Les violences terroristes ont contraint des populations à fuir vers des zones plus sécures pour trouver le gîte et le couvert. Ces Personnes déplacées internes (PDI) comptent parmi elles, celles qui ont un handicap physique. À quoi ressemblent leurs conditions de vie sur les sites d’accueil ? Constat dans un camp de déplacés à Kaya, dans le Centre-nord du pays des hommes intègres.

Les PDI, obligées de fuir l’horreur de la guerre, se retrouvent en situation de précarité. Mais pour celles qui ont un handicap physique, les conditions de vie sont encore plus difficiles. La personne handicapée physique est considérée comme celle qui ne parvient plus à faire usage de certains membres et sens… de son corps. Généralement insuffisantes, les infrastructures dressées dans les camps ne sont pas adaptées pour elles. Également, elles dépendent fortement des autres pour se déplacer ou pour mener les procédures afin de bénéficier de l’aide humanitaire. Pour mieux comprendre les conditions dans lesquelles les personnes handicapées physiques vivent dans les camps de déplacés internes et savoir si leurs droits sont respectés, nous nous sommes rendu à Kaya (province du Sanmatenga, région du Centre-nord). La ville abrite 22 sites de PDI, selon les chiffres du Secrétariat permanent du Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (SP/Conasur).

Au niveau du site « Séminaire » situé au secteur 7, on compte plus de 5 000 âmes (recensement de 2020). Le camp est divisé en deux zones qui sont : le Site d’accueil temporaire (SAT) des personnes déplacées internes encore appelé « site fermé » ou « camp des PDI », et la zone d’accueil des déplacés encore appelée « site mixte » (PDI et populations hôtes y vivent). Les services de l’action sociale de Kaya ont enregistré 25 personnes handicapées dont une majorité de femmes sur ce site (15 femmes et 10 hommes). Les personnes handicapées physiques arrivent en première place dans le classement. Ce site est vaste. Sur le SAT, il est dressé des chapiteaux. Juste à côté des premiers chapiteaux, un forage a été installé. Il est protégé par un muret. Les toilettes sont dispersées sur toute l’étendue du camp. Les latrines ont été construites avec du ciment. Hommes, femmes et enfants partagent ces toilettes mixtes. Il n’y a aucune rampe d’accès au niveau des chapiteaux, des points d’eau et des toilettes. Sur le site mixte, le constat reste le même. Les personnes handicapées physiques, en voulant s’y rendre, sont de manière permanente confrontées à des obstacles.

Le site « Séminaire » s’étend à perte de vue

« Je souffre beaucoup de cette situation »

Bibata Sawadogo a été logée sur le site mixte. Son habitation est en dur (comme pour la plupart des maisons de cette zone). Cette mère a fui la guerre avec ses six enfants et son époux. Ils ont été chassés par les violences armées à Dablo (département et commune rurale de la province du Sanmatenga). Cette famille, en plus de vivre dans une situation de précarité depuis deux ans dans ce camp, compte deux enfants qui ont un handicap physique. Le fils de Bibata, Allaye Sawadogo, a perdu l’usage de ses jambes. Il peine également à utiliser ses bras. À Dablo, les prémices de sa maladie se faisaient sentir. Son mal s’est aggravé une fois à Kaya. Âgé de 20 ans, il peine à se déplacer. Il n’arrive pas à cacher son mal-être. Pour sortir de sa chambre, Allaye refuse toute assistance. Mais, il est rattrapé par la réalité de son handicap. C’est avec délicatesse que le représentant de l’action sociale le fait sortir de son dortoir. Le regard baissé, ce natif de Dablo a encore en mémoire le souvenir douloureux des incursions des terroristes dans sa commune. « Les djihadistes sont venus faire la guerre chez nous », a-t-il murmuré. Voilà les quelques mots qu’il a réussi à faire sortir de sa bouche.

Allaye Sawadogo passe une bonne partie de son temps dans sa chambre.

Sa sœur, Nouriata Sawadogo, elle, n’a pas pu s’exprimer à part répondre aux salutations. Cette adolescente de 15 ans a dû arrêter les cours à la suite de sa maladie. Auparavant bien portante, c’est à Kaya qu’elle va commencer à tomber malade. Elle a ensuite perdu l’usage de ses jambes. Sa situation n’est pas au stade avancé comme celle de son frère. Les services de l’action sociale ont mobilisé des ressources pour la conduire à l’hôpital, afin de la soigner au plus tôt. Après les premiers examens, faute de moyens, elle a arrêté les soins. L’action sociale a plaidé sa cause auprès de certaines ONG afin qu’elle puisse y retourner et se faire traiter convenablement. Mais le dossier est toujours en attente.

