Autrefois havres de paix et de détente pour les citoyens, les jardins publics de Ouagadougou sont en train de subir une transformation inquiétante. Ces espaces verdoyants qui étaient des lieux de rassemblement familial et communautaire sont devenus le théâtre de délinquance, d’insécurité, et d’inconfort pour les résidents et voire même pour les passants. La hausse démesurée des coûts de location de ces espaces par la mairie de la commune de Ouagadougou est en grande partie responsable de leur fermeture, laissant certains gestionnaires dans une situation financière précaire. En vue de s’imprégner des réalités de ces espaces, Lefaso.net s’est rendu dans quelques-uns de ces jardins situés au cœur de la capitale burkinabè.
Situé à quelques encablures de l’aéroport international de Ouagadougou, le Jardin Yennenga délaissé et envahi d’herbes se trouve être l’endroit propice pour servir d’abri aux délinquants. Il est aussi le lieu idéal où des personnes sans pudeur se livrent à des parties de jambes en l’air dans l’espace public. Il n’a pratiquement jamais fonctionné depuis qu’il existe, selon un riverain. Nous sommes vendredi 29 septembre 2023, il est environ 17h, et l’allure de cet espace public affiche un véritable contraste au regard de sa position géographique.
Le jardin Yennenga en effet se trouve entouré de grands hôtels, de structures et d’institutions, alors que son état actuel pose de sérieux problèmes. « La fermeture du jardin Yennenga n’est pas du tout intéressante. Car des gens y pratiquent dans la nuit des actes qui laissent à désirer. Si bien que vous pouvez tomber sur des préservatifs et toutes sortes de choses impropres, lorsque vous vous y rendez le matin. C’est aussi là que vont se réfugier les délinquants qui agressent les usagers de la route et les passants », s’indigne un citoyen, Moussa Ouédraogo.
- Le visage du Jardin Yennenga le vendredi 29 septembre 2023
À l’instar du jardin Yennenga, celui de l’Amitié encore appelé Ouaga Loudun présente pratiquement les mêmes réalités. Jadis carrefour de rencontres d’affaires et de divertissement, cet écrin de verdure a perdu tout ce qui faisait de lui un cadre de détente et de promotion de la culture. Situé à quelques mètres du rond-point des Nations-Unies et à quelques encablures de la Société nationale des postes du Burkina (SONAPOST), le jardin de l’Amitié est devenu, en plein centre-ville, le refuge de jeunes délinquants, selon des riverains.
« C’est le refuge des voyous, on voit du tout ici. Ce qui nous met vraiment mal à l’aise ! », grogne une dame visiblement mécontente de la situation. Elle a requis l’anonymat, avant de confier : « des jeunes de moins de 15 ans ont élu domicile dans ledit jardin ». Sur la raison qui a causé la fermeture de cet espace pendant plusieurs années maintenant, elle évoque celle de l’augmentation du loyer, mais avoue ne pas en savoir plus sur le sujet. Nous abordons un homme avancé en âge, pour la même question.
- Le Jardin de l’Amitié Ouaga Loudun, vu le vendredi 29 septembre 2023
Il relate que le jardin de l’Amitié était géré par un certain François, un Burkinabè qui le louait à 400 000 francs CFA le mois. C’est le conseil municipal dirigé par Armand Béouindé, maire de la commune de Ouagadougou à l’époque, qui a décidé d’élever le coût du loyer du jardin de l’Amitié à un million de francs CFA le mois, dévoile-t-il. « Ne pouvant s’acquitter de ses nouveaux frais de loyer, François s’est vu contraint d’abandonner le jardin. Nous avons cru que l’espace allait être cédé à une autre personne, mais il est malheureusement resté fermé jusqu’à ce jour », précise l’ancien.
Le doyen raconte une anecdote au passage. Il affirme avoir sollicité, pour des besoins personnels, le terrain du jardin de l’Amitié à l’époque où c’était encore nu. Une demande qu’il s’est vu refuser. Car l’ex-président du Faso, le défunt capitaine Thomas Sankara, selon lui, avait une vision bien claire de ce qu’il voulait faire de ce terrain. « Le président Thomas Sankara disait qu’il comptait bâtir un grand jardin pouvant servir d’escale aux étrangers. C’est dans cette vision que les jardins Yennenga, Naba Koom, celui situé en face de la mairie de Ouagadougou et bien d’autres ont vu le jour pour servir de cadre de détente et d’ambiance », se remémore-t-il.
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Présence de serpents…
Échangeant avec ses amis en face du jardin de l’Amitié, Jean Baptiste Ouédraogo signale qu’il est fréquent de voir des serpents sortir de là. Ce qui représente un danger pour toute personne installée aux alentours de l’espace. En plus des risques de morsure de serpent, M. Ouédraogo interpelle l’État sur les risques d’insécurité que peut occasionner la fermeture de ce lieu public situé en plein centre-ville. « Nous avons récemment alerté la gendarmerie nationale après avoir aperçu du gaz déposé près du jardin de l’Amitié. Cela nous a vraiment effrayé dans ce contexte de crise sécuritaire que traverse le pays. C’est pourquoi j’invite les autorités à rapidement trouver une solution pour rouvrir le jardin de l’Amitié et tous les autres », suggère Jean Baptiste Ouédraogo.
