Le 9 février 2023, l’avocat Bénéwendé Stanislas Sankara a marqué un arrêt sur ses 30 années d’exercice de la profession d’avocat. Derrière ce jubilé de perle, se cachent de nombreuses valeurs qui aiguillent non seulement sa pratique de la profession, mais également son identité politique. C’est de tout cela que l’ancien président de parti politique, ancien vice-Président de l’Assemblée nationale, ex-ministre et figure iconique dans le dossier Thomas Sankara…a bien voulu partager avec nos lecteurs, à travers cette interview qu’il nous a accordé le samedi, 18 février 2023.
Lefaso.net : Vous venez de célébrer le 30e anniversaire d’exercice de profession en tant qu’avocat, qu’avez-vous voulu magnifier par cet instant, qui a mobilisé autour de vous, également plusieurs avocats ?
Me Bénéwendé Stanislas Sankara : Je voudrais d’abord vous dire merci pour la tribune que vous m’offrez pour la n ième fois, de pouvoir m’exprimer à travers Lefaso.net, et, une fois de plus, souhaiter tout le bonheur pour ce média qui a, véritablement, impacté l’opinion ; aussi bien nationale qu’internationale. Ceci étant, je suis venu à la profession d’avocat véritablement par vocation.
C’est un métier que j’ai découvert de façon livresque, à travers mes lectures, mais aussi par mon éducation qui faisait de moi, dès le bas-âge, quelqu’un de serviable. Je sais que cela me collait vraiment à la peau : aider les autres, venir au secours des uns et des autres, qui ont besoin de votre aide, de vos services. J’ai vraiment lutté pour être avocat, sinon j’aurais pu embrasser d’autres carrières. Mais, j’ai été tenace, en ce sens que j’ai dû payer, moi-même, mes études pour devenir avocat.
Et la chance m’a vraiment souri ; voilà pourquoi le 9 février 2023, dans mon propos, je disais que le 9 février 1993, c’était le jour de notre prestation de serment pour être inscrit au grand tableau. Sinon, j’ai été accepté dans un cabinet en 1990, inscrit sur la liste des stages en 1991 (il fallait forcement faire deux années de stage avant d’être avocat à part entière). Donc, de 1993 à 2023, 30 ans d’exercice de ce métier, j’avoue que pour moi c’est un parcours exaltant qui m’a permis de découvrir l’homme, dans toutes ses dimensions : l’humain. Mon métier m’a aussi conduit quelque part dans un combat politique.
Mais, un combat porteur toujours de ces valeurs que je retrouve dans mon serment d’avocat. Quand je soufflais cette bougie de 30 ans, pour moi, c’est de regarder dans le rétroviseur et de dire : ‘’que de chemin parcouru ! ». Mais aussi, c’est de jeter un regard sur l’avenir par rapport à ces jeunes que j’ai eu l’occasion de former, je rends grâce à Dieu. De l’ouverture de mon cabinet le 4 janvier 1994 (parce que quand j’ai fini, je suis resté en association avec mon maître de stage, pendant huit mois, avant d’aller créer mon cabinet et j’ai commencé avec un stagiaire) à ce jour, quand je fais le point, il y a exactement treize avocats qui sont passés par là.
Je rends grâce à Dieu, pour avoir pu former une dizaine d’avocats pour ce pays. Mon cabinet a pu former des cadres de l’administration générale ; il y en a qui travaillent dans l’administration publique, dans des institutions. Il y a même des magistrats, des auxiliaires de justice qui sont passés par mon cabinet. Et jusqu’à ce jour, nous contribuons à la formation d’étudiants et de doctorants qui font des recherches et qui viennent nous voir, qu’on encadre. Des stagiaires que nous arrivons à prendre dans la mesure des places disponibles et de nos moyens. Vous savez, l’avocat, c’est une profession libérale. Mais ce côté, on ne le voit pas.
C’est pour donc dire, 30 ans après, ce qu’on a pu apporter à ce pays, à notre peuple, j’y trouve un motif de satisfaction. J’ai eu l’idée de dire qu’il faut faire une halte pour aussi donner l’exemple à d’autres confrères ; parce que le côté de l’avocat qu’on voit, c’est souvent l’homme qui cherche l’argent de façon effrénée. Et même souvent, on le perçoit comme un homme cupide. J’ai voulu simplement dire non, ce n’est pas cela l’avocat. L’avocat, c’est avant tout, et tout comme l’homme politique, un sacerdoce. Au départ, le métier de l’avocat, c’était cela : le sacerdoce.
