Le 30 août, de chaque année, est célébré, à travers le monde, la Journée internationale des personnes disparues. Dans le cadre de cette célébration, Ibrahim DUKUZE, délégué protection des liens familiaux au Comité International de la Croix-Rouge (CICR) Ouagadougou, a accordé une interview à la rédaction, ce mardi 29 août 2023.
Lefaso.net : Qu’entend-on par personne disparue ?
Ibrahim DUKUZE, délégué protection des liens familiaux au CICR Ouaga : Même si cette notion n’est pas définie en droit international, on entend par personne portée disparue « une personne dont la famille ignore le lieu où elle se trouve, ou qui selon des informations fiables, a été portée disparue au regard de la législation nationale, en rapport avec un conflit armé international ou non international, une situation de violence interne ou de troubles intérieurs, une catastrophe naturelle ou toute autre situation qui pourrait exiger l »intervention d’une instance étatique compétente ». De façon résumée, l’on peut dire qu’une personne disparue c’est une personne dont la famille ou les proches n’ont plus de ses nouvelles à cause des conflits armés et d’autres situations de violence, de la migration ou des catastrophes naturelles.
Pourquoi, une journée internationale des personnes disparues ?
Le 30 août, journée internationale des personnes disparues est l’occasion pour l’ensemble du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge de rappeler que des milliers de familles sont séparées à travers le monde à cause des conflits armés, d’autres situations de violence, de la migration ou des catastrophes naturelles et qu’elles ont le droit de savoir ce qu’il est advenu de leurs proches.
Derrière chaque personne disparue, il y a une famille qui cherche un être cher.
Les familles de personnes disparues souffrent de l’angoisse et de l’incertitude de ne pas savoir ce qu’il est advenu de leurs proches et font face aux défis administratifs, juridiques et économiques liés au fait que leur proche a disparu, surtout si le statut juridique de personne disparue n’est pas reconnu dans leur pays. Sans parler des conséquences psychologiques et psychosociales d’une telle incertitude qui viennent souvent s’ajouter à d’autres souffrances multiples.
Pourquoi s’agit-il d’une activité prioritaire pour vous ?
La disparition d’un proche est une tragédie pour la famille. Tant que cette personne n’est pas retrouvée ou que son sort n’est pas clarifié, elle est considérée comme disparue. Les familles vivent alors dans l’incertitude, ce qui est un défi en soi, elles font souvent face à de nombreux besoins et difficultés. Ces difficultés peuvent être de plusieurs natures, notamment sociales, financières, administratives ou juridiques. Elles peuvent également avoir des besoins d’ordre psycho-social.
Les familles ont le droit et le besoin de savoir quel est le sort de leurs proches. Quant aux autorités, elles ont l’obligation, en vertu du droit international, y compris du droit international humanitaire, de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour clarifier le sort des personnes disparues.
Fin 2022, plus de 195 000 personnes disparues étaient enregistrées auprès de l’Agence centrale de recherches du CICR et de son réseau Family Links dans le monde. Quelle est la situation au Burkina Faso ?
Nous savons que ce chiffre ne représente qu’un petit pourcentage et ne reflète pas la véritable ampleur du problème, ni ne rend justice à la souffrance de chaque famille. Au Burkina Faso, 406 nouvelles personnes disparues ont été enregistrées entre janvier et juin 2023. Le nombre total de personnes disparues enregistrées par le CICR s’élève maintenant à 2006 personnes. En 2022, ce sont 686 demandes de recherches qui ont été ouvertes auprès du CICR contre 608 personnes en 2021 et 400 en 2020.
Qu’est-ce qui peut expliquer la montée du nombre de disparitions forcées précisément au Burkina Faso ?
D’abord, vous remarquerez que la définition de la disparition englobe bien plus que les « disparitions forcées » et il importe d’aborder cette problématique dans sa globalité. Ensuite, il importe de préciser que le problème des disparitions n’est malheureusement pas quelque chose de spécifique au BF. Dès lors qu’il y a des situations de violence armée, il peut y avoir des cas de séparations. Ces disparitions peuvent être de deux natures :
Séparations involontaires : les familles fuient et se perdent de vue.
Le deuxième cas de figure : des disparitions du fait de l’action des porteurs d’armes ou des personnes sont capturées, arrêtées ou enlevées sans que des familles ne disposent de moyens nécessaires pour clarifier leur sort.
Au niveau du CICR, nous focalisons nos efforts pour clarifier le sort des personnes, les retrouver et renouer les liens. Pour les plus vulnérables, nous essayons de les réunir lorsque cela est possible. En parallèle, on agit toujours avec les autorités quant à leurs responsabilités d’entreprendre tout ce qui est nécessaire pour clarifier le sort des personnes disparues et prévenir les disparitions ; et d’identifier et prendre en compte les besoins des familles en question.
