Mardi 16 mai 2023 à Ouagadougou, l’ancien ministre burkinabè du Commerce, de l’Industrie et de l’Artisanat, Dr Harouna Kaboré, a publié son ouvrage « Influence de l’intelligence économique sur la prospective ». Pour en savoir davantage sur cette production intellectuelle qui braque les projecteurs sur la dynamique de la gouvernance, nous avons rencontré son auteur, un homme à plusieurs casquettes. Dans cette interview, il est également questions de la vie politique, de la situation sécuritaire et de son expérience au gouvernement.
Lefaso.net : A la fin d’une mission au gouvernement, et fort donc de ce que vous savez plus que le commun des Burkinabè sur les réalités du pays, quel sentiment éprouvez-vous au quotidien, face à ces attaques qui continuent d’endeuiller les Burkinabè ?
Dr Harouna Kaboré : Je voudrais vous dire merci de me donner l’occasion pour partager avec vos lecteurs, mes convictions qui sont, en partie, traduites dans ce livre que je viens de publier le 16 mai dernier, et qui aborde des questions relatives à la nécessité de l’élaboration d’un nouveau « système Burkina ». Je saisis aussi l’occasion pour saluer le combat que mènent jour et nuit nos Forces de défense et de sécurité et nos Volontaires pour la défense de la patrie pour sécuriser notre pays, et combattre les forces du mal qui endeuillent nos familles et dire combien je suis fasciné par leur travail. C’est aussi l’occasion pour moi d’avoir une pensée pieuse pour tous ceux qui sont tombés, militaires comme civils, sur le champ de bataille et dans le cadre de la lutte contre le phénomène terroriste.
Je voudrais également exhorter l’ensemble du peuple burkinabè à se mobiliser derrière les Forces de défense et de sécurité pour permettre définitivement de mettre fin à toutes ces attaques et à tout ce désordre que nous imposent ces forces obscurantistes. Revenant principalement à votre question, je voudrais simplement dire que je suis un acteur du secteur privé, qui a eu l’occasion de servir son pays au poste de ministre du Commerce, de l’Industrie et de l’Artisanat. Ce qui m’a permis, sur le plan personnel, de m’enrichir davantage, en termes de connaissances de fonctionnement de mon pays, sur sa situation socio-économique.
Quand vous avez occupé cette fonction et que vous êtes maintenant en dehors, reprenant vos activités habituelles, vous ne pouvez pas vous détacher de l’évolution au quotidien votre pays, des préoccupations des populations, etc. Vous essayez toujours de faire davantage que vous n’ayez fait, lorsque vous n’étiez pas ministre, continuer à jouer votre partition. Donc, tous les matins, et comme tous les Burkinabè, on est à la fois solidaire des personnes déplacées internes et dans une dynamique de soutien et d’encouragement aux Forces de défense et de sécurité, aux Volontaires pour la défense de la patrie. On éprouve également de la compassion envers ces familles éplorées, qui ont vu leur fils ou fille, civil (e) ou militaire, arracher à la vie dans le cadre de cette lutte contre le terrorisme. Je dois dire que je vis les mêmes sentiments que les Burkinabè qui souhaitent et prient pour que, définitivement, l’hydre terroriste s’éloigne de notre pays et que nous continuions à nous battre pour plutôt des questions de développement que de questions de sécurité.
Parlant d’élément spirituel, le gouvernement a demandé, le 20 mai dernier, une journée nationale de jeûne et de prières pour la paix. Comment avez-vous apprécié cet appel et y avez-vous pris part ?
Dans le combat contre le terrorisme, tout ce qui peut être mis dans la balance pour nous permettre de nous renforcer psychologiquement, être forts sur le plan spirituel et pour permettre à ce que les forces morales puissent jouer leur rôle, n’est pas à négliger. Les forces morales, c’est-à-dire les autorités coutumières et religieuses, sont reconnues dans notre Constitution. Cela veut dire que ces forces-là véhiculent forcement des valeurs partagées. Donc, ce me semble tout à fait normal qu’on puisse, chacun, en fonction de sa croyance, prier et solliciter les mannes de nos ancêtres pour davantage se fortifier pour mener ce combat. Je voudrais à cet effet saluer la mobilisation des Burkinabè. C’est un exemple sur lequel on peut s’appuyer pour rester mobilisés et unis, toutes les fois que la nation nous appelle.