On acceptait de défendre autrui, qui a des difficultés, qui est en conflit avec la société, avec la loi et qui a souvent besoin que quelqu’un le comprenne, pour pouvoir défendre sa cause. C’est cet avocat-là que moi, j’ai vu dans les livres, que j’ai découvert. C’est ce personnage-là que moi, j’ai découvert et ça m’a fasciné. Etant petit et étudiant, je partais suivre les procès, les audiences au tribunal. Je voyais encore les aînés comme Me Pacéré, qui aujourd’hui est mon père spirituel, mon mentor.
J’ai vu par exemple, paix à son âme, Bernardin Dabiré. Et franchement, je me suis dit : ‘’voilà un métier de mon rêve ». Et Dieu merci, maître Benoît Joseph Sawadogo (ancien Bâtonnier) m’a accepté dans son cabinet en 1990 ; parce qu’à l’époque, pour pouvoir être avocat, si vous finissez vos études, comme ce n’était pas organisé, il fallait qu’un avocat vous accepte dans son cabinet. Et ce n’était pas évident, parce qu’il n’y avait pas beaucoup de cabinets et souvent, il fallait avoir une recommandation, sinon on ne vous prend pas. J’en connais même qui sont restés en France pour exercer.
Mais j’ai eu cette chance-là d’avoir été accueilli et cela m’a permis, en soufflant la bougie de mes 30 années d’exercice, d’exprimer ma reconnaissance à tous ceux qui m’ont permis d’être aujourd’hui ce que je suis, en commençant par le bâtonnier Benoît Joseph Sawadogo et tous ces bâtonniers qui m’ont entouré, tous ces confrères qui m’ont soutenu, surtout dans les moments les plus difficiles que j’ai traversés, parce qu’ayant basculé en politique dans les années 2000, d’ailleurs suite à l’exercice de mon métier. Je ne rencontrais que des problèmes (rires). Mais la confraternité était-là, j’ai voulu vraiment la magnifier et dire merci beaucoup aux confrères et inviter les jeunes à rester dans la confraternité qui fait la noblesse et la beauté du métier d’avocat, comme chez le journaliste (rires).
On peut donc dire avec certains auteurs que de tous les acteurs de la justice, l’avocat est celui qui connaît au mieux l’être humain, et vous dites en plus que votre profession vous a conduit au combat politique. Autrement, est-ce que vous auriez pu faire la politique, si vous n’aviez pas été avocat ?
Je ne crois pas. Je pense sincèrement que quand je suis entré dans la profession d’avocat, j’ai vu les deux faces de la médaille : la face qui pouvait me conduire à l’opulence, à la richesse et la face où (et c’est finalement cette image qui m’a amené à la profession) on doit défendre le pauvre, le plus faible, celui qui a besoin de l’avocat. J’ai vu cette face-là et cela m’a interpellé à aller créer mon cabinet le 4 janvier (1994).
Donc, mon histoire à partir du 4 janvier 1994, ce sont les travailleurs déflatés, victimes des programmes d’ajustement structurel ; c’était des journalistes, à l’époque, qu’on embastillait, des leaders politiques de l’opposition qui avaient des difficultés avec le pouvoir en place. C’était pratiquement beaucoup de ces dossiers qui parachutaient dans mon cabinet (on peut citer à profusion des exemples). C’est cela aussi qui, quelque part, a donné une réputation au cabinet de défendre les faibles, les plus démunis, contre le pouvoir en place et contre les puissants du jour. Donc, j’ai pris position justement pour les plus faibles.
Cela m’a conduit, naturellement, à défendre un dossier comme celui de David Ouédraogo et ses deux autres collègues, qui a été assassiné par les sicaires du conseil de l’Entente. Plus grave, cela aussi a été la cause de l’assassinat crapuleux et ignoble du journaliste Norbert Zongo. Donc, ce combat, qui était citoyen, parce que le journaliste Norbert Zongo dénonçait les dérives, des torts qu’on rencontrait dans un régime qui s’était auto-proclamé démocratique ; tout le monde savait que le Front populaire, c’était l’exception, mais avec le discours de la Baule, les Etats africains qui voulaient l’aide, notamment de la France, ont renoué avec un semblant de démocratie.
Donc, il y avait la démocratie du bout des lèvres et il y avait des pratiques, qui n’étaient pas celles d’un Etat démocratique. Et moi, en tant qu’avocat, mon métier m’a amené à justement défendre ceux qui avaient besoin d’une justice, avec toutes les garanties, pour exercer les libertés, notamment le droit de vivre et tous les droits tributaires de la vie, jusqu’à ce que Norbert Zongo ait été assassiné de cette façon sauvage-là.
S’il n’y avait pas eu cette relation entre le journaliste et moi, qui s’est transformé en une amitié et en une complicité dans un combat pour une cause commune, je n’allais pas franchir le Rubicon de la politique ; parce que j’étais allé voir son corps, avec ceux des autres, je suis allé avec des hommes politiques de l’époque, et des défenseurs des droits de l’homme (je précise que je suis aussi militant du MBDHP, depuis d’ailleurs que je suis avocat).
