Que se passe-t-il au pays des hommes intègres ? Après deux coups d’Etat en moins d’un an en 2022, les autorités du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR2) ont annoncé encore une tentative de coup d’Etat déjouée le 26 septembre 2023. Alors qu’en mi-septembre déjà il y a eu des arrestations concernant un complot contre le pouvoir ce qui fait deux tentatives en un mois. Le pouvoir célèbre son premier anniversaire de prise du pouvoir pour mettre fin à la crise terroriste qui secoue le pays depuis 2015. Cet anniversaire doit nous amener à réfléchir tous sur l’avenir de notre pays, nous lui devons cela. Le MPSR2 ne peut faire l’économie de cet exercice, notamment, de nous dire comment il a conduit le pays dans cette période trouble.

Où il en est dans l’atteinte des objectifs qu’il s’est fixé : la reconquête du territoire, le retour des personnes déplacées dans leurs foyers et bien d’autres contenus dans la charte de la transition. Avant que les voix autorisées se livrent à cet exercice de transparence et de redevabilité, quelques pistes se dégagent. En un an de l’action du MPSR2 quels ont été les points forts et les points faibles ? Que faut-il améliorer et consolider, que faut-il rectifier ?

On peut féliciter les autorités pour certaines décisions qui vont dans le sens de la reconquête du territoire.

Des points forts

La première, c’est d’avoir donné un élan formidable à la mobilisation populaire pour la lutte contre le terrorisme, par l’engagement des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP). Les VDP ont été créés sous le régime du président Roch Marc Christian Kaboré, mais l’essor et l’engouement populaire sont venus avec le MPSR2, grâce au charisme du capitaine Ibrahim Traoré qui a su insuffler cette envie de se battre. Plus de 50 000 volontaires engagés dans le combat. Ce qu’il faut louer dans cette option dans la lutte contre le terrorisme, c’est d’avoir choisi de compter sur nos propres forces.

C’est notre pays, c’est à nous de le défendre et non aux forces militaires étrangères de le faire. Cette forte décision et l’écho qu’elle a eu au sein de la population a amené chacun à se dire que chacun a sa part à faire. Si on ne peut pas aller au front et porter le fusil, on peut aider à gagner la guerre par l’effort de paix en soutien à la prise en charge des volontaires. Il faut saluer le civisme de la population qui a accepté les taxes pour cela.

Pendant six à sept ans, on était en guerre sans le savoir, sans nous donner la peine d’y contribuer. Les Burkinabè des villes et des campagnes ont accepté de le faire pour leur pays, pour leurs régions, pour leurs villages. En plus des taxes, ils se cotisent pour aider les personnes déplacées internes. C’est grandiose ce que l’on peut faire dans l’unité et l’amour. Cette leçon est très importante. Cela a été obtenu par la prise de conscience et la confiance qu’ont inspiré les jeunes capitaines.

Autre point positif découlant de celui de compter sur notre armée, nos populations dans la lutte contre le terrorisme, c’est le départ des troupes françaises de l’opération Sabre de notre sol. C’est une décision historique. Après l’échec de l’opération Barkhane et tirant leçons de cette coopération militaire qui ne nous aidait pas à vaincre le mal, il fallait y mettre fin et c’est bien ainsi. Les troupes étrangères ne feront pas à notre place la défense de notre territoire. Les autorités ont réussi aussi à fournir des armes comme les drones aux troupes combattantes en diversifiant les partenariats.

Le dernier point est la signature de la charte de l’Alliance des Etats du Sahel après le coup d’Etat au Niger qui a demandé le départ des troupes françaises de ce pays. Une alliance du Burkina, du Niger et du Mali dans la lutte contre les groupes terroristes est une bonne chose. Pas besoin d’être grand stratège pour comprendre qu’en travaillant ensemble, les trois pays peuvent empêcher les groupes terroristes d’attaquer un pays et se replier dans l’autre.

Des efforts à faire

Le pouvoir a fait de belles choses et de moins belles. Concernant la reconquête du territoire, il n’y a pas de visibilité de l’action. Quelles sont les zones et les régions reconquises ? Il y a eu un arrêt de la publication des indicateurs comme le décompte des personnes déplacées internes. Récemment, le conseil des ministres du 20 septembre 2023 a annoncé le retour de 191 937 personnes déplacées internes chez elles. C’est bien mais l’information est incomplète. Quel est le nombre exact de personnes déplacées aujourd’hui ? Le mouvement de personnes déplacées s’est-il stoppé et mieux, s’est-il inversé par un amorçage des retours ?

Si le MPSR1 avait une obsession monomaniaque à privilégier le retour de Blaise Compaoré au pays par la réconciliation, le MPSR2 aussi a les siennes qui ternissent son combat et peuvent nuire au succès de la lutte contre le terrorisme. Ces points faibles sont l’œuvre de conseillers toxiques et entrepreneurs politiques qui grenouillent autour des militaires au pouvoir et versent le poison de la division et de la haine.

Des Burkinabè présentent d’autres Burkinabè comme des apatrides, tout simplement parce qu’ils ne pensent pas comme eux. Des apprentis sorciers désignent des Burkinabè qui n’ont pas pris des armes contre le pays comme des ennemis, emmenant le pouvoir à perdre son énergie et sa concentration sur des faux ennemis, au profit des groupes terroristes.

Ainsi le pouvoir a pendant cette année mené une bataille sourde et ouverte contre la presse et les médias, chassant des journalistes, fermant des médias. Le gouvernement, par le fait du prince, s’attribuant les prérogatives du Conseil supérieur de la communication. Après la presse, la justice a aussi eu des accrocs avec le pouvoir avec la libération de la guérisseuse de Komsilga Adja Larissa Nikiéma.

Cette ambiance de défiance du pouvoir envers la presse et la justice amplifiée par les pêcheurs en eaux troubles des réseaux sociaux donne au pays des airs que l’on ne lui connaissait plus, tant ils viennent de loin, d’un passé sombre que l’on croyait révolu. Surtout que ce pays s’est battu pendant de longues années et continue de le faire pour la vérité et la justice pour Norbert Zongo, un journaliste qui faisait son métier en enquêtant sur la mort du chauffeur du petit président, le frère cadet du dictateur Blaise Compaoré.

Dans le Burkina Faso d’aujourd’hui, il y a des enlèvements de personnes en pleine ville, par des hommes armés. Les familles s’inquiètent, s’expriment, la presse en parle, et les autorités sont silencieuses. Dans un Etat de droit, c’est la justice qui est habilitée à arrêter les citoyens. Si quelqu’un a un différend avec son compatriote, c’est à la justice de les départager. Toute autre façon de faire ne peut faire que le lit du désordre et des groupes terroristes. Les Burkinabè sont inquiets, et se demandent si c’est le pays qui a fait une insurrection populaire victorieuse en 2014 qui prend ce chemin dangereux pour tous ?

Le MPSR2 a eu une chance inouïe, le pays lui a donné sa chance de réussir par l’engagement massif des VDP et par la participation populaire à l’effort de paix. Attention à ne pas dilapider son capital sympathie en se trompant d’ennemis. Il faut travailler à rassembler à unir au lieu de se disperser et d’oublier l’essentiel. Car quoi que le MPSR2 fera, c’est à l’aune de la reconquête du territoire qu’il sera jugé.

Sana Guy

Lefaso.net

Source: LeFaso.net