Voilà une semaine que se jouait sur la scène diplomatique un drame qui ne devrait pas avoir lieu pour une fin d’un accord. Mais quand les affaires d’Etat dépassent les relations froides d’intérêts entre entités et se rapprochent des relations sentimentales, d’amour, de désamour et de ressentiments, on se retrouve dans le mélodrame comme s’il s’agissait d’un couple.

Entre la France et ses anciennes colonies, il a toujours été « question d’amour », de recherche d’un jardin privé, un entre soi qui a donné naissance à la funeste Françafrique. Il ne suffit pas de parler d’amour pour que tout soit parfait, car l’amour aussi est un jeu à somme nulle. Dans la relation franco-africaine, c’est la France qui donne aujourd’hui l’impression d’être la femme trahie, abandonnée par son conjoint pour une croqueuse de diamants. Entre la France et le Burkina, ces derniers jours, il nous a semblé que c’est ce scénario que la presse nous a décrit.

Le départ des 400 hommes des forces spéciales françaises de Kamboinsin donnera-t-il l’occasion au pays des hommes intègres de tisser des relations équilibrées avec les tous les pays du monde, où il ne se contentera plus que de la portion congrue ? Le gouvernement a-t-il saisi que le monde est actuellement dans une phase où les compétitions entre les nations s’exacerbent et qu’il ne faudrait plus reproduire les anciens schémas avec tous ceux qui se précipitent avec avidité sur le pays, car personne ne pensera à nos intérêts si nous ne les défendons pas nous-mêmes Burkinabè. Quelle est la nouvelle politique de coopération du pays ?

De quand date l’arrivée des militaires français de l’opération Sabre au pays des hommes intègres ? Il semble que c’est bel et bien le dictateur déchu, Blaise Compaoré, qui a autorisé l’arrivée des soldats français à Kamboinsin. C’était une première car avant lui, aucune autorité voltaïque ou burkinabè n’avait dérogé à la sacro-sainte règle que le premier président de la république Maurice Yaméogo avait adoptée de ne pas accueillir de troupes françaises en Haute Volta devenue Burkina Faso. Est-ce un sentiment de culpabilité qui a prévalu à la non signature d’un accord ? Toujours est-il que le premier accord date du 9 janvier 2015 sous la transition dirigée par Michel Kafando, révisé le 17 décembre 2018 sous la présidence de Roch Marc Christian Kaboré.

Ces troupes basées au Burkina n’avaient pas vocation à aider spécialement le Burkina, mais étaient là pour des missions dans l’ensemble du Sahel. Avec l’intensification des attaques terroristes et l’augmentation continue des pertes de vies civiles et militaires ainsi que du nombre des personnes déplacées, l’opinion publique au Burkina se demandait ce que faisaient les militaires français censés être venus pour mettre fin à son tourment. Les premières manifestations contre les troupes françaises au Burkina ne datent pas du dernier putsch dans le pays. Il faut se souvenir des blocages du convoi militaire de l’opération Barkhane en novembre 2021 à Bobo Dioulasso, Ouagadougou et Kaya.

Tout comme Barkhane, dont l’opération Sabre était une composante, celle-ci n’a pas apporté une plus-value à la lutte contre les groupes armés terroristes. Il est vrai aussi que le MPSR II les a accusés d’avoir hébergé le lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo Damiba, ce qui a suscité une manifestation contre les militaires français à Kamboinsin qui a fait peser la balance en sa faveur lors du coup d’Etat du 30 septembre 2022.

Certaines OSC (organisations de la société civile) en ont fait un fonds de commerce pour gagner des rentes auprès du nouveau pouvoir. L’hostilité à la présence militaire française est une opinion très vieille dans le pays remontant aux indépendances et très populaire dans les organisations de gauche et anti impérialiste. Le pouvoir du MPSR II par cette rupture vise à gagner des soutiens internes à sa cause, c’est pourquoi le président de transition est parti à l’université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou pour en faire l’annonce.

La souveraineté militaire du pays

La demande de départ des troupes a-t-elle pris de cours la partie française qui n’a pas vu ce coup arriver après la Centrafrique et le Mali ? Pourtant pas plus tard que le 10 janvier 2023, la secrétaire d’Etat Chrysoula Zacharopoulou, après une audience avec le président de transition à Ouagadougou, déclarait que « La France n’impose rien, elle est disponible pour inventer un avenir ensemble », assurant ne vouloir « influencer aucun choix, ni aucune décision, personne ne peut dicter ses choix au Burkina ». La prenant aux mots, les autorités burkinabè mettent fin à l’accord militaire.

Quand Ouagadougou disait que c’était dans l’ordre normal des choses, Paris demandait des clarifications. Après avoir été flou sur la réception de la note verbale datant du 18 janvier 2023, Paris a accusé réception le 24 janvier de la demande de retrait de ses militaires du Burkina Faso. Le ministère français des Affaires étrangères annonçant que « La France respectera « les termes de cet accord en donnant suite à cette demande ». Et pour manifester sa déception la France a rappelé son ambassadeur à Ouagadougou pour consultation à Paris et pour voir comment inventer un avenir avec ce Burkina qui ne veut pas des militaires français.

Il est dommage que certains voient en cette demande de départ des militaires français, un pas du MPSR II vers le Mali. Comme on l’a dit, même s’il rompt l’isolement diplomatique du Mali sur cette question, c’est une décision qui s’inscrit dans la tradition de souveraineté militaire du Burkina Faso. Elle va aussi dans l’option de compter sur ses propres forces pour libérer le pays des groupes terroristes concrétisée par le recrutement des volontaires pour la défense de la patrie. Cela ne peut pas entraîner l’arrivée de Wagner dans le pays. Ce serait paradoxal, contradictoire et contreproductif de chasser des troupes étrangères pour en faire venir d’autres.

Une nouvelle coopération internationale

Le départ des forces spéciales françaises de Kamboinsin est l’occasion de plaider pour une nouvelle coopération internationale où nous défendons nos intérêts et nous prônons des relations mutuellement avantageuses. De ce point de vue, les autres pays n’ont pas à nous indiquer avec qui nous devons coopérer et quelle position nous devrons adopter sur les sujets en débat sur la scène internationale. Le modèle français qui voulait que les pays francophones s’alignent sur les positions françaises à l’Organisation des nations unies est celui que la Chine, la Russie essaient d’imposer aux pays africains.

La Russie est en ce moment en campagne en Afrique pour que les Etats africains la soutiennent dans son offensive contre l’Ukraine en votant contre des résolutions qui la condamnent. De même la Chine continentale conditionne ses relations à l’absence de reconnaissance de Taiwan avec qui elle-même collabore. Ce diktat imposé à l’Afrique par la Chine ne l’est pas pour les Etats considérés par elle comme incontournable d’Amérique et d’Europe. Nous devons mettre fin à ce modèle de coopération irrespectueux envers nos pays.

Le MPSR II doit réfléchir profondément à une nouvelle forme de diplomatie qui défende les intérêts du Burkina Faso.

Sana Guy

Lefaso.net

Source: LeFaso.net