Tout cela contribue à m’amener à prendre positon et, de mon combat, je suis allé au Collectif (parce que quand on a vu la mort de Norbert Zongo, et que le peuple s’est mis débout, le Collectif s’est créé, je fais partie, avec l’Union des jeunes avocats du Burkina, dont j’étais le président…). Le Collectif n’était pas une organisation politique, c’était une organisation citoyenne. J’y suis entré au titre d’une association, notamment d’avocats (c’est pour la cause de la justice, de la liberté et de défense de l’Etat de droit). C’est dans ce combat que j’ai glissé en politique.
Vous comprenez donc que c’est (la politique, ndlr) le prolongement de mon métier. Je ne suis pas comme les autres politiciens qui se sont retrouvés dans un café ou à la maison pour s’asseoir et dire : ‘’on va conquérir le pouvoir d’Etat entre amis », et qui ont, à cet effet, créé un parti et pris un récépissé. Moi, je suis venu en politique dans un combat professionnel, parce que j’ai vu un idéal qui, visiblement, coïncidait avec l’idéal de défendre la liberté, la justice, un certain nombre de valeurs qui devraient être la sève nourricière de notre société. Voilà ce qui m’a vraiment amené en politique.
N’avez-vous pas pris la politique trop au sérieux dans un environnement qui l’est moins, de sorte que cet idéal que vous vous êtes donné (valeurs sociales et autres principes) en venant en politique ait constitué pour vous un handicap dans ce contexte ?
Ce que vous dites est vrai, je vous le concède ; parce que, pour une première fois dans ce pays, quand j’ai accepté de militer dans un parti politique, qui s’appelait la CPS (la Convention panafricaine sankariste), en réalité, j’ai été coopté. Je suis dans le Collectif, qui a une plateforme, mais qui travaille avec un groupe politique qui est le G14 (le Groupe du 14 février), dont le leader charismatique était le professeur Joseph Ki-Zerbo. Et le G14 avait aussi une plateforme, intégrée dans la plateforme du Collectif : l’approfondissement de la démocratie.
Et moi, j’ai estimé que les valeurs que je défends à travers mon métier étaient plus ou moins des valeurs vraiment sankaristes, ce d’autant que j’ai été militant CDR (Comité de défense de la Révolution) sous la Révolution, mais qu’après le 15 octobre 87, je me suis vraiment abstenu de militer dans une officine ou dans un parti politique sankariste.
Et ce, jusqu’à la création des premiers partis, où j’avais beaucoup plus de la sympathie, mais pas en tant que militant engagé. C’est dans ce sens-là que ceux qui connaissaient mon passé, et qui m’ont revu sur le terrain, au niveau du Collectif, m’ont approché pour dire que les sankaristes veulent cette fois-ci s’unir pour renforcer la lutte. Cela m’a convaincu qu’effectivement, les sankaristes, unis, pouvaient soutenir la lutte du Collectif pour que sa plateforme aboutisse. J’ai donc accepté. C’est ayant accepté que, dans la même semaine, j’ai compris qu’en fait, c’est un marché de dupes.
Le deal avait été conclu, pour aller soutenir plutôt Blaise Compaoré, en allant à des élections que le G14 dénonçait (parce qu’il estimait qu’il fallait faire des réformes avant d’aller à des élections crédibles), et surtout créer un gouvernement de sauvetage de Blaise Compaoré (ce qu’ils ont appelé gouvernement d’ouverture, je crois). Donc, quand j’ai découvert cette duperie, avec d’autres camarades (on était une douzaine), nous avons refusé, en disant que le parti (CPS) n’a pas été créé pour aller soutenir le régime de Blaise Compaoré, mais plutôt pour mener une lutte pour l’approfondissement de la démocratie, afin que ce pays puisse se tenir débout. Alors, nous avons été purement et simplement suspendus dans un premier temps, et en une semaine de la création de la CPS.
C’est donc allé vite !
Ah si ! Et il y avait ce qu’on appelait l’article 37 k. Donc, il n’y avait pas seulement que dans la Constitution qu’il y avait des choses comme cela. (Rires). Le président Ernest Nongma Ouédraogo n’est pas allé avec le dos de la cuillère, il a invoqué cette prérogative exceptionnelle de président qui pouvait prendre des mesures conservatoires pour nous suspendre et a immédiatement convoqué un congrès.