Nouriata se montrant peu bavarde, c’est sa mère qui se fera sa porte-parole. Elle est très angoissée, surtout qu’elle ignore toujours la cause de la maladie de ses enfants. Pour se rendre aux toilettes ou pour se doucher, leur mère Bibata doit les assister. Elle prend le seau d’eau et dépose un tabouret. Puis, Allaye ou Nouriata « se débrouille » pour se doucher. Il en est de même lorsque ses deux enfants veulent aller aux latrines. Cette mère assiste l’un ou l’autre au moment où il/elle a envie de faire ses besoins. Elle fait noter que s’occuper d’eux demande beaucoup plus d’attention que pour ses autres enfants. « Je les porte à chaque fois. Je souffre beaucoup de cette situation », a-t-elle lâché.

Bibata Sawadogo (à gauche) et Nouriata Sawadogo

Pour subvenir aux besoins de sa famille, cette mère fait de petits travaux. Elle avoue que la somme qu’elle gagne est dérisoire, surtout avec deux enfants handicapés.

Wamanegba Badini résidait à Djibo. Il loge aujourd’hui avec sa famille sur le SAT du site Séminaire depuis trois ans. « Les terroristes tuent des populations à Djibo. On a donc été obligés de fuir », a-t-il dit, la voix tremblante.

Atteint d’un paludisme grave en 2011, il a gardé des séquelles et est désormais handicapé. Il peine à marcher correctement, car tout son corps tremble. Il a la tremblote. « J’étais un élève et j’avais 16 ans à l’époque. Cela fait donc 12 ans. J’ai été soigné en vain, mais la maladie s’est aggravée », a-t-il relaté. Il avoue que sur le camp, les infrastructures sont inadaptées pour les personnes handicapées. Pour se laver ou lorsqu’il a envie de se rendre aux latrines, c’est sa mère qui lui vient en aide à chaque fois. Il dit refuser de se faire laver et préfère le faire lui-même. « Ma mère dépose l’eau et je me débrouille pour me laver », a-t-il souligné.

Wamanegba Badini est né en 1995

Wamanegba Badini confie qu’il évite au maximum les déplacements hors du camp. Surtout qu’il utilise une canne en bois pour se déplacer. En cas de besoin, il avise les représentants du site. Il a lancé un cri de cœur. « Je n’ai pas de matériel adapté pour mon état. On demande de l’aide au gouvernement parce que même pour avoir de la nourriture, on a des difficultés », a-t-il plaidé.

Il faut souligner que selon l’article 2 de la loi N°012- 2010/AN portant protection et promotion des droits des personnes handicapées, on entend, par personne handicapée, toute celle qui présente une ou des incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles durables dont l’interaction avec diverses barrières peut faire obstacle à sa pleine et effective participation à la vie de la société sur la base de l’égalité avec les autres. Dans cette même loi, il est précisé ceci dans l’article 21 : Toute construction d’infrastructure publique ou privée devant recevoir du public doit prévoir l’accessibilité des personnes handicapées. Pour les édifices, une rampe d’accès munie de main courante et dont la pente n’excède pas 5% est imposée. Dans l’article 25, il est dit que les dispositions architecturales, les aménagements des locaux d’habitation et les installations à usage collectif ou ouvertes au public doivent être accessibles aux personnes handicapées. L’article 46 souligne que la protection et la sécurité des personnes handicapées dans les situations de risques, de conflits, de crises humanitaires et de catastrophes naturelles sont assurées en priorité au même titre que les enfants et les femmes.

Voir le fichier portant protection et promotion des droits des personnes handicapées au Burkina ici

Du haut de son mètre 83, Idrissa Rabo est un quinquagénaire (né en 1965) qui résidait à Kelbo (région du Sahel, province du Soum) où il était cultivateur. Il y a de cela 17 ans, il a été foudroyé par une hypertension. Cette maladie a paralysé la partie gauche de son corps. C’est en 2022 qu’il est venu se réfugier dans ce camp avec les siens, pour échapper aux affres de la guerre. « Il est difficile de vivre correctement ici. On se fait aider par l’action sociale et les projets », a-t-il notifié. Il a deux épouses, 15 enfants biologiques et des enfants adoptifs. En difficulté pour se mouvoir, il peut compter sur l’aide de ses épouses. « Elles déposent un seau d’eau, une calebasse ou un bol en plastique pour moi et je me débrouille avec le bras qui n’a pas été atteint par la maladie pour me doucher », a-t-il expliqué.

