Les populations de la province du Loroum, dans la région du nord, ont manifesté ce samedi 26 juin 2021 à Titao (chef-lieu de ladite localité) pour dénoncer « l’inertie des autorités et la gestion catastrophique » des questions sécuritaires. Depuis trois ans maintenant, la province, frontalière à la République du Mali, ploie sous le poids de l’insécurité, réduisant toute la province à une portion congrue d’une partie du territoire communal de la ville de Titao. Les attaques ont fait d’innombrables morts, blessés et des pertes matérielles. Pas plus tard d’ailleurs que dans la nuit de samedi 26 juin, soit quelques heures seulement après la marche, une attaque a été perpétrée contre le village de Bouna, faisant, selon des sources, trois morts et des populations en mouvement ce dimanche sur Titao.
En cette matinée de samedi 26 juin 2021, sur initiative des organisations de jeunesse, des autorités coutumières et religieuses…, la mobilisation a été monstre. « Tout Loroum s’est vidé », comme le qualifie un des responsables à l’organisation pour qui, c’est un sursaut pour la survie. A cette population, se sont joints des ressortissants mobilisés de Ouagadougou, Bobo-Dioulasso et de plusieurs autres villes du pays et de la diaspora. Les manifestants sont de tous âges et dominés par les femmes, avec parfois des enfants au dos ou en mains.
Parmi les marcheurs, ces vieilles femmes, dont certaines tiennent à peine sur les jambes. Trois tentatives d’arracher des mots au cours de la marche se sont soldées par des larmes des interlocutrices. « Lorsqu’on tue vos enfants, votre mari et qu’on occupe vos localités, que vous fuyez sans prendre le moindre effet, que vous vous retrouvez en terre inconnue, sans possibilité d’un retour pour faire le deuil et pouvoir reprendre une autre vie, vous avez tout perdu dans ce monde », confie cette vieille, les mains sur les genoux, en train de récupérer avant de reprendre la marche.
« Nous disons au gouvernement d’avoir peur de Dieu, d’avoir pitié des populations et de se mettre au sérieux pour lutter contre le phénomène. Si le gouvernement s’amuse, les gens n’ont pas pu cultiver, la faim là va créer d’autres soucis à ce pays. Si rien n’est fait, on va tous se retrouver à Ouagadougou », avertit un jeune manifestant. Ici, et à l’image de ces deux interlocuteurs, chacun a son histoire, sa douleur et sa perception désormais de l’avenir. Le message des pancartes, pour ceux qui arrivent à porter leurs messages par écrits, est un autre pan des ressentiments.
« Cela fait trois ans que nous n’arrivons plus à cultiver, parce que les terroristes tuent nos fils. Nous demandons au gouvernement un détachement militaire et nous voulons des renforts pour qu’on aille ramener nos VDP qui sont pris en tenaille par les terroristes au front. Nous avons des VDP qui sont allés combattre contre les terroristes, mais les terroristes étaient lourdement armés, si bien que certains de nos VDP sont tombés, certains sont revenus, d’autres sont blessés et restent toujours dans la brousse. Jusqu’à présent, ils nous appellent pour dire qu’ils sont vivants. Nous avons demandé du renfort à l’armée pour aller les chercher. Jusqu’à présent, rien ! Pas de réaction de l’armée », explique le porte-parole des manifestants, Lassané Kagoné, par ailleurs président du Conseil provincial de la jeunesse du Loroum.
- Les VDP demandent un appui de l’armée pour aller ramasser les corps, les enterrer et pouvoir répondre les combats.
Le Haut-commissariat, témoin de la douleur ressentie des victimes !
Malgré la marée humaine, la marche s’est achevée sans dommage humain. Ce qui a réjoui plus d’un participant, en premiers, les organisateurs. « On rend grâce à Dieu pour avoir permis une marche dans la paix », salue ce membre de l’équipe de l’organisation.
« Le renforcement du dispositif sécuritaire par un détachement militaire et l’équipement conséquent des Volontaires pour la défense de la Partie (VDP) en moyens matériels, le soutien des personnes déplacées internes, constituées en majorité de femmes et d’enfants » sont la principale demande de cette population, transmise au Haut-commissariat où l’immense foule a marqué un arrêt pour remettre la plateforme des forces-vives de la province.
Là, c’est le secrétaire général de la province qui va recevoir le message, le haut-commissaire (représentant de l’Etat à l’échelle de la province) étant absent. Selon les informations, il était à Ouahigouya pour la cérémonie inaugurale des rencontres communales sur la réconciliation nationale qui était présidée par le Premier ministre. Une absence que certains manifestants ont mal interprétée. Pour eux, la situation était suffisamment grave pour qu’il (le haut-commissaire) choisisse de participer à une activité mondaine et de snober ainsi la souffrance des populations dont il a pourtant en charge l’administration.
C’est après le départ de la grande partie de la foule que des manifestants, en grande partie des femmes, n’ont pas pu se retenir. Ils ont ainsi forcé des portes du bâtiment et la climatisation. Une colère vite maîtrisée par des organisateurs, évitant l’incendie du bâtiment et l’endommagement du matériel. « La plupart de ceux qui ont manifesté la furie au Haut-commissariat sont les victimes des dernières attaques, qui viennent d’arriver, sans soutien et sans oreille attentive de la part de l’autorité.