Ce congrès a eu lieu à la Caisse générale de péréquation (CGP), qu’il a même fait boucler par la police, et nous étions à la maison lorsqu’on a appris qu’on a été exclus. Voilà comment est née l’idée de créer l’UNIR/MS (Union pour la Renaissance/Mouvement sankariste). Donc, nous autres qui avons été exclus, injustement, pour avoir simplement refusé la déviation dangereuse du parti, on s’est demandé : ‘’qu’est-ce qu’on fait ? ». Voilà comment Me Sankara s’est engagé…, parce que c’était devenu comme un défi. Avec les camarades, on se retrouvait en réunion pour chercher la solution pour continuer la lutte.
On n’avait pas d’autre choix que de créer un parti. Donc, nous avons créé l’UNIR/MS et nous avons commencé à expliquer nos positions, nos points de vue à l’opinion, à notre peuple, pour dire qu’il faut une renaissance du sankarisme, non seulement fondé sur ses valeurs, mais que nous ne soyons pas non plus dans la peau d’une exclusion systématique de l’autre. En fait, l’idée est née pour dire que le sankarisme est avant tout la tolérance de l’autre, accepter le débat démocratique.
Et notre parcours par la suite nous donne raison, étant entendu que, quand nous avons vu le jour, déjà en 2002, pour la première fois, nous avons eu trois députés. Et avec nos trois députés, j’ai été le président du groupe parlementaire Justice et démocratie, qui avait 17 députés (avec les autres partis politiques de l’opposition qui ne pouvaient pas avoir dix députés pour former un groupe parlementaire). Donc, on avait pu former le groupe parlementaire de l’opposition le plus important, avec 17 députés.
… Dans une période de ‘’Tuuk-guili » (règne sans partage) !
Tout à fait, dans une période de Tuuk-guili, et le professeur Ki-Zerbo avait dix députés ; donc son groupe parlementaire. On était au total 27 députés, dans une collaboration à l’Assemblée nationale, pour maintenant porter la voix de l’opposition au sein du parlement et exiger des réformes. Voyez-vous donc que pour moi, en réalité, je m’étais même écarté de mon cabinet, parce qu’à l’époque, la loi portant profession d’avocat disait que si vous êtes élu député, vous ne pouvez plus exercer.
Donc, j’ai dû sacrifier mon cabinet pendant tout ce temps pour aller à l’Assemblée nationale pour défendre des idées. Nous avons aussi travaillé à ce que la profession d’avocat, sur le terrain de sa liberté d’exercer, de sa déontologie, on puisse modifier les textes. Je n’étais pas seul à l’Assemblée nationale, il y avait Me Gilbert Noël Ouédraogo, qui avait été aussi élu député. Nous étions donc deux, qui, même si on n’était pas du même bord, avions porté la voix.
On a fait le plaidoyer pour expliquer aux députés que sur tous les cieux, l’interdiction est limitative, elle n’est pas absolue (parce que le mandat de député est un mandat national, mais naturellement, un avocat qui élu député ne peut pas prendre un dossier contre l’Etat, si vous êtes conseiller municipal, vous ne pouvez pas prendre un dossier contre votre commune). Effectivement, la loi a été modifiée dans ce sens. Et vous aurez remarqué que plus tard, les avocats se sont intéressés à la politique et sont allés à l’Assemblée. C’est cela aussi l’autre aspect du travail que nous avons pu faire en tant qu’avocat, au profit de la profession.
Donc, au profit de la politique, c’est de défendre les idées en se disant également que la perception de l’avocat, c’est le débat contradictoire, le débat d’idées ; ce n’est pas se serrer les cols, sortir des couteaux, encore moins des kalachnikovs. C’est comme vous voyez les avocats au prétoire, qui défendent des clients différents, et il faut que quelqu’un perde le procès et que l’autre gagne, mais vous les verrez toujours dans la convivialité confraternelle. Et c’est cette idée que nous avons voulu transposer en politique, mais en restant fermes sur nos convictions et sur les idées que nous défendons.
Vous est-il arrivé, en tant qu’avocat, de refuser de défendre des dossiers ?
Ah si ! Il y a ce qu’on appelle la clause de conscience. Cela veut que quand on lui présente un dossier et l’avocat estime qu’il n’est pas en phase avec sa conscience ; donc, il peut refuser. Par exemple, dans mon cabinet, personnellement, je refuse de prendre des dossiers de divorce. A moins que ce soit un divorce par consentement mutuel. Sinon, un divorce contentieux, généralement, je ne prends pas.
Cela est-il lié aux valeurs que vous défendez et/ou à la perception que vous avez du mariage ?
C’est ma perception du mariage. Je pense que dès lors que vous êtes mariés, c’est pour le meilleur et le pire, et quel que soit le problème, vous devez travailler à transcender ce qui vous divise, travailler beaucoup plus à vous unir. C’est ma façon de voir les choses.
On imagine que si la possibilité vous était donnée, vous auriez eu des retouches à faire dans le Code des personnes et de la famille !