Idrissa Rabo est l’un des membres du comité de gestion du camp

Idrissa Rabo dit ressentir de la tristesse du fait de sa situation, car il est désavantagé par rapport aux personnes valides. Son souhait est d’être bénéficiaire d’un projet de réinsertion professionnelle afin d’avoir une activité génératrice de revenus.

Les personnes handicapées du conflit

Selon les chiffres du SP/Conasur, on dénombre 2 062 534 PDI dont 58,50% d’enfants au Burkina Faso à la date du 31 mars 2023. Le pays compte 181 sites d’accueil temporaires et zones d’accueil des déplacés officiellement reconnus.

Les régions qui abritent les sites sont celles du Centre-nord, du Nord, de la Boucle du Mouhoun et du Sahel (source : SP/Conasur)

Parmi ces PDI, il y a celles qui sont devenues handicapées à cause de la crise sécuritaire. Trois d’entre elles témoignent.

Salamata Sawadogo est née en 1973. Cette mère de sept enfants vivait paisiblement avec son mari à Taouremba, dans le département de Tongomayel (province du Soum, région du Sahel). Au regard de la recrudescence des attaques des groupes armés, la famille a pris la décision de fuir pour assurer sa survie. Elle s’installe alors dans un camp de PDI à Kelbo. « Nous avons été chassés par les terroristes parque qu’il n’y avait pas de forces de l’ordre. Nous sommes donc allés où il y avait des militaires, à Kelbo », a-t-elle retracé. Malheureusement, la famille n’était pas au bout de ses peines, car les terroristes vont également attaquer des forces de l’ordre qui protégeaient les populations de Kelbo. Durant ladite attaque, Salamata Sawadogo a reçu une balle perdue. À l’issue des combats, l’armée a dépêché un hélicoptère, dans le but de ramener à Ouagadougou les soldats blessés afin de les prendre en charge. Au regard de son état critique, les soldats décident de prendre avec eux dame Sawadogo, afin qu’elle bénéficie également de soins. C’est après avoir subi une intervention chirurgicale qu’elle apprend à son réveil que la balle lui a laissé des séquelles. Elle est dorénavant obligée de se déplacer à l’aide d’une béquille, malgré les efforts des médecins militaires pour la soulager. Après cette épreuve, Salamata Sawadogo a décidé de s’installer dans le camp. Elle y vit depuis maintenant trois ans et continue de se faire soigner, même si la douleur est toujours intense. « Je n’arrive pas à bien marcher. À l’hôpital, on m’a offert des béquilles. Je me débrouille avec ces béquilles. Je ressens toujours des douleurs. Mais, n’ayant pas les moyens financiers, récemment, j’ai été obligée d’arrêter mon traitement », dit-elle avec un soupir. Salamata Sawadogo raconte que pour faire ses besoins, c’est un véritable calvaire. « Je me débrouille avec la béquille. Je m’assois sur un tabouret pour me doucher ou pour uriner. On dépose de l’eau lorsque je veux me laver », a-t-elle décrit.

Certains enfants de Salamata Sawadogo vivent avec elle dans le camp, d’autres ont préféré migrer en Côte d’Ivoire pour un avenir meilleur

Quand elle a des besoins hors du camp, comme par exemple se rendre à l’action sociale, elle demande à une tierce personne de l’accompagner en prenant le soin de « lui mettre du carburant ». Elle a lancé un appel à l’aide. « Je n’ai pas les moyens pour continuer mon traitement. Je me suis soignée jusqu’à ce que l’argent finisse. Je demande de l’aide à ceux qui peuvent le faire, car ma santé ne s’améliore pas », a-t-elle dit, la voix remplie de tristesse.

