L’Unité d’action syndicale (UAS) a animé, ce jeudi 22 décembre 2022 à Ouagadougou, une conférence de presse sur la situation nationale, notamment l’idée du gouvernement de créer un fonds de soutien à la guerre, impliquant entre autres le prélèvement de 1% sur les salaires nets des travailleurs du public et du privé.

« Le vendredi 9 décembre 2022, l’UAS s’est rendue au Premier ministère, sur invitation, pour une rencontre de prise de contact et d’informations. Initialement prévue avec le Premier ministre, la rencontre a finalement été dirigée par son Excellence monsieur le président de la transition, le capitaine Ibrahim Traoré, assisté de six ministres du gouvernement. Au cours de cette rencontre, le gouvernement nous a communiqué des informations relatives à la situation sécuritaire du pays, particulièrement au besoin de financement des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP). Il a rappelé le recrutement de 50 000 VDP qui seront pris en charge à 60 000 FCFA par mois et par personne et qui devront être équipés en armes, tenues, motos et dotés de carburant. Selon le gouvernement, tous ces besoins sont estimés à 106 milliards de FCFA et vont creuser davantage le ‘’déficit budgétaire » estimé à 604 milliards dans le budget de l’Etat, gestion 2023. Le gouvernement compte mobiliser 80 milliards de FCFA. A ce titre, il nous a été annoncé la création d’un fonds de soutien à la guerre qui sera alimenté par les mesures suivantes : le lancement d’un appel à des contributions volontaires, le prélèvement de 1% sur les salaires nets des travailleurs du public et du privé, une taxe de 100 FCFA sur les prix des boissons, une taxe de 50 FCFA sur le prix du giga de connexion, une taxe de 100 FCFA sur le paquet de cigarette, une taxe de 100 FCFA par kilogramme pour les parfums et produits cosmétiques, une affectation de certaines ressources spécifiques de l’Etat, une retenue de 5% sur les loyers des bâtiments loués par l’Etat, une retenue de 25% sur la subvention accordées aux partis politiques. Sur la base de ces informations, le gouvernement a souhaité recueillir l’avis de l’UAS, ainsi que des propositions. Plus tard, dans un point de presse fait par le gouvernement, nous avons appris du point fait par le ministre chargé des finances que le gouvernement a proposé aux partenaires sociaux plusieurs sources pour alimenter ledit fonds », ont d’abord campé les conférenciers à travers la déclaration liminaire, lue par El Hadj Inoussa Nana, président de mois des centrales syndicales.

Le président de mois, M. Nana.

Partant de ce compte-rendu de la rencontre avec l’autorité, les responsables de l’UAS font observer qu’il s’est agi d’« informations » et non de « propositions » comme indiqué plus tard par le gouvernement, les travailleurs (à l’image des autres couches populaires) subissent la vie chère, du fait d’une inflation dont le taux, près de 18%, est le plus élevé de la sous-région ; les prélèvements vont durer la période de la transition (mais pourraient prendre fin plus tôt, si la situation se règle).

Ils relèvent également que le président de la transition lui-même a déclaré à sa prise du pouvoir que des gradés se sont transformés en milliardaires, ce qui rend nécessaire un audit de l’armée ; l’option de recruter 50 000 VDP n’est pas conforme à la proposition de l’UAS qui est l’armement des populations. Selon les conférenciers, cette dernière mesure trouve ses limites à la situation de l’armée « qui est divisée en clans ».

En effet, de l’avis de l’UAS, l’on n’avait pas besoin d’organiser le recrutement des VDP dans le format tel qu’utilisé par les dirigeants. « Il y a des populations qui ont décidé de rester dans leurs villages, qui sont déjà organisées ; il faut simplement les doter en armes. Il faut armer les populations au niveau local. Cela permet de mobiliser un grand nombre et ça coûte moins (parce que les villages sont déjà organisés et les gens sont sur place). En plus, on n’aurait pas besoin de désigner les gens ‘’VDP » ; parce que dès que quelqu’un est identifié VDP, il devient un homme à abattre. Or, si on arme les populations d’un village, lorsqu’il y a à défendre, c’est tout le village qui se défend », ont justifié les conférenciers.

