Le Mali a annoncé dimanche 15 mai 2022 son retrait du G5 Sahel. Dans cet entretien qu’il a accordé à Lefaso.net, l’analyste politique Siaka Coulibaly estime que ce retrait du Mali marque la fin de cette organisation.
Lefaso.net : La République du Mali a annoncé dimanche 15 mai 2022 son retrait de toutes les instances du G5 Sahel. Ce retrait était-il prévisible au regard de l’actualité récente avec Barkhane et la Force Takuba ?
Siaka Coulibaly : Le retrait du Mali du G5 Sahel me parait une surprise parce que les autorités de la transition avaient montré leur disponibilité à se maintenir dans les organisations internationales sous régionales malgré les tensions qui les opposent. Le Mali n’avait jamais envisagé de quitter la CEDEAO par exemple.
On pensait donc que le Mali serait resté dans le G5 Sahel en particulier parce que ce pays est le centre des opérations de plusieurs forces internationales contre le terrorisme. Le G5 Sahel ne me semble pas tout à fait comparable à la force Barkhane puisqu’il regroupe les pays ouest africains en proie au terrorisme et qu’il est un cadre de coopération entre les pays dans le domaine de la lutte anti-terroriste. Le G5 aurait très bien pu fonctionner sans la France si les Etats ouest africains en avaient décidé ainsi.
Ce retrait ne constitue-t-il pas un coup dur pour l’organisation ?
Le retrait du Mali du G5 Sahel marque la fin de cette organisation puisque les Etats membres n’ont pas su séparer la problématique de la lutte anti-terroriste des problèmes politiques au sein de la CEDEAO. Avec le départ de la France du Mali, le G5 avait déjà du plomb dans l’aile et était en état de mort cérébrale, pour emprunter le mot d’Emmanuel Macron concernant l’OTAN.
C’est la France qui animait le G5 Sahel, en particulier en faisant la jonction avec les autres pays pour la mobilisation des ressources financières. Il serait difficile que les pays africains membres réussissent à relancer l’organisation par eux-mêmes et, très probablement, d’autres organisations du même type prendront la place du G5 Sahel, matérialisant la fracture de l’espace CEDEAO sur le plan sécuritaire. Les alliances géopolitiques et militaires (Russie et Chine vs France et pays occidentaux) vont servir de fondements aux nouveaux regroupements sous régionaux qui verront le jour dans l’espace CEDEAO.
Ce retrait ne va-t-il pas impacter la lutte contre le terrorisme au Sahel ?
Depuis la brouille entre la France et le Mali, à partir de juin 2021, le G5 Sahel s’est sensiblement affaibli et cela a eu des impacts incalculables sur le terrorisme, surtout pour le Burkina Faso. En 2021, le Burkina Faso a connu environ 1 000 attaques terroristes, selon des experts bien informés. En 2022, de janvier à mai, ce pays a déjà enregistré 542 attaques.
Si le rythme des attaques se maintient, il est fort probable que le Burkina Faso connaisse un record d’attaques qui va le rapprocher de l’Afghanistan des dernières années. On voit bien que le sort du Mali et celui du Burkina Faso sont intimement liés du point de vue du terrorisme. Le retrait du Mali du G5 Sahel va désactiver tous les mécanismes opérationnels qui aidaient d’une manière ou d’une autre à la lutte contre les groupes armés terroristes. Le premier mécanisme est la coopération et les échanges d’informations entre les armées des pays membres.
La possibilité de pénétrer dans un territoire voisin pour poursuivre des terroristes ne pourra plus se faire. Surtout, les équipements et le savoir-faire maliens en cours de constitution ne sera pas capitalisé par les autres pays concernés par le terrorisme. A moins que les pays touchés par le terrorisme ne trouvent rapidement des moyens de remplacer le G5 Sahel, les impacts seront de plus en plus importants sur les pays membres.
Faut-il s’attendre à d’autres retraits dans les jours à venir ?
Cela est fort possible. Tout dépendra de l’évolution de la question sécuritaire et de la situation politique dans les pays de la sous-région. Si d’autres régimes solidaires du Mali apparaissent, il se pourrait que ces pays quittent le G5 Sahel, déjà inactif, pour de nouveaux regroupements sécuritaires. D’autre part, la France ne voudra certainement pas poursuivre l’expérience du G5 démembré et ayant un adversaire stratégique dans les pattes.
Sachez que du point de vue de la sécurité et du terrorisme, l’unité d’analyse et d’opération est l’ensemble du Sahel-Sahara, et non un des pays pris individuellement. Avec la poussée des mouvements « indépendantistes et panafricanistes » ou anti-français de plus en plus radicalisés en Afrique, la carte socio-politique de l’Afrique sub-saharienne pourrait être modifiée assez rapidement, le Mali actuel servant de référant et de pôle stratégique.
Le G5 Sahel a-t-il de l’avenir ?
J’ai déjà répondu à cette question. Le retour à un G5 Sahel semblable à celui de sa création en février 2014 semble plus qu’improbable. De nouveaux regroupements étant appelés à combler le vide créé par l’inactivation du G5 Sahel rendront la résurrection de cette organisation quasi impossible.
Entretien réalisé par Justine Bonkoungou
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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