C’est dans ce contexte national que vous avez publié votre ouvrage « Influence de l’intelligence économique sur la prospective (Préconisations pour l’Etude nationale Prospective Burkina 2050) ». Quelles sont les généralités de l’ouvrage ?
J’ai soutenu une thèse de doctorat en juin 2022, thèse dont la thématique porte sur l’Intelligence économique et la prospective. J’ai vu en cette thématique quelque chose d’assez intéressant, sur lequel je pouvais m’appuyer pour mener davantage la réflexion, afin que nous puissions profiter de ces outils pour la structuration dans la démarche de gouvernance et de développement de notre pays. Je me suis donc mis à écrire pour proposer quelques idées dans le cadre de la planification ou de la projection pour notre pays, aussi bien dans un horizon de long terme que des actions entrant dans le court terme.
Le livre est donc destiné à la fois à l’administration publique, au secteur privé, au monde académique, aux apprenants. Le livre aborde des questions définitionnelles en ce qui concerne la prospective et l’intelligence économique. Il montre l’articulation entre l’intelligence économique et la prospective, en termes d’influence de la première sur la seconde et, enfin, il résume les préconisations que je fais et qui pourraient être utiles à l’élaboration de l’étude nationale prospective Burkina 2050.
Etant donné qu’on a une prospective dont l’horizon est 2025, notre pays se donne en ce moment les moyens de réécrire une nouvelle prospective à l’horizon 2050 (ou prospective post-2025, en fonction de la temporalité qui viendrait à être décidée par les autorités au regard des durées définies pour les différentes études par la loi sur la planification du développement adoptée en 2018). En tout cas, j’essaie de faire des préconisations pour qu’on puisse non seulement se projeter, mais également pour remettre le « système Burkina » sur une trajectoire vertueuse, en proposant des mesures à prendre pour garantir le succès des préconisations que je fais (des mesures à moyen et court termes pour pouvoir garantir le long terme).
Peut-on clairement dire que votre expérience dans le gouvernement a été décisive dans la publication de cet ouvrage ?
Tout à fait ! Je parlais de généralités du livre pour le situer dans ses trois dimensions, mais la thèse a aidé sur le plan théorique. Les questions que j’y aborde sont des problématiques que je connaissais de mon expérience d’acteur de la société civile, de chef d’entreprise et de ministre de la république. Maintenant, les outils de l’intelligence économique et de la prospective deviennent des instruments que j’utilise pour aborder ces différentes problématiques. Sans être spécialiste en tout, je pense que sur les questions stratégiques, on devrait pouvoir se prononcer. Donc, oui, le passage au gouvernement est quelque chose qui m’a beaucoup enrichi intellectuellement sur le plan personnel et sur le plan de la connaissance du Burkina Faso, à travers notamment des secteurs vitaux tels que la santé, la culture, les langues nationales, la diplomatie économique, l’industrialisation, les filières porteuses…
Lorsqu’on est au gouvernement, on participe à écrire des stratégies, à mettre en place un programme de développement de notre pays. On a été ainsi confronté à ces différentes problématiques et lorsqu’on a la chance après de faire des recherches qui abordent ces différentes thématiques, il est clair qu’on arrive à faire une articulation assez vertueuse entre ce que vous avez vécu, ce que la science vous permet de comprendre de certaines problématiques et ainsi de proposer de nouvelles idées qui pourraient servir au pays. Cela peut rencontrer l’assentiment de personnes qui pensent de la même manière ; parce qu’in fine, l’avenir souhaité par l’étude nationale prospective doit être quelque chose de partagé par l’ensemble des Burkinabè. C’est l’une des conditions de son succès, lorsqu’on passe dans sa phase mise en œuvre.
Le livre a, dès sa publication, suscité de nombreux commentaires et parmi les interrogations au relent de curiosité, il y a cette notion de « intelligence économique », qui semble nouvelle pour nombre de citoyens. Qu’est-ce que c’est ?
Dans la vie des Etats, des entreprises et des organisations, il y a constamment l’information qui joue un rôle important. Pour décider, il faut avoir l’information. Pour planifier, il faut avoir l’information. Pour influencer, il faut avoir l’information. Pour produire des biens et services de consommation, il faut l’information. Donc, la vie des organisations baigne tout le temps dans l’information. Dès lors, l’information devient une matière première à utiliser. L’intelligence économique est un mode de gouvernance de l’information, en ce sens qu’elle permet de collecter des données, de les conceptualiser et d’en faire une information qui permet à un décideur, qu’il soit du public ou du secteur privé, de prendre une décision. C’est cela le but de l’intelligence économique.
