A l’occasion de la 28e édition du FESPACO, nous avons voulu comprendre l’apport de Thomas Sankara dans le développement de l’industrie cinématographique africaine et du FESPACO. Dans cette interview, le journaliste de formation et proche collaborateur du père de la révolution burkinabè, Bassirou Sanogo, premier ambassadeur du Burkina Faso en Algérie, apporte des éclaircissements.
Lefaso.net : Quelle valeur accordait Thomas Sankara à la culture et plus précisément au cinéma ?
Bassirou Sanogo : Il avait une vision progressiste et panafricaniste de la culture. Si nous nous en tenons simplement au cinéma, sa démission du secrétariat d’Etat dans le gouvernement de Saye Zerbo était à la fin des assises de la presse africaine à Ouagadougou. A la clôture de cette manifestation, il a réuni les hommes de médias et a dit : « Malheur à ceux qui bâillonnent leurs peuples ».
Avant cela, Sankara, en tant que secrétaire d’Etat, s’est rendu à Dakar où l’Union des radios et télévisions nationales d’Afrique avait son siège. Il y avait fait une prestation remarquable, au point où les journalistes, les directeurs de radio et de télévision ont demandé d’où il vient, celui-là. Il leur a dit « vos caméras et vos plumes doivent être au service du peuple ». Il accordait une place importante à la culture. Il y a eu le Faso Danfani, qui est une réhabilitation de notre culture. Imaginez-vous que si on avait continué depuis 1987, peut-être que notre Faso Danfani inonderait le monde entier.
En 35 ans, on aurait pu l’améliorer, le perfectionner et promouvoir sa vente à travers le monde. La Semaine nationale de la culture est née sous Sankara, c’est pareil pour le Salon international de l’artisanat de Ouagadougou. Si nous revenons au cadre du cinéma, je pense que les cinéastes n’ont jamais autant accouru au FESPACO que sous les quelques années de Thomas Sankara. Il était très critique et exigeant vis-à-vis d’eux et eux estimaient que c’était l’homme qu’il fallait pour promouvoir la culture.
Comme résultat, en 1985, la Fédération panafricaine des cinéastes (FEPACI) qui végétait a tenu son troisième congrès. Sankara souhaitait que le siège de la FEPACI vienne à Ouagadougou. Il souhaitait également que le secrétariat général de la FEPACI soit assuré par un Burkinabè. Je le sais très bien parce que j’ai été chargé de négocier à mon poste diplomatique auprès des autorités algériennes pour qu’elles nous aident à obtenir le siège et le secrétariat général. Si la FEPACI est arrivée ici, c’est grâce à Sankara. L’une des forces du pouvoir du CNR (Conseil national de la révolution) sur les quatre ans a été la considération et la promotion culturelle.
Quelle a été sa contribution dans le rayonnement du FESPACO ?
Il a demandé aux cinéastes de conscientiser leurs peuples et de faire avancer l’Afrique par l’image filmique. Il percevait bien le rôle que les films pouvaient faire pour l’émancipation des masses. Je pense qu’il a essayé de mettre le paquet dans la mesure du possible. Un film comme « Sarraounia » a été grandement financé par des fonds burkinabè. A l’époque, en 1987, le Burkina Faso n’avait pas eu l’Etalon de Yennenga. Mais ce film a remporté l’Etalon de Yennenga en 1987. Il a été tourné en grande partie au Burkina Faso et au Niger.
Le réalisateur est le Mauritanien Med Hondo. En 1989, se tenait le festival après la mort de Sankara. Certains cinéastes ont dit qu’ils n’allaient pas y participer. A l’approche du festival, ils ont dit que si nous venons, nous tenons à aller à Dagnoën pour nous recueillir sur sa tombe. Le pouvoir de Blaise Compaoré à l’époque ne le voulait pas. Un ami, qui est aujourd’hui décédé, Patrick Ilboudo, m’a contacté. Je venais de purger sept mois de détention politique. Il a dit que le FESPACO est menacé parce que les cinéastes veulent venir sous condition. Or le pouvoir de Blaise Compaoré ne voulait pas en entendre parler.
Il me suggère de prendre la tête d’un petit comité de cinq personnes pour aller voir Blaise Compaoré. Il pense que si moi, qui viens de sortir de détention, je pose cet acte, cela signifie que le FESPACO dépassait les contingences de la politique. Son argumentaire m’a convaincu et j’ai accepté. Nous avons pris rendez-vous avec lui, c’est la première fois que je le voyais après ma détention. J’ai pris la parole pour dire qu’il s’agit de sauver le FESPACO, qui n’est pas une création des révolutionnaires.
Les révolutionnaires ne peuvent pas mener à une situation qui ferait disparaître le FESPACO. Nous allons le regretter si nous le faisons car il a été créé sous Lamizana. Il serait bon que les cinéastes viennent. Notons qu’ils devaient tenir également le congrès de la FEPACI. C’est une concession que le pouvoir burkinabè devait faire. Le président Compaoré était gêné mais il a accepté. Les cinéastes sont venus et sont allés à Dagnoën pour rendre hommage à Sankara. Ils ont accepté de tenir le congrès, mais ne voulaient plus du bureau de la FEPACI qui avait été mis en place.
Ils voulaient pratiquement qu’on change le bureau. Nous avons lutté également sur ce terrain pour les convaincre de garder le bureau en l’état. Moi qui ne suis pas réalisateur, même si je suis historien du cinéma, j’ai accepté à l’époque de faire les photos, d’être dans la délégation de la FEPACI et nous avons fait en sorte que le bureau soit reconduit. Thomas Sankara, vivant ou disparu, hante donc le festival jusqu’aujourd’hui.
Des réalisateurs disent s’inspirer de sa cause dans leurs œuvres, pensez-vous que c’est réellement le cas ?
Soyons clairs sur une chose, le cinéma est un art, mais il est aussi une industrie. Si on veut faire du cinéma, on est obligé de mettre en œuvre des moyens de promotion du cinéma. On ne peut pas faire que du cinéma militant. Mais on peut faire des films de haute facture technique qui peuvent faire passer des discours militants et qui ne soient pas ennuyeux. Un cinéaste ne doit pas forcément être un militant sankariste. Je pense que la démarche sankariste de la culture est sans doute intéressante, parce qu’elle valorise notre patrimoine. Il faut que les cinéastes participent à créer une conscience africaine.
Que doivent faire ces cinéastes pour lui rendre hommage ?
Je pense qu’il y a déjà le prix Thomas Sankara qui existe au FESPACO. Il y a déjà des formules d’hommages qui sont rendus à travers les prix. Il y a la possibilité d’organiser des colloques sur Sankara et le cinéma. Il y a également cette nécessité de promouvoir des structures à la dimension de sa vision panafricaine de la culture. Si on promeut par exemple la FEPACI, on doit lui donner les moyens de pression politique nécessaire sur les Etats afin qu’elle développe la culture. En dehors de Sankara, Cheikh Anta Diop, Ki-Zerbo, bien d’autres penseurs l’ont voulu. On doit se mettre dans le sillage de tout ce monde qui a voulu faire la promotion des cultures africaines face à la mondialisation. En tant que créateur africain, il faut puiser dans toutes ces existences dynamiques pour pouvoir avancer. Dans ces existences dynamiques, il y a Sankara.
Samirah Bationo
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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