En fait, les juristes expliquent que le divorce n’est pas un mal en soi ; parce que quand vous regardez les causes de divorce, entre autres, c’est quand les rapports entre époux deviennent intolérables. Le divorce devient un mal nécessaire, parce que vous ne pouvez pas vivre sous un toit où tous les jours, il y a des menaces de mort par exemple. Je ne remets pas en cause ce que la loi a dicté, mais, moralement, je crois que dès lors que vous êtes mariés, c’est pour l’amour, c’est pour la beauté de la vie. Donc, je vois plutôt ce côté-là que le côté funeste d’un mariage qui dégénère pour une raison ou pour une autre. Il faut trouver des ressources pour que le mariage tienne.
Les dossiers de divorce sont un exemple, mais il y en a d’autres. Comme les dossiers de crimes abominables ; quelqu’un qui dit : ‘’Maître, défendez-moi parce que j’ai voulu liquider telle personne ». Nous avons effectivement le devoir, le droit, de défendre toute personne, au nom des droits humains. Mais souvent, le fait est tel que si vous n’êtes pas consciencieusement préparés à défendre la personne, au regard du fait qu’elle vous évoque, il ne faut pas vous efforcer ; parce que, pour moi, défendre un dossier, c’est se mettre dans la peau du client.
Ce n’est pas pour rien dans le temps, on dit que l’avocat, c’est celui qui transforme la vérité en mensonge et le mensonge en vérité. Quelqu’un peut commettre un meurtre ou un homicide et vous arrivez à défendre la personne en arguant des circonstances absolutoires ou des circonstances atténuantes, et le tribunal va vous suivre. Et quand vous sortez, les gens vous regardent méchamment parce qu’ils ne peuvent pas comprendre ; pour le commun des mortels, c’est un assassin, et il s’en sort comme cela.
Pourtant, vous n’avez fait que votre travail, et d’ailleurs vous serez content et fier d’avoir sauvé quelqu’un. Mais souvent vous pouvez rentrer et ça vous fait mal, parce que vous vous dites : ‘’ce type-là, c’est un tueur ». Voyez-vous ! Pour pouvoir défendre un client, il faut donc épouser sa cause. C’est cela qui met justement l’avocat face à sa responsabilité, face à sa conscience. Et la loi a prévu la clause de conscience, si vous estimez que vous ne pouvez pas vraiment défendre ce client avec toutes les ailes qu’il faut, il ne faut pas prendre son dossier. Moi, quand je prends un dossier, c’est que je suis prêt à mourir pour mon client, pour le sauver. Ce n’est pas pour rien que beaucoup d’avocats préfèrent chercher l’argent parce que là, c’est plus simple. (Rires).
Des gens n’ont donc pas totalement tort de dire que les avocats sont des commerçants ?
Non, l’avocat n’est pas un commerçant, il mène une profession libérale. La liberté, c’est extrêmement important. Mais, beaucoup glissent sur les affaires, et c’est en cela que l’avocat devient maintenant (je ne dirais pas comme un commerçant) comme un homme qui cherche le profit (il cherche à s’enrichir, à devenir millionnaire, milliardaire). Là, il n’a pas un problème de clause de conscience ; parce que le droit aussi mène à tout. Si vous prenez un avocat affairiste, un avocat qui excelle en banque, assurance, dans l’immobilier…, vous ne le verrez même pas en robe ; vous le verrez avec un petit sac, avec beaucoup de chéquiers.
Je me souviens, quand je faisais mon stage à Paris, on partait au palais, mon patron me montrait chaque fois : ‘’ici, c’est là où il y a les détenus, ça sent mauvais. De l’autre côté, il y a les petits cafés, les cigares, la salle est climatisée, c’est la vente aux enchères, tout le monde est bien cravaté ». Mais, vous avez des avocats qui courent justement derrière les dossiers des détenus, pour les libérer. J’ai vu des avocats bénévoles courir, notamment en Allemagne, pour défendre par exemple les sans-papiers. Donc, l’avocat choisit en fonction de ses sentiments, de sa vision du monde, ce qu’il est, le type de dossiers.
C’est pour cela que vous avez de plus en plus des cabinets spécialisés. Vous avez même des firmes d’avocats (vous pouvez y trouver une centaine) qui travaillent. Donc, je reviens à votre question pour dire effectivement, il y a des avocats qui, je ne dirais pas commerçants, mais du fait que c’est une profession libérale, vont se spécialiser dans un secteur porteur d’argent, et après, ils développent des affaires. Vous avez des avocats qui sont des actionnaires dans de grandes sociétés, et qui, eux-mêmes, créent des sociétés. Mais, ils participent aussi au développement de l’économie à travers leur intelligence.
