La Côte d’Ivoire est sur un nuage actuellement en ce début d’année 2024. Quel pays ne serait pas beau avec sa population qui fraternise sans distinction de race, d’ethnie, de religion, tous des fans de football ? Toutes le divisions sur la politique sont abolies et les opposants, s’ils ne se cachent pas, sont tous derrière le président. Le football fait rêver, c’est un jeu collectif avec des doses d’individualités.
C’est un sport avec des enjeux tactiques et stratégiques pilotés par des personnes qui ne sont pas sur le terrain. Mais si la mayonnaise des interactions entre joueurs sur le terrain et coach en dehors, plus l’immense public dans le stade et le pays prend, l’équipe gagne et c’est comme si tout le monde y avait participé. Il y a tellement de côtés attractifs dans cette discipline qui séduisent les hommes et les femmes de notre temps, qu’elle est aujourd’hui vraiment l’opium de tous les peuples avec la conversion des monarchies du Golfe au sport roi.
Organiser une coupe d’Afrique des nations est quelque chose de coûteux, d’excessivement coûteuse, mais pour un mois de trêve sociale, tous les présidents d’Afrique sont prêts à le faire au détriment des écoles et des dispensaires. Qui sont les grands gagnants de cette compétition ? Quelles sont les sociétés qui ont raflé les marchés ? Le pays, après tous ces investissements, aura-t-il quelque chose au plan économique ?
Le samedi 13 janvier 2024 a débuté la Coupe d’Afrique des nations 2024 qui se tiendra jusqu’au 11 février 2024 en Côte d’Ivoire à Abidjan, Yamoussoukro, Bouaké, Korhogo, San Pedro. Cinq villes avec six stades correspondants aux normes de qualité prescrites par la Confédération africaine de football (CAF) et la Fédération internationale de football association (FIFA). La ville d’Abidjan a deux stades : le stade Félix Houphouët Boigny qui a été rénové et le stade Alassane Dramane Ouattara d’Ebimpé et donc abritera deux groupes sur les six.
Les infrastructures sportives nouvelles ou rénovées sont au nombre de six stades, 24 terrains d’entraînement. Le football est l’une des activités où les Africains ont obtenu sur le plan international une certaine réussite par le talent de quelques joueurs. Mais au plan organisationnel, le continent pêche par la gouvernance des fédérations et l’immixtion des politiques. La CAN est une réussite politique plus vieille que les indépendances de la majorité des pays. Elle a été lancée par l’Ethiopie, le Soudan et le Ghana en 1957.
C’est une plateforme de lancement des joueurs africains à l’international, les clubs européens y viennent puiser les pépites pour être compétitives dans leurs championnats. Maintenant, certains d’eux empêchent les joueurs africains de participer à la CAN et veulent que son calendrier soit dépendant de celui de l’Europe. Quel manque de respect ! Le plus grave c’est que les dirigeants de la CAF sont prêts à se soumettre à ce diktat pour obtenir des postes au sein de la FIFA.
La CAF prend tout et laisse peu à l’Etat qui organise
La Confédération africaine de football est très gourmande sur les recettes de la CAN et met peu d’argent pour les dépenses. Le cahier des charges d’organisation de la CAN impose des investissements importants en infrastructures sportives et de communication mais la CAF ne laisse presque rien sur les recettes de billetterie. Seulement 20% du prix des billets d’entrée au stade revient au pays organisateur. Pourtant, la CAF impose presque toutes les dépenses jusqu’à la prise en charge des officiels de la CAF avec des per diem dont il fixe lui-même le taux au pays organisateur. A noter que tout ce qui est droits de télévision, parrainages et publicités revient à la CAF en totalité.
Avec un investissement de la Côte d’Ivoire estimée à 665 milliards de francs CFA, même si tout ne doit pas être rentabilisé en un mois, on ne voit pas comment les recettes touristiques dont on espère qu’elles vont augmenter permettront d’amortir cette dépense très lourde. Pourtant, la CAF est très riche. Il y a deux ans, elle déclarait des revenus totaux de 103,6 millions de dollars américains. Cette année, les droits de télévision ont augmenté, de nouveaux sponsors comme Tik Tok sont arrivés alors que les américains Visa et le français TotalEnergie sont toujours présents pour les plus importants.
