Il est né en France, d’une mère française. Il est ingénieur formé en France. Il a été le conseiller du ministre des Finances sous la présidence de Henri Konan Bédié ; puis ministre tout au long de la présidence de Laurent Gbagbo ; ministre aussi au temps de Alassane Ouattara. Il sera ministre d’Etat, secrétaire général de la présidence de la République de Côte d’Ivoire, à compter du début de l’année 2017, ce qui lui aura permis de sortir de l’ombre. Il remplaçait alors Amadou Gon Coulibaly, candidat du RHDP à la présidentielle 2020, décédé brutalement depuis. Il s’est retrouvé en pleine lumière quand, le 19 mars 2021, le président Alassane D. Ouattara l’a nommé Premier ministre par intérim pour remplacer Hamed Bakayoko hospitalisé à Paris.
Le vendredi 26 mars 2021, à la suite de la mort brutale de Bakayoko, il a été confirmé dans sa fonction de Premier ministre, chef du gouvernement, en charge de la formation d’un nouveau gouvernement, le premier depuis l’élection de Ouattara à la présidentielle 2020 et la victoire du RHDP aux législatives 2021. Ajoutons que militant du PDCI, il n’avait jamais rompu les relations avec le FPI de Gbagbo et qu’il a été secrétaire général du PDCI-Renaissance avant de rejoindre le RHDP de Ouattara. Itinéraire d’un Premier ministre venu d’ailleurs !
C’est à Paris, le 17 novembre 1955, qu’est né Patrick Achi. Son père était ivoirien. Il était originaire du Sud-Est de la Côte d’Ivoire (groupe Attié). Sa mère était française. Il est même souvent précisé : bretonne ! C’est à Abidjan qu’il fera ses études sanctionnées, en 1979 – après avoir fréquenté le lycée classique de la capitale ivoirienne – par une maîtrise de maths-physique. Il rejoindra alors la France pour décrocher un diplôme d’ingénieur de l’Ecole nationale d’électricité de Paris, la prestigieuse Supélec.
La même année (1981), il obtiendra un certificat d’études économiques et juridiques de l’université Paris I-Panthéon Sorbonne. Il poursuivra sa formation aux Etats-Unis, en Californie, où il obtiendra (1983) un master spécialisé en management de l’université de Standford, avant de rejoindre le Center for Professionnal Education (appelé également Andersen U), le centre de formation du cabinet Arthur Andersen installé non loin de son siège social à Chicago (Illinois)
Un privé au service du public
Première affectation professionnelle à Paris (1983-1987) au sein de Arthur Andersen, un des Big Five de l’audit financier et comptable (qui disparaîtra en 2002 à la suite du scandale Enron). En 1988, Patrick Achi sera nommé chef de mission du cabinet à Abidjan puis directeur technique couvrant les divisions de Douala, Dakar, Lomé et Abidjan. En 1992, il va fonder dans la capitale ivoirienne son propre cabinet : Stratégie & Management Consultant (SMC).
Le 15 décembre 1993, au lendemain de la mort de Félix Houphouët-Boigny, Daniel Kablan Duncan, Premier ministre de Henri Konan Bédié, formera son premier gouvernement. Kablan Duncan était en charge également de l’économie, des finances et du plan, activités confiées à un ministre délégué, Niamien N’Goran. Le 26 janvier 1996, N’Goran deviendra titulaire de l’économie et des finances. C’est un proche parmi les proches de Bédié (il est son neveu par alliance) mais, dans ses interviews, il sait reconnaître le travail accompli par Alassane D. Ouattara quand celui-ci était Premier ministre. N’Goran va appeler Achi auprès de lui, comme conseiller en charge de la réforme du système de gestion des finances publiques. En 1997, quand la réforme sera sur pieds, Achi sera nommé commissaire du gouvernement auprès de la CIE (1997-1999).
La Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE) est la société de patrimoine qui possède la totalité des ouvrages de production, de transport et de distribution de l’électricité ; elle résultait de la privatisation de l’EECI, opération emblématique de l’ère Ouattara. CIE est notamment une filiale des groupes français Bouygues et EDF. Achi sera, par la suite, président du conseil d’administration de la Société d’opération ivoirienne d’électricité (Sopie) en charge du suivi de la gestion des mouvements d’énergie électrique ainsi que de la maîtrise d’œuvre des travaux revenant à l’Etat en tant qu’autorité concédante, une institution sous tutelle, notamment, du ministère de l’Economie et des Finances.
Ministre PDCI dans les gouvernements sous présidence Gbagbo
En 1999, Bédié va être renversé par un coup de force militaire. Le général Robert Gueï est installé au pouvoir. Il a pour Premier ministre Seydou Diarra. Patrick Achi va rejoindre son cabinet pour travailler à la réforme de la filière cacao-café.
