Poura, c’est la commune minière par excellence du Burkina Faso. Dans cette partie du pays des hommes intègres, l’or brille pour tout le monde. La vie est belle. Ses habitants mangent gras et boivent frais. Seulement, cette description est le souvenir d’un passé lointain. Dans la réalité, Poura aujourd’hui n’est que l’ombre de lui-même. Il a un passé glorieux et un avenir hypothéqué. Pour cause, l’or qui semblait faire son bonheur est devenu son malheur. La course effrénée au métal jaune est en train de tuer à petit feu la ville. Des animaux qui meurent, une déforestation inouïe, des populations victimes de maladies respiratoires chroniques, des surfaces de terre cultivables détruites. Les causes de ces maux se trouvent dans les ruines de la Société de Recherche d’Exploitation Minière du Burkina (SOREMIB) et des sites d’orpaillage. Nous avons fait le constat le vendredi 11 juin 2021, au cours d’une visite.
Poura, une commune rurale de la province des Balés. Elle relève de la région de la Boucle de Mouhoun. Selon le recensement général de la population en 2020, Poura a un peuplement de 19 046 habitants. Le vendredi 11 juin 2021, au deuxième chant du coq, nous embarquons à Ouagadougou dans le véhicule de service de Lefaso.net. Direction, cette ville minière burkinabè. Nous devons ‘’avaler » 175 kilomètres pour y arriver.
Aux alentours de 8h10, nous arrivons à destination ; nous sommes à Poura. Rien de spécial. La population vaque à ses occupations. Nous passons à la gendarmerie, située à droite peu après l’entrée de la ville, pour faire viser notre ordre de mission. Comme beaucoup d’autres gendarmeries, celle de Poura est exposée à l’air libre, aucune clôture. Elle a un nouveau local où elle doit aménager les jours ou mois à venir…
A peine nous avons dégourdi nos jambes, nous mettons le cap sur les ruines de la SOREMIB. C’est la dernière mine industrielle fermée en 1999. Elle est située juste derrière la mairie de Poura. Après quelques vrombissements du véhicule, nous y sommes. Direction, le bac à cyanure. Notre progression est ralentie par une odeur piquante. C’est insupportable. Nous mettons un cache-nez sans effet. Nos yeux clignent un peu.
- Ces sites d’orpaillage privent les paysans de terres cultivables.
Le bac à cyanure, un danger permanent pour les populations
Il est clôturé. Mais, c’est à ciel ouvert. A vue d’œil, des travaux y ont été menés récemment. Des résidus du cyanure sont en dehors de la grille. Moindre pluie, ce produit chimique hyper dangereux sera drainé par les eaux. Bien que gardé par des policiers, nous n’avons pas eu de difficultés à nous approcher. Ils ne remarqueront même pas notre présence. Proche d’une voie, des gens passent. Certains font mine de fermer leurs narines.
Le bac à cyanure est en hauteur. Mais au bas, juste à côté, un paysan a son champ. Il y cultive depuis des années. Cette année aussi, il est présent même s’il n’a pas encore semé. Il fixe un temps le bac à cyanure, secoue sa tête en guise de désapprobation. « Je côtoies ce danger depuis des années, juste pour avoir à manger » nous lance-t-il, le regard vide. Dans son champ, il y a des karités dont les fruits sont appréciés. Des consommateurs viennent ramasser. L’odeur difficilement supportable nous oblige à rebrousser chemin. Non sans dire un bonjour aux forces de sécurité qui sont sur place.
- La construction de ce site d’orpaillage comme les dizaines d’autres de Poura nécessite beaucoup de bois.
La ville de Poura est pleine de sites artisanaux
Ainsi, nous prenons la direction de la mine d’or artisanale de « Bananaline ». Elle est située juste à un kilomètre de la cité des cadres, en profondeur, à l’entrée de la ville en venant de Ouagadougou. Là-bas, ce sont les vrombissements des machines qui pompent l’eau qui nous accueillent. Juste devant, ce sont les trous. C’est une grande surface. Hamidou Sawadogo est venu de Kaya, dans le Nord du Burkina.
Il est chef d’équipe. Il dispose d’un trou de plus de 45 mètres de profondeur. Le simple fait de regarder l’intérieur donne des vertiges. Tout comme son lieu de travail, les centaines d’autres trous sont pleins d’eau de la nappe phréatique. Il faut aspirer pour pouvoir continuer le travail. Des sacs de cailloux sont entassés. C’est le fruit du dur labeur des travailleurs. Dans la cité des mines, ce genre de sites sont lésions.