Sonia Nikièma est née en 1996. Elle était allée chercher des feuilles de baobab pour faire la cuisine. Mauvaise coïncidence, c’est étant sur l’arbre du baobab pour cueillir les feuilles qu’une attaque des groupes armés est survenue. En entendant les coups de feu, elle a été prise de panique et est tombée de l’arbre. « Moi, mon époux et mes deux enfants vivions à Kelbo. Il n’y avait pas de guerre là-bas avant. Mais le diable est entré entre les gens et ils se font la guerre. Ce jour-là, ils sont arrivés à Kelbo et ont tiré. La population a fui. Moi aussi, je voulais fuir. Dans la précipitation, j’ai raté une branche et je suis tombée de l’arbre », s’est-elle remémorée. En voulant se relever après la chute pour s’enfuir, elle constate qu’elle ne peut plus bouger.

À bord d’un tricycle, elle a été transportée jusqu’à Barsalogho (commune rurale de la province du Sanmatenga) avec l’aide de son époux pour des soins. Ils arrivent la nuit, à l’heure du couvre-feu. Par chance, un aide-soignant décide de l’aider, malgré tout.

« J’ai reçu ma première prise en charge à Barsalogho. L’aide-soignant était tellement déterminé à m’aider, qu’il a fait des efforts. Je lui en suis reconnaissante et je lui dis merci pour tout », a-t-elle dit, émue. L’aide-soignant lui conseille de se rendre à Kaya pour des soins approfondis. « J’ai été soignée à l’hôpital de Kaya. Mes membres inferieurs ont été touchés », se désole Sonia Nikièma.

Après plusieurs tentatives, elle ne parvient toujours pas à marcher normalement. Les médecins ont donc préconisé qu’elle s’attache les services de rebouteurs. Conseil qu’elle a suivi. Aujourd’hui, il y a une nette amélioration de son état. Mais elle garde toujours les stigmates de sa chute. Elle marche à l’aide d’un déambulateur. Elle et sa famille sont dans le camp depuis trois ans. Pour aller se soulager ou pour se doucher, Sonia Nikièma se fait aider par ses enfants ou son époux. « Ils déposent le seau d’eau avec le savon et je me débrouille toute seule pour me laver. Lorsque j’ai une envie pressante, ils déposent une bouilloire dans les toilettes pour moi. Je me fais surtout aider par mon époux », a-t-elle précisé. Pour faire la cuisine, « je dépends des autres. On dépose tous les ustensiles et les ingrédients devant moi et je prépare. Quand il n’y a personne, je n’arrive pas à cuisiner », a-t-elle dit, l’air déçue.

« À Kelbo, il y avait la famine, des habitants en sont morts », témoigne Sonia Nikièma

Pour ses déplacements à l’extérieur du camp, à l’action sociale ou ailleurs, elle demande à quelqu’un de l’amener. En revanche, si les autres sont dans l’incapacité de l’accompagner, elle marche toute seule jusqu’à trouver une bonne volonté sur le chemin qui va accepter de l’amener à destination. « Quand un usager de la route me voit et qu’il a pitié, il accepte de me déposer. Mon souhait est d’être aidée, car ma situation est précaire », a-t-elle dit avec tristesse.

Pendo Sawadogo est originaire de Taouremba. Elle est l’une des doyennes du camp. Veuve depuis plus de dix ans, ici, tout le monde l’appelle Yaaba (grand-mère, en langue nationale mooré). Le poids de l’âge et le traumatisme lié à la guerre font qu’elle s’entremêle dans ses propos. Néanmoins, elle parvient à donner quelques pistes sur son vécu. Elle explique qu’elle a quitté son village à cause du conflit pour se réfugier à Foubé (département de Barsalogho, province du Sanmatenga). Un jour, en allant récolter du haricot avec ses proches à Foubé, « Des hommes armés sont arrivés. Il fallait donc fuir », a-t-elle raconté. Pendo Sawadogo et ses proches vont se réfugier à Dablo. Mais le calvaire ne s’arrête pas là. Les terroristes viennent attaquer Dablo également. En entendant les coups de fusil, tout le monde se met à courir pour se protéger. Dans le feu de l’action, elle est abandonnée sur les lieux. « Mes proches ont fui pour me laisser toute seule. Je me suis débrouillée pour partir à Kelbo », a-t-elle rapporté. Elle a oublié le film de son parcours de Dablo à Kelbo. Elle répète en boucle que les terroristes ont tué son neveu. « Ils ont tué le fils de mon grand-frère », insiste-t-elle. Une fois à Kelbo, elle apprend que certains de ses enfants ont trouvé refuge à Kaya. Cap est alors mis sur le chef-lieu de la région. Yaaba est mère de neuf enfants (six filles et trois garçons). Une fois qu’elle a rejoint ses enfants, elle affirme qu’elle a été « tellement traumatisée qu’elle s’est évanouie. Mon enfant m’a envoyée à l’hôpital ou j’ai été soignée. Mais après cette épreuve, j’ai perdu l’usage de mes membres inférieurs ».