« Thomas Sankara n’a pas laissé les détournements pour s’acharner sur les populations »

Suite à des échanges avec les délégués du personnel et des délégués syndicaux de la ville de Ouagadougou sur la question des prélèvements sur les salaires, l’UAS a adressé une série de propositions au gouvernement pour un éventuel financement de l’effort de guerre. Il s’agit du recouvrement des restes de créances qui s’élèvent, à la date du 30 juin 2022, à plus de 870 milliards (des créances dues à l’État par des entreprises, des anciens ministres, des anciens députés, des anciens présidents d’institution, etc.) ; des chèques impayés ; des dossiers de mauvaise gestion (dossiers de détournements, malversation, corruption) mis en lumière par les articles de presse, des rapports d’institutions, des enquêtes parlementaires, etc.

Outre les dossiers de crimes économiques, les syndicats proposent le recouvrement de l’impôt sur les revenus fonciers (IRF), les déficits de paiement par les sociétés de téléphonie de leurs impôts. Les responsables de l’UAS ont, dans le plateau de propositions, présenté le dossier des marchés mal exécutés et les ressources dues par les sociétés minières.

El hadj Inoussa Nana (en chapeau) avec à sa gauche, Guy Olivier Ouédraogo et à sa gauche, Diallo Moussa.

« Pour ce qui est de la question du prélèvement de 1% du salaire net des travailleurs et des autres mesures envisagées, l’UAS estime qu’une bonne gestion des ressources mises à la disposition des ministères en charge de la défense, de la sécurité et de l’ANR (Agence nationale de renseignement, ndlr) ainsi qu’une lutte conséquente contre la corruption, l’impunité des crimes économiques, la fraude et l’évasion fiscale dispenseraient le gouvernement de solliciter des sacrifices supplémentaires aux couches populaires. L’UAS a indiqué qu’en tout état de cause, elle ne peut donner son aval pour la collecte de fonds à mettre à la disposition d’une armée dont la gestion opaque des ressources est quotidiennement décriée par la troupe et des journalistes d’investigation et qui refuse catégoriquement l’audit de sa gestion financière », tranchent les dirigeants de l’UAS.

Pour l’organisation syndicale, l’on n’a pas besoin de s’adonner à une solution de facilité qui consiste à couper systématiquement une part dans les salaires des travailleurs. Ceux-ci consentent déjà, et sous diverses formes, d’énormes sacrifices dans ce contexte d’insécurité et de lutte contre le terrorisme, rappelle-t-on. « On laisse tout cela et on vient s’acharner sur les populations. Il faut éviter la solution de la facilité qui consiste à prélever sur les salaires des travailleurs. (…). On les compare à Thomas Sankara. Mais, Thomas Sankara n’a pas laissé les détournements pour s’acharner sur les populations. Le président Ibrahim Traoré a lui-même dénoncé des hauts gradés qui s’embourgeoisent à Ouagadougou. Nous ne pouvons donc pas donner notre argent pour que des responsables (de l’armée) aillent renforcer leurs milliards. Ceux qui veulent nous donner des leçons de patriotisme ne sont pas des patriotes », ont martelé les responsables de l’Unité d’action syndicale.

Ils rappellent cette actualité selon laquelle des militaires seraient allés voir des commerçants (pour le convoyage des produits dans les zones à forts défis sécuritaires, https://lefaso.net/spip.php?article117336) pour majorer la location de leurs camions de 200 000 FCFA à 600 000 FCFA et le cas de ce capitaine soupçonné d’empocher 400 millions.

Les conférenciers ont souligné que l’UAS ne prend pas des positions pour plaire, mais plutôt pour favoriser la lutte contre le terrorisme et pour l’avenir.

Oumar L. Ouédraogo

Lefaso.net

Source: LeFaso.net