Le savoir est dans le livre, dit-on. Pourtant la jeunesse burkinabè a de moins en moins la lecture comme loisir. Pourtant ses écrivains sont de plus en plus prolifiques. C’est du moins l’avis de Dr Dramane Konaté, écrivain, ancien président de la Société des auteurs, des gens de l’écrit et des savoirs (SAGES). Il est de ceux qui ont su trouver l’équilibre entre la création artistique et l’action publique. Président du Conseil d’administration du Festival panafricain et de l’audiovisuel de Ouagadougou (FESPACO), Dr Konaté, dans cette interview, qu’il a bien voulu nous accorder, fait l’état des lieux de la littéraire burkinabè, le rôle que devrait jouer les écrivains burkinabè. Pour terminer, il donne des pistes de solution pour ramener le goût de la lecture chez la frange jeune. Lisez plutôt !
Lefaso.net : Quel est l’état des lieux de la littérature burkinabè de nos jours ?
Dr Dramane Konaté : Il faut savoir que le boom éditorial au Burkina Faso est une réalité depuis quelques années. Nous nous sommes organisés avec le lancement de la Foire internationale du livre de Ouagadougou (FILO) par l’Etat burkinabè à travers le ministère de la Culture pour mettre en place une association appelée : La Société des auteurs, les gens de l’écrit et des savoirs (SAGES) afin de promouvoir le livre. C’était précisément en 2011 et depuis cette date nous pouvons estimer que le boom éditorial au Burkina Faso est une réalité.
Etant donné qu’avec la SAGES, nous avons mené des activités pionnières telles que la rentrée littéraire au Burkina Faso qui n’existait pas avant, qui était un grand rendez-vous pour les éditeurs, les auteurs et les libraires. Aussi, nous avons initié une activité qui s’appelle « Kalamou ». « Kalamou » est un prix d’excellence dédié aux livres. Maintenant, il s’agissait pour l’Etat de reprendre les choses en main, sinon au niveau de la société civile culturelle, littéraire, particulièrement, nous avons joué notre rôle. Nous avons depuis ce temps, constaté que les productions littéraires au Burkina Faso sont légion. Nous avons aussi remarqué que ce ne sont pas uniquement ceux qui ont fait les « belles lettres » qui écrivent.
Est-il donné à tout le monde d’écrire ?
Ce ne sont pas forcément ceux qui ont fait les « belles lettres » qui écrivent. Il y a les juristes, les économistes et même les militaires, les corps habillés dans leur ensemble. Ce sont des écrivains mais qui restent dans leur domaine de prédilection, dans leur spécialité. Mais quand ils écrivent, ce n’est pas forcément des essais. L’essai a un caractère quelque peu scientifique. C’est-dire que, je suis dans un domaine, économiste par exemple, j’écris sur l’économie. Je suis militaire, j’écris sur les faits d’armes. Je suis juriste, j’écris sur les dispositions juridiques ou sur le droit de façon générale. C’est cela qu’on appelle des essais.
Quand j’écris sur l’économie du pays, quand j’écris sur l’histoire du pays, quand j’écris sur le droit, je fais de l’essai. Essai ne veut pas dire qu’on s’essaie à l’écriture, non. Derrière l’essai, il y a une objectivité qui est là. Car il est illustré par des tableaux, des chiffres, des statistiques. C’est ce qui lui donne un caractère scientifique. Mais nous voyons que ces écrivains qui sont d’un autre corps écrivent des romans, c’est-à-dire, la littérature de fictions. Ils fictionnalisent les faits, ils écrivent des romans, des nouvelles, des contes, des légendes et même de la poésie, etc.
Et je puis vous assurer que lorsqu’ils écrivent, il y a de la rigueur dans ce qu’ils font étant donné que leur formation est une formation de rigueur et par conséquent, ils y mettent aussi de la rigueur. Contrairement à ceux qui sont passés par les « Belles lettres », comment nous autres, nous avons parfois trop d’inhibitions. Nous avons appris les règles de l’écriture si bien que quand on veut écrire un roman, on veut forcement appliquer les règles qui conviennent. Ce qui est d’ailleurs normal. Et tant qu’on n’y arrive pas, on se dit que nous avons produit nécessairement un avis.
Donc, cela va créer des inhibitions. Par contre, ceux qui sont dans d’autres corps, dans d’autres domaines, quand ils écrivent, laissent libre cours à leur inspiration. Ce qui donne nécessairement de belles œuvres. C’est comme la musique. Ce n’est pas ceux qui ont fait les écoles de musique qui sont les meilleurs musiciens. Parfois, l’inspiration vient au cours d’une balade, d’une promenade, au cours d’une soirée entre amis, etc. C’est cela qui fait l’inspiration. Donc, on n’impose pas l’inspiration en réalité. Elle vient d’elle-même pourvu que nous soyons dans les circonstances de lieux, de temps.