… Ramenant cela au cas concret du Burkina !
On ne peut aujourd’hui, pour l’Etat que nous sommes, nous orienter à long terme, décider par exemple de ce qu’il faut faire dans les domaines de l’éducation, l’industrialisation, la production agricole…, sans analyser l’environnement. Qui dit analyse de l’environnement dit collecte et traitement de données pour en faire une information sur laquelle on peut se baser pour décider. Si vous dites que vous êtes dans la production de biens et services pour que les gens consomment local, mais aussi pour exporter, vous êtes obligés de rassembler les informations utiles (par exemples les nouveaux procédés de transformation et de commercialisation des matières premières, les normes pour produire en qualité, les règles et les normes qu’imposent les pays dans lesquels vous voulez vendre vos produits, la qualité que vous mettez dedans, le prix que vous y mettez, etc.).
Donc, il faut d’abord que vous ayez l’information. Cela est un cas concret pour l’industrialisation de nos pays. Pour la culture par exemple, on a beaucoup d’évènements dans notre pays : le FESPACO, le SIAO, la SNC, etc. Mais, de plus en plus, il y a beaucoup de pays qui développent ces mêmes activités. On a donc besoin d’analyser notre environnement immédiat pour voir la concurrence, comment elle impacte nos évènements, et pour améliorer la qualité du SIAO, du FESPACO, de la SNC … On va, dès lors, utiliser un outil de l’intelligence économique, qui s’appelle la veille. Dans un contexte économique mouvant et incertain, la veille apparaît plus que nécessaire pour contourner les menaces et saisir les opportunités qui se présentent, afin d’aboutir à la performance.
Ramenée au cas concret du Burkina, la veille ne va pas se limiter à une simple activité d’analyse de l’environnement, elle va s’apparenter davantage à une activité de prospective intégrant plusieurs paramètres : le marché, les clients, les fournisseurs, les tendances. Ainsi, cette veille stratégique placée en amont de l’activité de prospective, permet de recueillir les informations qui serviront à caractériser les tendances d’évolution en cours afin de construire des scénarios robustes et pertinents pour éclairer la décision stratégique. Ensuite, en positionnant la veille en aval de l’activité prospective, elle va nous permettre de surveiller l’évolution des variables et tendances qui sont issues des résultats de la prospective afin d’alerter nos décideurs publics ou privés, notamment les chefs d’entreprise, par des notes stratégiques par exemple, et éclairer leurs prises de décision.
La veille revêt alors trois missions principales à savoir : observer l’environnement stratégique ; détecter les signaux faibles, c’est-à-dire les informations relatives à des changements qui peuvent se produire dans l’environnement ; analyser les informations qui pourraient mettre en péril la stratégie de notre Etat ou de nos entreprises. Du coup, cette veille stratégique se décompose en veille technologique, en veille juridique, en veille image, en veille concurrentielle et en veille sectorielle. La veille technologique, appelée également veille scientifique et technique, consiste à s’informer sur les produits et techniques (fabrication, production) les plus récents au moyen de la surveillance des sites spécialisés ou d’actualités et des bases de dépôts de brevets à l’OAPI (Organisation africaine de la propriété intellectuelle) par exemple.
À l’aide des informations obtenues, les personnes autorisées sont informées des évolutions des coûts, de la qualité des produits et appréhendent ainsi les avancées technologiques et innovatrices. Une industrialisation du Burkina basée sur la transformation des matières premières locales doit se conjuguer avec une veille technologique en impliquant les structures publiques en charge de la recherche scientifique, de la propriété industrielle et intellectuelle et des entités des structures d’appui au secteur privé disposant de directions de recherche et développement.
La veille juridique consistera quant à elle à anticiper l’évolution réglementaire susceptible d’avoir des effets sur les actions de l’État et des entités, en surveillant la législation et ses mutations. Elle nous permettra de prévoir l’adoption de nouvelles lois. C’est un premier pas vers la démarche de conformité pour les organisations, mais surtout, c’est également un atout dans la prise de décision nécessitant la résolution de problèmes juridiques. L’avènement de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF), la digitalisation de l’économie, l’impact des réseaux sociaux sont autant de raisons qui engagent le Burkina Faso à l’analyse profonde de son environnement légal, en vue des adaptions nécessaires.