Ce qui est inquiétant au BF, c’est que les chiffres ne font qu’augmenter et c’est une source de préoccupation pour nous.
Comment faites-vous vos recherches ?
La force du CICR et des autres membres du Mouvement de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge c’est leur couverture géographique et leur ancrage communautaire. Dans les pays où nous intervenons, nous mettons tout en œuvre afin d’accéder aux personnes affectées, là où elles se trouvent. Avec l’accord des familles, nous approchons également les autorités et, dans la mesure du possible, d’autres parties prenantes, dont nous pensons qu’elles pourraient nous aider à clarifier le sort des personnes.
Ces activités découlent de notre mandat de protection et nos services sont toujours gratuits. Tout au long du processus, le CICR veille à préserver la dignité des personnes et s’assurer de la protection des données personnelles récoltées. Nous n’agissons jamais sans le consentement des personnes concernées. Nous restons également attachés au strict respect de nos principes fondamentaux notamment l’humanité, l’impartialité, la neutralité et l’indépendance.
Est-ce que vos recherches aboutissent souvent ?
Bien que ce soit un processus assez difficile et même parfois long, nous avons des cas de demandes de recherche résolues positivement. A titre d’exemple, pour cette année deux enfants de 11 et 13 ans ont pu être réunifiés avec leurs proches après plus de 6 ans de séparation. Il nous revient en mémoire ce cas d’une dame vulnérable qui s’est retrouvée au Niger à la suite de son déplacement et avait perdu tout contact avec ses proches pendant 10 ans.
Elle nous a soumis sa demande de recherche pour localiser sa famille au Burkina. Après un début très difficile dans les recherches, sa famille au Burkina a été localisée et la réunification a pu se faire en décembre. Dans la même période, 3 autres enfants avaient aussi été réunifiés avec leurs familles.
Il faut noter aussi que le CICR garde un contact régulier avec les familles au travers duquel ces familles l’informent si elles ont pu rétablir ou pas le contact avec les personnes recherchées.
Bien que nous nous réjouissions de ces cas positifs, nous sommes conscients que de nombreuses familles restent encore dans l’attente de nouvelles de leurs proches et nous poursuivons nos efforts de recherche.
Comment les familles peuvent-elles accéder aux services de rétablissement des liens familiaux ?
Les personnes peuvent le faire en enregistrant une demande auprès du CICR ou de la Croix-Rouge du Burkina Faso.
Hormis notre délégation à Ouagadougou, actuellement nous avons également des bureaux à Djibo, à Fada N’Gourma, à Ouahigouya et à Dori. Nos équipes vous y accueilleront et vous aideront à introduire une demande de recherche. Vous pouvez également nous contacter au numéro 80 00 12 89 si vous avez des questions supplémentaires.
Quant à la Croix-Rouge du Burkina Faso, les personnes peuvent se rendre dans le comité le plus proche.
Quel est le programme de cette célébration ?
Le CICR a élaboré un programme d’activités en étroite collaboration avec la Croix-Rouge burkinabé notamment :
Une émission radiophonique en mooré réalisée avec la Fondation Hirondelle qui sera reprise par leurs 35 radios partenaires
Des microprogrammes radiophoniques sur la protection des liens familiaux avec un focus sur la problématique des personnes portées disparues et les actions du mouvement Croix-Rouge dans ce sens ont été produits et traduits en mooré et fulfuldé. Ils seront diffusés durant cette semaine dans une dizaine de radios communautaires à Ouaga, Dori, Djibo, Ouahigouya et Fada
Une session d’échanges sur les activités du Mouvement en termes de protection des liens familiaux à l’attention du personnel CICR et CRBF
Une communication digitale CICR et CRBF sur les plateformes Facebook et Twitter axée sur cette thématique.
Quels sont les défis auxquels vous êtes confrontés ?
Clarifier le sort des personnes disparues peut malheureusement s’avérer difficile et long. Nous mettons tout en œuvre pour apporter des réponses aux familles, mais le résultat final ne dépend malheureusement pas de nous seuls. Parfois, les familles elles-mêmes ont peu d’informations quant aux circonstances de disparition, ce qui complique davantage nos efforts de recherche. Les difficultés d’accès, notamment aux lieux où ces personnes pourraient se trouver, ont également un impact sur notre capacité de recherche. Nous persévérons cependant dans nos efforts, tant que la famille nous le demande.
Maintenir le contact avec la famille et la tenir informée régulièrement de nos efforts est aussi un élément essentiel de notre travail. Nous encourageons d’ailleurs toujours les familles à nous contacter d’elles-mêmes à chaque fois qu’elles ont des éléments nouveaux d’information, quels qu’ils soient. Malheureusement, il peut arriver que le lien entre le CICR et la famille soit à son tour interrompu, par exemple en cas de déplacement de celle-ci, ce qui complique davantage notre tâche.
Interview réalisée par Aïssata Laure G. Sidibé
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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