Comment jugez-vous la pratique de la profession au Burkina (l’avocat burkinabè qui semble jouir à l’extérieur d’une bonne côte de crédibilité) ?
D’abord, la profession a évolué, de façon très positive. Quand nous étions jeunes avocats, il y a environ 30 ans, les difficultés que nous, jeunes avocats, rencontrions, étaient les crises que nos aînés vivaient. Nous jeunes, on en souffrait énormément. Rappelez-vous qu’il y a eu un temps où nos aînés, celui qui accède au bâtonnat, cherche à régler les comptes du camp adverse. Et nous, on était perdus (parce qu’on y est entré à cause d’une profession noble).
Mais, tout se résume à l’organisation du barreau. Il faut que le barreau soit uni et fort ; le socle de la confraternité peut faire du métier, un métier non seulement noble, mais également qui nourrit l’avocat. L’avocat est libéral, donc il doit pouvoir se nourrir de son métier. De ce point de vue, il faut que le corps s’organise, et je pense que les jeunes avocats ont contribué énormément à cela. D’abord avec l’Union des jeunes avocats. Ensuite, on a eu un bâtonnat stable, et quand vous suivez l’histoire du barreau, et jusqu’au dernier bâtonnier, Me Siaka Niamba (il a été élu le 27 septembre 2021, ndlr), il n’y a plus de crise institutionnelle du barreau.
Donc, le barreau s’est renforcé. Il faut aussi noter que les bâtonniers qui se sont succédé ont pu construire, au-delà des organes classiques, des structures de gestion même du barreau, comme la CARPA, qui n’existait pas et qui exposait énormément les avocats. Aujourd’hui, la CARPA (Caisse autonome des Règlements pécuniaires des avocats du Burkina) fonctionne normalement, depuis le bâtonnier Me Barthélémy Kéré. Il y a aussi la Maison de l’avocat qui, je pense, a été aussi un travail titanesque des bâtonniers Benoît Sawadogo et Arouna Sawadogo, sans compter les devanciers comme Mamadou Savadogo, qui ont travaillé à pérenniser ce barreau dans un esprit de confraternité, de solidarité de tous les avocats.
Aujourd’hui, nous sommes 300 avocats (contre une vingtaine, il y a une trentaine d’années). Mais, vous n’entendez plus que les avocats, malgré leur nombre exponentiel (en si peu de temps), font la Une des journaux, lavent leurs robes sales sur la place publique, etc. Mais, il y a aussi à côté, le rôle que l’Etat a joué, avec l’école de formation (désormais, on prépare le CAPA sur place). Il y a même d’autres nationalités qui viennent au Burkina. Donc, nous sommes fiers de ce barreau, qui s’est construit dans la durée et qui met maintenant l’avocat sur les rails de la déontologie professionnelle.
C’est extrêmement important. Quand il y a la discipline dans le corps, ce qui va rester, c’est l’excellence ; chacun travaille à être excellent pour avoir la clientèle. C’est une saine émulation, ce d’autant que nous sommes dans un espace communautaire UEMOA ; ce qui veut dire que tous les pays membres de l’organisation peuvent venir sur le marché au Burkina, et vice-versa.
On constate également que les jeunes avocats ont compris qu’il faut aller en regroupements ; vous avez aujourd’hui, beaucoup de sociétés d’avocats qui se créent au Burkina. Avant, c’était l’individualisme, l’égoïsme, parce qu’il y avait le marché (tu dors, tu sais que tu vas manger), mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Cela fait que les avocats burkinabè ont cette réputation-là d’être des avocats compétents, disciplinés et effectivement, ils sont aussi sollicités en dehors du Burkina Faso (ils plaident partout, en tout cas, dans les traditions juridiques françaises).
Des réformes ?
Ah oui, des reformes pour adapter la profession de façon générale à l’évolution des affaires et du monde. Il le faut. Il faut aussi reformer pour une ouverture beaucoup plus contrôlée. Par exemple, je n’ai jamais vu un avocat demander à être magistrat. Mais l’inverse, de plus en plus, même des juges militaires veulent devenir des avocats. Il y a un risque.
Il y a aussi des professions qui se créent sous les platebandes des avocats. Ils interviennent dans des secteurs qui, principalement, sont réservés aux avocats. Donc, il faut travailler à renforcer la profession, avec des garanties, pour qu’elle ne perde pas l’image de sa noblesse.
On parle d’experts auprès des cours et tribunaux, où est-ce qu’on les place ? Cela n’en rajoute-t-il pas à la confusion ?
Pas seulement les experts, il y a même des auxiliaires de justice. Quand vous prenez la définition de l’avocat par excellence, c’est celui qui fait la postulation, et qui fait aussi de la consultation, en tant que praticien. L’avocat n’est pas celui-là seulement qui va à la barre pour plaider. Je vous parlais par exemple de l’avocat d’affaires, qui ne porte même pas la robe.
