A moins d’une semaine avant le début du FESPACO 2023, Lefaso.net s’est entretenu avec la présidente de l’Association burkinabè des comédiens et comédiennes du cinéma (ABCC), Laure Guiré. Cette association a été créée dans les années 80 par feu Sotigui Kouyaté pour défendre les intérêts des comédiens. Selon Laure Guiré, on dénombre plus de 1000 comédiens au Burkina Faso. Toutefois, l’ABCC enregistre une centaine de membres actifs.
Laure Guiré : Quels sont les objectifs fixés depuis votre arrivée à la tête de l’association en 2017 ?
Lefaso.net : Pour notre mandat, nous avons pour mission de former et d’informer les comédiens tout en défendant leurs intérêts. Un comédien doit connaître ses droits, il y a par exemple le Bureau burkinabè des droits d’auteur (BBDA) qui existe. Je dois savoir qu’en étant un membre du BBDA, je dois payer pour avoir mes droits voisins et autres. Il faut que je sache qu’il y a la Caisse nationale de sécurité sociale qui me permet de faire une cotisation volontaire pour avoir une retraite plus tard. Il y a des assurances en cas d’accidents ou de maladies.
Il faut que les comédiens sachent qu’il y a un service juridique qui peut les écouter quand ils ont des contrats. Au niveau de la formation, on aide les comédiens à toujours garder le cap parce qu’il y a des nouveaux qui viennent. C’est une manière de leur permettre d’être compétitifs. Il n’y a pas encore des écoles d’actorats au Burkina Faso, c’est vraiment notre cri du cœur. Il faut une branche d’actorat au niveau de l’ISIS (Institut supérieur de l’image et du son). C’est souvent ceux qui font le théâtre qui viennent au cinéma.
Quel est l’état des lieux du cinéma au Burkina Faso ?
Même si les gens trouvent qu’on fait des produits qui ne sont pas toujours de bonne qualité, moi je trouve qu’il y a un bouillonnement. Il y a de nouveaux acteurs. Il y a des jeunes réalisateurs dynamiques et passionnés qui créent, même si certains n’apprécient pas forcement la qualité des films. Cela s’explique par le fait qu’il n’y a pas beaucoup de formations. N’empêche, ils animent les salles de cinéma et cela permet à des gens d’avoir une source de revenu. Il faut donc renforcer les capacités des acteurs afin qu’ils produisent des films de qualité parce que n’oublions pas que nous sommes dans la capitale du cinéma.
Des voix s’élèvent pour critiquer certains comédiens de la nouvelle génération en disant qu’ils n’ont pas un bon niveau, mais qu’ils sont choisis par les réalisateurs qui veulent payer à coûts réduits leurs cachets, votre avis ?
Il y a des réalisateurs qui n’ont pas les moyens, il faut des politiques qui vont aider les gens à mieux professionnaliser le secteur. Si un réalisateur n’a pas les moyens et qu’il fait appel à des professionnels qui vivent que de ce métier, ils ne vont pas accepter de tourner. S’il ne peut pas m’avoir, il va appeler d’autres personnes. Je ne peux pas dire que le niveau n’est pas bon, il faut juste les former. Je pense que les gens n’ont pas le temps pour faire le travail comme il se doit. Il y a des gens quand ils veulent réaliser un film, il faut au minimum, trois ans. Chacun a un rôle à jouer.
Il y a par exemple le dramaturge et celui qui dirige les comédiens. Il faut valoriser les différents métiers du cinéma. Si le réalisateur a un casting à faire pour son film, il peut demander à quelqu’un de diriger les comédiens. La voix, l’émotion et la gestuelle doivent s’apprendre. Il faut que les critiques de cinéma puissent suivre les films et les critiquer de façon objective. Lorsque tu finis ton œuvre, il faut aller vers les critiques de cinéma, ils vont apporter un autre regard. Ils n’ont aucune dent contre toi, c’est juste pour faire avancer le cinéma. Si la critique se fait entre nous, certains diront qu’on n’aime pas leurs têtes. Mais avec les critiques de cinéma, on s’améliore.
Certains comédiens de la nouvelle génération sont également taxés de faire du cinéma juste pour la célébrité, qu’en pensez-vous ?
Je ne pense pas, c’est la « starmania » seulement qui monte. Quand ils arrivent à jouer dans un ou deux films, ils deviennent des superstars. Il y a aussi ceux qui le font juste pour passer à la télévision. Mais, je crois qu’il y a ceux qui le font d’abord par passion et après ils deviennent célèbres. Mais jouer les stars peut aussi plomber sa carrière.
Il y a des réalisateurs burkinabè qui préfèrent travailler avec des acteurs d’autres pays, votre point de vue ?
