La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a suspendu le Burkina Faso de ses instances ce vendredi 28 janvier 2022, suite au coup d’Etat orchestré par le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR). Cette décision est tombée en prélude d’une rencontre d’une mission de l’organisation avec la junte et un sommet extraordinaire le 3 février 2022 par les chefs d’Etats. Le diplomate de formation et spécialiste des relations internationales, Oumarou Paul Koalaga, a répondu à nos questions. Il est par ailleurs le directeur exécutif de l’Institut de stratégie et de relations internationales (ISRI).

Lefaso.net : Nombreux sont ceux qui s’attendaient à des sanctions plus lourdes qu’une simple suspension des instances de la CEDEAO. Qu’est-ce qui peut expliquer cela ?

Oumarou Paul Koalaga : Il faut rappeler que cette organisation sous régionale n’existe avant tout que par la volonté des États qui ont décidé de transférer une partie de leur souveraineté notamment sur les questions sécuritaires, de gouvernance, de démocratie. Aussi, elle intervient en accord avec le Conseil de sécurité des nations unies au titre du chapitre 8 qui établit une collaboration entre les Nations unies et l’organisation sous régionale pour traiter au niveau des régions les questions de conflits et de paix.

C’est dans ce cadre que le CEDEAO agit lorsqu’un pays est dans une situation pareille comme celle que nous vivons actuellement. Il y a un certain nombre de principes sur lesquels l’organisation agit. Ce qui fait que lorsqu’un coup d’État intervient dans un pays, c’est une violation de principe de la CEDEAO. Cet État est exclu de ces instances dans un premier temps par la CEDEAO.

Mais avant, il y a une condamnation de principe lorsque le coup d’État intervient. C’est ce qui s’est passé jusqu’à présent et la réunion de la CEDEAO d’aujourd’hui consistait à constater les faits et à prononcer les sanctions. Après, elle va dépêcher des émissaires.

Une mission composée des civils et militaires doit venir à Ouagadougou pour rencontrer le MPSR. A quoi doit-on s’attendre ?

Ceux qui connaissent le fonctionnement de la CEDEAO savent très bien que les sanctions font parties des outils auxquels elle a recours pour sanctionner les Etats qui violent ses principes intérieurs. Après cette sanction de façon expresse, elle va demander aux militaires qui ont pris le pouvoir de revenir à l’ordre constitutionnel. Je pense que la junte a anticipé cela par sa première adresse la veille de la réunion de la CEDEAO. C’était en fait le premier message que la junte militaire a envoyé à la CEDEAO pour décliner plus ou moins sa posture avant cette réunion.

Les premières sanctions ne sont pas aussi lourdes comme on le croirait. Ce sont des sanctions de principes. On va déjà exclure l’État des instances mais elle n’est pas exclue de la CEDEAO. C’est une première étape. Ensuite, une deuxième réunion va se tenir après l’envoi des émissaires militaires et civils qui vont arriver dans le pays et vont échanger, essayer de comprendre l’ensemble de tous les contours de ce qui a amené les militaires à prendre le pouvoir. En dehors des acteurs directs, c’est à dire les militaires, les émissaires vont écouter d’autres acteurs à savoir les hommes politiques, la société civile, les autorités religieuses, coutumières, les personnes ressources, etc.

A l’issue de cette rencontre, un rapport sera adressé à la commission de la CEDEAO et aux premiers responsables des Etats qui vont se réunir. Il faut rappeler que cette étape est d’autant plus importante qu’elle offre l’opportunité à la junte d’expliquer largement sa vision des choses et comment elle compte procéder.

Enfin, la rencontre de la CEDEAO la semaine prochaine va statuer au regard du rapport des émissaires.

Doit-on craindre le communiqué final du sommet du 3 février 2022 sur le Burkina Faso ?

Le communiqué final de la rencontre du 3 février va être le reflet des différentes rencontres que les émissaires auront avec les différentes parties prenantes, et le niveau d’appréciation va dépendre des gages et des engagements que la junte va prendre auprès des émissaires de la CEDEAO, notamment en évaluant le contexte. Donc ils vont faire une analyse de la situation et prendre en compte quelques promesses, l’intention de la junte pour un retour à l’ordre constitutionnel.

Actuellement, quelle doit être l’attitude du MPSR afin d’éviter d’autres sanctions ?

La junte est très consciente du fait qu’aujourd’hui, les choses vont se faire dans les instances sans le Burkina Faso. Après la rencontre avec les émissaires, après avoir expliqué les objectifs, l’orientation et comment elle compte revenir au sein de ces instances, il faut des engagements précis sans chercher à faire du dilatoire, à vouloir ruser avec les experts.

Cela pourrait être dommageable à l’image de ce qu’on connaît avec certains pays voisins. Ce qu’il faut faire, c’est expliquer clairement les choses et demander un accompagnement. La junte doit savoir que les sanctions qui doivent suivre après vont d’abord cibler les personnalités de la transition pour mettre la pression sur elles. Si elles montrent de bons gages, elles vont éviter d’autres sanctions.

Dans le cas d’espèce, mieux vaut montrer une bonne volonté de sortie de crise. Si on n’est pas dans une posture de bras de fer, les choses devraient pouvoir aller. Je pense que la junte doit pouvoir s’entourer de diplomates aguerris pour les conseiller à mieux négocier avec la CEDEAO afin d’éviter des sanctions plus lourdes avec des conséquences comme ce qu’on voit au Mali. Tout dépendra de l’esprit des préparatifs de cette rencontre. Tout est possible ! La CEDEAO est généralement flexible jusqu’à ce qu’on montre des signes de ne pas vouloir respecter les engagements pris.

Propos recueillis par Cryspin Laoundiki

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Source: LeFaso.net