Mais dans son cabinet, il a une expertise qu’il apporte et il peut aller, s’il y a un contentieux, plaider devant les juridictions. Donc, notre loi définit l’avocat, mais lui prescrit des devoirs et des obligations, que les autres n’ont pas. Donc, du coup, il n’y a pas une saine émulation. Cela lèse l’avocat dans l’exercice de sa profession.
C’est cela qu’il faut corriger. Et votre question m’amène également à dire que de plus en plus, on assiste au Burkina, à une multiplicité même des ordres. Quand vous prenez dans un secteur donné, chaque groupe de métier ou de profession veut s’ériger en ordre. Pour avoir été au ministère de l’Urbanisme, vous avez les géomètres, les urbanistes, les architectes, les topographes…, et chacun veut un ordre. Vous avez l’ordre des avocats, les huissiers, les notaires…et vous avez même des juristes qui veulent qu’on leur confère un ordre. Quand même, c’est de la pagaille !
Pour moi, il faut revoir le concept même de l’ « Ordre ». Qu’est-ce qu’un Ordre ? Il faut apporter de l’ordre dans les Ordres. Et c’est le désordre qui conduit, in fine, à la mauvaise exécution des missions. Par exemple, aujourd’hui, vous avez des bâtiments qui s’effondrent…. S’il y avait de la rigueur en amont, c’est sûr et certain que le contrôle va être rigoureux. Mais si on se retrouve à se partager la responsabilité entre plusieurs ordres, finalement, vous ne savez pas qui est responsable. Donc, c’est cette pagaille-là qu’il faut arrêter dans les Ordres ; c’est pourquoi je dis qu’il faut mettre de l’ordre dans les Ordres. (Rires).
L‘une des difficultés au Burkina, c’est la non-exécution de certaines décisions de justice. Est-ce que cela ne gêne pas l’avocat, lorsqu’un client obtient raison par jugement définitif, mais qu’il n’arrive pas à entrer dans ses droits ?
Il y a problème à plusieurs niveaux. La loi même a prévu ce qu’on appelle les difficultés d’exécution. Quand il y a une difficulté d’exécution, on se réfère au juge de l’exécution, qui peut apprécier et soit donner un délai, des délais de grâce, soit ordonner que force reste à la loi. Toujours est-il qu’une décision de justice revêtue de la force exécutoire a force de loi, et personne ne peut remettre ça en cause. Ça s’exécute. Dura lex sed lex (la loi est dure, mais c’est la loi). Maintenant, il y a effectivement des catégories de décisions de justice qui souffrent ; parce qu’il peut avoir des raisons politiques (on met les pieds sur le dossier). Et aussi, de plus en plus, on assiste à cette situation où il y a une résistance abusive des populations, notamment en matière de déguerpissement. Tu peux avoir ton droit, tu veux aller exécuter et on te dit : « non, nous on va rentrer où ? ».
Dès lors, il y a un blocage et il faut faire appel à la force publique, et cela crée trop de tambouilles. Il peut aussi avoir le compromis ; c’est-à-dire vous avez une décision de justice, mais vous acceptez quand même de faire une transaction (la loi a prévu cela). Mais, ce qui est criard et inacceptable, ce sont les blocages des décisions de justice par le politique ou par le pouvoir de l’argent ou parce qu’on est puissant du jour.
Là, c’est un défi qu’on fait à la loi (parce que la décision de justice, c’est la loi). Malheureusement, la justice en souffre, les citoyens en souffrent et c’est l’injustice qui, à un moment donné, transpire dans les rapports sociaux et cela entraîne encore une remise en cause du système politique, démocratique. On a vu par exemple au niveau des recouvrements des créances, c’est le côté le plus palpable ; l’Etat avait créé le bureau de recouvrement des créances.
Mais si vous demandez à l’AJE (Agence judicaire de l’Etat) le point ou au ministère des Finances, le ratio du recouvrement, vous vous rendrez compte que l’Etat n’a pas pu recouvrer le tiers de ses créances. C’est cela qui a entraîné la liquidation d’un certain nombre de sociétés d’Etat. Et certains individus sont allés se faire des richissimes sur ces liquidations, au détriment de l’Etat. Les liquidations ont appauvri l’Etat et ont enrichi des individus. C’est un exemple de cas de décision non exécutée.
