Une présidentielle inattendue : mort du candidat déclaré de la majorité et nouveau mandat pour le président sortant qui, initialement, n’en voulait pas. Des élections législatives qui assurent, une nouvelle fois, la victoire du parti présidentiel face à une opposition qui n’est pas parvenue à convaincre les électeurs de la sincérité de son union (partielle).
La Côte d’Ivoire, une fois encore, s’illustre sur la scène ouest-africaine par des scénarios inhabituels. Ajoutons la mort en exercice des Premiers ministres : Amadou Gon Coulibaly le 8 juillet 2020 ; Hamed Bakayoko le 10 mars 2021. Tout cela dans un contexte de crise sanitaire mondiale qui impacte nécessairement la vie économique et sociale et alors que la sécurité du territoire est, par moment, problématique.
Alassane D. Ouattara a donc tranché : place aux gestionnaires économiques pour affronter la première phase des cinq années à venir. Patrick Achi, formaté notamment par le cabinet d’audit Arthur Andersen, vient d’être confirmé au poste de Premier ministre. Il est remplacé au secrétariat général de la présidence par Abdourahmane Cissé, un ancien de la banque Goldman Sachs International qui s’est illustré notamment comme ministre du Budget puis ministre du Pétrole.
Cissé est par ailleurs un proche de Téné Birahima Ouattara, le frère cadet du chef de l’Etat, ancien banquier, trésorier du parti présidentiel, ministre des Affaires présidentielles et à ce titre en charge de la trésorerie de la présidence de la République et des services rattachés. C’est dire que Ouattara resserre les rangs autour de lui (ajoutons que Amadou Soumahoro, membre fondateur du RDR en 1994, a été réélu à la présidence de l’Assemblée nationale le mardi 30 mars 2021).
Dans la perspective de placer comme « premiers de cordée » des hommes qui sont des parfaits connaisseurs des arcanes de l’économie mondiale.
Non pas que l’économie ivoirienne soit dans une mauvaise passe, loin de là, mais parce que « gouverner c’est prévoir » et que les semaines, les mois et les années à venir risquent fort d’être difficiles pour les pays tributaires des relations internationales, qu’elles soient diplomatiques, commerciales ou financières. L’émergence est, désormais, pour beaucoup de pays, une espérance trahie et la mondialisation s’affirme, pour un temps, comme un handicap majeur pour les pays sous-développés (ce que la Côte d’Ivoire est encore avec un taux de pauvreté de plus de 37 %, mais qui dépassait les 51 % en 2011).
Après la République des planteurs, la République des banquiers
Avec cette perspective peu réjouissante, qui va obliger les pays africains qui le peuvent à être crédibles sur les marchés financiers, il faut des hommes qui savent compter. Et qui savent, aussi, agir dans un contexte politique à géométrie variable. Abdourahmane Cissé – qui a un quart de siècle de moins que son prédécesseur ! – sait compter et compte bien. Il est né le 6 août 1981 à Treichville, le quartier populaire d’Abidjan. La famille compte quatre enfants : trois garçons, une fille. Abdou est le dernier-né. Père ouvrier dans le BTP ; mère au foyer. Pour Abdou c’est Vridi Collectif, Port-Bouët, Grand-Bassam et, au final, un bac C mention bien. Puis ce sera Paris et les prépas et, finalement, l’Ecole polytechnique. X 2001 (A Polytechnique, contrairement aux autres grandes écoles françaises, l’année de promotion est celle de l’entrée pas de la sortie) : aujourd’hui il figure au palmarès des anciens élèves célèbres. Pas mal !
Ayant choisi l’option « mathématiques appliquées », il s’orientera, par la suite, vers les Etats-Unis (université d’Oklahoma à Norman, une université publique dont les « têtes-d’œuf » ont surtout été des sportifs) pour y décrocher un master en sciences économiques et gestion des ressources pétrolières (2005). Il rejoindra alors l’Institut français du pétrole (IFP School) pour y obtenir un master en économie et gestion des ressources pétrolières (Petroleum Economics and Management). A noter que Cissé a entrepris de faire ouvrir, au sein de l’Institut national polytechnique Houphouët-Boigny (INPHB), un cycle de formation à deux masters en économie pétrolière (amont ; aval) accessible aux ingénieurs bac + 5, formation assurée par l’IFP School.
A l’issue de sa formation, Cissé s’installera à Londres où il rejoindra le département matières premières de la banque Goldman Sachs pour s’y occuper, notamment, des questions pétrolières et gazières. Il sera, par la suite, vice-président et directeur exécutif en charge du trading de volatilité sur les indices de la zone euro au sein de la division Equity Derivatives.
Retour au pays natal
En juin 2011, Abdourahmane Cissé reviendra à Abidjan à l’occasion de ses congés d’été. La Côte d’Ivoire se remettait lentement de la « guerre des chefs ». Alassane D. Ouattara jouissait enfin pleinement du pouvoir après avoir remporté la présidentielle 2010. Le mercredi 1er juin 2011, Ouattara formera son premier gouvernement (qui faisait suite au shadow cabinet composé au lendemain de son élection) avec Guillaume Soro comme Premier ministre. Il y avait 14 RDR, 8 PDCI, 5 Forces nouvelles (FN), des représentants des petits partis et de la société civile. Les « affaires économiques » comptaient pas moins de 15 ministres. Amadou Gon Coulibaly était secrétaire général du gouvernement, Hamed Bakayoko était ministre d’Etat, ministre de l’Intérieur, Patrick Achi était ministre des Infrastructures économiques. La machine était en marche.
