations de la Boucle du Mouhoun, et de façon générale avec tous ceux qui vous lisent ?

Aux populations de Dédougou, de la Boucle du Mouhoun et partant, à l’ensemble de tous ceux qui nous lisent, je dirai que la période difficile que nous traversons, exige de la part de chacun, des prières et de la volonté personnelle. Que chacun prie sincèrement selon sa croyance. Aussi, je demande aux gens de cultiver l’esprit de compréhension, de tolérance et de respect envers l’autre. Quand vous vous mettez au-dessus de tout, vous tombez dans des erreurs, vous commettez des fautes. Il faut être humble dans la vie.

Lorsque vous passez le temps à regarder les gens du haut, vous allez sans doute tomber à un moment donné. Il y a des gens qui sont couchés aujourd’hui, incapables du moindre mouvement, ils sont malades et ne demandent que la santé. Lorsque vous êtes en santé, dites-vous que vous n’êtes pas mieux que ceux qui sont couchés, qui souffrent. Soyons donc humbles, c’est très important. Il y a des situations qui arrivent, même toutes vos richesses du monde ne peuvent pas régler ; seul votre entourage, les hommes… peuvent vous être en ce moment utiles. Il faut qu’on pense à cela, à tout instant de notre vie.

C’est pour dire qu’on ne doit pas passer notre temps à regarder en haut, il faut aussi regarder en bas pour mieux apprécier ce qu’on a. À vouloir s’accrocher vaille que vaille en haut, on finit par se créer des ennuis. L’être humain n’est jamais satisfait, il faut donc savoir s’arrêter de temps en temps et apprécier ce qu’on a, sinon, on ne peut même pas être utile aux autres. Je voudrais vraiment insister sur cela ; soyons humbles, c’est capital dans nos rapports entre nous citoyens et nos rapports avec nous-mêmes. Il ne faut pas vouloir faire primer à tout moment son point de vue sur ceux des autres. Il faut qu’on s’écoute, c’est important.

On n’écoute pas parce qu’on est d’accord, on écoute aussi pour comprendre l’autre. Si on ne s’écoute pas, comment peut-on se comprendre, à plus forte raison résoudre les problèmes de notre société ? Aussi, laissons les jugements faciles qu’on se fait des autres, les conclusions hâtives, etc. Nous devons tous nous interroger à tout moment, pour nous améliorer nous-mêmes et améliorer nos rapports avec les autres.

Notre pays traverse une période très difficile, nous devons encore être plus tolérants, solidaires, vigilants, modestes, modérés, etc. Il faut respecter scrupuleusement les consignes que les autorités donnent en matière de sécurité et pour le bien de tout le monde. Les comportements qu’on a à des moments difficiles ne doivent pas être comme ceux des temps ordinaires.

Ce sont vraiment ces messages que nous souhaitons partager avec les populations. Évitons, en ces temps difficiles, des comportements de négligence, de laxisme, qui mettent en difficultés les autres et la sécurité collective. Nous devons tirer leçons et nous inspirer des difficultés similaires que les autres ont vécues, pour pouvoir nous sortir rapidement de là.

C’est ce à quoi je veux inviter les populations de Dédougou et de toute la région. Toute difficulté a une fin, ce que nous vivons sera un vieux souvenir. Il est dit que lorsque vous êtes dans le bonheur, mettez-vous en tête que vous allez un jour vivre une part de difficultés. De même, quand vous êtes dans des difficultés, sachez que viendront des moments de bonheur. Donc, ayons de bons comportements entre nous, reconnaissons simplement que nous sommes des êtres humains et que notre vie n’est rien sans les autres ; ce sont les autres qui donnent sens à notre vie.

Je voudrais ajouter, en disant que personne ne doit se laisser impacter par la religion au détriment de la fraternité et de la nature d’être humain qui nous lient. En d’autres termes, c’est la fraternité, l’altruisme, notre nature d’être humain qui doivent passer avant tout, la religion vient après cela. La religion ne doit pas venir détruire les relations humaines, la fraternité, notre sentiment d’appartenance à une même société en tant qu’être humain. Si on n’a pas cela à l’esprit, c’est le désordre qui va s’installer, même dans nos religions.

Dans une famille, on trouve des chrétiens, des musulmans, des protestants, etc. Ici, ce qui compte, c’est la hiérarchie, les valeurs sociales : papa, maman, grand-frère, grand-sœur, petite-sœur…, c’est cela qui régit la vie dans la famille. Si on veut faire primer la religion dans la famille, il n’y aura jamais d’entente entre les membres. Tant qu’on ne comprend pas ces paramètres, on va se rendre la vie difficile. Soyons donc humbles, tolérants, altruistes, obéissants, patients, c’est important pour nous et pour le bien de la société.

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Interview réalisée par Oumar L. Ouédraogo

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Source: LeFaso.net