Depuis l’apparition de la grippe aviaire au Burkina, en décembre 2021, plus rien ne va pour Moablaou SA. Ce complexe avicole, vieux de 35 ans, a perdu en trois semaines près de 200 000 poules pondeuses et poulettes. Un coup dur pour son promoteur Abou Simbel Ouattara qui a dû remercier une soixantaine de ses employés. Plus de quatre mois après, l’entreprise qui produisait près de 50% des œufs consommés au Burkina, est toujours dans l’attente d’un appui de l’Etat pour se remettre sur pied.

Lundi 9 mai 2022, il est 8 heures du matin. Habituellement bondé de revendeurs et revendeuses, le service commercial de l’entreprise Moablaou, situé à la Patte d’Oie, est fermé. Il n’y a pas un chat. Un drame a frappé l’entreprise. Il n’y a pas eu de mort d’homme, mais c’est tout comme. La grippe aviaire a décimé brutalement tout le cheptel causant des pertes de plus de 800 millions de francs CFA en pondeuses et plus de 3 milliards de production.

« Au moment où la maladie a frappé, nous étions à un peu moins de deux cent mille poules pondeuses avec une production journalière d’à peu près 150 000 œufs. Nous nous retrouvons avec zéro recette. Toutes les poules ne sont pas mortes le 17 décembre, mais c’est à cette date que nous avons fait le constat d’une mortalité anormale dans un de nos bâtiments », explique, dépité, Abou Simbel Ouattara, le promoteur du plus grand complexe avicole du Burkina, aujourd’hui en difficultés.

Abou Simbel Ouattara, P-DG de Moablaou SA, demande un accompagnement de l’Etat

« L’échec n’était pas une option »

Convaincu que c’est dans l’adversité que l’on se construit, Abou Simbel Ouattara était pourtant loin de s’imaginer que son entreprise créée avec 500 pondeuses en 1987 serait au bord de l’effondrement sept ans après avoir surmonté l’épidémie de grippe aviaire qui a ravagé son cheptel de 120 000 pondeuses en mars 2015. Il était néanmoins sûr d’une chose : en claquant en 1987 la porte de l’Office national des céréales (OFNACER) pour s’aventurer dans l’aviculture moderne, l’échec n’était pas une option même si le chemin serait parsemé de ronces.

Une promesse de relance

En mauvaise posture et sans un seul kopeck de l’Etat burkinabè qui loue pourtant le civisme fiscal de l’entreprise, Abou Simbel Ouattara réussit tout de même le sauvetage de son entreprise en 2015 grâce à l’assistance de proches, à ses fonds propres et à certaines banques. Mais en 2021, l’entreprise a grandi et les enjeux sont tout autres. Et la lueur d’espoir qui avait commencé à poindre à l’horizon, après une rencontre avec le ministre en charge de l’agriculture et des ressources animales du dernier gouvernement de Lassina Zerbo, laisse perplexe l’entrepreneur.

Une vue interne dans un des poulaillers industriels fermés avant l’épidémie de grippe aviaire

« Le ministre nous a fait l’honneur de nous recevoir mon adjointe et moi le 28 décembre soit onze jours après la catastrophe. Il nous a dit avoir reçu instruction de tout faire pour que l’entreprise ne coule pas du fait de la grippe aviaire. Nous avons reçu la consigne de ne licencier aucun membre du personnel, de ne faire aucune mise en chômage technique, car l’Etat allait réagir rapidement. Le ministre a demandé de lui fournir au plus tard le 7 janvier 2022, un dossier de relance. Ce dossier devrait nous permettre de chiffrer exactement quelles sont nos pertes et ce qu’il fallait pour la relance des activités, du poussin jusqu’à la production. Le ministre a ajouté qu’il fallait que ce dossier, en sa partie financière soit validée par notre expert-comptable. Et la partie technique qui concerne tout ce qui est aspect vétérinaire devait également être validée par les services publics vétérinaires », explique Abou Simbel Ouattara.

L’impasse

Ragaillardi après cet entretien, l’entrepreneur avicole reviendra le 7 janvier 2022, déposer le dossier de relance au secrétariat particulier du ministre. Pour la relance des activités, Abou Simbel Ouattara avait demandé près d’un milliard de francs CFA à l’Etat. Mais, coup de théâtre ! Dix-sept jours plus tard, un coup d’État renverse le gouvernement précoce du Dr Lassina Zerbo, le 24 janvier 2022. Abou Simbel Ouattara est dans l’impasse. Acculée, au regard des charges salariales qui s’élevaient à plus de 20 millions de francs CFA par mois, son entreprise parviendra tout de même à payer les salaires des employés au cours du mois de janvier. Le licenciement tant redouté des employés ne pouvait plus être reporté aux calendes grecques.