En 2000, Gueï perd la présidentielle face à Laurent Gbagbo. C’est Affi N’Guessan qui empoche le poste de Premier ministre, chef du gouvernement, ministre de la Planification du Développement.
Achi est le numéro 13 de ce gouvernement et le mieux placé des ministres PDCI. Il détient le portefeuille des Infrastructures économiques. Il le conservera tout au long de la primature de N’Guessan, soit pas moins de quatre renouvellements ministériels ! Son portefeuille couvre alors, précisait-il, « les ports, les aéroports, les routes, les ouvrages d’art et l’approvisionnement en eau potable des populations » (African Business – janvier-février 2010).
Quand Seydou Diarra, à la suite des accords de Marcoussis, sera à nouveau nommé Premier ministre, Achi non seulement conservera son portefeuille des Infrastructures économiques (26 octobre 2000) mais obtiendra le titre de ministre d’Etat et sera promu porte-parole du gouvernement (il est alors, dans la hiérarchie gouvernementale, juste après Amadou Gon Coulibaly, présent, lui, au titre du RDR). Il a également en charge la coordination des initiatives de la Côte d’Ivoire pour le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad). « Le Nepad, dira-t-il alors, apporte une âme, une vision partagée et un vrai dynamisme ». Quant à la crise ivoirienne, il la qualifiait de « postdémocratique et postmultipartite ». Il ajoutait qu’elle « s’est arrêtée rapidement » sans « déchirure profonde et durable » (entretien avec Christophe Boisbouvier, J.A./L’Intelligent du 8 au 14 juin 2003).
Achi avait survécu à la primature d’Affi N’Guessan ; il survivra aux primatures de Diarra (I et II), de Charles Konan Banny (I et II), de Guillaume Soro (I). Le 4 mars 2010, cependant, à la veille de la présidentielle, il ne sera pas reconduit dans le gouvernement Soro II. Son ministère restera attribué au PDCI, mais c’est Dagobert Banzio qui entrait au gouvernement pour y récupérer son portefeuille.
Ministre PDCI sous la présidence Ouattara
Patrick Achi reviendra sur le devant de la scène le dimanche 5 décembre 2010. Alassane D. Ouattara a gagné la présidentielle mais sa victoire est contestée par Laurent Gbagbo qui a formé son propre gouvernement. La guerre des chefs est déclenchée. Dans la formation restreinte (13 ministres, y compris le Premier ministre) dirigée par Guillaume Soro, Premier ministre de Ouattara, Achi est le numéro 9 : il a la charge des infrastructures économiques et surtout celle de porte-parole du gouvernement.
Dans le gouvernement formé le mercredi 1er juin 2011 (Ouattara a retrouvé la plénitude de ses pouvoirs et Gbagbo a été arrêté avec son épouse), Achi perdra l’attribution de porte-parole du gouvernement (que personne, officiellement, n’assure). Quant Jeannot Kouadio-Ahoussou sera nommé Premier ministre, Achi restera en place ; il sera encore en place – et toujours au même portefeuille – quand Daniel Kablan Duncan sera nommé Premier ministre (21 novembre 2012). La réélection de Ouattara à la présidence de la République (24 octobre 2015) ne changera pas la situation de Achi qui deviendra un symbole de longévité gouvernementale. « Ministre depuis seize ans ! » notera Jeune Afrique.
Il faudra attendre le mercredi 11 janvier 2017 pour que Achi change, enfin, de poste. C’est lui qui annonce la composition du gouvernement de Amadou Gon Coulibaly, Premier ministre. Il est le nouveau secrétaire général de la présidence (avec le titre de ministre d’Etat) où il prend la suite de Amadou Gon Coulibaly. Le secrétaire général adjoint, Thierry Tanoh, quant à lui, entre au gouvernement.
Un technocrate reconverti dans la politique
Le dimanche 11 décembre 2011, Patrick Achi – « ingénieur » sur les bulletins de vote – sera élu député PDCI d’Adzopé, la capitale de la région de La Mé, circonscription administrative créée en 2011. Il a obtenu 79,32 % des voix. Son suppléant est un enseignant, maître de conférences en philosophie Michel Gbocho Akissi. Gbocho Akissi, ayant occupé le siège de député tout au long de la législature 2011-2016, se considérera comme le candidat légitime à l’occasion des législatives du 18 décembre 2016. Achi devra faire requête au Conseil constitutionnel pour faire invalider sa candidature.