- Ici, et avant l’interview, Dr Harouna Kaboré a peint ce tableau, traduisant l’unité, la paix et soutien du peuple aux FDS. C’est dans le cadre de « Ma ville en peinture » de Adjaratou Ouédraogo
Dans la situation actuelle de diversification des partenaires du Burkina, on a besoin d’analyser les avantages et les inconvénients de chacun de nos choix, donc de collecter l’information pour pouvoir le faire. Là, on est en train de pratiquer l’intelligence économique d’Etat. L’on peut s’intéresser aux territoires, en pratiquant l’intelligence économique territorial, pour regarder leurs avantages comparatifs. La région des Hauts-Bassins, qu’est-ce qu’elle a de plus comparée à la région du Nord, de l’Est ? Etc. On analysera leurs forces et les opportunités, une logique de développement territorial pour définir ce qui peut être bâti dans telle ou telle région en termes d’activités économiques.
Tout le monde convient aujourd’hui que l’intelligence artificielle est en train de chambouler le monde. N’y a-t-il pas lieu pour nous d’étudier les possibilités pour l’exploiter au profit de notre système de santé, d’éducation ? La prospective peut nous guider dans ce sens pour pouvoir exploiter, regarder les meilleures pratiques. L’intelligence économique sera donc toujours au cœur de la collecte des informations pour nous permettre de décider en fonction des schémas qui se présentent à nous. L’intelligence économique utilise ainsi les méthodes de la prospective (c’est-à-dire la méthode des scénarii). On est dans une articulation vertueuse entre intelligence économique et prospective porteuse d’une transformation vertueuse de la société.
Comment vous sentez-vous après la publication de cet ouvrage, surtout en rapport avec les réactions ?
Je voudrais remercier tous ceux qui ont contribué, de près ou de loin, à ce que je puisse mettre à la disposition du public, ce livre. Je salue l’implication du présentateur du livre, Dr Seydou Bouda, ancien ministre, ancien ambassadeur ; l’éditeur du livre, Dr Honoré Ouédraogo des Editions Jethro SA ; le modérateur, le lieutenant-colonel Alain Sara, qui est un expert en intelligence économique. Depuis la dédicace, il y a un très bon retour. L’un des indicateurs déjà, c’est que les gens ont payé, le jour de la dédicace, presque la totalité du stock qui était là, et ils y sont restés pour la dédicace. C’est un message d’encouragement dont je mesure la valeur. On se donne aujourd’hui les moyens pour que le livre soit présent dans toutes les librairies.
L’analyse des médias qui ont relayé l’information de la dédicace ou qui ont fait leur propre traitement de l’information sur le livre et les praticiens, que ce soit les universitaires, les acteurs du secteur privé, témoigne d’un bon accueil réservé au livre. Je me réjouis de cet accueil réservé au livre et je me mets à la disposition de tous les acteurs pour continuer à approfondir les sujets que j’ai abordés dans ce livre. J’ai dit dans la conclusion de mon livre que les connaissances élaborées ne prétendent aucunement être des miroirs fidèles des phénomènes qu’elles sont censées représenter.
Elles sont de nature à entretenir et à encourager la réflexion, éclairer dans une certaine mesure des situations problématiques, et/ou stimuler l’action créative en donnant à voir des voies plausibles pour atteindre certains buts. La connaissance est temporaire et l’intelligence est permanente. L’intelligence est la mesure de notre connaissance. L’intelligence et la connaissance auraient dû, à elles deux, faciliter la vie de l’humanité toute entière. En somme, ce n’est que ma modeste contribution à la co-construction de l’intelligence collective au service de la planification du développement.
Et vous évoquez également la nécessité de miser sur les études sectorielles, pour éviter les flottements quand un pouvoir arrive … !
Je voudrais rappeler que notre pays a fait l’étude nationale prospective Burkina 2025 en définissant différents scénarii en termes d’avenir possible de notre pays à savoir : Le Silmandé, l’Étalon au galop, la Ruche des abeilles, L’envol de l’albatros (l’avenir souhaité), le Dougoumatô (qui est le scénario catastrophique où notre pays est au rendez-vous de la mort sociale). Le scénario qu’on souhaite, c’est donc l’envol de l’albatros ; le pays qui décolle et qui s’installe définitivement et durablement dans la prospérité économique et sociale. Cette étude nationale prospective combinée chaque fois avec le programme du président élu, sont les piliers principaux pour élaborer les référentiels nationaux de développement successifs (SCADD, PNDES I, PNDES II).