Quelle est la différence entre un roman un essai, une nouvelle, etc. ?
On dit du roman que c’est un genre majeur. C’est-à-dire, qui écrit un roman, écrit dans la plénitude de la forme. Puisqu’un roman peut contenir de la poésie, un conte, etc. Le roman est aussi un genre majeur parce qu’il fait référence à la plénitude de la vie. Sa différence d’avec la nouvelle, c’est qu’il s’inscrit dans un temps donné et les actions sont circonscrites dans ce temps donné. Je prends un exemple dans nos langues. La « nouvelle » chez nous, c’est quand vous rencontrez quelqu’un dans la rue, en mooré, vous lui dites : « Kibaré », en dioula, vous dites « Kibaria ». C’est cela la « nouvelle ». La « nouvelle » peut tenir même sur une page. C’est Guy de Maupassant qui est vraiment l‘écrivain attitré de ce genre.
La poésie est un genre un peu complexe. Pour écrire la poésie, naturellement, il faut suivre des cours de poésie. Parce qu’un poème peut être en prose. C’est le cas dans « Cahier d’un retour au pays natal » d’Aimé Césaire. Elle peut être en vers comme en versets qui sont des vers plus longs. Par exemple Léopold Sédar Senghor, un grand poète négro-africain, quoi qu’on dise de lui, a lancé avec Aimé Césaire, Léon Gontran Damas, le mouvement de la négritude. Mais attention, ce n’est pas Léopold Sédar Senghor qui a forgé le mot négritude. Il a dit, il faut rendre à Césaire ce qui appartient à Césaire.
Beaucoup de gens font un mauvais procès à Léopold Sédar Senghor. C’est Césaire qui a forgé le mot négritude. Donc, la négritude s’est illustrée notamment par la poésie d’ancrage endogène. Nous avons des vers et de versets comme dans la Bible et le Coran. Egalement, dans les versets il n’a pas de rimes. Il y a des sonorités, il y a des assonances, c’est tout cela qui forme la poésie. Mais la poésie renvoie à cette poétique de vie car elle fait appel à toutes les sensibilités, aux allégories, au sens connotés des mots. Donc, c’est comme une coque d’arachide, il faut la décortiquer pour comprendre.
Le conte et la fable sont des genres dits de tradition orale. Le conte est dit avant qu’il ne soit écrit. C’est la même chose que la fable. La différence entre le conte et la fable réside au niveau de valeurs véhiculées. C’est le cas du conte qui lorsqu’il est dit, véhicule des valeurs. Avec le conte, on tire des enseignements. Il y a toujours une leçon qu’on tire d’un conte. La fable porte beaucoup plus sur le bestiaire. C’est un genre où on utilise le bestiaire, c’est-à-dire, qu’on utilise des personnages animaliers mais qui ont des caractères humains. C’est le cas des Fables de la Fontaine. C’est un peu cela la différence entre le conte et la fable. Au Burkina Faso, nous avons aussi des fabulistes.
Il y a aussi la légende. Attention, la légende, c’est de l’histoire qui est racontée sous sa forme extraordinaire, extrapolée. Il y a une transfiguration dans la légende. La légende c’est de l’histoire un peu déformée soit qui permet la cohésion sociale, soit qui permet à une communauté de se retrouver autour de valeurs communes. C’est pourquoi vous avez par exemple la Légende de Yennenga, la Légende de la Reine Pokou, Il y a la Légende du roi de Noumoudara, le roi Thiéfo, etc. Il y a aussi des faits légendaires, des exploits, des hauts faits.
De façon générale, quels sont les thèmes abordés par les écrivains burkinabè ?
L’écriture comme le disait Jean Paul Sartre, consiste à dévoiler le monde à la générosité du lecteur. Naturellement, un écrivain s’inspire de son milieu, un écrivain s’inscrit dans des valeurs endogènes de son milieu. Vous verrez rarement un écrivain burkinabè écrire sur la Tchétchénie ou sur le Vanuatu. C’est le même Sartre qui dit au cours de la 2e guerre mondiale, qu’en matière d’écrit, il s’agit de savoir s’il faut écrire sur la condition des juifs ou s’il faut parler des papillons dans le jardin d’Eden.
Cela veut dire que l’écrivain fait le récit de son époque. Son époque, son milieu socio-culturel transparaît d’une façon ou d’une autre dans ses écrits. Par exemple, nous sommes dans un contexte sécuritaire difficile. Il y a beaucoup d’écrits qui font référence à la prévention de la radicalisation et à la stigmatisation mais aussi à la lutte contre l’extrémisme violent.
