Le phénomène de la consommation de la drogue par les jeunes en général et en particulier par les élèves prend des proportions inquiétantes dans le milieu scolaire burkinabè. Pourquoi ce phénomène est en train de gagner du terrain dans les écoles ? Quelles sont les conséquences de la consommation de la drogue ?

De plus en plus dans les écoles, des élèves s’adonnent à la consommation des stupéfiants. Selon des témoignages des acteurs du système éducatif, dans certaines écoles du pays, des gangs se forment. Et ces bandes sont souvent très dangereuses pour les autres élèves.

Elève en classe de première, Fabien, nom d’emprunt, consomme la drogue. Cela fait au moins deux ans qu’il en prend. A vue d’œil, on dirait que le lycéen est dépendant de la drogue. Ses mains tremblent lorsqu’il parle. Il a les yeux et les lèvres rouges.

« A l’école pour avoir parfois des amis, on est souvent obligé de faire ce qu’ils font. Lorsqu’ils te donnent de la drogue et que tu refuses, quand ils organisent les sorties ils ne vont pas t’inviter. Donc pour être dans le groupe et dans la tendance, tu es obligé de faire comme eux. En fait pour être à la mode comme ses amis, on prend de la drogue et après cela devient une addiction. J’ai commencé à toucher à la drogue parce que je voulais être à la mode comme mes amis », a indiqué Fabien.

Il ajoute « C’est un circuit, quand tu es dedans tu fais beaucoup de connaissance. C’est un vrai réseau. Mais si tu ne fais pas attention tu risques de sombrer. Tu peux acheter une drogue à 2 000 et la revendre à 5 0000 ». Il précise que le prix de la drogue varie en fonction de la dose. Pour les drogues « dure » le prix est à 3 000. Les drogues « légères », elles, commencent à partir de 500 FCFA.

Acteur de cinéma, Ibrahim (nom d’emprunt) a fumé la drogue pendant environ 10 ans. Il a commencé à toucher à la drogue quand il était en classe de 4e. Lui également a voulu faire comme ses amis : suivre l’effet de mode. Malheureusement, à cause de la drogue, il a passé cinq années en prison. C’est après avoir purgé sa peine qu’il prend la résolution d’arrêter les stupéfiants. « La drogue m’a entraîné en prison. Et je ne peux jamais oublier cela », a relevé le jeune homme. Selon lui, au lieu d’envoyer des élèves drogués en prison pour gâcher leurs études et leur avenir, il faut créer des structures d’accompagnement pour ces enfants.

Dans l’un des plus grands lycées de la ville de Ouagadougou, nous rencontrons un acteur du système éducatif. Ce dernier confie qu’en 2008 dans l’établissement, les surveillants ont appréhendé des élèves avec de la drogue. Et ces élèves ont été exclus de l’école. Depuis lors, il n’y a plus eu de cas découverts. D’après lui, en décembre 2022, il a reçu une information selon laquelle les vendredis soirs un groupe d’élèves s’enferme dans une classe pour fumer de la drogue. L’école est donc en train de mener des enquêtes pour savoir si ces élèves viennent de l’établissement ou s’ils viennent d’ailleurs.

« Il ne faut pas voir les enfants qui consomment la drogue comme des délinquants »

Au regard de l’ampleur de la consommation des stupéfiants dans les écoles, des particuliers et des associations font de la sensibilisation dans les établissements scolaires. L’artiste Oskimo organise depuis quelques années maintenant une caravane dénommée « Oskimo tour ». La caravane sillonne les établissements scolaires pour sensibiliser les élèves sur les dangers liés à la consommation des stupéfiants. Pour l’année 2022, l’artiste a accompagné quinze élèves qui ont déjà touché à la drogue.

Oskimo, artiste initiateur de Oskimo tour

« Souvent, ce sont les parents qui n’arrivent plus à contrôler leurs enfants qui m’appellent. Quelqu’un qui a déjà touché à la drogue, la violence ne peut pas l’empêcher de toucher à la drogue. Et beaucoup de parents ne comprennent pas cela. Il faut aller doucement avec la personne. Il faut savoir parler pour que la personne t’écoute », préconise l’artiste.

Pour Oskimo, pour lutter efficacement contre la drogue, il faut lutter pour que la drogue n’entre pas sur le territoire. Et aussi, il faut interdire l’alcool. « La drogue est partout parce que les alcools contiennent de la drogue. Quelqu’un qui finit une bouteille de Johnny est deux fois plus drogué que celui qui a tiré deux tafs de la marijuana », a révélé Oskimo.

