Les sanctions de la CEDEAO à l’encontre des trois pays de transition (Burkina Faso, Guinée, Mali) suscitent des réactions, notamment celle relative à l’interdiction de voyager. De l’avis de Issaka Sourwema Dawelg Naaba Boalga, auteur de cet article, il urge d’utiliser les voies de recours prévues par les textes de la CEDEAO en la matière.

CEDEAO-Burkina Faso

Des sanctions démesurées face à une politique étrangère non conventionnelle

Ainsi les sanctions de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) à l’encontre des trois (03) de transition du Burkina, de la Guinée et du Mali ont enregistré un tour de vis supplémentaire lors du sommet extraordinaire de la conférence des chefs d’État et de gouvernement tenue le 18 février 2023 à Addis-Abeba (Ethiopie) en marge de la 36e session ordinaire de l’assemblée de l’Union africaine.

En effet, la conférence a décidé « de maintenir les sanctions existantes à l’encontre des trois pays et d’imposer une interdiction de voyager aux membres du gouvernement et autres hauts fonctionnaires des trois pays. » Concrètement, cela pourrait se traduire par l’élaboration d’une liste nominative des hautes personnalités concernées par lesdites sanctions. Ensuite, la CEDEAO pourrait demander aux Nations-Unies d’endosser ces sanctions. Enfin, les services d’immigration des pays qui ratifieraient ces sanctions seraient chargés de leur mise en œuvre avec la collaboration d’Interpol qui émettra probablement une notice rouge.

Avant cela, les trois pays, à travers leurs gouvernants, étaient déjà suspendus des organes et instances de la CEDEAO (et subséquemment de ceux de l’Union africaine) avec les conséquences que l’on sait : non-participation aux sommets de chefs d’Etat et de gouvernement, impossibilité pour leurs ressortissants d’être nommés à des postes statutaires, … La sanction relative à l’interdiction de voyager a suscité une levée de boucliers au sein de pans entiers de l’opinion publique allant de M. Tout le monde à des politiques en passant par des personnes bien au fait des questions diplomatiques.

Le droit de prendre le contre-pied des idées dominantes

En ce qui nous concerne, nous n’avons peut-être pas la qualité requise pour réagir (bien que titulaire d’un DEA en relations internationales obtenu à l’université de Paris 7 Denis-Diderot) dans la mesure où nous n’avons pas exercé et n’exerçons pas dans les domaines de la diplomatie ou des relations internationales.

Cependant, nous nous faisons le devoir d’exprimer notre opinion, certes discutable mais que nous ne souhaitons pas condamnable dans la mesure où notre statut de citoyen nous confère le droit de dire les choses différemment de nos concitoyens. Du reste, une sagesse moaga (dont on peut trouver des équivalences dans toutes les langues du Burkina pourvu que l’on fasse l’effort de chercher) enseigne que « Si la danse du lignage se déroule dans un plat, il est fait obligation à chacun de ses membres d’y mettre un pied ou au moins un orteil ».

Autrement dit, nul ne doit dérober face à des situations à propos desquelles l’avis ou le point de vue de chaque membre du lignage est souhaité voire requis. Enfin, ni les relations internationales, ni la diplomatie, ni même le droit duquel les premières descendent ne sont des sciences exactes. Au nom de cela ou au regard de cela, les lecteurs voudraient accepter les différences de vue avec certains courants de réflexion qui ont pignon sur rue dans la cité de nos jours.

Mieux, nous souhaitons qu’ils comprennent (même s’ils ne les approuvent pas) les idées contraires à celles que publient nombre de médias traditionnels, médias sociaux et réseaux sociaux. Le mérite de la démocratie qui prend appuie sur le fait majoritaire réside moins dans la capacité de cette majorité à imposer ses points de vue que dans sa grandeur d’âme à créer les conditions pour que la minorité (ou ce qui est supposé tel) exprime ses idées différentes voire contradictoires vis-à-vis des opinions dominantes.

La diplomatie burkinabè sous le président Damiba : savoir en tirer le meilleur parti

Cela étant, nous, Burkinabè, avons posé des actes depuis le 24 janvier (et particulièrement du 30 septembre) 2023 qui, pour légitimes qu’ils puissent être du point de vue de l’autorégulation des sociétés à certains moments de leur histoire et de celui de la revendication assumée de notre souveraineté, ne sont pas moins en inadéquation avec le modèle de l’Etat démocratique et laïc que notre peuple a choisi à travers l’adoption de la constitution en juin 1991. En effet, la constitution proscrit les coups d’Etat, quels qu’ils soient.