- L’orpailleur Hamidou Sawadogo a fui l’insécurité dans le Nord du Burkina pour se venir reconstruire sa vie à Poura.
Le cyanure se traite sur des sites à ciel ouvert de façon anarchique
Le soleil est maintenant au zénith. Il ne fait pas de cadeau. Il fait chaud. Nous reprenons la route de Ouagadougou. Juste avant la sortie de la ville, nous tournons à gauche. A peine cinq minutes de route, nous croisons un troupeau de bœufs. Ils sont à la recherche d’herbes, leur nourriture. De potentielles victimes, se dit-on. Au regard de la pollution de l’environnement par le cyanure.
Un peu devant, nous sommes nez à nez avec un autre site. Mais là, la particularité c’est le traitement du minerai à base de cyanure. Les mêmes odeurs du bac à cyanure de la SOREMIB nous accueillent.
C’est une grande superficie. Les supports sont en contact direct avec le sol. Le traitement se fait à ciel ouvert et dans l’indifférence totale. A quelques endroits, les produits toxiques se retrouvent à même le sol. Dans un autre lieu, nous remarquons une poudre noire étrange avec les autres eaux de traitement. « Ce produit vient du bac à cyanure de la mine de Poura. Ces utilisateurs sont allés voler ou prélever cela là-bas », souffle notre guide. Ce produit est dangereux, reconnait Halidou Ouédraogo, un orpailleur. Il justifie son utilisation par la quête de l’argent pour subvenir aux besoins de sa famille. Il se confie comme pour se dédouaner de son travail : « Des sites de traitement de cyanure à ciel ouvert, sans protection à Poura sont nombreux, même dans les concessions ».
- A cause de la pollution de l’air dû aux concasseurs et aux produits chimiques, la première cause de mortalité à Poura est dû aux infections respiratoires.
« Tout le sous-sol de Poura est contaminé »
Même si Halidou Ouédraogo a accepté s’exprimer, le silence des autres orpailleurs nous inquiète. En filmant, l’un d’entre eux nous demande : « C’est pourquoi faire ? ». Notre guide tente tant bien que mal à le rassurer. Sentant que notre présence gêne, nous retournons à Poura. A l’hôtel de ville, ce n’est pas non plus la sérénité. Pour offrir de l’eau potable aux populations, le conseil municipal a réalisé des forages. Mais, c’est peine perdue.
L’utilisation du cyanure, de l’acide, du zinc dans la recherche du métal jaune a fini par polluer la nappe phréatique. « Tout le sous-sol de Poura est contaminé », indique tristement le maire Seydou Traoré, l’air déçu. L’eau est impropre à la consommation. Elle contient une forte dose de l’arsenic. Ce n’est pas tout. Il nous fait comprendre que les centaines de concasseurs de cailloux dans sa ville soulèvent de la poussière. Un autre danger dans l’air.
- « Tout le sous-sol de Poura est contaminé », a indiqué tristement le maire Seydou Traoré.
Des animaux morts pour avoir bu de l’eau contaminée au cyanure
A quelques pas de la mairie, il y a le domicile du président des éleveurs de Poura. Il est 14h00. Dans la cour, c’est un homme abattu que nous retrouvons. Entouré d’autres pasteurs, vêtu d’un boubou, le visage pâle, Seydou Diao ne dort presque plus. Son cœur bat. Son activité bat de l’aile.
Pour cause, l’utilisation anarchique du cyanure fait courir à sa corporation un grand danger. Il voit que le cheptel va être décimé à petit feu. « Les voies de pâturage sont obstruées par des sites de traitement de cyanure à ciel ouvert », révèle-t-il, la tête baissée, la main sous le menton. Déjà soutient-il, plus d’une dizaine d’animaux sont morts après avoir bu de l’eau contaminée au cyanure. « Certains éleveurs ont préféré prendre le chemin de l’exil », relate-t-il, la gorge nouée de chagrin.
- Le président des éleveurs de Poura Seydou Diao a revelé que Certains éleveurs ont préféré prendre le chemin de l’exil ».
L’orpaillage constitue une pression accrue pour les forêts
Peinés par sa situation, nous prenons congé de lui. Nous l’abandonnons seul, face à ses multiples équations. A la sortie de Poura, sur la route de la commune de Fara à droite, il y a un démembrement du ministère de l’Environnement, de l’Economie verte et du Changement climatique. Là-bas, nous avons rendez-vous avec le premier responsable des lieux.
