Inspecteur d’éducation, Adam Régis Zougmoré occupe actuellement les fonctions de chargé de missions / portefeuille élection et préside les Compétences électorales africaines, une structure présente dans 14 pays et qui a vu le jour en avril 2016. Son expertise est connue de tous et il apporte beaucoup aux institutions. Il est conseiller technique électoral principal de IFES Burkina et également coordonnateur du Groupe d’observation et d’analyse politique et électoral du Burkina de la fondation Konrad Adenauer. C’est avec cette personne de ressources que nous avons déroulé notre entretien.

Lefaso.net : Qu’est-ce qu’une élection et quelle est son importance dans une démocratie ?

Adam Régis Zougmoré : Une élection est une consultation populaire qui permet aux citoyennes et aux citoyens de se prononcer sur le choix de candidates ou de candidats et de partis politiques qui proposent des idées et des programmes différents. Il faut également considérer qu’en plus des élections, il y a le référendum qui est comme une consultation populaire qui permet aux gens de faire l’option sur une question spécifique pour laquelle ils devront généralement répondre par « oui » ou par « non ».

Après avoir établi le régime politique qui devrait être en vigueur dans un État (monarchie constitutionnelle, démocratie représentative, régime parlementaire ou autre), une Constitution en fixe les principes généraux et les mécanismes internes. Au niveau des mécanismes internes, vous avez un parlement et son fonctionnement, la question de la séparation des pouvoirs, l’obligation de tenir des élections et leur fréquence. Vous avez également la charte des droits et libertés, etc.

À partir de ce cadre général, c’est la loi électorale qui définit les règles strictes qui encadrent tous les aspects des élections, comme le droit de vote à 18 ans ou les conditions pour devenir candidat. Dans les régimes démocratiques, les élections constituent la base même de l’accession au pouvoir. Elles garantissent le choix des citoyens, donne une légitimité aux élus et, partant, participent à la création d’institutions fortes. Une période électorale est marquée par un enchaînement d’étapes importantes : le déclenchement des élections, la révision de la liste électorale, la déclaration de candidature, le vote et, finalement, le résultat de l’élection.

En Afrique de l’ouest, ça semble être le printemps des coups d’État. comment en venir à bout ?

C’est vrai, d’aucuns parlent de printemps au sud du Sahara. Mais il faut le dire, ce n’est pas de gaieté de cœur que l’on assiste impuissant à ce retour en force des militaires au niveau des affaires. Nous pouvons dire à ce niveau qu’après la vague des essais démocratiques du début des années 1990, le déblocage au sommet de nos Etats continue, dans de nombreux cas, de s’effectuer sur le mode de la violence et des coups de forces.

Alors, la question méritoire qu’il revient de se poser, c’est : faut-il continuer avec ce type de démocratie électorale ? Ou faut-il engager suffisamment de réformes pour espérer un type nouveau de gouvernance vertueuse ? Ou alors se poser la question comment stopper le retour de la grande muette dans l’arène politique ?

Je crois que les Ouest africains doivent se décider et prendre enfin leur destin en main. Comme vous le savez, le développement ne s’importe pas, il se construit avec la participation de tous sans exclusive.

Pourquoi le retour des coups de forces dans nos Etats ?

Le premier mal, c’est la mal gouvernance. Dans cette mal gouvernance, on peut mettre beaucoup de choses. Vous avez par exemple le non-respect de la proportionnelle sociale (place des jeunes et des femmes) ; la politisation exacerbée de l’administration publique ; la naissance des clans pour le contrôle des marchés et la confiscation des attributs de l’Etat par un groupe d’individus, favorisant ainsi le développement d’un système de monopoles ; les marchés gré à gré et la création de nouveaux riches ; ce qui tue l’économie et l’égalité des chances dans l’offre des services. En plus de tout cela, vous avez une main basse sur toute l’économie du pays et la naissance de nébuleuses et autres galaxies qui domptent tout et avec une capacité de neutralisation sans faille de la vie économique. Également, il y a un environnement nouveau où le politique et l’économique sont imbriqués : ce sont les politiques qui deviennent de riches hommes d’affaires.

Le deuxième mal que l’on peut noter, c’est l’existence d’une une élite bourgeoise sécrétée. La démocratie, c’est un système qui prône les libertés mais si elle est mal gérée, elle secrète ce qu’on appelle une élite bourgeoise. Les gouvernants élus fixent les bases de leurs traitements (salaires, indemnités, frais de sessions, primes de risques, frais de vie, frais médicaux, approvisionnement des domiciles, prime de première dame, et autres frais de vacances….). En ce moment, les règles de jeux sont verrouillées, on choisit toujours dans la famille ou dans le cercle fermé des intimes… Les concurrents dans ces conditions sont neutralisés, et les moyens sont mis en œuvre pour contrôler l’émergence des citoyens, d’où certains abus judiciaires. Pour qu’on soit confortablement accepté, il y a un réseau international pour la défense des intérêts qui s’est créé. Également, les journalistes sont à leur disposition, s’ils ne sont pas propriétaires de médias. Vous avez également en troisième, ce que nous pouvons appeler l’absence de vision des gouvernants.