Je ne suis absolument pas contre. Nous sommes allés récemment au Bénin pour qu’il y ait une porosité afin de permettre aux acteurs des deux pays de travailler sur des tournages au Burkina Faso et au Bénin. On a voulu le faire avec des acteurs de la Côte d’Ivoire, mais le covid-19 a empêché cette collaboration. Notre souhait est que demain l’on puisse dire qu’on a besoin des comédiens burkinabè partout dans le monde. Si nous voulons jouer ailleurs, pourquoi nous n’allons pas vouloir que les autres viennent le faire ici ? Mais nous regrettons le fait qu’on ne mette pas les comédiens au même niveau. Quand quelqu’un vient de l’extérieur, si on me paye 100 F, qu’il en soit de même pour celui qui vient d’ailleurs. La seule différence est que celui qui vient d’un autre pays ait un défraiement pour manger et se loger. Mais on ne peut pas me payer à 100 F et le payer à 10 000 F parce qu’il vient d’ailleurs, ce n’est pas correct.
Quelles sont les difficultés rencontrées par les comédiens du Burkina Faso ?
Il y a le manque d’activités, il y a de nouvelles productions créées par des personnes, mais elles n’ont pas d’argent. Il y a eu aussi la crise à Covid-19. Il n’y a plus de productions de façon régulière pour les comédiens.
Quel est l’impact de la crise sécuritaire sur votre art ?
Quand on veut faire des co-productions avec les gens à l’extérieur, ils ont peur de venir dans notre pays. On est obligé de leur dire que nous on vit ici. C’est vrai qu’il y a l’insécurité, mais on ne dort pas sur des toits, on n’est pas enfermé, on sort. Il y a des paysages qui sont hors de Ouagadougou où on veut tourner, mais on ne peut plus le faire.
Sur les réseaux sociaux, on constate que lorsque des acteurs sont souffrants, des âmes généreuses font des dons pour les aider, est-ce à dire que vous êtes sous-payés au Burkina Faso ?
Les appels à l’aide ne se font pas seulement au Burkina. Même à Abidjan cela se fait. Aujourd’hui, c’est parce qu’on a les réseaux sociaux, sinon quand tu as un parent qui est malade et que tu lui rends visite, tu vas lui donner de l’argent. C’est une forme de solidarité, sauf que souvent quand on le fait entre nous acteurs, il arrive que l’information soit relayée sur les réseaux sociaux. C’est vrai qu’il y a de l’exploitation, mais si tu tournes et que tu gagnes un million, un an après, tu n’as toujours pas de boulot, cela va jouer sur tes économies. Il faut que les pouvoirs publics puissent aider tous les acteurs de cinéma à avoir une assurance santé. Déjà, il y a les Sotigui Awards qui ont trouvé une assurance pour nous aider. Mais comment avoir cet argent pour payer ? Puisqu’il y a plus trop d’activités. Il faut mener la réflexion pour voir comment le BBDA par exemple peut couper dans nos droits afin que l’on paye l’assurance santé.
Les femmes ne sont-elles pas plus défavorisées et exploitées dans le domaine du cinéma ?
Ni oui, ni non, quand tu es une femme et que tu vas travailler, il faut savoir pourquoi tu es allée là-bas. J’y vais parce que j’ai la capacité de le faire. Si tu payes l’homme à 100 F, je veux être payée de la même manière. Maintenant, si moi en tant que femme, au lieu d’aller pour montrer mon professionnalisme, j’arrive et c’est mon corps seulement que je veux montrer. Si toi-même en tant que femme tu ne sais pas que ton corps est sacré et que tu lui permets de s’amuser ; dit toi qu’il y a celles qui arrivent bientôt et qui seront plus jolies que toi. Plus tard, il y a une autre beauté qui arrive et tu seras rangée. Je pense qu’il n’y a pas de brimade. On peut dire que la femme est défavorisée lorsqu’elle est enceinte ou quand elle a un bébé parce qu’il y a des scènes qu’elle ne peut plus forcément faire.
Que représente le FESPACO pour les comédiens et quelles sont les activités que vous menez pendant cette période ?
C’est notre joyau, c’est la seule chose que nous devons préserver. L’ABCC est dans une autre structure qu’on appelle la Fédération nationale du cinéma et de l’audiovisuel. Avec elle, on compte mener des activités. Nous allons recevoir d’autres comédiens venus d’ailleurs comme ceux de l’Association des comédiens africains de l’image. Nous allons également recevoir la directrice du Festival des Lagunes qui vient d’Abidjan. Nous allons organiser des rencontres pour créer un réseautage et réfléchir sur notre métier.
SB
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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