La question aujourd’hui, et l’analyse que nous faisons sur le terrain, c’est qu’on ne s’est pas suffisamment approprié l’étude nationale prospective Burkina 2025 dans l’élaboration des politiques publiques. On n’a pas outillé suffisamment l’administration pour s’approprier le document qui a été élaboré. Les insuffisances, c’est qu’on a dû faire des référentiels nationaux de développement qui n’ont pas suffisamment exploité la richesse de ce document. Mais le mérite, c’est qu’on était déjà dans la planification à long terme. Le mérite, c’est qu’en 2018, une loi a été adoptée sur la planification du développement pour fixer désormais ce que nous devrons faire des études nationales prospectives avec des temporalités de 30 ans.
On a aussi fixé dans cette loi qu’on doit faire des études prospectives sectorielles, avec des temporalités de 10 ans, qu’on peut développer des référentiels de développement sur des temporalités de cinq ans et des stratégies pour leur mise en œuvre. Ce choix de planifier, en sortant des programmes bateaux (catalogues de projets) pour faire de la planification, est un bond qualitatif. Maintenant, il faut garder ce cap, et c’est pour cela que nous préconisons que l’étude nationale prospective Burkina 2050, qui est en train d’être élaborée, soit suivie après son adoption, systématiquement, par des études prospectives thématiques ou sectorielles sur les toutes les thématiques vitales.
Ainsi, on aura une étude nationale prospective dans une temporalité de 25 ou 30 ans et des études sectorielles sur dix ans. Dès lors, tout pouvoir qui arrive peut bâtir le référentiel national de développement sur cinq ans, mais en ayant de la matière, des études sérieuses qui ont été conçues et adoptées pour un avenir partagé. C’est-à-dire, par exemple, que l’étude sectorielle de l’éducation sera une étude dont les choix sont partagés par l’ensemble des Burkinabè, des architectes de changement du domaine. C’est pour cela que la prospective doit prendre en compte tout le monde. Du coup, lorsque vous arrivez au pouvoir, vous avez déjà une étude sectorielle dans un domaine où les choix sont déjà partagés par les Burkinabè, il ne restera qu’à développer les actions (stratégies, projets et programmes etc..), à mener pour permettre d’atteindre les objectifs qu’on s’est déjà fixés.
Vous posez des actions sur la base de la trajectoire connue de l’avenir souhaité par tous. Si les Burkinabè disent que vous devez faire de sorte que notre culture soit un outil de rayonnement, de « soft power », vous regarderez simplement quelles sont les actions que vous devez mener pour que la culture permette au pays de rayonner. Si les Burkinabè, à travers l’avenir souhaité et partagé via le scenario dit tendanciel, disent qu’ils veulent que les langues nationales constituent un socle solide pour le développement, de faire en sorte que nous ayons une approche endogène du développement, alors une fois au pouvoir, vous devez développer des politiques dans ce sens. Précisions que l’ENP (étude nationale prospective) ne va pas aller jusqu’à définir les actions à mener ; elle va définir les scenarii, la vision, la trajectoire, les axes stratégiques et chacun viendra se l’approprier pour développer des politiques publiques à même de contribuer à atteindre la vision à long terme.
A la cérémonie de dédicace, on a senti un auteur à la fois passionné, trop-plein et convaincu de ce qu’il dit sur ces questions cardinales de gouvernance. Quels sont les enseignements que votre responsabilité à ce niveau de l’Etat vous a laissés sur la conception des politiques publiques au Burkina ?
Ma conviction est toute faite que le plus important, en tout cas, dans ma vie, et je pense, dans celle de tous les Burkinabè, c’est le Faso d’abord. C’est-à-dire que c’est notre patrie qui passe en premier lieu, et dans ce cadre-là, l’intelligence collective doit se construire et peut se faire dans l’esprit de la co-construction (et qui dit co-construction dit forcement réflexions, des idées à mettre sur la table). J’essaie de jouer ma partition, en mettant au service de l’intelligence collective, ce savoir, ces connaissances, ces préconisations qui pourraient être utiles à l’ensemble de la communauté. C’est vraiment cela la base de ce que je fais, ce n’est pas exceptionnel ; d’autres personnes le font. Ce n’est pas exceptionnel, parce qu’on a toujours été dans cette dynamique, depuis qu’on est engagé en tant que leader associatif. C’est un autre pan, une autre action supplémentaire qu’on vient de poser dans la droite ligne de ce qu’on a toujours fait et de ce que font de nombreux autres intellectuels burkinabè.