Sinon, théoriquement, force doit rester à la loi. C’est pourquoi d’ailleurs, vous verrez qu’à la fin de la décision, il y a ce qu’on appelle la formule exécutoire, où on dit que le Burkina Faso mande et ordonne à la force publique, de prêter main forte pour qu’on exécute (même s’il faut menotter la personne, ce sera le cas). C’est pourquoi, souvent, on part pour exécuter une décision de justice, il y a une résistance, on appelle les forces de l’ordre, on menotte la personne et les gens ne comprennent pas ; c’est parce que force doit rester à la loi. Mais il faut aussi que le droit soit dit dans la décision de justice, il faut que la règle de droit soit respectée. Sinon, ça donne le sentiment d’une injustice, qu’il faut éviter.
Des magistrats qui tardent également avec la mise à la disposition (rédaction) des grosses, n’est-ce pas aussi un problème pour l’avocat ?
Il y a les moyens logistiques, humains…de l’appareil judiciaire. Si la décision n’est pas rédigée, effectivement, l’avocat ne peut exécuter, puisqu’il faut forcement la grosse. Mais généralement, depuis le Pacte sur le renouveau de la justice (en 2015, ndlr), il faut féliciter les magistrats, honnêtement. Eux avec les greffes, ils font beaucoup d’efforts pour sortir maintenant les décisions de justice, qui sont d’ailleurs informatisées.
Avant, ce n’était pas comme cela, le dossier même pouvait se perdre (ou une disparition arrangée). Nous, les praticiens, avons souffert de cela. Aujourd’hui, ce sont vraiment des efforts qui sont faits pour corriger cela. Il revient aux avocats maintenant de suivre, parce que le volume aussi de travail par magistrat est tel que ce n’est pas systématique. Mais, il faut reconnaître que les magistrats, de ce côté, font beaucoup d’efforts pour que les décisions sortent.
Au bout du compte, votre profession d’avocat vous conduit à l’exercice de la politique, avec pour repères, les mêmes valeurs. C’est dans ce combat également que survient l’insurrection populaire d’octobre 2014, espoir d’un renouveau pour le Burkina. Quand vous faites un récapitulatif de tout ce que vous avez défendu comme valeurs et idéal, n’y-a-t-il pas une dose de déception que les valeurs que vous avez jusque-là portées ne soient pas appropriées ?
Le gain, c’est la maturité de la jeunesse. Mais, qu’est-ce qu’elle en fait ? C’est peut-être à ce niveau qu’il y a la déception, parce que le travail en politique, c’est l’éveil des consciences, former les militants, éduquer le peuple. Et moi, je suis de l’école où, pour nous, on enseigne notre peuple à prendre en main son destin. C’est principalement cette vision-là que nous avons voulue inculquer aux Burkinabè. Aujourd’hui, c’est indéniable que tous les Burkinabè, à quelques exceptions près, se disent sankaristes.
Et c’est ce que Sankara (Thomas) a voulu enseigner à l’Afrique et au Burkina : prendre en main son destin. C’est cela d’ailleurs qui nous arrive. Donc, quelque part, le message est passé. Mais, là où il y a encore problème, c’est comment organiser véritablement ce peuple-là pour qu’il prenne en main son destin. Là, on a échoué parce qu’on assiste à une véritable pagaille pas possible, où chacun croit jouer un leadership dont il est lui-même incapable de jouer. Comment arriver, dans une synergie, à mettre en cohérence cette maturité de la jeunesse, pour la transformer en un combat politique de changement, donc de changement alternatif, dans la rupture des paradigmes.
C’est cela toute la problématique, et c’est cela qui fait que les coups d’Etat sont revenus parce que les militaires pensent pouvoir jouer ce rôle à la faveur du terrorisme. Mais, le terrorisme n’est qu’un aspect parmi tant d’autres de la construction d’une société harmonieuse, une société de paix, une société où plus des 20 millions de Burkinabè vont fraterniser. Il y a bien-sûr la lutte contre le terrorisme, mais aussi les éléments de développement même de la société. Donc, on se retrouve dans un engrenage qui interpelle chaque Burkinabè à faire une introspection pour que nous sortions de là.
Sinon, je pense que tout le combat que nous avons mené depuis d’ailleurs qui a débouché en 2014 à une insurrection (pourquoi une insurrection, parce qu’à un moment donné, tout s’est convergé vers un point culminant qui est de dire Non, on ne veut pas de pouvoir à vie, on veut une alternance, et comme ce combat était de dire Non à la révision de l’article 37, tous les Burkinabè ont dit Non). Mais après l’alternance, il faut une alternative. C’est cela qui, malheureusement, n’est pas venu, malgré les élections démocratiques propres qu’on a connues en 2015. L’alternative n’est pas arrivée, et maintenant, ça s’est aggravé avec la guerre que les terroristes nous ont imposé. Maintenant, je paraphraserai l’expression du professeur Joseph Ki-Zerbo : « A quand le Burkina ? ».
Interview réalisée par Oumar L. Ouédraogo
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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