L’association Liaison universelle pour le bien-être des enfants et des jeunes, tout comme l’artiste Oskimo, intervient dans la prévention de la consommation de la drogue. Le premier responsable de l’association Tiraogo Birba dit qu’ils se sont rendus compte qu’au Burkina Faso, il y a un gros problème de prise en charge des élèves qui ont déjà pris la drogue. Il laisse entendre qu’au niveau de la lutte contre la consommation de la drogue au Burkina Faso, il y a de grands défis à relever. Ces défis sont à quatre niveaux. Le premier niveau c’est qu’il manque des données statistiques des consommateurs de la drogue. Le second est un problème de stratégie nationale en matière de lutte contre la consommation de la drogue. Le troisième défi, selon notre interlocuteur, c’est qu’il faut un centre de référence de prise en charge des drogués au Burkina Faso et qui réponde aux normes internationales. Le quatrième point, c’est la loi anti-drogue. M. Birba estime qu’il faut réformer cette loi. « Il ne faut pas voir les enfants qui consomment de la drogue comme des délinquants. Beaucoup prennent de la drogue parce qu’ils ont été bernés. Et après, ils font face à des problèmes. La solution n’est pas forcément d’emmener l’enfant en prison. On a vu de nombreux élèves qui ont été envoyés en prison dans l’espoir qu’ils arrêtent la drogue mais qui n’ont pas pu arrêter », souhaite Tiraogo Birba.

Ibrahim qui a déjà fait la prison avoue que la drogue circule facilement en prison. « La plupart des enfants qui vont en prison à cause de la drogue sombre encore plus dans la drogue que quand ils étaient dehors. Comment peut- on envoyer une personne malade en prison ? Un consommateur de drogue accro est un malade. Il faut être dedans pour comprendre », interroge notre interlocuteur avec un sourire.

Oskimo également n’approuve pas le fait que les enfants drogués soient amenés en prison. « Je suis contre le fait qu’on envoie les enfants en prison parce qu’ils ont pris la drogue. Je n’ai pas de statistiques mais l’expérience a montré qu’une personne qui va en prison à cause de la drogue ressort encore plus droguée », signifie l’artiste.

Les conséquences de la drogue

Les conséquences de la drogue sur son consommateur sont d’abord d’ordre social, explique le psychiatre Karfo Kapouné. Pour les élèves, la première conséquence de la consommation des stupéfiants est la baisse du rendement scolaire, évoque le Pr Karfo. « Si vous avez votre enfant qui est brillant à l’école et qui a l’habitude d’avoir de bonnes moyennes et subitement il commence à avoir de mauvaises moyennes, il se pourrait que l’enfant ait commencé à toucher à la drogue », révèle le médecin.

Pour les élèves, la première conséquence de la consommation des stupéfiants est la baisse du rendement scolaire, selon le Pr Karfo

Le chef de service psychiatrique de l’hôpital Yalgado dit que les autres conséquences de la drogue peuvent être d’ordre psychologique et psychiatrique. « Avec l’éclosion de maladies psychiatriques chez l’enfant, généralement, ce sont des maladies psychiatriques aiguës. C’est ce qui amène souvent les parents à venir chez nous. Quand c’est la baisse de rendement ils ne savent pas qu’il faut aller chez le psychiatre. Le cannabis peut être à la l’origine d’une maladie grave qu’on appelle la schizophrénie. Et c’est l’une des maladies les plus graves en psychiatrie. On l’appelle le cancer de la psychiatrie », explique le spécialiste.

Le Pr Karfo fait savoir qu’au Burkina Faso, la tranche d’âge des élèves qui consomment la drogue se situe entre 11 et 25 ans. Et la substance la plus consommée est le cannabis. « J’ai eu à hospitaliser un enfant de 13 ans qui consommait des substances psychoactives. Il était impossible de vivre avec lui. Il était agressif. Sa mère avait peur de lui. Aujourd’hui, la consommation de drogue est un drame silencieux. Dans les familles c’est un drame silencieux. Les gens n’en parlent pas de peur d’être stigmatisés », confie le spécialiste.

Pr Karfo explique que pour soigner un toxicomane, il faut d’abord qu’il donne son accord pour être soigné, sinon ce sera peine perdu. « Quand on parle des conséquences de la drogue tout le monde est d’accord. Chacun a déjà vu les manifestations et les conséquences. Mais quand il s’agit de mettre en place des infrastructures pour prendre en charge ces enfants, il n’y a personne derrière nous », a-t-il conclu.

Rama Diallo

Lefaso.net

Source: LeFaso.net