Espaces de toilettes improvisées
La situation est aussi préoccupante lorsque ces jardins sont utilisés comme espaces de toilettes improvisées. C’est par exemple le cas du jardin Naba Koom où nous avons aperçu à la tombée de la nuit, un homme sans gêne, en train de soulager sa vessie. Cela crée des problèmes d’hygiène et d’odeurs insupportables pour les riverains. Situé en face de la gare de train de Ouagadougou, ce jardin sert aujourd’hui de magasin pour certains commerçants installés tout autour de l’espace.
Des riverains se plaignent de l’insécurité grandissante, mais aussi de l’insalubrité à laquelle ils sont exposés en raison de la fermeture de ces jardins publics, autrefois des joyaux de leur quartier.
- Le jardin Naba Koom vu le vendredi 29 octobre 2023 ; selon un riverain, la philosophie des jardins publics sous la révolution n’était pas de faire du commerce, mais d’occuper la jeunesse
Des opportunités économiques négligées
Un riverain a indiqué qu’il sied d’évaluer le nombre de personnes employées dans un des jardins publics de la capitale. Cela afin de mesurer la perte occasionnée par la fermeture de ces espaces. « Je suis désolé qu’on loue ces jardins à des sommes faramineuses ! », dénonce-t-il, l’air consterné.
Pour ce riverain, l’État ne devrait pas faire du commerce. L’État devrait, dit-il, louer les jardins publics à des prix abordables pour favoriser l’emploi des personnes au chômage. Il propose dans un tel contexte, que les autorités imposent la déclaration et l’affiliation à la Caisse nationale de la sécurité sociale (CNSS) pour chaque employé. Ce qui va permettre aux travailleurs de ces jardins de bénéficier d’un emploi permanent et d’une retraite.
En effet, la fermeture des jardins publics ne se limite pas seulement à des problèmes de sécurité. Elle entrave également des opportunités économiques potentielles pour les communautés locales. Avant, ces parcs étaient des lieux de rassemblement pour les familles et les amis, créant une demande pour des services de restauration, de divertissement, de célébration de mariage et de vente de produits artisanaux.
Malheureusement, l’augmentation démesurée du coût de location de ces espaces a dissuadé plusieurs gestionnaires. Les anciens tarifs de location, de 50 000 francs CFA par exemple, ont augmenté de manière astronomique pour atteindre la somme de 500 000 francs CFA, comme le rapporte Serges Pascal Ouédraogo. Il est le gestionnaire d’un jardin public situé en face de la mairie de Sigh-Noghin, dans l’arrondissement n°3 de Ouagadougou.
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Cette augmentation des coûts de location a eu un impact significatif sur les entrepreneurs locaux comme M. Ouédraogo. Pour maintenir ouvert le jardin qui employait une vingtaine de personnes, M. Ouédraogo a dû comprimer son personnel et faire preuve d’une grande résilience. Les clients se font désormais rares face à la vie chère, et M. Ouédraogo se retrouve à peine capable de payer le loyer de cet espace public qu’il gère avec tant de dévouement.
Face à cette dure réalité, M. Ouédraogo déclare qu’en 2017, les gestionnaires des jardins publics s’étaient organisés en association pour discuter avec le maire de la commune de Ouagadougou, Armand Pierre Béouindé. Cette rencontre devait leur permettre d’échanger sur les possibilités de revoir à la baisse le coût de la location. Mais cette démarche aura été vaine, selon M. Ouédraogo, qui compte sur l’actuelle Délégation spéciale de la commune de Ouagadougou pour mettre fin à son calvaire.
- Le jardin Kologh Nooma situé en face de la mairie de Sig-Noghin dans l’arrondissement n°3 de Ouagadougou
Serges Pascal Ouédraogo a confié avoir reçu la visite d’une délégation des autorités de la commune de Ouagadougou en janvier 2023. Cette délégation s’était imprégnée des difficultés qu’il rencontrait dans la gestion du jardin public. Elle l’avait rassuré qu’elle prendrait des mesures afin de réduire le coût de la location qui devient intenable pour M. Ouédraogo. « J’ai reçu, à ma grande surprise, entre le mois de juin et de juillet 2023, une note de la mairie de Ouagadougou m’informant que je devais continuer de payer les 500 000 francs CFA pour la location du jardin », explique M. Ouédraogo, pratiquement au bord du désespoir.
Notre rédaction a soumis le 2 octobre 2023, une demande pour un entretien aux autorités municipales afin d’évoquer avec elles notamment l’état des lieux des jardins publics et les mesures en cours pour leur réhabilitation et leur réouverture au public. Cependant, jusqu’à ce nous tracions ces lignes, nous n’avons pas reçu de réponse malgré nos relances.
Hamed Nanéma
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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