Pendo Sawadogo ne se souvient plus de son âge et ignore où se trouve sa carte d’identité

Dans le camp, ses proches lui font à manger. Pour se rendre aux latrines ou pour se doucher, Pendo Sawadogo rencontre des difficultés. « Je n’arrive pas à me lever parce que j’ai mal au dos. Pour me soulager, je me débrouille souvent toute seule en rampant pour rentrer dans les latrines, s’il n’y a personne à côté pour m’assister. Il y a des jours où on vient me laver. Mais il y a des jours également où je me débrouille pour me doucher avec l’aide d’un tabouret. Toutes mes filles vivent chez leurs époux. Je suis assistée par ma famille proche et élargie, dont les frères de mon défunt époux dans le camp », a-t-elle détaillé.

Des latrines remplies et inadaptées

Adama Zorom est attaché d’éducation spécialisée en service à la Direction provinciale de la solidarité, de l’action humanitaire, de la réconciliation nationale, du genre et de la famille du Sanmatenga/Kaya. Il occupe également la fonction de gestionnaire du site Séminaire. Il reconnaît que les conditions de vie des personnes handicapées sont encore plus difficiles par rapport à celles des autres déplacés du camp. « Celui qui se porte bien n’arrive même pas à se prendre en charge ; imaginez les personnes handicapées… », a-t-il constaté. Il révèle que sur la cinquantaine de toilettes construites dans ce camp, moins de 30 sont fonctionnelles parce qu’étant remplies. Cela rend la tâche encore difficile pour les personnes handicapées. Aussi, aucune de ces toilettes n’est adaptée pour les personnes handicapées.

Les toilettes sont inadaptées pour les personnes handicapées sur le site Séminaire.

« L’action sociale a entamé la procédure pour y remédier, en faisant des vidanges. Nous sommes dans une situation d’urgence. Mais nous faisons au mieux pour trouver des ressources afin de construire des toilettes adaptées pour les personnes handicapées », a-t-il déclaré. Il a tenu à rappeler que la situation humanitaire rend tout prioritaire dans les camps. Mais l’État et les partenaires font du mieux qu’ils peuvent, a-t-il souligné.

« Dans les camps de PDI, on priorise les personnes handicapées et les femmes enceintes dans le partage des produits de première nécessité », Adama Zorom.

La société civile et les ONG se mobilisent pour les personnes handicapées

Selon les données obtenues du SP/Conasur, le Burkina Faso enregistrait 10 618 personnes handicapées déplacées internes toutes catégories confondues, à la date du 31 mars 2023.

Créée en 1992, la Fédération burkinabè des associations pour la promotion des personnes handicapées (FEBAH) regroupe 250 associations de personnes handicapées physiques et mentales reparties sur toute l’étendue du territoire. Son président, Issa Palenfo, a d’abord rappelé que cette fédération a pour mission de mener des plaidoyers auprès des autorités et ONG afin que les préoccupations des personnes handicapées soient prises en compte dans les différentes politiques de développement aux niveaux national et international. Il a confié que les conditions de vie difficiles des personnes handicapées dans les camps sont connues des premiers responsables de la FEBAH.

« Nous avons eu vent de la situation dans laquelle les PDI handicapées vivent sur les sites. La vie des PDI est assez difficile en général. Mais celle des handicapés l’est encore plus. Les sites d’hébergement, les toilettes et les points d’eau ne sont naturellement pas adaptés pour ces personnes. Au regard de l’urgence humanitaire, on ne tient malheureusement pas compte des conditions de prise en charge des personnes handicapées », a-t-il avoué.

Il a indiqué tout de même qu’il y a des efforts qui sont faits de la part de l’État et des ONG en faveur de ce groupe de personnes en situation de vulnérabilité. Cependant, pour assurer le bien-être des personnes handicapées sur les sites de déplacés, il faut recueillir les difficultés qu’elles rencontrent. Cela va permettre de mener des politiques mieux adaptées en leur faveur.