Achi fera campagne, cette année-là, sous les couleurs du RHDP (au sein duquel RDR et PDCI vivaient leur lune de miel électorale) avec pour suppléant un planteur : Marcel Monney Gbocho. Son score sera en légère baisse : 70,02 % des voix. Dès 2013, Achi va devenir le patron de la région de La Mé quand il sera élu président du Conseil régional (La Mé, dans le Sud-Est de la Côte d’Ivoire, compte quatre départements : Adzopé, Akoupé, Alépé et Yakassé-Attobrou). Il sera réélu en 2018 sous l’étiquette PDCI/RHDP.
Cet ancrage régional va finalement permettre à Achi de s’afficher pleinement « ouattariste ».
Au sein du PDCI, aux côtés de celui qui a été son mentor, Daniel Kablan Duncan, il avait animé une tendance, le PDCI-Renaissance (qui n’était pas sans rappeler la stratégie menée, déjà au sein du PDCI, en 1995, par Djény Kobina, et qui aboutira à la création du RDR). Il s’agissait de faire du RHDP – structure informelle –, avec l’accord de ses deux principales composantes politiques, le PDCI et le RDR, un véritable parti présidentiel unifié. Mais pour Henri Konan Bédié et certains leaders du PDCI, il n’était pas question « de se saborder, de nier son existence ».
Jean-Louis Billon, personnalité politique (et économique) majeure, avait tenté d’imposer ce discours, le 2 novembre 2018 à Adzopé. « Achi n’a pas dit qu’il appartenait à un autre parti. Il peut avoir différentes approches. Et lui-même, lors du bureau politique a dit qu’il sait mieux que quiconque que sa région n’est pas pour le RHDP unifié, ça, il l’a dit publiquement ».
En fait Achi s’efforçait de réaliser une synthèse entre le RDR (qui voulait imposer le RHDP) et ceux qui, au sein du PDCI-RDA, étaient prêt à mettre leur (vieux) drapeau dans leur poche. Billon pouvait bien affirmer : « Quand on dit PDCI-RDA à Adzopé, c’est d’abord Achi Patrick », Patrick Achi, quant à lui, avait fait son choix : le RHDP, rien d’autre que le RHDP.
« Ouattariste » et rien d’autre, définitivement !
Le 3 mars 2019, Patrick Achi écrira sur son compte Facebook : « Lors des élections régionales d’octobre 2018, la liste que nous avons conduite à la victoire a été une liste que nous avons volontairement voulue être consensuelle. Les circonstances de la vie politique m’ont conduit, depuis, à faire le choix, en tant que SG du PDCI-Renaissance, de la famille des houphouëtistes, le RHDP ». Il affirmait « assumer pleinement » cette décision « fruit de réflexions mûres et de convictions profondes ».
Il réitérera ces mots le samedi 3 août 2019, à Adzopé, en présence du président Alassane D. Ouattara : « La providence qui m’a permis d’être votre proche collaborateur m’a également donné l’occasion d’apprécier l’homme. J’ai ainsi appris à comprendre, à admirer et à répondre à votre exigence intellectuelle, votre attachement à la loyauté humaine, à la constance des engagements et à la cohérence du raisonnement. J’ai aimé cette détermination sans faille à réaliser, au prix de tous les efforts et sacrifices personnels, cette noble mission de sortir votre peuple du sous-développement et de faire briller à nouveau dans le firmament des nations votre pays si cher ».
Ce jour-là, Achi a également rendu hommage au vice-président, Daniel Kablan Duncan, et au Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, les remerciant « de l’affection qu’ils lui témoignent ». Il ne pouvait pas imaginer que, un an plus tard, en juillet 2020, quasiment au même moment, Kablan Duncan quitterait la vice-présidence dont il avait déjà démissionné, et que Gon Coulibaly mourrait brutalement. Il ne pouvait pas imaginer, non plus, que Alassane D. Ouattara serait candidat à la présidentielle 2020.
A Adzopé, il avait salué sa décision de « mettre l’individu après le collectif et faire passer l’intérêt collectif avant l’intérêt individuel et c’est ça qui sous tend la décision de ne pas être candidat pour un troisième mandat et de passer à la génération suivante la main ». On disait alors que Achi pourrait bien être le Premier ministre d’un Amadou Gon Coulibaly élu à la présidence de la République.
Le 10 mars 2021, à la suite du départ pour la France de Hamed Bakayoko, Patrick Achi sera nommé Premier ministre par intérim. Le vendredi 26 mars 2021, il était confirmé à ce poste et en charge de la formation du premier gouvernement du nouveau mandat présidentiel de Ouattara. Patrick Achi vient d’ailleurs ; mais il vient aussi de loin !
Jean-Pierre Béjot
La Ferme de Malassis (France)
28 mars 2021
Source: LeFaso.net
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