En troisième position, il y a ce que nous pouvons appeler l’absence de vision des gouvernants pour leur pays. Conséquences, vous aurez un manque de vision holistique pour les questions sécuritaires, la préférence pour nos gouvernants de se soigner à l’extérieur, un manque de stratégie innovante dans la mobilisation des ressources ; le maintien des rapports avec les puissances étrangères et le refus de s’assumer, la durée des mandats et le cercle infernal des élections. Pour les pays pauvres où chaque année il y a des élections, cela pose un problème véritable.

Enfin, on peut relever le fait que la société civile est politisée avec des droits débordants. La vocation première des OSC est d’agir comme un groupe de pression pour influencer les politiques gouvernementales dans un sens favorable aux intérêts des populations. Ce rôle jadis noble est dépassé et on a en face des « OSC Mutant X » qui s’accaparent des actions, et jouent des rôles fortement politiques. Cela a pour conséquence la non maitrise des missions et impacte du même coup le comportement citoyen qui se trouve désormais convaincu qu’il a plus de droits que de devoirs. D’où la nécessité de créer des coalitions dans l’espace CEDEAO pour s’attaquer aux nombreux maux que vivent les populations (exemple de la coalition des 19 OSC contre les troisièmes mandats).

Quels sont les éléments qui garantissent la qualité d’une élection ?

Pour qu’une élection soit crédible, les acteurs doivent s’efforcer d’y mettre beaucoup de professionnalisme. Je commence déjà au niveau de la CENI. Une élection de qualité commence par le bras organisationnel, à savoir la CENI. Il faut une CENI professionnelle. Au niveau des partis politiques, il faut également que nous ayons un paysage assaini. Des partis politiques et des candidats responsables. En outre, il faut des électeurs éduqués et sensibilisés. A l’international, nous avons ce qu’on appelle les critères libres et équitables. Je vais résumer cela à travers les deux schémas ci-dessous :





Qu’elles sont les types d’élections qui existent à travers le monde ?

Ce qui est connu et commun, ce sont les élections présidentielles, législatives, régionales, départementales et municipales. Mais, il faut noter que dans les pays développés, il y a également des élections au sein des structures supra nationales. Par exemple, en Europe, il y a ce qu’on appelle les élections européennes. Au niveau des organisations comme l’Union africaine, et la CEDEAO, il y a des élections pour élire les commissaires et autres.

En tant qu’expert électoral, qu’est-ce que vous suggérez au MPSR pour éviter les erreurs des transitions précédentes ?

Le Burkina est un pays béni parce que nous avons toujours en notre sein des réponses aux différentes difficultés. L’avènement du MPSR devrait arriver un peu plus tôt mais ce n’est pas grave. L’essentiel, c’est de planter les défis et d’apporter des réponses résilientes. Aujourd’hui, ce que nous avons comme proposition à faire, c’est d’abord dans le choix des hommes pour une véritable refondation.

Tout commence par là. Il s’agit de renforcer la confiance citoyenne en choisissant des hommes et des femmes d’une certaine probité. Le peuple ne voulant plus voir, même en photo, les anciens politiciens et autres acrobates et équilibristes. Nous recommandons également au MPSR de résister au piège de la durée de la transition, de suspendre la charte des partis politiques et d’imprimer une dynamique nouvelle de création de partis politiques, d’intégrer la restauration du territoire, la réinstallation progressive des personnes déplacées internes avec un projet solide de sécurisation et de relèvement.

Ce que je souhaite et je propose encore aux nouvelles autorités, c’est d’entreprendre des réformes courageuses pour dépolitiser l’administration publique ; de lutter contre la corruption, de juger tous les dossiers pendants, d’instaurer la culture de l’intégrité, du civisme, du sens du devoir et de la responsabilité à tous les niveaux de l’Etat. Puisqu’il s’agit d’une transition, une autre proposition que nous apportons, c’est d’organiser des élections générales et le référendum à la fin de la transition, suivant toujours la logique séquentielle aux fins de parfaites organisations. Si ces éléments sont pris en compte, il faut enfin revoir l’organigramme des ministères pour les rendre plus opérationnels et productifs au service d’une nation forte et valeureuse.

Votre mot de fin…

Il faut que l’ensemble des citoyens réponde présent à l’appel du MPSR. Il faut aussi qu’ils quittent les carcans de la critique facile. Il nous faut maintenant, main dans la main, accepter ce qui est dur, supporter ce qui est dur et d’avoir maintenant un pays qui est sur les rails de son développement.

Interview réalisée par Aïssata Laure G. Sidibé

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Source: LeFaso.net