Est-ce ce sentiment qui justifie la publication de ce livre par une maison d’édition nationale ?
Notre pays a fait du consommons local et de la promotion des PME (petites et moyennes entreprises) et PMI (petites et moyennes industries), quelque chose de structurel qui pourrait contribuer à changer structurellement notre économie, à changer les paradigmes. Vous avez donc de jeunes entrepreneurs qui se battent au quotidien pour offrir des services de qualité aux populations comme investir dans une maison d’édition, une imprimerie, etc. Mais dans le même temps, si tout le monde va faire ses cartes de visite à l’extérieur, imprimer ses livres à l’extérieur, ce sont toutes ces PME qui ont été créées qui vont en pâtir. On veut qu’elles aillent chercher les marchés où ? Non, si on veut que ces entreprises soient performantes, qu’elles arrivent à s’améliorer et à challenger avec l’extérieur, à chaque fois que nous avons des opportunités de leur donner des marchés, du travail, il ne faut pas hésiter. Ce sont des actions vertueuses, parce que derrière, vous créez ou contribuez à consolider des emplois, vous participez à la création de la richesse nationale.
Je pense que c’est un cercle vertueux pour tout le monde. Comme je le disais à quelqu’un, étant donné que chacun de nous fait des enfants, il va falloir qu’ils travaillent un jour, soit dans l’administration soit dans le privé. Mais, si pendant qu’on a la possibilité d’aider à créer les entreprises et à aider à avoir une administration performante, on ne le fait pas, ne soyons pas demain étonnés que nos enfants, frères, cousins aient des diplômes, mais soient au chômage. Pendant qu’ils sont sur les bancs à l’école, chacun de nous doit poser des actes individuels pour permettre de créer les conditions de leur insertion professionnelle demain. A y bien réfléchir, c’est d’abord à nous que profiteront demain nos actions d’aujourd’hui. Souvent, on a l’impression qu’on fait uniquement du bien aux autres, alors que c’est à soi-même. Autant que possible, chacun doit pouvoir consommer local et pour moi, cela entre dans le patriotisme économique, qui est une action de l’intelligence économique.
- Dr Harouna Kaboré, offrant l’ouvrage dédicacé à Adjaratou Ouédraogo
Avec un éditeur national, êtes-vous confiant que vos attentes seront comblées en matière de promotion du livre ?
Oui, nous avons des Burkinabè qui sont aguerris à l’édition, des imprimeries qui sont performantes, il faut simplement être à côté et faire un travail assidu avec eux et vous pouvez sortir des livres de qualité. Beaucoup de livres de qualité sont produits et édités dans notre pays, il faut s’y mettre, de sorte que même s’il devrait avoir des insuffisances çà et là, qu’on puisse les combler. C’est à force d’agir et de faire qu’on apprend. Je pense qu’il n’y a pas de raison que ce livre ne puisse pas se vendre pour cause de malfaçons. Certes, il y a beaucoup d’améliorations à faire en la matière (édition, imprimerie : ndlr), parce que la vie est dynamique, il y a la compétition, les nouvelles technologies et bien d’autres, mais nous ne sommes pas les parents-pauvres, on peut faire des merveilles dans le domaine également dans notre pays.
La thématique donne l’allure d’un programme politique, tant elle est au cœur de la gouvernance. Si fait que des lecteurs et/ou observateurs ont vite fait de classer le livre dans une suite logique du mouvement que vous présidez, Endogène, et partant, de vous annoncer bientôt dans l’arène politique. Quelles observations pouvez-vous faire de cette opinion de plus en plus partagée ?
Je voudrais saisir l’occasion pour rappeler ce qui est connu par certains : Endogène est une association d’éducation citoyenne et d’entreprenariat social. Endogène n’a pas vocation à conquérir le pouvoir d’Etat. Endogène ne va jamais se transformer en parti politique. Endogène est un regroupement d’associatifs : des gens venant du secteur privé, du monde universitaire, du monde rural ; des Burkinabè de l’intérieur et de la diaspora, des chefs d’entreprise, etc. On a une organisation à l’intérieur de laquelle il pourrait y avoir même des gens qui militent dans des partis politiques déjà. Ce qui nous lie, c’est notre charte, notre manifeste, le contenu des valeurs et principes, le programme d’activités qu’on met en place. Jamais, Endogène ne va se transformer en autre chose. Endogène est une association d’éducation citoyenne et d’entreprenariat social, il en a été ainsi hier, il en ainsi est aujourd’hui, il en sera ainsi demain et pour toujours. Tout membre est libre de faire la politique partisane aujourd’hui ou demain, mais ce ne sera jamais sous le label de « Endogène ».
