« Du fond du cœur aujourd’hui, je pense que si cela était à refaire les gens diraient de laisser Blaise Compaoré mourir au pouvoir. Nous sommes intervenus dans beaucoup de pays comme le Libéria car notre armée faisait partie de celles avec lesquelles il fallait composer ». Voici l’une des pensées du commissaire à la retraite Palguim Sambaré lors d’une interview accordée à Lefaso.net sur la crise sécuritaire au Burkina Faso. Il est actuellement commissaire à la Commission électorale nationale indépendante (CENI).
Lefaso.net : Selon vous, qu’est-ce qui jusqu’à présent n’a pas été fait dans la lutte antiterroriste au Burkina Faso ?
Palguim Sambaré : Le terrorisme est un phénomène pernicieux dont le but est de provoquer un choc, de traumatiser… tout en exploitant les faiblesses de nos États (mauvaise gestion, la disparité entre régions, divergences entre communautés…). Depuis son avènement en Algérie jusqu’à ce qu’il se manifeste au Mali, les pays du Sahel pensaient être à l’abri du danger. Lorsque le Mali a enregistré ses premières attaques, le Burkina disait que c’était l’affaire des Maliens. Aujourd’hui, nous sommes dans l’œil du cyclone.
Les pays côtiers (Côte-d’Ivoire, Ghana, Togo, Bénin) qui croyaient être épargnés sont désormais dans le viseur des terroristes. Même si l’on se rappelle du drame de Yirgou à partir duquel les choses se sont empirées, il y avait bien avant des signes qui présageaient malheureusement de tels évènements. Yirgou n’a fait que révéler au grand jour cette facette du pays qui était méconnue du public burkinabè.
Quand j’écoute les uns et les autres (surtout en cette période de transition) se plaindre du MPSR pour ce qui est de la résolution de l’insécurité, je pense qu’ils sous-estiment le problème en réalité. Lorsque les gens estiment que l’échéance de cinq mois proposée par le président Paul Henri Damiba est longue pour dresser un bilan de la situation sécuritaire, je réalise qu’ils n’ont rien compris. Car pour moi, cette échéance est même trop tôt pour se prononcer sur l’évolution de la crise sécuritaire. Parce que je vous le dis, ce n’est pas d’ici à dix ans que nous arriverons à bout de ce phénomène.
Quel est le pays qui est à l’abri de ce fléau aujourd’hui ? Même les plus grandes puissances (États-Unis, France…) ne sont pas épargnées malgré les moyens déployés. Avec l’arrivée récente de Wagner et autres, il y a un reflux des groupes armés vers l’Algérie qui a perdu ces jours-ci, sept de ses soldats. Pour ainsi dire qu’on ne vainc pas le terrorisme. C’est difficile de le vaincre mais on peut l’acculer au point de réduire au maximum sa capacité de nuisance. Nous allons vivre ainsi avec ce phénomène, de même que la génération à venir.
Donc c’est une lutte de longue haleine et ce n’est pas dans la précipitation qu’il faut la mener. Un autre aspect important à retenir est que l’action militaire à elle seule ne saurait résoudre la crise. Cela part du problème économique aux frustrations des populations (des Burkinabè qui se considèrent comme des citoyens de seconde zone). Il faut donc d’abord commencer à vaincre l’extrémisme violent dans l’esprit de ces personnes. Dans un État qui a vocation à devenir une nation, lorsqu’une partie de la population se sent marginalisée, le réflexe est normal. Cela constitue un terreau fertile qu’exploitent les extrémistes.
Il faut trouver d’autres de solutions à savoir comment combattre ce mal dans le cerveau des uns et des autres. Il y a aussi la culture qui est très importante dans cette lutte mais hélas négligée.
- « Il faut donc d’abord commencer par vaincre l’extrémisme violent dans l’esprit des personnes frustrées », estime Palguim Sambaré, commissaire à la CENI
Je ne défends pas le régime de Blaise Compaoré mais il faut reconnaître qu’il y avait une armée dans l’armée qui est le Régiment de sécurité présidentielle (RSP). Puisqu’avant l’arrivée des forces françaises, le RSP est intervenu au Mali pour freiner l’avancée des groupes terroristes. Parce qu’on avait une force en ce moment-là. Mais avec l’insurrection, on a jeté “l’eau du bain et le bébé”. Peut-être qu’il y avait d’autres raisons qui justifiaient cela, comme la peur de cette élite. Mais le fait de l’avoir déstructuré à cause d’une certaine méfiance, nous a affaiblis.
