Alpha Condé, l’opposant légendaire à Sékou Touré, finit comme Laurent Gbagbo, avec des images dégradantes de sa chute sur les réseaux sociaux. Ce peu d’égard pour l’image de la fonction présidentielle témoigne de la très faible considération des droits humains des soldats qui viennent de prendre le pouvoir ce 5 septembre 2021 à Conakry, sans effusion de sang pour ce que l’on en sait. Mais les menaces à considérer comme rebelles ceux qui ne répondraient pas aux appels du Conseil national de redressement pour le développement font trembler. Les coups d’État sont à condamner sans aucun doute, mais Alpha Condé est aussi responsable de ce qui lui arrive.
Les présidents africains ne savent pas quitter le pouvoir. Partir dans l’honneur et la dignité ne semble pas être une préoccupation pour ces responsables qui sont toujours surpris par la perte du pouvoir. Les politiciens africains pensent que le pouvoir ne se quitte pas. Généralisation hâtive peut-être, mais ils se comptent sur les bouts des doigts en Afrique de l’Ouest, ceux qui ont regardé les ors de la République et ont dit : « merci, j’ai fait mon temps ». Ceux qui ont reconnu que le service de diriger au nom du peuple, doit se partager, et rester limité dans le temps de deux mandats.
Commençons par le dernier qui est parti la tête haute : Mahamadou Issoufou du Niger, Alpha Konaré du Mali, Abdou Diouf du Sénégal, et son prédécesseur Léopold Sédar Senghor et la légende des légendes, Nelson Mandela, qui a décidé de faire un seul mandat. Tant qu’on est au pouvoir on y reste, ont chanté la plupart des dirigeants africains. Alors on modifie la constitution pour un troisième mandat, et ainsi de suite. Jusqu’à ce que les rues s’emplissent de manifestants où que l’armée s’en mêle et les débarque.
Le président Alpha Condé est arrivé au pouvoir il y a une dizaine d’années après avoir traversé beaucoup d’épreuves dans la vie : condamné à mort par contumace par Sékou Touré, l’ancien président de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF) va vivre en exil, jusqu’à la mort de Sékou Touré et connaître la prison à son retour en Guinée, du fait du général Conté contre lequel il s’est présenté par deux fois. Ce dernier le jettera en prison en 1998.
C’est la troisième participation de Condé à l’élection présidentielle qui sera la bonne en 2010. Alpha Condé arrive deuxième au premier tour avec seulement 18,25% des voix, et au terme d’une terrible « remontada », gagne le second tour qui se déroule quatre mois plus tard au lieu de deux semaines, contre son adversaire arrivé premier Cellou Dalein Diallo avec 43,60 % et qui a bénéficié du soutien du troisième Sydia Touré qui avait obtenu 13,03 % des voix.
Cette victoire improbable qui défie les lois de la statistique et ressemble plus à un hold-up électoral marquera au fer rouge les années de pouvoir d’Alpha Condé. Comme dirait son ami Laurent Gbagbo, c’est une élection calamiteuse. En 2015, la machine électorale à frauder de Condé se perfectionne, et il passe dès le premier tour.
La malédiction des troisièmes mandats
Si M. Condé avait une once de sagesse, il en serait resté là. Mais il modifie la constitution pour un troisième mandat en 2020, tripatouille le fichier électoral et organise des élections meurtrières pour rester au pouvoir. Celui que les Guinéens appellent le plus Burkinabè des Guinéens aurait dû tirer leçon de la chute de son ami Blaise Compaoré, chassé du pouvoir par une insurrection pour avoir voulu modifier la constitution.
Mais non, il n’a plus ses réflexes d’étudiant éclairé. Alpha Condé incarne parfaitement le modèle de vieux qui trahissent et détestent ce pour quoi ils se sont battus dans leur jeunesse. D’anti colonialiste et anti impérialiste, Alpha Condé a dirigé la Guinée comme un valet des puissances étrangères et des groupes capitalistes comme le groupe Bolloré à qui il cède le port de Conakry dans des conditions obscures.
La Guinée connaît sous sa direction une croissance du fait de l’exploitation minière, mais la croissance sous le professeur Condé ne profite pas aux Guinéens. Comment aimer une démocratie qui n’apporte rien dans le panier de la ménagère ? Comment aimer un pouvoir civil corrompu ?
En refusant la démocratie et le partage du pouvoir en ostracisant l’opposition, le pouvoir de Condé était isolé de la population. Et avec ce coup d’État, l’armée aussi a abandonné le président Condé.
Le colonel Doumbouya Mamady qui prend le pouvoir n’a pas besoin de se casser la tête pour trouver des justificatifs à son putsch, il lui suffit de regarder le bilan de celui à qui il rendait les hommages lors des défilés de l’indépendance. La Guinée, comme aucun pays africain, ne peut se développer par des coups d’État. C’est un moment triste pour l’Afrique, c’est un recul.
Ce sera du temps précieux à palabrer avec les putschistes pour qu’ils remettent le pouvoir aux civils suivant le modèle de la transition malienne qui fera école. Les militaires vont vouloir goûter aux délices du pouvoir et très vite les politiciens opportunistes qui savent qu’ils ne peuvent pas gagner une élection se rapprocheront d’eux pour les conseiller à ruser avec la CEDEAO et la communauté internationale pour rester au pouvoir et faire du Condé sans Condé : la corruption, la gabegie et tout ce que le message du CNRD a dénoncé.
Les peuples africains doivent trouver les solutions à la corruption des dirigeants, pour que la misère des populations diminue. Les changements de régime par élection ou coups d’États ne sont pas un moyen. Juger les dirigeants corrompus et criminels est la voie qui a été la moins employée, car les politiciens n’en veulent pas et crient en chœur contre l’éventualité de passer en justice.
Sana Guy
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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