Le service commercial qui grouillait habituellement de monde est aujourd’hui désert

60 employés licenciés

« Nous nous sommes concertés pour voir quelle est l’attitude à prendre parce qu’après dix jours, il n’y avait pas de gouvernement et nous n’avions pas d’interlocuteur. Les secrétaires généraux expédiaient les affaires courantes uniquement. Nous étions donc dans l’obligation de commencer le processus de licenciement ou de mise en chômage technique du personnel. C’est ainsi que sur les 83 employés, 60 ont été licenciés et 10 ont été mis en chômage technique. Il ne reste plus que 13 personnes pour assurer le service minimum, notamment la maintenance des équipements de la ferme, qui rappelons-le, est une ferme industrielle », précise le promoteur de Moablaou SA.

Silence radio depuis deux mois

Sitôt après la formation du nouveau gouvernement de transition, Abou Simbel Ouattara dit avoir contacté le protocole du ministre de l’agriculture, des ressources animales et halieutiques afin d’obtenir une audience et ainsi relancer le dossier. Mais, jusqu’au 9 mai, jour de notre passage au siège de l’entreprise, les nouvelles autorités n’avaient pas réagi. Cette situation laisse perplexe M. Ouattara qui estime avoir été abandonné par son premier partenaire qu’est l’Etat. Cet Etat, à l’instar d’autres, dont la responsabilité est non seulement de lutter contre la grippe aviaire, mais aussi d’accompagner la relance des activités des victimes de cette maladie, comme prévu dans les textes et recommandations de l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

Le coup de pouce de trois banques

Au regard de l’urgence pour sauver son entreprise, Abou Simbel Ouattara a déjà contacté trois banques de la place pour l’accompagner. Sur la somme de 750 000 000 FCFA sollicitée auprès de ces banques à rembourser sur une période de 24 à 36 mois, 350 000 000 FCFA seulement ont été accordés à l’entreprise. « Toutes les banques demandaient si l’Etat allait faire quelque chose. La perte de production sur un exercice d’un an est évaluée à approximativement 3,2 milliards de francs CFA. Les banques peuvent-elles financer seules ce gap ? », s’interroge Abou Simbel Ouattara.

Abou Simbel Ouattara dit avoir obtenu un prêt de 350 millions de francs CFA sur les 700 millions demandés aux banques

Même si les 350 millions de francs CFA sont insuffisants pour lancer deux bandes de productions sur les quatre bandes que compte cette exploitation industrielle, il faut noter que l’entrepreneur a déjà reconstitué le premier bâtiment avec l’argent reçu et un apport personnel. Un premier lot de 60 000 poussins a été réceptionné le 8 mai dernier. Et il faudra attendre cinq mois pour avoir des œufs si tout se passe bien. Et pour y arriver, Abou Simbel Ouattara a annoncé déjà que le système de biosécurité a été renforcé afin de réduire les risques sanitaires, comme c’était le cas depuis 2015.

Donner un signal positif

« Je ne suis pas un oiseau de mauvais augure, mais s’il n’y a pas d’appui additionnel de l’Etat à celui des banques, je ne suis pas sûr que le miracle qui avait été fait en 2015 ait lieu. Je ne suis qu’un homme avec toutes ses limites », a déclaré Abou Simbel Ouattara qui souhaite que les autorités donnent un signal positif à tous ces jeunes qui voudraient se lancer dans la production animale moderne, mais qui hésitent toujours.

« Quand vous décidez de vous mettre en règle, de formaliser une entreprise et que vous ambitionnez d’être un phare pour la jeunesse, votre Etat ne doit pas vous tourner le dos. Notre entreprise contribue au trésor public et à la stabilité sociale par l’apport qu’elle fait en résorbant quelque peu le chômage. Quand vous voyez une jeune femme ou un jeune homme qui vient à pied acheter les œufs et que six mois après, elle ou il achète un vélo et une mobylette moins de deux ans après, vous ne pouvez qu’être fier. Mais, quand une telle catastrophe (grippe aviaire, NDLR) survient, votre première anxiété, c’est de savoir ce que vont devenir toutes ces personnes à qui on assurait la disponibilité du produit qui leur permettait d’avoir un revenu constant tous les douze mois de l’année », soutient Abou Simbel Moablaou.