Comme je le dis ce sont les hommes ou les États qui, de façon maladroite, ouvrent la brèche au terrorisme. Parce qu’on aurait gardé uniquement ces hommes (sans les chefs) qui avaient de la compétence à travers leurs formations et expériences du terrain que ce que nous vivons actuellement se serait amoindri. Mais la transition issue de l’insurrection populaire jusqu’à l’arrivée du MPSR a affaibli l’armée et de façon générale, les forces de défense et de sécurité.
Est-ce à dire que si on reconstituait le RSP, le Burkina Faso s’en sortirait mieux dans la lutte antiterroriste ?
Ils sont déjà là mais l’esprit n’est plus le même. Car on sentait un groupe bien organisé et doté de moyens adéquats. Mais si les nouvelles autorités et celles qui vont suivre après les trois ans de transition mettent le paquet, connaissant le Burkinabè, je pense que le défi va être relevé. Ainsi, de nombreux déplacés internes pourront rejoindre leurs résidences habituelles.
J’insiste cependant, sur le fait qu’il s’agit d’une lutte de longue haleine. À la place du président Damiba, je n’aurai pas donné de date précise pour dresser un bilan. Je dirais simplement qu’à un moment donné on fera progressivement des bilans d’étape. Parce qu’en cinq mois, rien ne va fondamentalement changer. Mais je le comprends. Comme les attentes sont grandes et les populations attendent des résultats, il faut rassurer. Alors qu’il ne s’agit pas ici de faire des omelettes. Il faut par conséquent se réorganiser, s’adapter.
Des rumeurs disaient que le régime de Blaise Compaoré collaborait avec les terroristes, qu’en pensez-vous ?
En toute honnêteté, je ne peux pas nier. Puisqu’à l’époque j’étais encore en activité mais c’était de manière subtile. Même si on avait dit entre temps qu’on ne négociait pas avec les groupes armés, voici que cette option fait partie aujourd’hui des stratégies élaborées. Cependant, il faut savoir avec qui négocier. Puisque la plupart de ceux qui nous attaquent sont nos enfants. Ce ne sont plus des étrangers comme dans le passé. C’était donc une erreur de dire qu’on ne négociait pas. Puisque lorsque l’on fait la guerre, cela finit tôt ou tard par se terminer autour d’une table. Autant également adopter cette solution avant qu’il ne soit trop tard. Il ne faut pas attendre d’être acculé avant de chercher à négocier.
Depuis l’insurrection populaire jusqu’à nos jours, nous avons été très affaiblis. Parce que vous vous rappelez que malgré la taille de notre pays, on était respecté. Du fond du cœur aujourd’hui, je pense que si cela était à refaire les gens diraient de laisser Blaise Compaoré mourir au pouvoir. Nous sommes intervenus dans beaucoup de pays comme le Libéria car notre armée faisait partie de celles avec lesquelles il fallait composer. J’ai un peu de regrets mais je reste optimiste car je crois qu’on peut rebondir. Puisque ceux-là qui sont maintenant aux affaires sont pratiquement des anciens du RSP donc je pense qu’ils savent ce qu’il faut faire.
Toutefois, en tant que professionnel de la sécurité, je pense que c’est seulement dans un délai d’un an qu’on pourra être véritablement situé sur l’évolution de la crise sécuritaire. Et quand on parle de la durée de la transition et autres. Il ne s’agit pas seulement d’organiser des élections. Le Mali l’a fait mais qu’est-ce que cela a changé ? Autant assainir la situation sur tous les plans. Si on arrive à conduire normalement l’opération mains propres et les audits, vous verrez au bout des trois ans que beaucoup de choses vont changer.
La mal gouvernance est le nid du terrorisme : les uns mangent et les autres regardent, ainsi naissent les révolutions. Mais si on arrive à vider tous les dossiers de corruption, de détournement, de trafic de carburant et d’or…,(ce qui est du pain béni pour les terroristes) l’on peut s’attendre à des résultats.
- « La mal gouvernance est le nid du terrorisme », a indiqué Palguim Sambaré, ancien directeur de la police nationale
Que dites-vous des coopérations du Burkina pour répondre à la crise sécuritaire ?
