« Réforme constitutionnelle et légitimité démocratique. » C’est sur ce thème que Pr Abdoulaye Soma s’est prononcé lors de la conférence organisée par la Société burkinabè de droit constitutionnel (SBDC), ce samedi 13 janvier 2024, à l’Université Joseph Ki-Zerbo. Dans son exposé, le constitutionnaliste est revenu sur les institutions qui sont intervenues dans le cadre de cette réforme avant poser le problème de la légitimité d’un point de vue politique et juridique.
Le vendredi 12 janvier 2024, le Conseil constitutionnel actait la modification de la constitution, dont le projet avait été voté à la majorité le 30 décembre 2023, à l’Assemblée législative de transition (ALT). Concrètement, la tenue de ce débat ne peux plus avoir une influence sur la décision du Conseil constitutionnel car, selon l’article 159 de la Constitution, « les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. » Toutefois, des dires du spécialiste, « la raison d’être de la science est de discuter ce qui est pour améliorer ce qui est. »
Dans un premier temps, la question qui se pose à travers ce thème est de savoir si les institutions qui sont intervenues dans le processus de révision constitutionnelle ont la légitimité pour opérer cette révision. D’entrée de jeu, Pr Abdoulaye Soma fera observer que la légitimité constitutionnelle appelle la légitimité populaire. « La constitution est la propriété du peuple. Ce qui est donc important c’est l’expression du peuple si on choisit la voix référendaire, ou l’expression de ses représentants, si on choisit la voix parlementaire. Au Burkina Faso, l’article 161 précise les personnes ou institutions qui interviennent dans le processus de révision de la constitution. Il s’agit du président, de l’Assemblée et du peuple… Ces personnes ou institutions sont celles qui devaient intervenir dans le cadre de la revision. L’effectivité que personne ne conteste est que Ibrahim Traoré est président du Faso, même s’il est arrivé par coup d’Etat. Pareil pour l’ALT. On sait comment les députés ont été désignés et personne ne conteste qu’elle est l’organe parlementaire du Burkina Faso qui vote les lois et est investi. . des fonctions législatives » a t-il expliqué.
Pour ce qui est du processus de révision de la constitution, le constitutionnaliste procédera d’une part par une critique politique, d’autre part, juridique. « Politiquement, cette révision peut être qualifiée de quasi confidentielle et trop accélérée. Quasi confidentielle parce que le conseil des ministres qui a annoncé le projet de révision de la constitution a surpris tout le monde. Personnellement, du haut de mon intérêt pour le droit constitutionnel, je n’avais jamais entendu parler d’une possible révision de la constitution. Alors que la constitution n’est pas une norme de circonstance, ce n’est pas une norme de régime ou une norme de personne. C’est une norme du peuple. Et pour le faire, il faut s’assurer que le peuple est informé, qu’il a pu discuter et qu’il a validé le sens de cette révision. Ce n’est pas sûr que cela a été fait. En tout cas, on n’a pas eu à verser dans le débat. Cette révision est trop accélérée, parce que ce doit être la première révision constitutionnelle qui a été faite en moins d’un mois. C’est un problème, surtout au regard de la profondeur des réformes qui devaient être faites. Ça ne tient pas à un nombre de dispositions touchées, mais à la teneur des dispositions touchées. La réforme qui a été faite est substantielle pour réorienter la trajectoire du Burkina Faso à certains points. Il eût fallu laisser le temps au peuple d’aviser, de discuter et d’échanger sur la question. De mon intime conviction, cette modification devait passer par référendum parce que l’architecture institutionnelle d’un Etat est bâtie par le peuple. Et pour la modification fondamentale de cette constitution, il fallait repartir chez le propriétaire » a t-il détaillé.
Pour lui, cette démarche risque fort de poser un problème de durabilité institutionnelle. « Si vous n’êtes pas intervenu dans cette modification, en cas de changement de régime, et forcément il y en aura un jour, si celui qui arrive n’a pas compris le sens de ces modifications, il reviendra la dessus » a-t-il assuré.
Juridiquement, la procédure de révision comprend trois phases. L’initiative, l’appréciation et l’adoption. Les deux dernières passent par l’ALT. « J’ai suivi cette phase d’adoption de la révision. Les phases de consultation et d’appréciation n’ont pas été respectées. Alors que la phase de l’appréciation permet de poser des questions de principe, souvent sur l’opportunité d’intervention d’une révision constitutionnelle. Ne l’ayant pas fait, le parlement s’est enlevé la prérogative de discuter certaines questions de fond et a enlevé au peuple la faculté de comprendre certaines interrogations qui se sont posées par rapport à cette réforme » a t-il regretté.
Pour lui, le Conseil constitutionnel devrait revenir à une appréciation de la régularité de la modification constitutionnelle. « J’ai eu l’impression que le Conseil constitutionnel n’a pas eu de considérant sur le respect de la phase de consultation et d’appréciation, alors que c’est une phase totalement autonome de l’adoption de la constitution » a t-il conclu.
Erwan Compaoré
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
Commentaires récents