Près de 200 000 œufs étaient produits chaque jour par la ferme Moablaou SA

« Le chef de l’Etat doit redonner espoir au secteur économique »

Selon lui, tous ceux qui ont créé des entreprises, qui travaillent la terre ou qui font de l’élevage sont profondément attachés à ce pays. Par conséquent, ils méritent un appui de l’Etat. « Tendre la main à cette grande majorité de Burkinabè est un signe qui laisse comprendre que le chef de l’État est un fils du pays qui n’ignore pas que 100% des Burkinabè sont d’origine fils de paysan. Autant le chef de l’Etat est sorti sur le terrain pour galvaniser les soldats, autant il doit redonner espoir au secteur économique. Nous avons besoin de signaux. Ce n’est pas uniquement de l’argent. Retenons qu’il n’y a pas deux États. Il n’y a pas un président pour la lutte contre l’insécurité et un autre président pour la vie ordinaire économique du pays. Malheureusement l’une de ces priorités ne peut attendre que l’autre soit totalement résolue avant son tour, sinon tout s’écroule », a conclu Abou Simbel Ouattara.

Dix régions sur treize touchées par la grippe aviaire au 21 février 2022

L’aviculture occupe une place de choix dans le sous-secteur de l’élevage, avec plus de 46 millions de têtes de volaille dénombrées en 2021. Les produits avicoles représentent 6% du PIB agricole. La grippe aviaire a mis à genou le secteur depuis quelques mois. De sept régions en début janvier, le Burkina Faso comptait à la date du 21 février 2022, dix régions touchées par l’épidémie. Aucun cas n’avait encore été détecté dans la région du Sahel, du Centre-nord et des Hauts-Bassins. Certains foyers étaient éteints notamment dans le Zoundwéogo, dans le Nahouri et la région de l’Est, où il n’y a pas eu d’évolution depuis l’annonce de l’épidémie en conseil des ministres, le 13 janvier 2022.

MOABLAOU SA s’est vu décernés plusieurs prix dont celui du Grand prix africain du meilleur promoteur dans le secteur avicole dans la zone UEMO

Agir et vite !

Dans une interview, accordée à notre confrère de Sidwaya, le directeur général des services vétérinaires, Dr Adama Maïga confiait que le plan de riposte qui a été élaboré avait besoin d’un financement. La recherche de financement était au point mort avec le changement de régime politique en janvier. L’Etat est interpellé, car si la riposte est, elle aussi, grippée, à quels saints vont se vouer les entrepreneurs avicoles de la trempe de Abou Simbel Ouattara, aujourd’hui désespérés. Il faut agir et vite.

HFB

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Quelques chiffres sur Moablaou SA

MOABLAOU SA dispose d’une usine d’aliments complets d’une capacité journalière de 120 tonnes.

Pour la production d’aliments pour son bétail, cette usine achète chaque année environ 6 000 tonnes de maïs jaune local, 2 000 tonnes de tourteau de soja, 1 000 tonnes de tourteau de coton à la SN-CITEC et 700 tonnes de coquilles d’huitre locales.


Chaque jour, environ 180 000 à 210 000 œufs sont produits dans des poulaillers industriels fermés et en atmosphère contrôlée. Son chiffre d’affaires oscille entre 2,5 et 3,5 milliards chaque année.

L’entreprise compte quatre grossistes et 1 200 distributeurs dont environ 800 femmes. Ces 1 200 distributeurs ont chacun au moins 4 collaborateurs pour le dispatching des œufs.

Le complexe avicole MOABLAOU SA produit chaque jour 16 à 20 tonnes d’engrais organique à partir des fientes brutes de son cheptel. Tous les agriculteurs de la région l’achètent depuis des années pour la fertilisation de leurs sols de production de céréales, de légumes et de fruits.

MOABLAOU SA, pour son fonctionnement consomme en moyenne 12 millions de francs CFA/mois en électricité de la Sonabel.

Le personnel de MOABLAOU SA, 83 salariés dont 17 contractuels, est composé d’agents aux profils multiples. Une vingtaine de salariés ont entre 10 et 27 ans d’ancienneté dans cette entreprise. Environ 30% de ce personnel a une formation universitaire supérieure : Doctorat, Master II, Licence, BTS, BAC. Les ouvriers avicoles complètent cet effectif pour toutes les tâches.

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Source: LeFaso.net