Personnellement, en tant qu’écrivain, il y a une de mes œuvres, « La triade de sang » qui a été inscrite au programme scolaire en 2022, portant sur la lutte contre l’extrémisme violent. Je vais vous étonner en disant que cette même œuvre a été adaptée à l’écran. Parce que l’œuvre parle de l’attaque terroriste sur l’Avenue N’Kwamé Nkrumah. Comment fictionnaliser, comment veiller à faire le récit comme vous les journalistes qui êtes sur le terrain. Dans mon œuvre, je parle de l’Avenue Panafrica.
Les personnages y sont inventés à qui, on a donné des noms mais tout le récit de ce qui s’est passé sur cette Avenue est malicieusement détaillé. C’est de cette façon, à travers la plume, que l’écrivain contribue efficacement à la prévention de la radicalisation et à la lutte contre l’extrémisme violent. Parce que dans le roman, il ne s’agit pas de montrer des gens qui traversent la rue, qui tirent sur des êtres humains mais plutôt d’aller puiser dans les saintes écritures, ressortir un certain nombre de choses pour montrer que ceux qui tuent au nom d’Allah, ce n’est pas ce que le Coran dit de même que les arguments d’ordre politique, économique et même idéologiques qui font partie de cette radicalisation.
Donc, c’est pour dire que l’écrivain vit selon son temps et essaie de rapporter ce qui se passe dans la société mais aussi propose des solutions. L’écrivain peut aussi faire un rappel historique. En ce moment cela s’appelle de la chronique. Un genre journalistique. « Crépuscule des temps anciens » de Nazi Boni est une chronique qui date de la guerre du Bani-Volta entre 1916 et 1917. Quand vous lisez Jacques Prosper Bazié sur la chute de Loumoudara du fait de la traîtrise. A la fin, il tire la conclusion que les nations sont supérieures à la tragédie dont elles se relèvent en puisant des ressources toniques en leur personnalité et leur histoire. N’est-ce pas une belle conclusion ?
Est-ce que vous percevez ce rôle prépondérant dans les écrits des écrivains burkinabè ?
Vous savez, le ministère en charge de la culture a convoqué un colloque sur le thème de la résilience, de la prévention de la radicalisation et de la prévention contre l’extrémisme violent. Pourquoi je vous parle de ce colloque. Parce que tous les pans de la culture ont été évoqués. On a montré le rôle social de la culture et des arts, de l’écrivain dans le contexte de crise.
C’est pour dire que l’écrivain nécessairement doit prendre position. Quand on parle de l’écriture engagé, cela ne veut pas dire qu’il faut aller prendre la carte d’un parti politique. Cela veut dire qu’on doit s’engager auprès des masses, ressortir leur aspiration au bonheur, à l’épanouissement et à la paix. L’écrivain devrait donc prendre sa plume et s’engager véritablement. Parce que comme l’a dit Stendhal, le roman est comme un miroir promené au long de la route. Maître Paceré Titinga aussi n’a pas manqué de dire que si la termitière vit, c’est qu’elle ajoute de la terre à la terre.
Donc, l’écrivain, pour montrer son importance, pour montrer son rôle social doit ajouter une plus-value à la lutte contre l’extrémisme violent. Car son arme c’est sa plume. On a une littérature de résilience mais aussi une poétique de la vie. Il ne suffit pas de plonger chaque fois sa plume dans la plaie mais il faut la plonger dans l’encre de la joie afin de montrer qu’aussi longue que sera la nuit, les lueurs de l’aube apparaîtront.
De plus en plus, la jeunesse a délaissé la lecture. Comment selon vous, peut-on redonner aux jeunes, le goût de la lecture ?
Vous avez tout à fait raison. C’est pourquoi je vous parlais de la création de la SAGES pour accompagner le livre et la lecture. Et depuis ce temps nous constatons que les jeunes lisent de plus en plus. Ce que parfois la jeunesse africaine dans son ensemble ou la jeunesse burkinabè ignore, les nations qui sont à la pointe de la technologie moderne, sont les nations où la jeunesse lit le plus.
Si vous prenez les Etats-Unis, si vous prenez la Chine, la France, l’Angleterre, les jeunes ont des androïds, des tablettes, etc., mais vous allez trouver des jeunes dans la rue, dans les jardins, dans les bibliothèques en train de lire. Même quand ils voyagent, dans l’avion, ils lisent. Il y’en a même qui lisent même en marchant. Chez nous en Afrique, on est accro à ces technologies. On ne cherche pas à lire, on ne cherche pas à se cultiver. Voilà ce que Cheick Anta Diop a dit : « Il faut s’armer de science jusqu’à la dent ».