Cela n’empêche qu’à titre personnel, vous fassiez le pas !
Effectivement…, et comme je le dis, toute personne a le droit d’avoir ses ambitions, ses activités qu’elle mène. Et libre à chacun de mener les activités qu’il souhaite. La seule différence, c’est que, lorsqu’on est dans le Conseil citoyen d’orientation et de de décision (CCOD), organe de direction d’Endogène, on ne peut pas être aussi dans la direction d’un parti politique ; ce qui est conforme à la loi régissant les associations. Aujourd’hui, je suis le président d’Endogène, je ne suis pas dans une démarche partisane de parti politique, sinon j’aurais quitté la présidence d’Endogène. Cela vaut pour tous les membres de la direction de l’association.
Le public vous a d’abord connu comme leader de la société civile, acteur du secteur privé et chef d’entreprise avant la casquette de ministre en charge du Commerce et de l’Industrie. Pourquoi ne pas capitaliser tout cela autour de la politique, c’est-à-dire en revêtant la blouse de leader politique pour plus de marge de manœuvre ?
Je préfère utiliser les termes « partisan », « apartisan », que les termes « politique » et « apolitique » ; parce que tous les thèmes que nous abordons au quotidien, que ce soit le droit à l’éducation, à l’eau potable, etc., sont des questions qui sont politiques, mais qui ne sont pas partisanes (la politique par définition, étant la gestion de la cité). De sorte qu’à chaque fois que vous vous prononcez sur des questions liées à la gestion de la cité, vous posez des actes politiques, mais pas partisans, parce que vous ne le faites pas dans le cadre d’un parti politique. Je veux donc dire qu’il y a de l’espace et des possibilités d’agir pour la cité, sans forcément être engagé dans un parti politique et dans la conquête et la gestion du pouvoir.
Sauf qu’avec l’association, vous n’avez pas vocation à conquérir le pouvoir… Pourtant c’est peut-être cela que certains citoyens attendent de vous, surtout que vous êtes jeune et la tendance aujourd’hui, c’est cela !
Tout est une question de contenu. Toutes les formes d’organisations ont leur place pour contribuer à tirer le pays vers le haut : la société civile, les syndicats, les partis politiques, les structures d’appui au secteur privé, les ONG, etc. Aujourd’hui, nous jouons notre rôle dans le cadre d’une association qui s’appelle Endogène. Aussi minime soit notre contribution, c’est ce que nous pouvons faire aujourd’hui pour contribuer à ce que notre pays avance. Cela n’enlève en rien le fait qu’individuellement ou collectivement, les gens ont le droit de nourrir des ambitions et de faire à l’avenir, autre chose. Mais, ce dont je suis sûr aujourd’hui, et je peux vous l’affirmer, c’est que nous sommes dans une dynamique purement associative, et moi, engagé en tant que leader associatif parallèlement à mes activités professionnelles.
Personnellement, pensez-vous souvent à la vie politique ?
Je suis content de faire ce que je fais avec mes camarades, c’est exaltant, ça nous occupe ; la réflexion est quelque chose qui nous passionne. Si en plus, les résultats de ces réflexions peuvent servir aux hommes politiques dans leurs décisions, si cela peut aider un tant soit peu leur façon de faire, on sera déjà content. Quand je fais aujourd’hui une publication, un livre, qui propose qu’on ait un « nouveau système Burkina » pour les 25 prochaines années, qui place le Burkina sur une bonne trajectoire, cela peut aider des décideurs politiques qui peuvent exploiter les propositions. Je pense que je joue de la manière dont je pense être le plus efficace aujourd’hui. Demain est autre jour avec ses réalités et ses possibilités !
Le mouvement Endogène, c’est aussi le combat pour l’Etat-nation, le patriotisme et pour la « construction d’une identité collective ». Le contexte actuel semble, plus que jamais, faire appel à cette mission de l’organisation, mais on sent moins son action sur le terrain. Qu’est-ce qui explique cela ?
