Révélé au grand public en 2020 à la faveur de sa réussite éclatante en fin d’année scolaire, année dans laquelle il fut le premier national au baccalauréat série C et pour la troisième fois consécutive, meilleur élève du second cycle au Prytanée militaire du Kadiogo, Erwin Poussi est un jeune pour quiconque le côtoie, ne laisse personne de marbre et dont l’abnégation force l’admiration.
Après avoir vu des vertes et des pas mures pour l’obtention d’une bourse afin d’accomplir son vœu le plus cher qui est de devenir ingénieur, il finira par intégrer une classe préparatoire en France pendant deux ans, de laquelle école il sort major et réussit finalement au test d’entrée de la prestigieuse école polytechnique de Paris. Malheureusement, faute de moyens financiers pour couvrir les frais de scolarité, Erwin est de retour au bercail et se fait désormais du mouron car risquant de voir sa chance lui passer sous les yeux.
« Il ne faut point juger des gens sur l’apparence » disait Jean de la Fontaine. A première vue, l’homme n’affiche pratiquement rien d’exceptionnel. Dans des vêtements propres à tout jeune de sa génération, il ressemble à tout être ordinaire que l’on rencontre dans la vie de tous les jours. Et plus on l’observe, de par sa démarche, son regard vif, son sourire charmeur, le ton de sa voix qui indique tout de suite qu’il a fait un séjour en Europe et son visage poupin, plus on se sent conforté dans ses convictions, d’avoir affaire à un jeune qui croque la vie à pleine dent. Cependant, dès que l’occasion nous a été donné de savoir qui il est et ce qu’il fait, nous avons pris entièrement la mesure de l’adage qui dit : « l’habit ne fait pas le moine. »
Son enfance
Né d’un père ingénieur et d’une mère gestionnaire, Erwin a grandi dans le moule d’une éducation basée sur des valeurs de responsabilité et du sens élevé du travail et du respect de l’aîné. Son père nous confiera d’ailleurs « qu’Erwin n’était ni turbulent, ni difficile à éduquer. Tu traces une ligne à ne pas franchir, Erwin ne la franchira pas. Nous l’avons éduqué de sorte à ce qu’il respecte les autres ».
Comme tout enfant de son âge, Erwin fera un passage réussi sur les bancs de l’école primaire Bambi. « J’ai été troisième sur le plan national au Certificat d’études primaires élémentaires (CEPE) en 2013 », nous dit-il. Suite à cette brillante réussite, il fera son entrée au Prytanée militaire du Kadiogo pour y faire le secondaire. C’est le début d’une nouvelle vie pour le petit Erwin. Il doit désormais quitter le cocon familial pour sa nouvelle famille. Lui qui jusque-là avait eu une vie tranquille et paisible sans trop de remous, se posera mille et une fois la question de savoir dans quoi est ce qu’il est embarqué. Le « bleuissement » en classe de 6e (formation militaire des nouveaux qui dure 45 jours), le décrassage (sport matinal) de bonne heure, le largage (le fait pour un ancien de remettre son baluchon à laver à un plus jeune), les corvées-désherbages, etc. sont des mots qu’il découvrira non sans mal. La formation militaire est dantesque, le rythme est intense, les choses se font dans la célérité, la rigueur est de pointe. Nonobstant ces conditions, Erwin était toujours brillant en classe. Il n’aimait juste pas l’instruction militaire et même, « en 4e, il voulait rentrer à la maison. Je lui ai dit qu’après son Brevet d’étude du premier cycle (BEPC), on verrait dans quelle mesure cela est possible. Quand il a réussi, je lui ai encore dit de continuer parce que je ne connais pas une autre école qui forme mieux », confie son père. Il y restera finalement pour son second cycle.
Dès la rentrée, Erwin se fait désormais à l’idée que le PMK est son « terminus », comme quoi à défaut d’éviter quelque chose qu’on ne peut fuir, il faut tout simplement s’y conformer et faire avec. Il raflera de la classe de seconde à la terminale, tous les prix d’excellence en étant consécutivement major de sa promotion et meilleur élève du second cycle. Pour le lieutenant-colonel. Ismaël K. Diaouri commandant du PMK de l’époque « En plus d’être excellent, Erwin est un symbole d’humilité car il se bat pour que ses camarades puissent être éclairés sur les zones d’ombre », témoignait-il. Il réussira au bac « C » de l’année 2020 en se hissant à la première place au Burkina Faso avec une moyenne de 17,04.
Galères après le BAC
Son précieux baccalauréat en poche, Erwin Poussi recevra une offre de bourse militaire, pour poursuivre ses études, qu’il décline parce que les filières proposées ne lui convenaient pas. Son vœu le plus ardent est d’embrasser plus tard une carrière d’ingénieur en aérospatial (tout ce qui touche à l’aéronautique, la construction d’avions, de drones, de satellites, etc.).
Il a d’abord pensé que sa position de premier au bac devrait normalement suffire à obtenir une bourse pour intégrer une université polytechnique afin d’accomplir son rêve, mais grande fut sa déception de voir que l’Etat ne disposait pas de bourses à cet effet et proposait seulement des bourses nationales pour l’université Joseph Ki-Zerbo. Ainsi, après avoir cherché en vain une bourse qui lui permettrait d’entreprendre des études de son choix, Erwin compris que la meilleure manière de ne pas être déçu, c’est de compter sur soi-même car, plus le temps passe, plus ces chances d’être ingénieur s’amincissent.