- Le lieutenant des eaux et forêts, Pegdwendé Basile Kaboré reconnait que l’extraction minière constitue une pression accrue pour les forêts.
C’est le lieutenant des eaux et forêts, Pegdwendé Basile Kaboré. Il reconnait que l’extraction minière constitue une pression accrue pour les forêts. Les orpailleurs mènent une coupe abusive sans précèdent du bois pour maintenir leurs trous. Pour leurs habitations spontanées et leurs hangars, c’est encore la forêt qui saigne. « Même les sols cultivables sont remués. Du coup, les terrains sont dégradés et ça devient impropre à l’usage agricole », confie-t-il, l’air impuissant face à la situation. Il avoue que lui et sa petite équipe ne peuvent rien contre les chercheurs d’or.
41,61% des consultations sont dues aux infections respiratoires aigües
Nous prenons congé de lui. Il s’apprête à se rendre à la capitale. Nous reprenons la route pour le foyer du minier. C’est juste derrière la mairie, sur la route des ruines de la SOREMIB. Nous voulons nous restaurer, pour reprendre des forces. Nous mettons à profit ce laps de temps entre deux gorgées de riz gras, pour consulter un document du Centre médical de Poura. Nous l’avons reçu des mains du maire. Il est du médecin responsable du centre de santé. Il nous faut lire deux fois pour croire. Les chiffres sont alarmants et inquiétants.
Sur les trois derniers mois, 41,61% des consultations sont dues aux infections respiratoires aigües, selon les statistiques. L’infection respiratoire reste la première cause de morbidité devant la maladie vedette du Burkina qui est le paludisme. Nous ajustons bien notre cache-nez, on n’en sait jamais ! En ressortant, nous croisons un instituteur qui s’intéresse aux questions environnementales. Pour lui, la situation de Poura dépasse même ses frontières. Du fait de la qualité douteuse de l’eau de forage, beaucoup consomment des eaux en sachet. « C’est un danger non seulement pour les arbres mais surtout pour les animaux domestiques et sauvages », soutient-il, attristé.
- La manipulation anarchique des produits chimiques est un danger pour les eaux avec le ruissèlement.
L’utilisation des produits chimiques menace également les eaux du fleuve Mouhoun
En réalité, confesse-t-il, le désastre environnemental de Poura ira loin. Il en veut pour preuve l’utilisation anarchique des produits chimiques. Selon lui, la grande menace est le fleuve Mouhoun. Les eaux pluie de Poura coulent vers là-bas. Les poissons et autres animaux vivant dans ces eaux sont menacés. Par-dessus tout, ce sont les humains qui courent un grand risque. Tout comme les autres personnes ressources, lui aussi ne peut rien faire.
Ils regardent le drame venir lentement mais sûrement. Dans un soupir profond, il lance un appel au secours. L’or devrait en principe faire le bonheur des populations. En écoutant tout cela, nous comprenons ce que le chef coutumier de Poura, Michel Nignan, nous racontait : « L’exploitation minière a été un malheur pour Poura ». C’était au cours d’une visite de courtoisie que nous lui avons rendu le jour de notre arrivée.
- L’utilisation anarchique des produits chimiques menacent sérieusement les eaux du Fleuve Mouhoun.
Les autorités communales ainsi que les populations sont impuissantes face à la situation
Nous voulons bien compatir aux douleurs de toutes ces personnes. Mais le soleil s’incline déjà vers l’Ouest. Nous retournons à notre pied à terre. Le lendemain matin, à peine les rayons du soleil ont commencé à briller, nous avions déjà repris la route pour Ouagadougou. C’est après avoir visé notre ordre de mission de retour à la gendarmerie nationale.
Dans le véhicule conduit par Thierry Toé, notre chauffeur, nous disparaissons tout en laissant les Pouralais dans leur angoisse. Juste après dix minutes de route, entre les secousses de la voie rouge, une parole d’un éleveur a résonnée dans notre tête. Il vociférait au domicile de leur premier responsable : « J’ai prévenu tout le monde. Le jour où mon animal va mourir à cause du cyanure, je vais accepter d’aller en prison. Je vais commettre des dégâts ». Poura pourra-t-il survivre à ces malheurs ? Dieu seul sait !
Dimitri OUEDRAOGO
Auguste Paré (Photo)
Lefaso.net
Source: LeFaso.net
Commentaires récents