Issa Palenfo a affirmé que la fédération, avec l’aide de ses partenaires dont l’ONG CBM Global, soulage les personnes handicapées installées dans les camps, par des aides ponctuelles (dons de vivres et de non-vivres, cash transfert). Récemment, des plaidoyers ont été menés auprès des autorités des régions qui comptent des sites de PDI, afin qu’elles travaillent à améliorer la vie des personnes handicapées, a affirmé le président de la fédération. Les acteurs du domaine humanitaire ont eux aussi été interpellés. À titre d’exemple, « lorsqu’on donne des appuis humanitaires, les personnes handicapées ont des difficultés pour se déplacer. Elles sont obligées de demander l’aide d’une tierce personne qui, naturellement, monnaiera son accompagnement. Par exemple, en faisant un cash transfert, la personne handicapée est obligée d’aller montrer son argent à quelqu’un qui va l’aider à le récupérer. Cette personne va aussi enlever sa part. C’est pourquoi, nous avons demandé aux ONG partenaires d’ajouter des frais supplémentaires. Ce coût additionnel a été étudié. Les PDI handicapées ne peuvent pas être traitées sur un pied d’égalité que les autres PDI. Leurs charges sont supérieures à celles des autres. C’est d’ailleurs ce qui est dit dans la convention internationale relative aux droits des personnes handicapées que le Burkina Faso a signée et que le ministère de l’Action humanitaire met en œuvre », a-t-il fait noter.

« Pour l’épanouissement des PDI handicapées, le coût additionnel doit être pris en compte », Issa Palenfo

Voir le fichier de la convention relative aux droits des personnes handicapées et protocole facultatif ici

En plus des dons, la FEBAH souhaite autonomiser les PDI handicapées. Elle organise des formations professionnelles pour elles et inclut même des PDI non-handicapées. Le président a expliqué qu’il est primordial de leur permettre d’avoir des activités génératrices de revenus afin d’améliorer leurs conditions de vie. « Il ne faut pas qu’elles soient éternellement dépendantes de l’aide », a-t-il martelé. Il a conclu en faisant comprendre que la meilleure manière de soulager les PDI handicapées est d’abord la lutte contre le terrorisme. Son vœu est que le pays des hommes et femmes intègres puissent retrouver sa paix d’antan, afin que ces personnes en situation de vulnérabilité et leurs proches puissent regagner paisiblement leurs localités.

Pour l’obtention du diplôme d’État d’administrateur des affaires sociales, Abdoulaye Soro s’est penché sur l’« Analyse des facteurs limitant l’accessibilité physique des personnes handicapées aux édifices publics dans la commune de Ouagadougou ». Ce thème a permis à ce spécialiste en inclusion et accessibilité d’approfondir sa connaissance sur les infrastructures qui sont mieux adaptées pour cette frange de la population. Il lui a donc été demandé, pour les besoins de cet article, de donner son avis d’expert sur les conditions de vie des personnes handicapées vivant dans les camps de déplacés. Il a d’entrée de jeu expliqué que « l’accessibilité physique » est un dispositif ou un aménagement qui est mis en place pour permettre aux personnes handicapées de pouvoir accéder aux espaces (habitations, lieux de travail, toilettes publiques, etc.). Il lui a été montré les toilettes et les lieux d’habitation des PDI qui sont sur le site Séminaire. Sa réponse est sans équivoque. « Ces toilettes et habitations n’ont pas des dispositifs permettant une autonomie de la personne handicapée. L’environnement physique qui tourne autour de ces espaces est obstrué d’obstacles. Les portes des toilettes présentent des espaces surélevés. Lorsqu’un espace ne dispose pas de rampe d’accès et d’aménagement raisonnable (qui est adapté pour la personne handicapée), de facto, la personne handicapée est exclue », a-t-il argumenté.

Abdoulaye Soro a affirmé que l’adaptation de l’espace est une question de dignité pour les personnes handicapées

Comme recommandation à l’autorité et aux acteurs humanitaires, il a préconisé que la meilleure manière de contribuer au bien-être des personnes handicapées sur les sites est de : premièrement, les identifier à travers des fiches de renseignements. Deuxièmement, de tenir compte de la spécificité des uns et des autres afin d’adapter l’aide en fonction de leurs différents besoins. Enfin, dans la distribution des vivres et non vivres, il ne faut pas que le lieu de distribution soit éloigné, car, les personnes handicapées vont avoir du mal à s’y rendre.