La CAF, dans sa gouvernance, a copié tous les défauts de la FIFA qui se bat pour la mettre sous sa férule en changeant le calendrier de la CAN pour l’été pour plaire aux clubs de football étrangers. Mais le climat lutte pour que la CAN se joue en janvier-février, car l’été c’est la saison des pluies pour des pays comme le Cameroun et la Côte d’Ivoire. Si la CAF s’entête dans ce calendrier, on aura une CAN qui se déroule en été en Afrique du nord et en janvier au sud du continent, est-ce vraiment raisonnable ?
Car jusque-là, les CAN d’été se sont jouées en Algérie et en Egypte. La CAF est irresponsable et ne voit pas l’inflation galopante des coûts d’organisation de la CAN. Le Gabon en 2017 avait annoncé un investissement de 192 milliards de FCFA, ce coût a été multiplié par plus de trois en 2024. Seulement 17 pays africains, soit 31% des pays appartenant à la CAF, ont réussi à organiser une CAN. Avec cette inflation des coûts avec 24 équipes à la phase finale, le rêve d’abriter une CAN ne sera pas à la portée de tout le monde.
Entre la Confédération africaine de football, organisatrice qui ne délie pas les cordons de la bourse et le pays organisateur qu’elle ne reconnaît pas et préfère désigner l’association affiliée à elle par le terme d’association organisatrice, il pourrait y avoir plus d’équité dans la répartition des recettes et des dépenses. La CAF a augmenté pour cette CAN, les primes distribuées aux équipes gagnantes. C’est au moins un bon point.
La Chine prend la grosse part du marché de construction des stades
Les Chinois sont les constructeurs de stades en Afrique. Ils en offert au moins un gratuitement à bon nombre des 54 pays membres de la CAF. La Côte d’Ivoire vient d’avoir le sien de 60 000 places. Mais avec un cadeau de prestige, ils ont obtenu les marchés de deux autres stades, ceux de San Pedro et Korhogo associés à des entreprises locales. C’est une filiale de la française Vinci qui a obtenu Yamoussoukro. Beaucoup d’argent investi mais très peu va rester en Côte d’Ivoire, car les salaires des ouvriers du bâtiment ne sont pas énormes quand bien même le SMIG a augmenté en Côte d’Ivoire.
On signale des réfections de routes attribuées à une entreprise ivoirienne. Les animations de « fan zones » qui reviennent à des entreprises locales, sont des activités presque informelles et ne peuvent pas créer des emplois stables et elles vont évoluer économiquement selon la courbe des victoires des Eléphants. La fête sera belle, mais pour l’instant, économiquement, ce sont les étrangers qui se frottent les mains et ont le sourire de ceux qui ont renfloué leurs comptes bancaires.
Le comité d’organisation est très optimiste sur la fréquentation des stades et annonce un million et demi de spectateurs dans les stades. Tout président africain aime la Coupe d’Afrique des nations et avoir le privilège de l’organiser est la consécration suprême. C’est comme si l’Afrique venait jouer au ballon mais aussi acclamer le chef de l’Etat du pays organisateur qui tire à lui tous les mérites de l’organisation. Une CAN dans un pays, voit le pays tout entier entrer dans la folie du football, ne parlant que de victoires et de gloire pour sa nation.
C’est tellement prodigieux, la ferveur du football qui unit les femmes, les hommes, les jeunes et les enfants, que le chef de l’Etat peut attribuer cette liesse populaire à ses mérites personnels et à son action envers la population. Le pouvoir ivoirien compte beaucoup sur cette fête pour se donner un moment de répit dans les batailles de succession interminables dans le landerneau politique. Alassane Ouattara aimerait que ce soit un couronnement de ses mandats mouvementés.
La CAN montrerait à la face du monde qu’il a apporté sinon la prospérité économique à la Côte d’Ivoire, mais qu’au niveau des infrastructures il a été un bâtisseur avec les ponts, HKB, ADO, et les stades ADO, Laurent Pokou… Si avec la chance, les touristes viennent, même si la Côte d’Ivoire ne gagne pas et qu’elle est dans le carré d’as, ADO sera heureux et il ne sera pas le seul.
Sana Guy
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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