L’ex ministre de la communication a aussi dit : « qui importe un livre, importe des valeurs ». Il a tout à fait raison. Nous avons lu les Jean Jacques Rousseau, les Voltaire, les Karl Max, mais quand on nous demande qu’est-ce que Me Titinga Pacéré a dit, la jeunesse est perdue. On cherche d’abord à savoir qui il est. Donc, revenons à nos valeurs endogènes, lisons les livres écrits par nos écrivains et mieux la société se portera. Quand on se contente de lecture dans le cadre scolaire, on n’apprend rien. La lecture doit aller dans le sens de lecture d’information, d’acquisition de savoirs mais aussi du ravissement. Il ne faut pas fermer la porte aux grands écrivains occidentaux.
Pourquoi de plus en plus, nos écrivains publient à compte d’auteurs ?
Le livre est sérieusement concurrencé par le multimédia. Cela veut dire que les livres que nous produisons ici au Burkina Faso coûtent parfois chers. C’est normal. C’est comme le journal papier chez vous les journalistes. Si vous partez voir un éditeur, naturellement, il met son prix. L’imprimerie est la plus grosse industrie culturelle. La plus grosse industrie, c’est l’imprimerie.
Et je vais vous faire la démonstration. A chaque fin de moi, les salariés ont besoin de leur bulletin de salaire, à l’hôpital, on ne donne jamais d’ordonnance électronique. Les factures d’eau et d’électricité sont en papier. Les bulletins sur les courses hippiques sont en papier. Même les artistes, quand ils veulent se produire, les banderoles, pour sortir un album, il y a les jackets.
La cerise sur le gâteau, c’est l’imprimerie qui fabrique l’argent. Donc, l’imprimerie est la plus grosse industrie culturelle au monde depuis sa création au deuxième siècle. Elle a traversé tous les temps. On a beau parlé du livre électronique, il a de la peine à prendre. En réalité, le droit d’auteur revient à qui ? A l’éditeur en ligne ou à l’auteur ? Jusque-là, le Bureau burkinabè des droits d’auteurs (BBDA) n’a pas pu mettre en place un dispositif de sorte de pouvoir éviter le piratage à travers les téléchargements.
Donc, aucun auteur ne va s’hasarder à mettre son livre en ligne, entièrement. Pour en revenir aux faits, cela veut dire que les auteurs se débrouillent, avec un petit budget, ils vont voir un éditeur pour demander de l’aide. Avec 300 000 francs CFA, ont peut-être auteur. Dans le temps, il fallait environ 1 million, 2 millions parfois 3 millions pour produire un livre. Il faut rappeler que l’écrivain n’écrit pas pour s’enrichir, pour avoir de l’argent. C’est cette satisfaction morale et intellectuelle d’être lue, d’avoir été lue et cette reconnaissance nationale lorsqu’on tire des extraits de votre livre qu’on fait passer au baccalauréat, au BEPC, c’est réconfortant.
Dr Konaté, nous sommes au terme de cette interview. Si on vous demande le nom de vos auteurs africains et burkinabè préférés. Quels noms vous viennent en tête ?
Au niveau africain, j’ai de l’admiration pour des grands comme Wolé Soyinka, qui a été prix Nobel de littérature. J’ai de l’admiration pour Cheick Amidou Kane qui a écrit « L’aventure ambiguë », jusque-là jamais égalé. Il y a aussi Sembene Ousmane parce qu’il a réussi un passage du livre à l’écran et de l’écran à l’écriture. Au Burkina Faso, naturellement, je m’incline devant la grandeur de Maître Pacéré qui a reçu le prix Goncourt, Nazi Boni qui n’est plus mais qui fut en réalité le premier romancier voltaïque dont l’œuvre a été préfacée par Léopold Sédar Senghor. Jacques Prosper Bazié en matière de poésie qui est resté égal à lui-même.
Côté dame, il y a Bernadette Dao qui a une belle plume, Monique Ilboudo aussi. Au niveau de la nouvelle génération, il y a le pandore Kombari qui écrit bien dont j’aime les livres. Nous avons Joseph Sanou à Bobo Dioulasso qui a été plusieurs fois lauréat à la Semaine nationale de la culture (SNC). Nous avons aussi un jeune poète du nom d’Emile Lalsaga qui se bat bien dans son domaine. Il y a la poétesse Sophie Kam, Djadissa Sanoussi. Je fais un clin d’œil aux journalistes écrivains, Jacques Prosper Bazié, Mahamoudou Ouédraogo, Baba Hama. Il y a de grands écrivains au Burkina Faso.
Interview réalisée par Obissa Juste MIEN
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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