Endogène a connu plusieurs étapes. Nous avons fait beaucoup de panels. Nous avons choisi de faire un symposium en 2019 sur l’élaboration d’une politique économique pour un développement endogène. On est parti d’une dynamique où il faut réfléchir pour définir le contenu d’un référentiel national de développement orienté développement endogène. Et l’idée est née au symposium de travailler sur toutes les thématiques vitales qui ont un lien avec cette question. Endogène a également fait des labos citoyens sur l’industrialisation, la culture, l’éducation, et à chaque fois, on a produit des rapports et fait des propositions ; on ne les a pas gardés pour nous, on les a transmis aux décideurs dans les domaines concernés. Nous avons travaillé sur la question de la situation actuelle, en tenant une activité le 16 décembre 2019 sur la thématique « Burkina Faso, un pays en guerre ? Que faire ? », pour qu’on définisse et réfléchisse ensemble sur ce que nous vivons et faire des propositions. Et là, on a abouti au fait que tous les compartiments de la société devraient être en mouvement pour faire face à l’hydre terroriste. Et quand nous avons fini cette réflexion, Endogène s’est, elle-même, mis en mouvement, en choisissant le canal de l’éducation citoyenne ; parce qu’on a compris que les forces obscurantistes tentent de nous imposer un mode de vie, une façon de faire. Endogène s’est mis à produire du contenu. En tandem avec le Think Tank Burkina International, on a produit le film sur la reconstitution de la Haute-Volta de 1932 à 1947, pour que tous ceux qui regardent le film sachent que notre pays a connu beaucoup d’adversités, notamment son dépiècement pour être rattaché à d’autres pays, mais on s’est battu pendant quinze ans pour le réunifier.
Ce film est un outil par lequel nous faisons comprendre aux jeunes qu’à chaque fois qu’on a été attaqué, on a su se mobiliser pour défendre notre territoire. Nous avons produit un autre film en 2019 dénommé « Un récit national », parce qu’on estime qu’il faut qu’on ait un récit national de nos cent ans d’histoire : de 1919 à 2019. Ce film met en lumière toutes les grandes étapes, les grands événements qui constituent notre histoire pour permettre aux jeunes, sur la base de ce documentaire, de comprendre comment notre pays a vécu tous les soubresauts politiques, les grands événements jusqu’en 2019, en 100 ans d’existence. Cela évite aux jeunes d’aller chercher plusieurs livres d’histoire pour comprendre d’où venons et quels sont les enseignements à tirer. En plus de cet aspect, nous sommes dans des actions de solidarité envers les personnes déplacées internes dans les régions, toutes les sections participent à ces actions de solidarité.
Nous sommes, directement ou indirectement, dans des actions d’entreprenariat social. Indirectement, Endogène accompagne beaucoup d’initiatives culturelles qui permettent de créer de la résilience dans notre pays, de faire rouler l’économie locale et accompagne ceux qui ont des projets pour mobiliser les partenaires pour la mise en œuvre. Pas plus tard qu’il y a un mois, nous avons organisé une activité ici avec les acteurs du théâtre, pour livrer à la jeunesse, la lettre d’Amadou Hampâté Bâ qu’il a adressée à la jeunesse en 1985. Nous sommes dans la structuration, nous valorisons des valeurs et de vivre-ensemble, de combativité, d’anticipation et de développement endogène. Tant le bureau national que les sections (parce que nous sommes présents dans les treize régions du Burkina, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, en France, en Belgique, au Canada, aux USA ; et nous avons des points focaux en RDC, au Gabon, au Bénin et au Mali). Les gens mènent des activités, en utilisant les différents outils en fonction des moyens disponibles.
Après « Influence de l’intelligence économique sur la prospective (Préconisations pour l’Etude nationale Prospective Burkina 2050) », d’autres thématiques en perspective ?
Je pense que je vais d’abord recueillir les retours de ce livre. Au fur et à mesure qu’on fait la présentation, nous allons, en fonction de la réaction des gens, des attentes, etc., regarder s’il y a des sujets sur lesquels on peut faire des développements supplémentaires. Même pas seul, car de plus en plus, aujourd’hui, les gens se mettent ensemble pour traiter des thématiques. Cela peut susciter des idées à ce qu’on se mette ensemble, pourquoi pas, avec d’autres personnes, pour traiter des sujets intéressants, dans le cadre d’un livre ou de panels. En tout cas, tout ce qui relève de la réflexion stratégique, nous allons rester nous-mêmes et continuer modestement à le faire au service de l’intérêt général et pour le Faso d’abord !
Interview réalisée par Oumar L. Ouédraogo
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
Commentaires récents