Or, le 24 janvier 2022, c’est par un coup d’Etat militaire (même si celui-ci a été accueilli avec bienveillance par une partie importante de l’opinion nationale) que le président Paul-Henri Sandaogo Damiba, dont nous étions d’ailleurs le ministre en charge des traditions et des coutumes, est arrivé au pouvoir ; c’est également par un coup d’Etat militaire que le capitaine Ibrahim Traoré a accédé, le 30 septembre 2022, au pouvoir suprême.

Au-delà de ces deux (02) coups d’Etat qui sont intervenus en moins de douze (12) mois d’intervalle, il y a le fait que depuis l’avènement du président I. Traoré au pouvoir, nous sommes en bisbilles avec la plupart de nos voisins immédiats (notamment la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Niger, Nigéria, le Togo), à couteaux tirés avec la CEDEAO, en froid avec la commission de l’Union africaine, distants de l’Union européenne, plus ou moins en dispute avec l’Organisation des Nations-Unies.

Dans un contexte où les organisations sous régionales, régionales et internationales (dont le Burkina est du reste membre) vouent, sur la base de leurs conventions et traités, aux gémonies les dévolutions non-constitutionnelles du pouvoir politique, il y avait déjà une hostilité a priori vis-à-vis du changement intervenu le 24 janvier 2022 même si par la suite, les efforts du président P.-H. Damiba a permis de rassurer les partenaires bilatéraux et multilatéraux comme en témoignent ses déplacements au Togo, en Côte d’Ivoire et aux Etats-Unis où lui et son Premier ministre Albert Ouédraogo ont rencontré, en septembre 2022, de hautes personnalités américaines et onusiennes. Hélas, cette embellie diplomatique et la bonne disposition des partenaires ne semblent plus de mise depuis le 30 septembre 2022.

Pour le bien de notre peuple et du fait que nous ne pouvons rien construire à partir de rien, il est impératif de savoir tirer des acquis positifs et des insuffisances de notre diplomatie sous le président P.-H. S. Damiba. Certes, on peut être en désaccord avec sa politique étrangère qui était basée sur la doctrine réaliste des relations internationales mais on ne peut point arguer que tout a été négatif.

Une nouvelle orientation doctrinale en matière de politique étrangère en attente de résultats concrets

Aujourd’hui, avec le président Ibrahim Traoré, c’est l’orientation doctrinale plutôt à tendance souverainiste et néo-anti-impérialiste qui prévaut et dont on attend impatiemment des résultats concrets au-delà du projet de fédération avec le Mali. Malheureusement, il est, pour le moment, avéré que sur le plan économique et sécuritaire, la situation était bien moins critique sous le premier président de la transition que sous le second.

De plus, il semble que l’engagement de nos partenaires traditionnels à nos côtés connaît un ralentissement pour le moment.

Par exemple, la goutte d’eau qui a débordé le vase et a scellé le sort du président P.-H. S. Damiba et de son gouvernement a été l’attaque subie à Gaskindé (Soum/Sahel), le 26 septembre 2022, par le convoi de ravitaillement de Djibo.

Vingt-sept (27) militaires y avaient trouvé la mort et plus de soixante-dix (70) camions remplis de denrées de première nécessité y avaient été détruits. A titre de comparaison, le bilan des attaques de la deuxième décade de février 2023 est bien plus lourd que celui du 26 septembre 2022 puisqu’elles se sont soldées par au moins soixante (70) morts sans compter les destructions d’équipements, d’armes et de locaux et ce qui a été emporté par les terroristes ; mais autre pouvoir en place, autre appréciation de l’opinion publique.

Il faut convenir que rien ne permet d’affirmer que si le président P.-H. S. Damiba était encore au pouvoir le front sécuritaire et le contexte économique se seraient améliorés. Cependant, les initiatives de pré-dialogue avec les groupes extrémistes violents, l’impact de ces initiatives observés dans la province du Soum, le fait que les attaques étaient moins nombreuses et moins meurtrières et la disponibilité dont les partenaires faisaient preuve pour accompagner la Transition permettaient d’espérer. La doctrine souverainiste et néo-anti-impérialiste du MPSR 2 est, sur bien des plans, source de fierté mais comme les militaires eux-mêmes le disent « C’est le terrain qui commande la manœuvre » et cela est valable sur le front diplomatique.