De retour à Londres, Cissé démissionnera de Goldman Sachs. Objectif : Abidjan. Pour, dira-t-il, « apporter quelque chose à mon pays ». Restait à trouver un job. Ce qui prendra du temps. Mais il avait le contact avec Gon Coulibaly et Téné Birahima Ouattara, le frère du chef de l’Etat. En juillet 2012, Cissé rejoindra la présidence de la République en tant que conseiller spécial chargé des finances publiques. Quelques mois plus tard, en janvier 2013, alors que Daniel Kablan Duncan était Premier ministre (et, dans le même temps, ministre de l’Economie et des Finances), Cissé deviendra directeur de cabinet de Kaba Nialé, ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’Economie et des Finances, puis il sera nommé ministre délégué auprès du Premier ministre, chargé du Budget et du Portefeuille de l’Etat, le 19 novembre 2013. A 32 ans, il était le benjamin du gouvernement et devenait le symbole du retour des « cerveaux » de la diaspora. Son objectif : « Redonner confiance au peuple et aux investisseurs » et, surtout, veiller au surendettement.
Amadou Gon Coulibaly, Patrick Achi et les autres
Le 11 janvier 2017, alors que Amadou Gon Coulibaly (jusqu’alors ministre d’Etat, secrétaire général de la présidence de la République) venait de prendre la suite de Daniel Kablan Duncan à la primature et que Patrick Achi était nommé ministre, secrétaire général de la présidence de la République, Abdourahmane Cissé sera maintenu comme ministre du Budget et du Portefeuille de l’Etat (mais ne sera plus délégué auprès du Premier ministre) et se trouvera, dans la hiérarchie gouvernementale avant le ministre de l’Economie et des Finances (Adama Koné). Thierry Tanoh, précédemment secrétaire général adjoint de la présidence (chargé des affaires économiques et financières), était nommé ce jour-là ministre du Pétrole, de l’Energie et du Développement des énergies renouvelables. Tanoh était alors le dernier ministre PDCI encore en poste dans le gouvernement, tous les autres avaient rejoint le RHDP.
En juillet 2017, en accord avec Alassane D. Ouattara et Gon Coulibaly, Cissé quittera le gouvernement « pour convenance personnelle » (il sera remplacé par Moussa Sanogo mais celui-ci ne sera, un tant, que secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre). Cissé sera nommé ministre conseiller spécial auprès du président de la République chargé des affaires économiques et financières (une fonction assurée jusqu’alors, au sein du secrétariat général de la présidence, par Tanoh).
Les tensions entre Henri Konan Bédié et Ouattara vont s’exacerber. Bédié dénoncera les « complots visant à déstabiliser et faire disparaître » le PDCI-RDA et un « Etat de non-droit que veut promouvoir ce régime autoritaire [il s’agit bien sûr de celui de Ouattara] ». Le lundi 10 décembre 2018, Tanoh quittera le gouvernement. Il évoquera « le terme de ses fonctions » sans préciser si ce terme résultait d’une démission ou d’un limogeage. Quoi qu’il en soit c’est Abdourahmane Cissé qui prendra sa suite. Très modestement au sein de l’équipe gouvernementale. Au-delà de la vingtième place. La nomination de Hamed Bakayoko à la primature, à la suite de la mort de Gon Coulibaly, ne changera rien à l’affaire.
Problématique économico-financière ou politico-sociale ?
Au secrétariat général de la présidence de la République, Abdourahmane Cissé prend donc la suite de Patrick Achi et de Amadou Gon Coulibaly. Achi, désormais Premier ministre, et Cissé sont deux noms qui vont s’imposer sur la scène politique ivoirienne. L’un avec son passé (Achi a 66 ans et un long parcours dans les gouvernements qui se sont succédés depuis 2000) ; l’autre avec sa jeunesse (Cissé a 40 ans et n’a pas vécu, en Côte d’Ivoire, les errements politiques des années 1990-2000). Ils ont, l’un et l’autre, été formatés dans les instances bancaires et financières mondialisées ; ils ont assuré la gestion de ministères économiques.
Sont-ils la réponse à la problématique actuelle de la Côte d’Ivoire ? Une problématique qui est, aujourd’hui, économico-financière mais pourrait bien être, demain, politico-sociale. La Cour pénale internationale (CPI) a confirmé, ce mercredi 31 mars 2021, l’acquittement prononcé en 2019 de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé dans le procès pour crimes contre l’humanité liés aux violences post-électorales en 2010 et 2011. Ce qui ouvre la porte de la Côte d’Ivoire aux deux hommes. Une autre forme de retour au pays natal des cadres de la diaspora !
Jean-Pierre Béjot
La Ferme de Malassis (France)
31 mars 2021
Source: LeFaso.net
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