« Je pense qu’au-delà du caractère obligatoire, ça doit être une fierté pour chaque citoyen de pouvoir se porter en première ligne. Comme vous le savez, chaque jour, ce sont nos frères, ce sont nos sœurs qui se battent pour que le Burkina Faso reste debout ». Tel est (mardi, 12 septembre 2023, en marge de la conférence de presse du ministre de l’énergie dont il assurait la modération, et répondant à une question d’actualité sur le sujet) le commentaire du ministre porte-parole du gouvernement sur l’affaire dite « réquisition » de Dr Louré.

Ces pratiques, têtues face aux explications officielles livrées pour tenter de convaincre l’opinion, rappelle cette époque au Burkina où pour punir un fonctionnaire en disgrâce avec le pouvoir ou avec un prétendu puissant du moment, celui-ci se voyait affecté dans une « localité reculée » du pays. En son temps également, et selon des témoignages de contemporains ou même de ‘’victimes », c’était le même type de réponses qui étaient servies. Des années plus tard, les conséquences de ces agissements ne se comptent pas, elles se vivent. Même ceux-là qui s’y adonnaient avec joie et fierté pour prouver leur importance et force subissent, de façon directe ou indirecte, le choc d’une telle conception dans la gouvernance.

Les Burkinabè ne s’opposent nullement à la mesure de réquisition, dont ils ont d’ailleurs soutenu l’avènement. Ils se sont, à leur manière, obligés à contribuer à la lutte contre le terrorisme, bien avant, et sans attendre l’ordre d’un quelconque pouvoir ou d’une autorité. Du reste, nombre de critiques portées sur l’action du gouvernement entrent dans cet esprit. Les critiques ne datent pas d’aujourd’hui et ne prendront pas fin maintenant. Qui aime bien châtie bien, dit-on ; parlant du sentiment que nombre de citoyens vouent à leur façon à la patrie. Et leur hargne pourrait s’expliquer par leurs attentes envers les dirigeants et au regard des défis en face. Il appartient à l’autorité de savoir canaliser tout cela au profit de sa gouvernance.

La « réquisition » des citoyens est donc un acte noble, reconnu de tous. Alors, pourquoi la question dite « réquisition » de Dr Louré fait-elle jaser, autant ? N’est-ce pas le contexte et les éléments en présence qui donnent sens à tout acte que l‘on pose ? Pourquoi ce sont parmi les mêmes citoyens qui ont applaudi l’adoption de la mesure de réquisition qui ne partagent pas cet acte dirigé contre Dr Louré ? Un cas qui pose problème, parce que le contexte prête le flanc. Dr Louré est non seulement connu pour ses critiques, qui n’ont du reste pas commencé hier (il a été révélé sur ce registre depuis le pouvoir Roch Kaboré), mais aussi, l’acte de sa « réquisition » intervient dans le contexte d’ « enlèvements » de citoyens, façon de faire que n’apprécient pas non plus les Burkinabè.

Si la réquisition doit donc être une fierté pour tout citoyen, comme le souligne si bien le porte-parole du gouvernement, raison de plus de ne pas la pervertir par des décisions chargées d’équivoques. Ici, la perversion, c’est quand les gens sont pertinemment convaincus que ceux qui critiquent le pouvoir s’exposent à la réquisition ou à l’enlèvement. Pourtant, dès les premières heures de l’adoption de la mesure de réquisition, l’autorité a promis de faire une bonne communication autour du sujet, pour lever toute équivoque et, partant, pour montrer la noblesse de celle-ci, gage de son succès.

L’on présume que c’était aussi pour éviter de telles interprétations populaires qui en sont faites ! Et à titre illustratif, c’est devenu une expression populaire d’entendre dans les discussions une voix s’élever pour dire : « si tu critiques le pouvoir comme cela, on va te réquisitionner pour t’envoyer au front hein, m’bon ! ». Dans une telle atmosphère, et quand le pouvoir lui-même se prête au jeu, quel message renvoie-t-on à ceux qui sont volontiers au front ?

Y sont-ils par sanctions, aussi ? Si tel n’est pas le cas, la réquisition pour le front ne doit nullement ressembler à un acte de sanction, punition, encore moins à de la banalité. Ceux qui applaudissent l’acte le font généralement à la tête du client.

Rien n’empêche les institutions compétentes d’entendre, dans les règles requises, un Burkinabè sur qui pèsent des griefs et, le cas échéant, de le priver de sa liberté et/ou le déchoir de certains de ses droits. Aucun Burkinabè épris d’esprit de justice et du bien-être collectif ne s’en plaindrait.

Si l’on a quelque chose à reprocher à un citoyen, qu’on laisse les institutions habilitées engager les actes qui siéent, dans la démarche requise par la légalité. Nul n’est au-dessus de la loi, tout comme on n’est pas plus Burkinabè que le citoyen lambda par le poste de responsabilité politique qu’on occupe. Dans l’un ou l’autre cas, la meilleure posture, c’est de respecter les institutions que les Burkinabè se sont eux-mêmes octroyé. C’est bien pour tout le monde.

Dans une république, chaque institution, chaque citoyen, investi d’une mission publique, a son domaine de compétences bien défini, qu’il ne doit outrepasser. Que chacun fasse son travail, bien et s’en tienne à cela. Les usurpations de compétences entraînent des conséquences non seulement fâcheuses, mais également à vue. Et ceux qui croient se servir aujourd’hui allègrement des dérives ne sont pas épargnés des conséquences de leurs actes. Tôt ou tard … !

« Quand tu te couches sur ton dos pour cracher, tu vas recevoir le crachat en pleine poitrine », rappelle cette sagesse. Alors, on gagne en faisant les choses dans les règles, quand on se trouve dans une position de force, que de se laisser entraîner par un sentiment de tout puissant.

Le pouvoir doit donc revoir sa copie, en évitant les agissements qui dépouillent et fragilisent les institutions. En un laps de temps, les institutions ont été ébranlées par lui dans l’affaire dite « guérisseuse de Komsilga », les enlèvements de citoyens dans la rue, la suspension de radio Oméga et ces décisions de deux poids deux mesures.

Oumar L. Ouédraogo

Lefaso.net

Source: LeFaso.net