S’inspirer des bonnes pratiques asiatiques

Les Vietnamiens (dont la lutte anticoloniale et anti-impérialiste nous inspire souvent), une fois qu’ils ont vaincu les occupants, ont orienté leurs énergies, non dans des sempiternelles récriminations et dénonciations envers l’Occident mais dans la recherche du savoir scientifique, la rigueur dans la gestion de leur pays, le développement des secteurs primaire, secondaire et tertiaire et la séduction des investisseurs occidentaux. C’est d’ailleurs la démarche empruntée par la plupart des pays asiatiques comme la Corée du Sud, Hong-Kong, Singapour, Taïwan et surtout le Japon. Ce dernier a tiré intelligemment et extraordinairement leçon de sa défaite lors de la IIde guerre mondiale.

Au lieu donc de tancer à la moindre occasion nos partenaires, de voir en nos voisins des adversaires et même des ennemis, de revendiquer des moyens de lutte contre le terrorisme tout en leur enseignant des leçons de morale parfois inopportunes et frisant la discourtoisie, on finit par conforter les positions de nos vrais ennemis et par inciter ceux qui faisaient preuve d’une neutralité bienveillante à notre endroit à rallier le camp de nos véritables ennemis et en définitive par nous retrouver dans une sorte de citadelle assiégée par des forces hostiles que nous avons contribué à enfanter.

De même, sans avoir fait le bilan du Traité d’amitié et de coopération (TAC) avec la Côte d’Ivoire, sans être un régime démocratiquement élu, sans avoir pris en compte ce que dit la constitution, sans avoir fait le benchmarking des tentatives de création des fédérations d’Etats, sans avoir considéré le degré de convergence entre les systèmes économiques, politiques et juridiques du Burkina, de la Guinée et du Mali et enfin sans avoir procédé à une revue de littérature sur les réflexions faites par les panafricanistes qui nous ont précédés, nous sommes en train de nous engager dans un projet de fédération avec le Mali, la Guinée s’étant quelque peu refroidie.

Cela pourrait se révéler être une voie sans issue qui compliquerait encore plus nos relations avec nos partenaires. Ne nous y trompons pas : l’obligeance, la prévenance et la courtoisie des discours et des comportements affichées par les représentants de ces derniers à l’endroit de nos autorités ne sont pas synonymes de poltronnerie. Elles obéissent simplement aux convenances diplomatiques et n’influent en rien sur leur perception des phénomènes.

Emprunter la voie de la désescalade dans nos relations avec nos partenaires bilatéraux et multilatéraux

Au regard de tout ce qui vient d’être dit, nous devons, tout en affirmant haut et fort que non seulement les sanctions de la CEDEAO sont lourdes mais qu’elles sont aussi et surtout malvenues, souligner que nous avons largement prêté le flanc en nous érigeant en Parangons de vertu qui servent çà et là des leçons de bonne gouvernance aux organisations sous régionales, régionales et internationales d’une part et d’autre part qui font des remontrances à peine voilées à nos partenaires bilatéraux ; tout ceci en ne tenant pas compte des textes de ces organisations et de ces pays qui régissent leurs interventions dans les différents pays (dont le Burkina Faso) et en ignorant le rapport de forces économiques, militaires, diplomatiques qui sont loin d’être en notre faveur.

Avec ces sanctions, il est fort probable que les possibilités de déplacement de nos ministres (chargés des finances et des affaires étrangères notamment) soient réduites à un moment où nous avons besoin d’un plus grand dynamisme diplomatique afin de nous donner les moyens de faire fonctionner l’Etat mais aussi de financer l’effort de guerre ; nos ressources propres ne permettant pas de faire face à tous ces défis. L’image du pays pourrait s’en trouver également et davantage écornée alors que cette donnée importante pour inspirer confiance aux partenaires et aux investisseurs.

Il urge donc d’utiliser intelligemment les voies recours prévues par les textes en la matière de la CEDEAO, de faire preuve de tempérance diplomatique à l’endroit de tous les partenaires sans renoncer nécessairement aux fondamentaux de notre politique étrangère, de ne pas rendre systématiquement et exclusivement ces partenaires responsables de notre situation, de ne point prendre pour modèle quelque autre pays en transition (quel qu’il soit). Il ne servirait à rien d’engager un bras de fer ou d’entreprendre de se recroqueviller sur nous-mêmes. Même le puissant Nigéria, vis-à-vis de ses voisins de l’Afrique de l’Ouest, ne peut se permettre d’adopter de telles attitudes. Puisse la voix de la sagesse faire entendre raison à nos autorités.

Issaka SOURWEMA

Dawelg Naaba Boalga

Source: LeFaso.net