Ce qui est sûr il faut d’abord qu’à l’interne, nous soyons forts. Si on arrive à bâtir notre cohésion et notre vivre ensemble-là, ce sera plus de 60% du travail qui aura déjà été fait. Quant au reste, l’apport des autres va consister à nous appuyer sur le plan technique, matériel etc. Je suis d’accord qu’il faut coopérer avec les autres, mais nous ne devons pas nous attendre à ce qu’ils viennent mourir à notre place pour défendre notre patrie. C’est vrai qu’il y a la force Barkhane qui intervient au Sahel et on a entendu dire qu’elle avait perdu plusieurs hommes. Mais combien de Sahéliens ont perdu la vie ?
Donc, à mon avis, même si on continue la coopération avec la France notre souveraineté doit prendre désormais le dessus. Et cela aura pour conséquence de diversifier nos relations avec d’autres pays. Je ne fais pas allusion à l’Union soviétique en parlant ainsi car la Russie n’est pas un messie. Quand les gens pensent qu’il faut chasser les Français pour que les Russes viennent, c’est un rêve ! Par contre il faut faire en sorte qu’un pays ne se croit pas indispensable à notre sécurité. Que personne n’ait ce monopole-là sur nous.
Cependant pour y arriver, il faut qu’il y ait la cohésion de sorte que le vivre-ensemble soit une réalité. Je suis fils de paysan et, dans le passé, je me souviens par exemple que les Bissa ne gardaient pas les bœufs. Chaque grande famille bissa avait son peulh à qui elle confiait la gestion du bétail. C’est vraiment en parfaite symbiose que les gens vivaient. Mais les vols de bétail, les braquages… sans oublier la mauvaise gestion de certains responsables de ce pays, ont au fur et à mesure depuis lors battu ce vivre-ensemble en brèche.
Est-ce que la politisation des chefs coutumiers n’est pas un frein à la promotion de ce vivre-ensemble tant recherché ?
Hélas oui ! Mais ce n’est pas seulement la chefferie coutumière. Le printemps des organisations de la société civile y contribue également. Le constat que nous faisons, malheureusement, est que la politique a perdu de sa noblesse. Car lorsque nous étions jeunes, les Gérard Kango et autres sont des gens qui, quand ils battaient leur campagne, mettaient “le mal de l’autre” comme on le dit vulgairement. Mais ce sont des personnes qui savaient faire la part des choses. Malgré les batailles politiques qui pouvaient les opposer, ils avaient des rapports, si bien qu’ils vivaient ensemble certains problèmes sociaux. Mais ces valeurs ont aujourd’hui disparu. Dès lors que des gens militent dans des partis politiques différents, ils se considèrent comme ennemis.
L’autre chose, c’est que la politique est devenue de nos jours une profession qui nourrit une catégorie d’hommes. Comment peut-on concevoir qu’un pays comme le Burkina Faso ait plus de 100 partis politiques ? Y-a-t-il 100 projets de société pour bâtir le Burkina Faso ? Alors qu’il n’y a même pas dix d’entre eux qui peuvent avoir au moins un élu national. Il faut donc y mettre de l’ordre. Les pays anglophones comme le Ghana par exemple, n’ont souvent pas plus de trois partis (la Gauche, la Droite et les Centristes).
Donc les OSC que j’appelle “OSCP” (Organisation de la société civile politisée) tout comme la chefferie qui est aujourd’hui prostituée, font du mal au pays. Car les bonnets des chefs coutumiers se distribuent au hasard de nos jours. Des chefs coutumiers que vous retrouvez dans des bars et autres alors que le chef, c’est quelqu’un de respectable qui incarne certaines valeurs… Mais quand aujourd’hui à cause de la politique chacun prend un petit bonnet et c’est parti, on contribue ainsi à affaiblir la chefferie au point d’instaurer la division.
C’est dommage que l’on assiste parfois à des affrontements dans des grands royaumes qui tournent au drame rien que pour des intérêts personnels. Vu que les nouvelles autorités ont institué un ministère chargé des affaires religieuses et coutumières, on espère que quelque chose sortira du bonnet. De par son organisation, le Ghana est pour moi un exemple à suivre en matière de chefferie coutumière.
Propos recueillis par Hamed NANEMA
Lefaso.net
Crédits photos : Auguste PARÉ
Source: LeFaso.net
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