Cet épisode de sa vie était épouvantable, fait-il savoir. « Je me suis senti frustré. C’est triste de voir qu’ici on ne valorise pas les plus méritants. Je ne sais pas ce que le Burkina a contre l’excellence. Ailleurs, l’accompagnement des meilleurs après le bac est immédiat ». Pour se tirer d’affaire, il entreprend donc de déposer ses dossiers dans un portail de Classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE). Malgré les excellents résultats qu’il a obtenus, sur les 30 écoles dans lesquelles il a postulé, seulement deux l’ont retenu. C’est ainsi qu’il rejoindra la France pour les classes préparatoires en Mathématiques physique et sciences de l’ingénieur (MPSI).
Deux ans en classe préparatoire
Erwin débarque en France avec un retard d’un mois. Il devra prendre le train en marche et s’adapter très vite au risque de faire une mauvaise entame et laisser filer entre ses doigts ses chances de devenir ingénieur. Il demande au proviseur de l’établissement une période d’adaptation afin de ne pas composer son devoir de mathématiques programmé quatre jours après son arrivée et cette dernière lui répond : « vous aurez une période d’adaptation, mais vous êtes tenu de composer les devoirs et vos notes compteront ».
La réponse du proviseur était claire et très vite, Erwin comprend qu’il est un test pour cette école. Déjà qu’une ivoirienne de la même école éprouvait d’énormes difficultés à tirer son épingle du jeu, le cliché selon lequel « les Africains n’ont pas le niveau requis pour les sciences » venait de prendre du poids. Entre la pression déjà latente au sujet des stéréotypes sur les Africains et les devoirs qu’il faut apprêter, l’ancien « pmkaliste » comprend que chaque seconde qui passe est un temps de perdu. Il passe alors des nuits blanches pour ne pas perdre la face.
Au vu de sa situation, certains enseignants jouent la carte de la clémence et proposent de diluer les devoirs qui seront concoctés spécialement pour lui, mais c’est sans connaître la détermination du jeune Burkinabè. « Mon professeur de chimie m’a dit de laisser tomber une bonne partie du cours pour me faciliter la tâche. Mais le problème c’est que moi, il ne faut pas me dire ça. C’est comme s’il veut dire que je ne suis pas à la hauteur », nous confie-t-il en arborant un large sourire. « Au devoir de mathématiques, j’ai eu un 15/20 et la meilleure note était de 16. Mon professeur m’a dit que c’était hallucinant ce que je venais de faire », lâche-t-il.
Au terme de la première année de MPSI, il intègre la classe de Maths physique étoile (MP étoile), classe réservée aux meilleurs élèves de la première année, là où le rythme de travail est infernal. « En MP étoile, on vous donne des sujets impossibles à traiter totalement. Celui qui fait ne serait-ce que la moitié du devoir a 20/20 et je puis vous assurer que réussir cette mission relève d’un parcours du combattant. Pourtant j’y suis arrivé et jusqu’aujourd’hui, à part moi, personne n’a réussi cet exploit depuis que cette école existe.
Les occidentaux n’en revenaient pas. Ils ne s’imaginaient pas qu’un Africain puisse faire ça. Au terme des deux semestres j’ai fini major avec respectivement 15 et 13 de moyenne. Il était impossible d’aller au-delà. J’ai passé les tests d’entrée dans les meilleures écoles de polytechnique de France. J’ai réussi tous les tests et j’ai opté de rejoindre l’Ecole polytechnique de Paris, la meilleure de toutes. Elle est même dans le top 50 de meilleures universités au monde dans le classement de Shanghai », assure Erwin Poussi.
Ses ambitions
Après ces deux années de classes préparatoires, Erwin est de retour avec l’espoir d’obtenir une bourse pour poursuivre ses études dans cette prestigieuse université française de renommée mondiale. Cependant, un problème se pose car les frais de scolarité de l’université s’élèvent à 38 000 euros pour les quatre années d’études qu’il doit faire. Il entend postuler aux bourses offertes pour les étudiants en classe préparatoire mais craint de passer à côté des offres qui seront proposées.
En effet, ils se retrouvent pour la bourse, en compétition avec des étudiants qui ont fait des écoles intégrées et dont la moyenne est de 15, 16, voire 17 ; mais dont la formation est totalement incomparable à celle qu’il a reçu. En sus, même s’il venait à en être bénéficiaire, les bourses mises sur le marché ont une valeur de 2 000 euros/an. Ce qui ne peut en aucun cas couvrir les frais de scolarité de l’Ecole polytechnique de Paris.
Pour l’instant, Erwin est de retour dans son pays natal et prie avec beaucoup de ferveur que le vent de la providence souffle en sa faveur et que l’Etat vole à son secours afin qu’il puisse poursuive ses études d’ingénieur en France. L’Etat devrait aussi faire quelque chose pour l’excellence intellectuelle en général.
Le concours de l’école polytechnique pour les étrangers a concerné 800 candidats de diverses nationalités dont des Chinois des Américains et autres Européens et des Africains venant du Maroc de la Côte d’Ivoire du Sénégal de la Tunisie et du Cameroun … pour 30 places offertes. Erwin a réussi à hisser le drapeau du Burkina lors de ce concours.
C’est une belle performance qui mérite d’être encouragée. Il faut voir en ce garçon un athlète qui a montré aux yeux du monde la qualité de notre système éducatif. Si l’Etat ne l’aide pas à poursuivre ses études à X (polytechnique), Philippe Ouédraogo restera toujours seul et solitaire comme Burkinabè à avoir fréquenté cette école, mais les mérites de sa réussite lui reviennent et à l’école nigérienne qui l’a formé. « Jamais le système éducatif burkinabè n’a formé d’élève qui soit passé par cette école polytechnique ». Faisons quelque chose pour l’excellence et saluons le mérite des enseignants qui l’ont formé.
Erwan Compaoré
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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