La Loi n’aime pas, ne supporte pas, dans sa nature, de commencement et de nouveauté politiques (décisions, prises de pouvoir…) dont elle ne soit pas elle-même l’origine. Fonder c’est justifier en droit, légitimer et légaliser. Rien de politiquement nouveau s’il n’a pas de fondement juridique. Mais s’il y a bien une chose que la Loi n’a pas produite et commencée, c’est le vivre-ensemble politique ou le peuple.
Le peuple
Le contrat social ou politique par lequel des humains sont associés dans un Etat et forment une communauté politique n’est pas l’œuvre de la Loi, d’aucune loi. Autrement dit, une origine précède la Loi ou le Droit, et est commencement quasi-absolu, ex-nihilo, sans Dieu ni Loi, dont sans fondement juridique ; pour que, avant que le Droit puisse fonder et s’y fonder lui-même : c’est l’acte de naissance du peuple
Commencement quasi-absolu, car il faut commencer absolument, mais garder l’humilité de ne pas rivaliser avec la création divine : c’est pourquoi le contrat social reste une fiction. Le premier commencement ne peut donc pas être pur, il a l’imperfection de la fiction, d’un comme si.
Or les débats juridico-juridiques autour de l’intronisation du Lieutenant-Colonel DAMIBA par le Conseil Constitutionnel, malgré leurs opportunité, richesse et hauteur, occultent, masquent et manquent la dimension d’abord politique de cette décision institutionnelle. Il faut bien commencer à gouverner après la prise du pouvoir ; et quelle que puisse être la manière de commencer, avec ou sans la Loi, en respectant scrupuleusement la Loi ou en la déformant, détournant, contournant. Mais si l’enjeu et l’essentiel étaient de respecter la Loi dans sa pureté, le coup d’Etat lui-même n’aurait pas pu avoir lieu. Or il a lieu…
Les vertus du bricolage : la transition
La Loi donc a une origine qui n’est pas la sienne. On peut alors dire qu’elle est sans fondement, ou est fondée sur un illégal qui est le peuple dont elle n’est pas l’origine, le peuple qu’elle n’a pas créé, et dont l’existence ne peut pas se justifier par la Loi
On doit alors s’étonner, voire s’indigner que les ingénieurs et techniciens du Droit et de la Loi condamnent le coup d’Etat comme étant illégal, mais acceptent la Transition qui en découle comme son effet. Car, si l’on est rigoureux et cohérent dans le besoin juridique de tout fonder en politique, d’un acte illégal et condamné ne devrait pas pouvoir sortir quelque chose de légal. Qu’attendre de juridique et de légal de la Transition si elle est précédée de décisions juridiquement « catastrophiques » ? Pourquoi le retour à l’ordre légal ne serait-il pas immédiat, sans passer par la médiation de la Transition ?
C’est que de l’illégal peut naître du légal ; et d’une « catastrophe » un miracle ou un salut : exactement comme la Loi elle-même est née d’un commencement et d’une origine (le contrat social et le peuple) littéralement illégaux puisqu’ils sont avant toute loi.
Pour reprendre à Lévi-Strauss sa comparaison entre l’ingénieur et le bricoleur, le premier ayant la maîtrise de son ouvrage depuis la conception (l’origine) jusqu’à la production (la fin), tandis que le second ne dispose pour commencer que d’un ensemble de pièces éparses et hétéroclites sans origine déterminée (et peu importe de savoir d’où elles viennent), mais d’où peut sortir un produit parfait : si le juriste est un ingénieur du Droit et de la Loi, le dirigeant politique surtout putschiste est un bricoleur qui doit détourner du matériau légal existant pour exercer son pouvoir ; et de ce pouvoir, produire du nouveau : le changement que tout le monde attend.
Le changement
C’est la nouveauté. C’est le commencement pur qui n’est pas un recommencement (un deuxième ou nième commencement). C’est la refondation qui n’a rien à voir avec la fondation juridique qui recherche des fondements pour assurer une légitimité et une légalité. Refonder n’est pas fonder juridiquement, c’est un acte révolutionnaire ; et toute révolution politique est une refondation : c’est-à-dire l’imitation ou la répétition de l’origine et du commencement de la chose politique ; répétition de l’originaire sans aucune fiction ; retour au peuple comme retour sur terre, retour au sol/socle de la politique.
Dans MPSR il y a « restauration », pas « refondation ». Le changement qui vient ne sera pas révolutionnaire mais réformateur. C’est le seul changement que les Burkinabè veulent : que l’on change et fasse changer les autres et les choses, sans qu’eux-mêmes changent ; que l’on juge des ministres, des DG ou des douaniers corrompus, et qu’on les jettent en prison pour qu’ils applaudissent, sans songer à changer eux-mêmes, d’aucune manière ; que les dirigeants changent, mais pas eux.
Il est donc nécessaire et urgent de changer de mentalités pour refonder :
1. Tout le monde se lamente aujourd’hui de la faiblesse de nos institutions, alors qu’on a passé des années à créer des institutions parallèles ou des médiations dont le seul et unique but était le consensus mou, au lieu d’utiliser les institutions existantes pour les renforcer en résolvant les crises : le réflexe du recours aux « sages » a contribué à affaiblir les institutions qui ne servaient plus alors qu’à décorer le pays pour l’extérieur et l’étranger.
Pour exemple, les critiques et contestations pourtant pacifiques et légitimes qui étaient nées des irrégularités des dernières élections présidentielles avaient vite été auto-censurées et étouffées, sans consulter les institutions, au nom d’un consensus mou qui n’a fait qu’ajourner et amplifier les problèmes pour déboucher dans un coup d’Etat. Penser que des institutions puissent se renforcer et s’améliorer sans crise, c’est croire que les muscles saillants de Iron Bibi ont poussé tout seuls sans exercices ni efforts…
2. Les esprits ne sont pas prêts à se moderniser et à supporter les contraintes de la modernité (les désaccords argumentés, le conflit civilisé). On veut gouverner un Etat du 21è siècle comme nos anciens de la brousse et des villages règlent des conflits. Et l’on nous dit que c’est cela être Africains : comme si l’on ne pouvait pas être Africain ET moderne. Un pays de 20 millions d’habitants qui ignore ses intellectuels (sauf pour leurs titres) dans les moments critiques de la nation pour courtiser des stars de réseaux sociaux ne peut aller plus loin dans la véritable refondation.
3. A tort, on pense et dit que les problèmes du pays viennent des militaires seuls, puisque la fondation légale prime sur la refondation. Mais le dirigeant révolutionnaire qui viendra un jour (s’il vient), peu importe qu’il soit soldat ou civil : pourvu qu’il refonde la nation, y compris ses codes de fondation ou de légitimation.
Kwesi Debrsèoyir Christophe DABIRE
Source: LeFaso.net
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