Abdoulaye Soro a donné des exemples, en images, d’infrastructures adaptées pour les personnes handicapées.

Le jeudi 31 août 2023, le gouvernement, à travers la ministre de l’action humanitaire, Nandy Somé/Diallo, a signé la charte pour l’inclusion des personnes handicapées dans l’action humanitaire. Cette charte, il faut le rappeler, n’est pas une convention, mais plutôt un guide qui va permettre à l’État d’améliorer l’article 46 (la protection et la sécurité des personnes handicapées dans les situations de risques, de conflits, de crises humanitaires et de catastrophes naturelles sont assurées en priorité au même titre que les enfants et les femmes) de la loi 012/AN portant protection et promotion des droits des personnes handicapées. Ces dispositions qui traitent de la prise en compte des personnes handicapées dans les situations de risque et d’urgence humanitaire ne prenaient pas en compte certains aspects liés à la crise sécuritaire. Au-delà de cette réactualisation, la signature de la charte va permettre de mieux suivre les acteurs qui œuvrent dans le domaine humanitaire afin que leurs actions puissent prendre davantage en compte les préoccupations des personnes handicapées. Il faut rappeler que la signature de la charte est une initiative de l’ONG Humanité & Inclusion (HI) qui s’est associée au Forum des ONG internationales humanitaires (FONGIH) composé de 57 membres pour mener ce plaidoyer auprès des autorités.

Voir la charte pour l’inclusion des personnes handicapées dans l’action humanitaire ici

Le monde célèbre, chaque 3 décembre, la Journée internationale des personnes handicapées. Les nations-unies ont initié cette journée depuis 1992 afin de rappeler l’importance du respect des droits et la nécessité de prendre en compte la spécificité de cette frange de la population dans les différentes politiques de développement des États.

Samirah Elvire Bationo

Lefaso.net

L’ONG CBM Global a réalisé deux études sur les PDI handicapées. Il y a le « Rapport de l’évaluation des besoins humanitaires actuels des personnes déplacées internes au niveau des sites PDI et familles hôtes de la commune de Ouahigouya – Burkina Faso » et le « Rapport de l’étude du coût supplémentaire de vie avec un handicap dans le contexte humanitaire ». Ces études ont été réalisées en 2022. La première a révélé qu’il y a 831 PDI handicapées toutes catégories confondues (514 femmes et 317 hommes) dans la commune de Ouahigouya (province du Yatenga, région du Nord). Parmi elles, 383 personnes handicapées (253 femmes et 130 hommes) logent sur les sites de PDI.

448 résident dans des familles d’accueils. Ce chiffre représente une portion de 54% des PDI handicapées dans la commune. Les enfants représentent 13% de ces PDI (107 au total dont 57 filles et 50 garçons). Les adultes de 30 à 69 ans constituent 51 % de cette population. Il faut dire que le tiers des personnes recensées ont un handicap physique. 20% des PDI handicapées ont une durée de séjour d’au moins un an.

Dans la seconde étude, il a été demandé aux PDI handicapées de spécifier leurs besoins. Les personnes handicapées moteurs ont souligné qu’elles ont besoin de cannes et de tricycles adaptés afin de faciliter leurs déplacements. Grâce à la collecte de données à travers cette enquête, les personnes handicapées ont évalué leurs dépenses mensuelles pour vivre de manière décente.

Les analyses statistiques ont permis de proposer le pourcentage du coût additionnel à accorder à cette frange vulnérable de PDI afin qu’elle puisse accéder aux services sociaux de base et vivre dignement dans ce contexte humanitaire. La lourdeur du handicap a été prise en compte. Le coût supplémentaire pour les personnes ayant un handicap léger a été évalué à 8,2%. Pour celles vivant avec un handicap lourd, le coût supplémentaire a été évalué à 30,5 %. À titre d’exemple, si l’État ou des acteurs humanitaires souhaitent faire des cash transferts à des PDI, ils peuvent ajouter entre 8,2% et 30,5 % de la somme à donner aux personnes handicapées, car, elles sont le plus souvent assistées par d’autres personnes. Les accompagnants conditionnent généralement leurs services à une rémunération. Précisons que ce coût additionnel est une proposition de l’ONG et non une obligation.

Source: LeFaso.net