C’est cela qui explique leur débordement. L’émotion est encore vive en elles, elles ont perdu enfants et maris. Vous avez, vous-mêmes, été témoins de la mobilisation exceptionnelle des femmes, et lorsqu’une femme est déterminée, rien ne peut l’arrêter, quand vous tentez de lui parler, elle s’effondre en pleurs. C’était vraiment compliqué de contenir ces vieilles femmes en larmes. Heureusement, le pire a été évité et tout fini bien », explique un des marcheurs, qui faisait office d’élément de sécurité et ayant intervenu pour calmer les ardeurs.
Au cours du meeting qui a clos la marche, plusieurs intervenants et messages se sont fait entendre. Parmi ceux-ci, des réactions à la sortie du ministre de la Sécurité lors du Conseil des ministres du 23 juin 2021, au cours duquel, il posait la reconnaissance de certains VDP (référence faite à cette vidéo des VDP du Loroum). Les mots n’ont pas été tendres envers la gouvernance actuelle.
En effet, des Volontaires pour la défense de la Patrie (VDP), lors d’une sortie de libération de citoyens et de bétails enlevés et emportés par des terroristes, le lundi, 21 juin 2021, dans une zone contrôlée par ces forces du mal, sont tombés dans une embuscade, faisant de nombreux morts et disparus. Les six leaders VDP, dont Soumaïla Ganamé dit Ladji Yôrô, très bien connu et respecté dans la localité, ont fait une vidéo (qui a fait le tour des réseaux sociaux) pour interpeller les autorités sous fond de questionnements. Rappelons que Yôrô, ce leader VDP a été, selon des informations, reçu plusieurs fois par le président Roch Kaboré, mais aucune suite conséquente de la part de l’autorité.
« Sans Ladji, le Loroum tombait ! Ladji a fait plus de 100 sorties de combats »
La réaction du ministre de la Sécurité est une déception donc au Loroum, à commencer par les VDP. « Il y a un problème et le gouvernement est incapable de venir le résoudre. Les gens sont tués, le territoire de la province est occupé, le gouvernement dort toujours. (…) Nous avons nos VDP qui nous défendent contre les terroristes et des ministres se permettent de sortir dire qu’ils ne les connaissent pas. N’eût été les VDP, toute la province avait disparu. Il (ministre de la Sécurité) sait comment ils se sacrifient dans la défense de la patrie ? Certains ont quitté des pays lointains, ont laissé leur travail et leur confort là-bas pour venir défendre la patrie. C’est ça l’intégrité, c’est ça le patriotisme, c’est le Burkindlim », clame un jeune volontaire, qui souligne cependant que ces propos du ministre sont loin de leur faire baisser les bras.
- Abdoulaye Ouédraogo, porte-parole des ressortissants à la marche
« Si quelqu’un risque sa vie, vend sa vie, pour défendre la Patrie et un ministre fait une sortie médiatique pour dire qu’il n’est pas au courant de lui, nous sommes résolus à dire que le Burkina n’existe plus. (…). Nous voulons qu’on nous dise la vérité ; s’ils (dirigeants) ont vendu le Loroum, qu’on nous dise, on va se chercher », rétorquent des VDP.
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« Nous avons vraiment besoin d’appuis. Au temps de la Révolution, on avait des CDR, le peuple était mobilisé pour défendre la Patrie. Nous avons besoin de la même mobilisation aujourd’hui pour défendre la Patrie. Ladji (Soumaïla Ganamé dit Ladji Yôrô) est connu, il a eu des audiences avec le président du Faso. Sans Ladji, le Loroum tombait ! Ladji accompagne l’armée ! Ladji a fait plus de 100 sorties de combats. On n’a pas besoin de défendre Ladji pour dire qu’il est connu ou n’est pas connu ! Sur cette question, il n’y a même pas de débats, nous, nous soutenons Ladji. Nous reconnaissons Ladji et nous sommes tous derrière Ladji. (..).
Aujourd’hui, on ne peut même pas faire le bilan des morts (de l’embuscade du 21 juin, ndlr), il y a des blessés qui sont restés en brousse et qui appellent les Ladji-là pour dire : nous sommes blessés, mais ce n’est même plus la peine de venir nous chercher parce que les terroristes sont à 100 mètres. Pouvez-vous comprendre ça ! Dans l’immédiat, nous voulons qu’on nous accompagne pour aller chercher les corps qui sont dans la brousse ; il y a des morts et des blessés (de l’embuscade du 21 juin) qui sont dans la brousse », se lâche le porte-parole des ressortissants du Loroum au Burkina et à la diaspora, Abdoulaye Ouédraogo, par ailleurs vice-président de l’association pour le développement de la province du Loroum (ADPL).
Il explique qu’après une rencontre, Ladji rassure que la troupe reste mobilisée et est prête à défendre. Elle a le courage, elle va se réorganiser pour reprendre les combats, confie-t-il avant d’ajouter que les populations vont se mobiliser pour davantage accompagner ces VDP.
A cet effet, une conférence de presse est prévue par les ressortissants du Loroum ce mardi 29 juin 2021 à 10 h à l’ABMAQ pour appeler à l’aide nationale et internationale pour la préservation de l’intégrité du territoire et la défense des vies humaines.
O.H.L
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
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